Cet article sur le stage de formation pratique en cycle master s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale intitulée « L’architecture d’un métier : les étudiants architectes entre socialisation, savoir-agir et insertion professionnelle ». Cette thèse propose d’éclairer les enjeux de la formation initiale des futurs architectes pour comprendre les processus de socialisation à l’œuvre parmi les étudiants en architecture. L’un des objectifs est d’analyser comment les représentations des étudiants évoluent, vis-à-vis de la profession d’architecte, depuis la formation initiale jusqu’à l’insertion professionnelle. Les stages effectués au cours de la formation initiale, et particulièrement celui du cycle master, sont une composante essentielle dans la professionnalisation et les stratégies d’insertion mises en place par les étudiants.
Ce travail s’inscrit également dans le cadre des discussions menées depuis 2015, dans les instances de l’ENSA Nantes, en vue de l’accréditation de l’établissement et de ses formations pour la période de 2017 à 2021 par l’HCERES1. Celui-ci, dans sa dernière évaluation du cycle master, a mis en exergue six points faibles, parmi lesquels figure le stage. Il est question de la « faiblesse de l’encadrement du stage et du temps qui lui est réservé [et d’une] insuffisante ouverture professionnelle2 ». Les recommandations de l’organisme évaluateur et les débats menés à l’école ont ainsi abouti à une évolution du programme pédagogique, notamment celui du cycle master, entré en vigueur à la rentrée de septembre 20173.
L’objet du présent article est de donner un éclairage, dans un premier temps, sur le lent mouvement d’institutionnalisation des stages depuis 1968, en fonction des orientations du ministère de la Culture et des interprétations qui en ont été faites par l’ENSA Nantes. Nous montrons l’évolution, au cours du temps, du poids donné au dispositif de stage par la tutelle ainsi que par l’établissement. Dans un deuxième temps, nous analysons, selon une approche statistique, des données disponibles au service des études de l’ENSA Nantes4 à partir de la question suivante : les évolutions du nombre, de la durée et du positionnement du stage au sein du cursus ont-elles modifié les stratégies mises en œuvre par les étudiants en vue de leur future insertion professionnelle ? Un troisième axe de réflexion porte sur les représentations qu’ont les étudiants de l’apport du stage de master sur leur avenir professionnel5. Notons qu’il ne sera question que des stages de « formation pratique » obligatoires et libres du cycle master, effectués majoritairement en agence d’architecture en fin de cursus6.
De « faire la place » au stage institutionnalisé
Le stage a une longue tradition en architecture, même si celui-ci ne s’institutionnalise que très lentement à partir de la scission avec la section d’architecture de l’École des beaux-arts à la fin des années 1960. Auparavant, la durée longue des études et la non-existence de bourses force nombre d’étudiants à « faire la place », c’est-à-dire à travailler dans une agence en tant que dessinateurs pour financer leurs études. Cette forme d’alternance prolonge d’autant les études, mais elle permet de préparer l’élève à la pratique du métier. La tradition de « faire la place », appelée plus tard simplement « travailler en agence », persiste à différents degrés jusqu’à la réforme licence-master-doctorat (LMD) de 2005 qui introduit, pour la première fois, un nombre limité d’inscriptions au dernier cycle d’études pour chaque étudiant7.
De 1968 à 1984 : stages facultatifs au niveau national mais obligatoires à l’UPA de Nantes8
Les textes réglementaires encadrant les études en architecture de 1968, 1971 et 1978 n’imposent pas de stages obligatoires. Ceux-ci sont entièrement facultatifs et se réfèrent davantage à une « pratique opérationnelle » censée « contribuer à assurer la liaison entre l’enseignement de l’architecture, la recherche et la pratique »9.
Très tôt, l’ENSA Nantes a fait le choix de donner un statut obligatoire aux stages. Ainsi, la présence des trois stages obligatoires mentionnés plus haut est une constante depuis son existence en tant qu’unité pédagogique d’architecture en 1968. Cette pratique a persisté jusqu’à aujourd’hui, seules les modalités et durées ont changé au fil du temps.
