Une expérience de coordination de grandes opérations

A coordination experience in the context of large projects

Michel Macary

p. 47-56

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Michel Macary, « Une expérience de coordination de grandes opérations », Cahiers RAMAU, 2 | 2001, 47-56.

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Michel Macary, « Une expérience de coordination de grandes opérations », Cahiers RAMAU [En ligne], 2 | 2001, mis en ligne le 08 novembre 2021, consulté le 08 mai 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/525

En faisant référence à diverses grandes opérations auxquelles il a participé, notamment l’extension du musée du Louvre et le Stade de France, Michel Macary évoque, au travers de différents détails, comment les relations peuvent éventuellement s’établir entre les professions, ici principalement entre l’architecte d’une part et les ingénieurs ou les techniciens d’autre part, pour résoudre les problèmes qui peuvent se poser (ou que l’on doit se poser) lors de la conception. Il peut s’agir d’une question de faisabilité (le toit du Stade de France par exemple) ou de la prévision d’équipements techniques (ventilation par exemple) ou autres dans la conception architecturale. Repoussant le qualificatif de chef d’orchestre parfois attribué aux architectes, il souligne l’importance du rôle du maître d’ouvrage (qui serait en fait le chef d’orchestre) mais aussi des relations de confiance qui doivent s’établir dans la durée (parfois longue) d’un projet, depuis l’éventuel concours jusqu’au chantier en rencontrant des problèmes économiques, culturels et techniques. Dans une dernière partie, Michel Macary évoque l’intervention des utilisateurs dans la conception, ou plus exactement leur prise en compte ; il cite l’ouverture au public du passage Richelieu permettant d’avoir un aperçu sur l’intérieur du musée ou encore la forme ouverte choisie pour le Stade de France en opposition avec celle du Parc des Princes.

With reference to various large projects he was involved in, particularly the extension of the Musée du Louvre and the Stade de France, Michel Macary tells, mentioning different details, how relationship can possibly become established between different professions, mainly here between the architect on the one hand, and engineers or technicians on the other hand, in order to solve problems that may arise (or that must be arisen) during the design phase. These problems can deal with feasibility (the roof of the Stade de France for example) or with the anticipation of technical equipment (ventilation for example) or with others concerning architectural design. Rejecting the name of conductor of orchestra sometimes given to architects, he highlights the importance of the maître d’ouvrage or client (who would be in fact the conductor of orchestra) but also the confidence that must be established all along the (some-times long) duration of a project, from a possible competition to the building site as econo-mical, cultural and technical problems are faced. In the last part, Michel Macary calls forth the intervention of users in the design or more exactly the taking of users into account. As examples, he tells about the opening of the Passage Richelieu which offers an overview into the museum from the outside, and the shape chosen for the Stade de France in opposition to that of the Parc des Princes.

L’interprofessionnalité est une évidence dans le processus de tout projet, et plus encore dans les projets complexes et importants comme le Louvre ou le Stade de France. Cependant, il faut aussi savoir la mettre en œuvre : la juxtaposition de connaissances de disciplines différentes ne suffit pas pour réaliser un projet.

1. Maintenir les intentions du projet en réunissant au bon moment les compétences nécessaires

Un projet d’architecture a sa vie propre. Il commence avec peu d’acteurs et se développe jusqu’à la phase du chantier où il y a de très nombreux intervenants, y compris les ouvriers du chantier. Un projet commence à deux, trois personnes, et peut, à certains moments, faire travailler simultanément mille cinq cent à deux mille personnes.

Il faut tenir compte aussi de ce temps du processus du projet pour mettre en œuvre l’interprofessionnalité. Certaines compétences doivent intervenir en amont, parce qu’elles sont déterminantes sur le projet architectural lui-même. L’architecte porte le projet depuis les premières esquisses : il ne s’agit pas de faire de l’architecture avec des brainstorming de spécialistes, parce qu’il n’en sortirait pas un projet qui aurait une force, une cohérence, un parti architectural et qui prendrait en charge tous les éléments du site, du programme et de l’approche spécifique à l’architecte. Depuis l’esquisse jusqu’au chantier, il nous faut éviter que le projet auquel on travaille à partir du programme et du site, et que l’on fait valider assez tôt par le maître d’ouvrage, soit, au fur et à mesure de sa mise au point, remis en cause pour des raisons techniques ou financières et finalement dénaturé dans son essence même. L’architecte n’a pas toutes les compétences. On acquiert un certain nombre d’expériences, on a une formation qui ouvre aux compétences des autres, mais on n’est pas ingénieur de structures, ni acousticien, ni éclairagiste, ni économiste, etc. La difficulté est là : intégrer dès le départ, dans l’idée du projet qu’on propose au maître d’ouvrage, une potentialité technique qui permet le développement ultérieur du projet. Quand on a des doutes sur des sujets particulièrement importants, il faut tout de suite interroger les gens qui ont la compétence pour vous aider. Sur l’exemple du Stade de France, on a eu très tôt cette idée d’un toit qui dépasse les gradins, très large, très généreux, décollé des derniers gradins, donnant l’impression de flotter au-dessus de l’arène. Pour obtenir cette impression de légèreté, compte tenu de la dimension énorme, il y avait un défi technique dont on voulait être sûr qu’il était réalisable. Il y a des limites à la technique, et surtout à la technique dans le cadre d’un coût. Donc tout de suite, avant même de présenter cette idée, on a travaillé avec un ingénieur qui avait l’expérience des grandes portées et des grandes structures. Il a fait quelques calculs et nous a dit que c’était possible, dans telles et telles conditions. Bien sûr nous avions l’intuition que cela devait être possible, mais nous n’en avions pas l’assurance. On ne pouvait pas développer ce projet-là, le présenter au concours, être audité par des ingénieurs, sans être sûr de cela. Par contre, à ce moment, nous n’avons pas ressenti la nécessité de faire travailler des éclairagistes ou des acousticiens, parce que nous pensions que leur spécificité interviendrait plus tard dans le projet. Il n’y avait rien, dans les objets de leurs disciplines qui risquait d’entrer en contradiction avec le développement ultérieur de notre esquisse.

Par rapport à l’interprofessionnalité, on dit souvent que l’architecte est chef d’orchestre, je n’aime pas cette expression. Nous jouons d’un instrument, qui est notre discipline architecturale. Le chef d’orchestre, s’il en faut un, est le maître d’ouvrage, au sens large du terme. L’architecte serait plutôt un compositeur, un metteur en scène de cinéma, quelqu’un qui a une vision de l’ensemble, de la globalité d’un projet. A la fois, il intègre les volontés fonctionnelles, programmatiques du client, il tient compte d’un site, lequel est chaque fois particulier, et développe ce projet en intégrant ensuite toutes les compétences nécessaires, sans pour autant faire de jugement de valeur sur telle ou telle compétence autre que la sienne. L’architecte est celui qui assure la durée du projet et son développement, depuis une esquisse – qui ne définit pas tout mais qui donne les grandes lignes du projet architectural – jusqu’à la fin.

Je me souviens que, dans le cadre du travail sur le Louvre, j’étais étonné que Pei, très tôt dans le projet, veuille avoir des renseignements de certains fabricants de matériels. Il voulait notamment savoir si on pouvait souffler l’air conditionné dans le hall d’accueil autrement que par des grilles et le propulser par un système de bouches en forme de sphères trouées. Il voulait surtout connaître quelles seraient les dimensions raisonnables de ces sphères. Je me demandais pourquoi il se préoccupait si tôt d’un détail de ce niveau. Je me suis rendu compte, après, que son idée était d’insérer ces sphères dans des murs de pierre. Il y avait donc un rapport d’échelle entre le mur, sa hauteur, les dimensions que l’on peut donner aux pierres et les sphères qui y seraient intégrées. Si cela avait été démesuré, trop grand ou trop petit, il aurait fallu trouver une autre idée.