De 1984 à 1997 : stages institutionnalisés par la tutelle en vue de l’ouverture européenne
La réforme dite « Duport » de 1984 réduit la durée « normale » des études de six à cinq ans, divisée en cycle DEFA de deux ans et en cycle DPLG de trois ans10. Les unités pédagogiques sont rebaptisées écoles d’architecture. Si le stage est rendu obligatoire par la tutelle pour le cycle DPLG11, ses objectifs, sa durée et ses modalités de validation sont à la bonne appréciation des écoles12. Le caractère obligatoire du stage fait partiellement évoluer le statut de ceux qui travaillent en agence d’étudiant salarié à étudiant stagiaire. Celui-ci voit son traitement considérablement diminuer (J. Frédet cité dans Violeau, 1999).
À la fin des années 1980, la tutelle conseille aux étudiants de faire ce stage à l’étranger, anticipant l’introduction du « marché commun » qui permet à partir de 1993 la libre circulation des personnes au sein de la Communauté européenne. Les années 1990 sont marquées par le long processus d’harmonisation des formations en architecture dans les pays membres qui aboutira, une quinzaine d’années plus tard, à l’instauration effective du cursus LMD et, en France, de l’habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP)13. En effet, les formations d’architecte sont alors très différentes dans les pays européens, de par leurs modalités, leur durée officielle et réelle et l’octroi ou non de la licence d’exercice.
Dans cette optique d’harmonisation européenne des formations, les années 1990 voient un intérêt grandissant pour les stages. En 1992, le recteur Armand Frémont, chargé de rédiger un rapport sur l’avenir des écoles d’architecture françaises, propose : « Ce [futur] cursus en six années inclura obligatoirement un stage professionnel d’un an. En effet, l’enseignement ne saurait reproduire les conditions d’exercice d’une profession. […] Ce stage, qui ne fera que donner un statut et une structure à un système qui est aujourd’hui une alternance de fait, devra être conçu comme un complément sérieux à l’enseignement des écoles. […] Rappelons, à propos de ce stage, que le comité consultatif européen recommande pour l’exercice de la maîtrise d’œuvre un stage professionnel d’une durée de deux ans. Cela devra donc être mis à l’épreuve.14 »
En 1994, un groupe de travail « stage », mis en place par la tutelle, recommande six mois de stage à temps plein ou un an à temps partiel, ce qui « représente une première étape vers la professionnalisation, qui permettra la constitution d’une culture de stage, actuellement absente dans les écoles15 ».
De 1997 à 2005 : stages priorisés par la tutelle mais peu soutenus à l’ENSA Nantes
Les recommandations du rapport Frémont et du groupe de travail sur le stage ne sont que partiellement reprises dans les textes de la réforme de 1997. Celle-ci est caractérisée par l’introduction de six années d’études, divisées en trois cycles de deux ans. Pour la première fois, apparaît le terme « professionnalisation » dans le décret encadrant les études16. L’arrêté détaille les modalités du stage de 3e cycle à travers un titre complet ne comprenant pas moins de sept articles. Si la durée du stage est fixée à un semestre universitaire à temps plein, son positionnement au sein du cycle est déterminé par chaque école. Les articles concernant le stage décrivent les objectifs, les types de structures d’accueil, les responsabilités de l’étudiant, du maître de stage et de l’encadrant de l’école17.
Une note circulaire de la tutelle du 20 juillet 1999 rappelle que le stage est un « élément majeur du 3e cycle conduisant au diplôme d’architecte DPLG. Il est au cœur des enjeux professionnels, des débouchés, de la réussite des jeunes diplômés.18 » La tutelle édite un guide juridique et pratique qui rend compte de la priorité absolue donnée aux stages. Il détaille sur 242 pages les attendus généraux, les objectifs pédagogiques et la validation du stage, donne des recommandations aux trois partenaires, conseille sur les stages à l’étranger, fournit des conventions types et des grilles d’évaluation ainsi que des adresses des structures partenaires.
À l’école de Nantes, seize semaines de stage sont positionnées au premier semestre de la deuxième année du 3e cycle, avant le travail personnel de fin d’études (TPFE). Mais les nombreux outils mis à disposition et mesures recommandées dans le guide, notamment concernant le suivi de l’étudiant pendant le stage, ne sont que très peu appliqués.