2. La raison technique et le dialogue avec les ingénieries

Dans un bâtiment, il y a toute une technique qui est absolument incontournable. Il faut ventiler, conditionner, chauffer, éclairer, il faut les sorties de secours, il faut désenfumer, etc. Si on n’y prend pas garde, si on n’a pas assez d’expérience, on bute sur ces problèmes-là au moment où il faut les traiter. Le projet architectural, la simplicité de certains murs, la continuité de certains plafonds d’un volume à un autre, les cloisonnements ou les murs séparant les différents espaces, c’en est fini s’il faut mettre des gaines d’aération ou des sorties de secours. L’espace est massacré parce qu’on ne peut laisser d’un seul tenant plus de 3 000 m2 : il faut avoir des murs coupe-feu, etc. Il n’y a plus qu’à faire un autre projet ou, si on n’en fait pas un autre, on déforme le projet pour réussir et il perd toute son essence, ce qui est pire.

L’expérience permet d’anticiper quelque peu ces difficultés, encore qu’elle soit de moindre profit lorsqu’il s’agit de projets qui ne se répètent pas beaucoup dans leur programmation, comme un stade ou un musée… Évidemment quand on fait des logements ou des bureaux, d’un programme à l’autre on retrouve toujours un peu les mêmes problèmes de faux plafonds, de planchers techniques, de verre en façade qui fait effet de serre, etc. Et même là… Nous, les architectes, sommes toujours à la recherche de nouveaux matériaux, de leurs nouvelles possibilités, qui vont nous permettre d’aller plus loin dans nos idées architecturales. Ce sont des recherches et une réflexion que l’on mène de façon permanente. Quand un industriel met au point un verre encore moins coloré qu’auparavant ou moins émissif ou qui permet d’intégrer le store entre deux lames de verres, etc., nous sommes toujours friands d’en avoir connaissance. Parfois aussi, des entreprises travaillent en fonction des demandes que les architectes ne cessent de leur formuler, et un jour leur service de recherche et de développement trouve une solution technique qui répondent à ces demandes. On peut dater les bâtiments en fonction des avancées techniques de certains matériaux. En même temps se développent les exigences de confort, de durabilité, de maintenance, etc.

En pratique, tout au long d’un projet, nous sommes de plus en plus fréquemment en relation avec des professionnels différents qui apportent leur technicité et qui peuvent donc aussi amener leurs contraintes, leurs exigences… Par exemple, on veut que le toit d’un bâtiment, qui est vu en surplomb par les habitants de la colline derrière, soit une terrasse plantée et complètement végétalisée. On part de cette idée dans le cadre d’un concours, mais si on n’a pas un peu d’expérience on ne saura pas que de toute façon il faut quand même que les ventilations sortent au sommet du bâtiment. Si on n’intègre pas ça dans le projet, il restera un petit peu de végétation sur le toit, mais le toit ne sera plus végétal et les associations seront mécontentes. Il faut réfléchir tout de suite à ça, voir comment on peut tourner les ventilations, ventiler horizontalement, pouvoir remettre la végétation sur le toit de ces éléments qui protègent la ventilation, etc. Il y a un travail architectural qui ne peut se faire qu’avec l’ingénieur spécialiste, parce qu’il connaît les sections nécessaires, les possibilités de retourner les gaines, de souffler plus vite, etc. Ça devient de plus en plus savant : il faut aussi que ça ne soit pas bruyant pour les riverains, donc il faut en même temps intégrer les études acoustiques dans les locaux techniques, parce que si on a des sections très fines il peut y avoir des sifflements. Pour trouver les vraies solutions, il faut travailler avec tous ces spécialistes.

Chaque projet reste ainsi une aventure dont on espère se sortir bien, mais c’est chaque fois difficile. D’autant qu’ici viennent se greffer les conditions économiques. Aujourd’hui la technique a progressé de façon exceptionnelle, mais, comme par hasard, les solutions les plus sophistiquées sont aussi les solutions les plus chères… Il ne suffit pas de faire une usine à gaz pour régler un problème esthétique ! Il faut aussi rentrer dans le cadre d’un budget.

3. La relation à la maîtrise d’ouvrage et la confiance comme base de traitement des problèmes

J’ai jusqu’à présent parlé plutôt des relations avec l’ingénierie. La dimension économique, me conduit à parler de la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci est déterminante de plusieurs façons. Premièrement, c’est elle qui crée les règles initiales du jeu. Elle choisit le site la plupart du temps, le terrain. Dans ce terrain elle définit son programme quantitatif et aussi fonctionnel et elle définit un budget global.

Déjà, s’il n’y a pas adéquation entre le terrain, le programme – qui est trop important par rapport au terrain – et un budget – qui comme par hasard n’est pas suffisant –, dès le départ les conditions sont très difficiles. Quand il s’agit notamment de concours, on voit très bien le risque que peuvent prendre les architectes ou les équipes d’ingénierie qui répondent. S’ils se rendent compte que le vrai prix du projet est vingt pour cent plus cher que le budget indiqué ou que la densité sur le terrain est déraisonnable, ils peuvent rendre un projet en modifiant ces paramètres, mais c’est un véritable coup de poker : il y a une chance sur dix que les membres du jury acceptent le bien fondé de ces modifications et que le maître d’ouvrage qui a organisé le concours reconnaisse s’être trompé. Chacun prend des risques, on se dit qu’on essaiera de trouver des économies, et puis on va tenter de convaincre de maître d’ouvrage de dédensifier un peu, etc. On démarre déjà en faisant des impasses, en prenant des risques. Ensuite tout dépend de la relation qu’on a avec le maître d’ouvrage. S’il comprend, le projet évolue bien, mais si lui-même est bloqué par rapport à d’autres critères, des investisseurs, une décision politique ou autres, alors le projet est déjà très difficile à faire vivre.

Un autre critère important est la confiance. Un projet vit toujours des moments de crise, et il faut que l’équipe de maîtrise d’œuvre, et notamment l’architecte, ait la confiance du maître d’ouvrage. En principe le maître d’ouvrage est « non sachant » ; il ne connaît pas les techniques. Souvent d’ailleurs, maintenant, et c’est plutôt une bonne formule, il s’entoure de conseillers. Ça permet de discuter avec eux, et ils peuvent dire au maître d’ouvrage que l’équipe de maîtrise d’œuvre a raison, qu’il y a un problème qui n’a pas été vu et qu’il faut trouver une solution. Mais parfois, le maître d’ouvrage écoute d’autres sirènes, parfois même des entreprises qui, pour rentrer dans le dispositif, d’un point de vue commercial, affirment pouvoir faire le projet sans modifier le budget. Si le maître d’ouvrage perd confiance, s’il a trop de doutes, si la solidarité de l’équipe ne fonctionne pas, le projet peut exploser.

Dans la seule phase études, un projet peut durer, suivant les cas de figure, entre neuf et dix-huit mois, parfois plus pour les grands projets. C’est long. Il y a plusieurs étapes importantes. Il y a l’étape de l’esquisse où l’on dit l’essentiel de la forme architecturale du projet, il y a l’étape du permis de construire où il faut intégrer toute la réglementation, l’étape de l’avant-projet sommaire où les estimations arrivent, et c’est le premier juge de paix. Il y a ensuite la phase du projet détaillé, avant le lancement de l’appel d’offres. Le DCE1 est un dossier très long à faire, très lourd, où toutes les disciplines sont représentées. Ce projet-là est soumis à l’évaluation des entreprises et si on oublie des choses, on le retrouve au moment du chantier.

Durant le chantier, les entreprises en France, contrairement aux Etats-Unis, ont une responsabilité commune avec la maîtrise d’œuvre sur la réalisation, et peuvent donc être amenées à dire qu’elles ne sont pas d’accord avec les ingénieurs de la maîtrise d’œuvre. Et puis il y a les bureaux de contrôle, et puis on demande des expertises, etc. Ça peut bien se passer, mais souvent il y a des péripéties…