Depuis 2005 : stages dépréciés par la tutelle et l’école mais plébiscités chez les étudiants
Lors de la réforme LMD, le régime d’études passe de nouveau de six à cinq ans. Il est structuré en trois années de licence et deux années de master. Pour la première fois, les deux cycles sont donc limités chez l’étudiant à un nombre maximal d’inscriptions administratives : quatre en licence et trois en master. Le stage de formation pratique « correspond à une durée minimum de deux mois à temps plein ou de quatre mois à mi-temps19 ». Il n’est crédité que de huit european credit transfer system (ECTS), soit à peine 7 % de l’ensemble des ECTS que doivent obtenir les étudiants en master pour décrocher leur diplôme. Le terme « stage » n’apparaît que 3 fois dans le décret au lieu de 21 fois dans celui de la réforme de 1997.
Ni les textes réglementaires, ni la maquette pédagogique de l’ENSA Nantes ne prévoient une véritable place pour le stage du cycle master. Certains étudiants en font une priorité et y consacrent un semestre et d’autres l’effectuent après le projet de fin d’études (PFE), ce qui, dans les deux cas, rallonge les études avec une troisième inscription en master. Cette situation est le fruit de la réduction du temps d’études de six à cinq ans et d’une priorité donnée au projet par rapport au stage. Ce dernier se trouve être la variable d’ajustement de l’obtention du diplôme, compte tenu du faible nombre d’ECTS auquel il donne droit.
Le tableau 1 récapitule l’évolution des caractéristiques du stage de formation pratique dans les textes réglementaires. Le plus grand poids y est consacré dans la réforme de 1997 grâce à la prolongation des études qui permet de donner une réelle place au stage. Le pourcentage consacré au stage en heures dans le cycle concerné (39 %) est cependant à prendre avec beaucoup de précaution : ce n’est qu’en 2005 qu’est introduite la notion d’heures de travail personnel, puisqu’on constate que les étudiants passent beaucoup plus de temps qu’indiqué dans le programme pédagogique. On peut légitimement partir du principe que le nombre d’heures passées par les étudiants (heures encadrées plus heures de travail personnel) se situe bien au-delà de 1 614 heures, ce qui fait diminuer le pourcentage d’heures consacré au stage. Depuis la réforme de 2005, environ 12 % des heures dans le cycle master sont attribuées au stage, mais seulement 7 % en termes d’ECTS. La tutelle part du principe qu’une heure de stage ne vaut pas une heure d’enseignement dans l’établissement.
Tableau 1 : Poids donné au stage de formation pratique en dernier cycle d’études dans les textes réglementaires encadrant les études en architecture
Année de la réforme |
Nature du stage |
Durée des études |
Durée du stage |
Répartition de la validation pour diplomation dans le cycle concerné20 |
Pourcentage consacré au stage en heures et en unités de validation, dans le cycle concerné |
1971 |
Facultatif |
6 ans |
Non précisé |
24 UV dont |
4 % des UV maximum |
1978 |
Facultatif |
6 ans |
Non précisé |
24 UV dont |
4 % des UV maximum |
1984 |
Obligatoire |
5 ans |
Non précisé |
12 certificats |
Non déterminable |
1997 |
Obligatoire |
6 ans |
1 semestre universitaire à temps plein |
1 614 h de formation, réparties en modules, dont 624 h de stage21 |
39 % en heures |
2005 |
Obligatoire |
5 ans |
Minimum 2 mois à temps plein ou 4 mois à temps partiel |
2 600 h = 120 ECTS y compris le travail personnel, dont le stage22 de 308 h = 8 ECTS |
12 % en heures |
Les stages, un éternel débat qui divise le corps enseignant
Les critiques émises par le rapport du HCERES et l’élaboration du nouveau programme pédagogique font ressurgir au conseil des études, principal lieu de discussion du corps enseignant de l’ENSA Nantes, les débats concernant le stage23. Le point de discorde est l’éventuelle augmentation de la durée du stage de deux à quatre mois. En donnant plus de poids au stage, certains enseignants de projet y voient une amputation du temps consacré à l’enseignement du projet architectural, jugé par ces mêmes personnes comme étant la pièce maîtresse de la formation d’architecte. La « réduction du temps de projet au profit d’une professionnalisation de l’enseignement me paraît pour le moins dangereuse dans une filière d’enseignement supérieure qui vise à une certaine excellence24 ». D’autres enseignants y voient, au contraire, un moyen de compléter l’apprentissage par une immersion prolongée dans la réalité professionnelle qui peut permettre à l’étudiant d’appréhender plusieurs phases et typologies de projet traitées en agence. Après d’âpres discussions, la durée du stage est finalement portée à quatre mois à temps plein25. Cette nouvelle disposition à l’ENSA Nantes, entrée en vigueur à la rentrée de septembre 2017, porte la part consacrée au stage en cycle master à 17 % en termes d’heures (+5 points) et à 13 % en termes d’ECTS (+6 points).
Le stage, composante importante de la stratégie d’insertion
Après cette analyse historique des politiques de stage, nous établirons maintenant un diagnostic visant à clarifier la durée et le positionnement du stage au sein du cursus de master, afin d’identifier les stratégies déployées par les étudiants pour s’insérer professionnellement. Ce diagnostic repose sur une étude quantitative réalisée à partir des dossiers d’étudiants disponibles au service des études de l’ENSA Nantes sur la promotion des diplômés de l’année 2016. Notons que cette analyse ne prend pas en compte les expériences professionnelles effectuées à travers l’association étudiante Esquisse, dont les contrats conclus entre les étudiants et les commanditaires échappent au contrôle de l’administration26. Parmi les 85 diplômés en 2016, nous ne considérons que 79 d’entre eux (53 % de femmes et 47 % d’hommes)27.
Une troisième inscription en master quasi‑systématique
Il s’avère qu’une large majorité des étudiants (90 %) s’est inscrite trois fois, le maximum autorisé, en cycle master. Seulement 10 % des diplômés de 2016 ont donc terminé leurs études avec deux inscriptions en master28. Parmi cette minorité, on trouve très majoritairement des femmes (+14 points par rapport aux hommes) (voir tableau 2 en annexe).
Pour comprendre les raisons d’une troisième inscription en master, nous avons analysé chaque parcours de ces diplômés. Cela permet de connaître plus précisément les éventuelles stratégies de stage mises en place par les étudiants en vue de leur future insertion professionnelle. Il s’avère qu’un tiers (34 %) poursuit une stratégie qui consiste, d’une part, à se réinscrire en master bien qu’ils aient validé tous les enseignements à l’exception du stage obligatoire (24 %). Ils profitent ainsi du statut d’étudiant et de sa couverture sociale pour faire des stages avec l’espoir d’être embauché par la suite. D’autre part, un étudiant sur dix (10 %) fait le choix de consacrer un semestre à un stage long. Il s’agit d’étudiants ayant un parcours irréprochable et qui, volontairement, ne s’inscrivent pas en projet pendant le semestre du stage. Plus de la moitié des étudiants (54 %) ne valide leur mémoire qu’en quatre semestres au lieu de deux, ce qui prolonge automatiquement leurs études au minimum de six mois, puisque la validation du mémoire est un prérequis pour pouvoir s’inscrire en PFE. Effectivement, seuls 36 %29 des étudiants arrivent à terminer ce travail prévu en deux semestres dans le temps imparti, en grande partie à cause de leur mobilité académique qui ne facilite pas un encadrement à distance (voir tableau 3 en annexe).
Expériences professionnelles multipliées par les étudiants
Nous considérons par la suite tous les stages effectués lors du cursus master, c’est-à-dire le stage obligatoire et tous les stages libres. Environ la moitié des étudiants (52 %) effectuent au minimum deux stages. Si 60 % des hommes ne font qu’un seul stage, les femmes ne sont que 36 % dans cette situation, soit un écart de 24 points. Elles ont tendance à multiplier les expériences professionnelles : 28 % ont effectué plus de deux stages contre 14 % chez les hommes (voir tableau 4 en annexe).
Les trois quarts (75 %) des étudiants effectuent leurs stages obligatoires et libres dans une agence d’architecture. Les femmes y sont moins nombreuses que les hommes et elles font plus souvent le choix pour des organismes de sensibilisation à l’architecture, des bureaux d’études, des collectivités territoriales et des laboratoires de recherche. Dès le stage, elles s’orientent davantage que les hommes vers des métiers « impurs » (Chadoin, 2007) de l’architecture (voir tableau 5 en annexe).