En ce qui concerne l’ingénierie, chacun a sa compétence bien spécifique. Dans la mesure où la maîtrise d’ouvrage a mis l’architecte en charge de mandataire de l’équipe, a priori les ingénieurs développeront leurs études dans le sens dans lequel veut aller le mandataire, sauf problème technique ou financier. Il arrive parfois que des ingénieurs s’entêtent sur des solutions qui, selon l’avis de l’architecte, mettent gravement en péril le projet. Si cela ne se passe pas bien, ça remonte au maître d’ouvrage. À ce moment là, le maître d’ouvrage a souvent tendance à écouter plutôt l’ingénieur parce qu’il amène des critères objectifs, parce qu’il explique pourquoi techniquement ça ne marche pas bien, pourquoi économiquement c’est plus onéreux. Si il fait confiance et si il écoute les arguments de l’architecte en se disant que les arguments esthétiques ou architecturaux sont aussi importants que les autres arguments, à ce moment-là l’architecte finit pas trouver une solution globale au problème. Mais s’il déjuge l’architecte, cela devient un vrai problème. Et ça se produit.

Je dis toujours, sous forme de boutade, qu’il n’y a jamais de problèmes techniques. Il y a des problèmes économiques. Il y a surtout des problèmes culturels, mais il n’y a pas de problèmes techniques. La technique est aujourd’hui d’une sophistication potentielle fantastique. Quand un ingénieur me dit que ce n’est pas possible, je lui propose de retravailler ensemble, je suis sûr qu’on va trouver une solution, et ça met une séance ou quinze jours, mais il y a toujours une solution. Parfois, il est vrai, il y a des solutions plus onéreuses. Mais un projet est un bilan global. Si la climatisation coûte plus cher que prévu initialement, l’architecte est seul capable de dire que là où il avait prévu du granit, finalement, il va mettre un béton lasuré, plutôt que de défigurer le projet avec des gaines qui sortent partout en toiture. C’est à lui d’arbitrer par rapport à l’idée qu’il a développé dès le début du projet. On ne connaît pas tous les détails de la façon dont on construira un bâtiment lorsqu’on en dessine l’esquisse. Lorsque le projet du stade d’Istanbul a été retenu, bien que l’entreprise française avec laquelle on faisait équipe ait fait une offre dix pour cent au-dessus du moins-disant, le jury et le gouvernement turc ont dit « nous, on veut ce projet, alors vous faites dix pour cent d’économies, sinon vous ne l’aurez pas… ». Alors, l’entreprise a travaillé presque six mois avec nous pour trouver les économies sans changer l’aspect architectural. À la fois dans les méthodes de construction, à la fois en acceptant des sections plus grosses, nous avons mis en place toute une série de mesures qui ne défigurent pas la réalisation, mais qui, additionnées, ont permis à l’entreprise de faire les économies recherchées. Il est évident qu’il y a des négociations, des arbitrages à faire. Il est rare que le budget nous permette de faire tout ce qu’on a envie de faire dans tous les domaines. Quand Foster a fait sa tour à Hong-Kong, le maître d’ouvrage lui a dit que le prix n’importait pas, qu’il voulait le plus beau bâtiment du monde. Les clients comme ça sont assez rares.

En outre, il y a la réglementation, qui est une des contraintes majeures dans la conception d’un projet.

4. L’intervention des utilisateurs, leur représentation et leur présence

Je n’ai pas parlé de l’utilisateur. Quand il est identifié dès le début du projet, il devient finalement le maître d’ouvrage.

Actuellement, nous faisons un projet pour le siège de « C ». C’est « C » qui est l’utilisateur et le maître d’ouvrage. C’est très clair : ce sont eux qui décident du système de climatisation qu’ils veulent dans leur bureau et c’est tout à fait logique. Pour prendre une décision sur certains locaux comme les salles de sport, les restaurants, etc., ils ont voulu consulter leur personnel. La conséquence a été une modification de programme par rapport à ce qu’ils imaginaient au départ, mais c’est d’autant mieux, si ça correspond à ce que veulent les gens qui vont travailler là plus tard.

La difficulté, c’est l’utilisateur que l’on ne connaît pas. Là, effectivement, c’est le maître d’ouvrage qui a la responsabilité de représenter l’utilisateur, soit parce que c’est lui qui plus tard va le trouver, dans les programmes de bureaux par exemple, soit parce que c’est lui qui a la responsabilité de vendre les logements, d’en faire la commercialisation quand il s’agit de logements en accession. Et même si nous, par expérience, par comparaison avec d’autres maîtrises d’ouvrage, avec d’autres opérations, nous pouvons lui faire part de notre point de vue, la décision lui revient : en en effet c’est lui qui à la fois dispose de l’engagement financier des investisseurs et qui, la plupart du temps, commercialise. C’est lui qui représente.

Mais la grande satisfaction, quand les gens habitent, travaillent, ou viennent dans nos bâtiments, c’est de voir qu’ils y sont bien… C’est pour obtenir cela que nous travaillons. C’est pour cela que nous avons été très heureux quand le Stade de France a été si bien reçu par tous les gens, alors que c’était loin d’être évident au départ. Je me souviens d’autre chose qui m’a fait plaisir : quand l’aile Richelieu du Louvre a été achevée, il y a eu un week-end portes ouvertes, je me suis mêlé aux gens qui visitaient et j’entendais des gens qui disaient « ça vaut la peine de payer ses impôts si c’est pour faire ça… ». C’est le compliment ultime !

Nous avons utilisé l’informatique comme outil de travail et de représentation commun aux différents partenaires. Si on n’avait pas eu l’informatique, les systèmes d’échanges avec l’armoire à plans pour superposer les plans des entreprises, etc., par couches, avec chacun la même discipline pour pouvoir utiliser le plan fait par les uns et les autres, le travail du Grand Stade aurait été beaucoup plus lent et nous n’aurions pas pu tenir les délais. Mais ce n’est qu’un outil, un outil de travail et un outil de représentation performant. Mais nous ne l’utilisons pas comme moyen de dialogue avec les utilisateurs. L’informatique permettra un jour, par la simulation, de bien faire prendre conscience aux gens de ce qui va se réaliser. C’est très important quand les gens ont l’impression d’y pénétrer. Mais méfions-nous aussi des pièges que représente ce type d’images. Les étudiants sont très friands d’images virtuelles, c’est très tendance ; les acquéreurs d’appartements sont subjugués quand on leur fait faire la visite de leur appartement, mais c’est toujours très joli dans l’informatique. Ça n’a pas réellement d’échelle, ça n’est pas l’espace concret. Ces images sont quasiment toutes des images de synthèse, et il y a beaucoup à travailler avec ceux qui font ces images pour exprimer l’idée que l’on a du projet. Le plus souvent, cependant, on n’y arrive pas bien, on n’est pas content parce que ce n’est pas l’image du projet qui sort. Une fois c’est l’éclairage, une fois c’est la couleur, une fois c’est l’angle, une fois c’est la matière, c’est telle chose qui est mise en valeur au détriment de telle autre, etc. C’est un outil formidable, mais ce n’est pas cet outil qui fait l’architecture. Il permet de mieux communiquer.

Je pense qu’il y a d’autres moyens, même s’ils ne relèvent pas d’un instrument de mesure fiable à cent pour cent, d’entrer en relation avec le public. Le Louvre, par exemple, et le Stade sont significatifs de ce point de vue-là. Sur la plupart des projets, l’architecte a une certaine vision de la manière dont va vivre le bâtiment, dans son quartier, dans son environnement. Il va en découler une certaine image qui va se développer auprès du grand public. Cette image-là, inconsciemment, elle se réfère à certaines valeurs que l’on porte en soi. Ces valeurs, quand on arrive à se les expliciter soi-même et ensuite à les partager avec la maîtrise d’ouvrage, c’est comme cela que prennent naissance les grands projets.