Environ deux tiers (63 %) des lieux de stage sont localisés à Nantes et sa métropole. Un étudiant sur sept effectue un stage à l’étranger. Si les hommes partent légèrement plus souvent à l’étranger que les femmes, celles-ci sont globalement plus mobiles, notamment sur la région parisienne (9 % contre 2 %) ou dans le département Loire-Atlantique (6 % contre aucun taux chez les hommes) (voir tableau 6 en annexe).
Contrairement à une idée reçue, une large majorité (83 %) des étudiants sont gratifiés lors du stage. Si la différence de revenu entre hommes et femmes reste une réalité30, aucune différence ne peut être notée pour la gratification de stagiaires hommes et femmes (voir tableau 7 en annexe).
Une durée obligatoire de deux mois, une durée réelle de quatre mois
En considérant uniquement le stage obligatoire de master effectué à temps plein, force est de constater que sa durée moyenne cumulée avoisine quatre mois, soit le double de la durée réglementaire. Si l’on tient compte de tous les stages effectués à temps plein, cette durée est ramenée à 3,5 mois. Même si ces chiffres sont à prendre avec précaution puisqu’ils ne tiennent pas compte des jours fériés et des éventuels ponts qui ne sont pas toujours recensés dans les conventions de stage, ils montrent bien comment les expériences professionnelles sont plébiscitées par les étudiants. Il est intéressant de constater que les hommes font plus souvent le choix du temps partiel (42 %) que les femmes (24 %), alors que celles-ci privilégient le temps partiel une fois installées dans la vie active. Nous faisons l’hypothèse que les femmes cherchent à accroître leurs chances de trouver un emploi en faisant un ou plusieurs stages à temps plein (voir tableau 8 en annexe).
Le stage effectué après l’obtention du PFE, un tremplin espéré
En ce qui concerne le positionnement du stage au sein du cursus master, un tiers (33 %) effectue ses stages après le PFE, avec une nette différence entre les femmes (41 %) et les hommes (22 %). Les femmes ont ainsi tendance à profiter de leur statut d’étudiante pour faire leurs preuves une fois le PFE en poche, en espérant pouvoir tirer parti de leur expérience sur le marché pour mieux se positionner (voir tableau 9 en annexe).
Cette même tendance peut être observée lorsqu’on analyse le nombre de stages effectués après le PFE. Si presque la moitié (47 %) fait au minimum un stage après le PFE, les femmes sont nettement plus nombreuses à faire ce choix que les hommes (60 % contre 32 %, soit un écart très important de 28 points) (voir tableau 10 en annexe).
Des stratégies d’insertion variables en fonction du genre
En résumé, les stratégies déployées pour les stages se traduisent tout d’abord par leur multiplication. Plus de la moitié des étudiants font au minimum deux stages en cycle master, ce qui engendre automatiquement une augmentation de sa durée moyenne. Celle-ci avoisine quatre mois pour les stages obligatoires, le double de ce qui est demandé par les textes réglementaires et par l’école. Si la multiplication des stages (« stagification ») n’est plus un avantage comparatif et perd ainsi de sa valeur (Glaymann, 2015), il n’en reste pas moins vrai que les étudiants sont dans cette logique de surenchère qui les place malgré tout aux portes de l’emploi : « On a la possibilité de faire beaucoup de stages et il faut encourager les étudiants à le faire parce que c’est vrai, on se forme essentiellement là.31 » Presque la moitié d’entre eux font au minimum un stage après leur PFE, dont ceux qui choisissent de s’inscrire une troisième fois en master uniquement pour cette raison. Certains espèrent un tremplin vers un premier poste, d’autres évoquent le besoin de tester leurs capacités avant d’être embauchés et de décrocher un contrat de travail : « Je ne me voyais absolument pas arriver [sur le marché du travail], certes diplômée mais sans aucune expérience donc j’ai été prise mais en stage parce que j’ai le statut étudiant jusqu’à fin août. […] J’avais besoin de ce statut d’étudiant et de stagiaire pour ne pas avoir trop de responsabilités à porter, j’avais peur de porter trop de responsabilités en n’ayant pas les moyens de le faire.32 »
Les femmes de cet échantillon, en comparaison avec les hommes, sont plus nombreuses à faire leur cycle de master dans les deux ans impartis (écart +14 points). En revanche, si deux tiers d’entre elles multiplient les expériences professionnelles (+20 points), elles s’orientent légèrement moins vers les structures d’accueil en maîtrise d’œuvre (-7). Elles font plus souvent le choix d’un stage à temps plein (+19) dont un au minimum est effectué après le PFE (+27).