Pour le Stade de France, on voulait faire un équipement de loisirs, de sports, qui donne une certaine image du sport, qui ne soit pas une image de violence, de show-business mais au contraire une image de convivialité, d’affrontement amical. On voulait quelque chose d’ouvert, une tente comme quand on fait une fête à la campagne, et que les gens aient envie d’aller sous cette tente blanche. Je trouve que le Parc des Princes est un très beau bâtiment sur le plan architectural. Mais ce qu’on voulait faire est exactement l’inverse du Parc des Princes, qui est une coquille de noix refermée sur elle-même. Ça a donné cette forme-là. La même idée aurait pu donner une autre forme. Cependant, le fait de partager cette idée avec ceux qui ont pris en charge le projet, côté maîtrise d’ouvrage, a été déterminant.

De la même façon, au Louvre, nous avions un maître d’ouvrage, Monsieur Biasini qui avait la confiance de Mitterand. Biasini, l’homme des Maisons de la Culture, voulait que le Louvre soit accueillant pour un public qui n’est pas celui qui, de toute façon, fréquentera le Louvre, ces gens cultivés qui connaissent déjà bien l’histoire de l’art et qui vont au Louvre pour le plaisir de voir des œuvres. Il voulait que le projet architectural attire un public qui n’est pas savant, par le plaisir d’y être, par la façon dont les œuvres seraient mises en valeur et facilement accessibles. Cette idée, nous la partagions complètement, avec Pei, dès le départ. Concernant par exemple le passage Richelieu, qui est entre les deux cours, j’ai proposé que ce passage soit public et non pas intégré dans le musée comme prévu au départ, parce que ça permettait d’avoir des vues en profondeur à l’intérieur du musée, même si on ne visitait pas le musée. Cette sorte de vitrine était la meilleure façon de montrer le musée, pour que les gens qui ne le visitaient pas se disent « Tiens ! C’est beau ! Si on y allait voir, après tout. » Cette idée-là, on la partageait vraiment, c’était d’ailleurs le projet que voulaient la maîtrise d’ouvrage et les conservateurs du Louvre. Michel Laclotte, indiscutablement, souffrait de ce que le Louvre soit dans un palais difficile d’accès, fermé, dont on ne voyait pas l’intérieur parce que le rez-de-chaussée est à deux mètres cinquante par rapport à l’extérieur. La pyramide était finalement le marquage clair et lumineux, aussi bien le jour que la nuit, d’une entrée qui est au milieu d’un espace où tout le monde peut aller. Une nouvelle place urbaine avec son monument et ses fontaines, il est évident pour tous que ce n’est pas interdit ni réservé, tout le monde peut s’y promener.

Au Louvre, nous passions beaucoup de temps à régler des contradictions entre les contraintes techniques et réglementaires et l’aspect architectural recherché. Nous avons travaillé en commun pour obtenir des adaptations à la réglementation. Ces dérogations ont été obtenues en contrepartie de compensations. Par exemple on n’a pas voulu faire des sorties de secours sortant par des trémies d’escalier en creux. On a mis des mois à trouver un système de temporisation du public dans un sas coupe-feu, avec un système d’alarme et, au niveau de la Cour Napoléon, une grille dessinée spécialement qui s’ouvre doucement, avec des garde-corps qui se développent en même temps que la grille pour que les gens ne tombent pas dans le trou… Un travail énorme, pour avoir cette compensation qui permettait cette solution. Voilà pourquoi un projet pareil est extrêmement compliqué à gérer, il faut une vraie ténacité pour ne pas abandonner et accepter qu’il y ait des escaliers de secours au pied des façades Napoléon III qui s’harmonisent avec le lieu.

Pour y parvenir, nous avions la vision d’ensemble du projet, les ingénieurs qui ont recherché des solutions pendant des mois, et un maître d’ouvrage qui nous soutenait. Ce qui nous a permis de tenir le projet au milieu des innombrables obstacles, aussi bien techniques que réglementaires qu’un tel projet ne peut pas ne pas rencontrer, c’est justement ce sentiment de rencontrer, ainsi, et seulement ainsi, les aspirations du public auquel ce projet était destiné.

1 Dossier de Consultation des Entreprises

1 Dossier de Consultation des Entreprises

Michel Macary

Architecte, Président de l’Association Architecture et Maîtres d’Ouvrage - AMO
5 rue Lemaignon 75014 Paris