Perceptions du stage par les étudiants : un bilan très positif
Le troisième élément de réflexion porte sur les représentations que les étudiants se font de l’apport du ou des stages pour leur insertion professionnelle. Comment, selon eux, le stage contribue-t-il à les préparer à la vie professionnelle après leur formation à l’ENSA Nantes ? Nous nous baserons sur une enquête par questionnaire effectuée auprès d’étudiants inscrits en master en 2015-2016, dans le cadre de la thèse mentionnée plus haut. Parmi les 211 étudiants ayant répondu au questionnaire, seuls 49 % ont effectué leur stage de master. Les réponses indiquées ci-dessous ne concernent donc que cette population d’étudiants. Globalement, les étudiants interrogés expriment un avis très positif sur leurs expériences de stage. Neuf étudiants sur dix (89 %) indiquent que celui-ci s’est « bien » ou « très bien » passé (voir tableau 11 en annexe).
Manque de suivi de stage par l’établissement
Les données montrent une perception globalement positive. Le tableau 12 récapitule les principaux critères du stage jugés « très satisfaisant » et « satisfaisant », représentés du taux le plus élevé vers le taux le plus faible. Si les éléments directement liés à la structure d’accueil sont jugés « très satisfaisants » et « satisfaisants » par les étudiants (ambiance de travail : 84 % ; rythme de travail : 79 % ; encadrement de la structure d’accueil : 77 %), il en est autrement pour les éléments relevant de l’établissement scolaire, hormis la gratification des stages. En effet, le taux de satisfaction moyen (53 %) exprimé à propos du lien entre la pratique de l’architecture à l’école et son application lors du stage peut être compris comme une critique à l’égard de l’établissement scolaire dont l’enseignement serait trop loin des réalités du métier. Un même constat a été dressé par les étudiants en école de design, avec des pourcentages encore plus défavorables (Ferdows, 2013 : 222). Le taux de satisfaction le plus faible est celui qui se rapporte au suivi des étudiants en stage par l’école (40 %). Il est d’ailleurs étonnant qu’il soit aussi élevé, puisque aucun véritable suivi n’est effectué par les enseignants de l’école (voir tableau 12 en annexe)33.
En ce qui concerne l’apport des stages pour le futur professionnel des étudiants, les résultats sont également positifs. Huit des onze critères font l’objet d’un taux de satisfaction supérieur à 60 %, dont la découverte du milieu (87 %), l’apprentissage des rythmes de travail (79 %), la reconnaissance du travail du stagiaire (74 %), l’apprentissage du métier (73 %), l’intégration au cœur du processus de conception (68 %). Trois critères accumulent un taux de satisfaction en dessous de 50 %, dont la rencontre avec les clients » (48 %) et l’appréhension de la direction du chantier (23 %) (voir tableau 13 en annexe).
La personnalité de l’étudiant et ses expériences vues comme un atout pour son insertion
Analysons maintenant la manière dont les étudiants perçoivent les qualités qui vont leur permettre de s’insérer sur le marché du travail. Nous comparons ici la diversité des stages et expériences professionnelles qu’ils ont pu avoir avec d’autres critères. À noter qu’il s’agit ici uniquement d’étudiants inscrits en master 2, qui sont donc proches de leur insertion professionnelle, mais qui n’ont pas tous effectué leur stage obligatoire de master. Parmi les principaux atouts désignés par les étudiants figurent leur personnalité (96 %), suivie par la diversité des stages et des expériences professionnelles (82 %). À noter que les femmes perçoivent davantage que les hommes les stages comme un élément distinctif qui leur permet de s’insérer sur le marché du travail (85 % contre 77 %, soit un écart de +8 points) (voir tableau 14 en annexe).
On notera également que les femmes sont nettement plus scolaires que les hommes et qu’elles pensent plus souvent que leurs qualifications/compétences professionnelles, mais aussi leur légitimation dans le champ de l’architecture, sont liées à leurs études supérieures (64 % contre 59 %), à l’obtention de leur diplôme (69 % contre 60 %) ou à la qualité de leur projet de fin d’étude (49 % contre 41 %). Du coup, comme elles misent plus sur leur mérite et leur réussite scolaire pour s’insérer professionnellement, elles sont moins enclines que les hommes à faire appel à leurs relations pour décrocher un emploi (58 % contre 72 %, soit un écart important de 14 points).
Le rôle du stage invoqué par les étudiants dans les entretiens que nous menons actuellement ou dans des rapports de stage semble dépasser les objectifs fixés par l’établissement34. Les éléments évoqués relèvent de l’ordre de la construction de leur identité professionnelle et d’une mise à l’épreuve. Il contribue à stabiliser une orientation (« ce stage a vraiment confirmé ce que je veux faire plus tard ») ; infirmer une orientation (« je voulais être sûre que la maîtrise d’œuvre ne m’intéresse pas ») ; se mettre à l’épreuve (« cette expérience a également été pour moi une forme de mise à l’épreuve pour mettre en pratique mes connaissances et mes compétences ») ; se mettre en confiance (« je crois tout simplement que cette expérience m’a redonné confiance en tant que future architecte »)35.
Conclusion
L’appréciation ou la dépréciation du stage de formation pratique, depuis sa lente institutionnalisation par la tutelle, varie en fonction de la durée d’études et du degré d’importance donné à la « professionnalisation » par la tutelle et l’établissement. N’ayant plus de véritable place dans l’emploi du temps à partir de la réforme LMD, mais étant très plébiscité par les étudiants, le stage est l’objet de stratégies qui ont systématiquement pour conséquence de prolonger la durée des études. Elles varient assez fortement selon le genre des étudiants. En effet, les femmes sont plus mobiles que les hommes, multiplient davantage leurs expériences professionnelles en les positionnant souvent après le PFE. Par ailleurs, elles s’orientent moins vers le métier classique de maîtrise d’œuvre en agence.
Un encadrement à réinventer ?
Les débats en conseil des études sur l’évolution du programme pédagogique ont abouti à une augmentation de la durée du stage, grâce, entre autres, aux données présentées ici permettant de trancher, « de fait, avec les approximations, coups de gueule et autres avis flous que l’on entend régulièrement des collègues !36 » L’enjeu se porte dorénavant sur les modalités d’encadrement : d’une part, celui effectué par les enseignants de l’école, dont le manque a déjà été pointé par l’HCERES, et, d’autre part, celui effectué par les tuteurs dans les structures d’accueil. Les contenus du stage, les conditions d’accueil et de suivi du stagiaire peuvent être très variables d’une école à l’autre et au sein d’un même établissement. Un grand écart existe entre leurs effets recherchés et leurs effets constatés, d’où l’importance des conditions d’organisation et de suivi des stages sur leur qualité (Glaymann, 2015). La valorisation du tutorat et de l’encadrement pédagogique permettrait de construire et de capitaliser davantage de savoirs collectifs. Un véritable suivi pédagogique doit être construit pour que le stage devienne davantage un outil permettant à l’étudiant de valoriser son expérience dans la construction de son parcours et de son identité professionnelle.
Des objectifs à clarifier
Si le stage est devenu un dispositif incontournable dans la formation des futurs architectes, il ne doit en aucun cas se substituer à un (premier) emploi. Car, parfois, les stages sont détournés de leurs objectifs par les structures d’accueil, qui font appel à une main d’œuvre qualifiée mais sous-payée, susceptible de remplacer une partie du personnel (Domingo, 2002). Les stages effectués après l’obtention du PFE par l’étudiant, notamment lorsqu’il s’agit d’une troisième inscription en master pour profiter du statut d’étudiant, ont ainsi un caractère ambigu, alimenté par le souhait de l’étudiant de mieux se positionner sur le marché du travail et par le souhait de la structure d’accueil de diminuer ses frais de personnel. Cette pratique induit une précarisation des étudiants et jeunes diplômés contre laquelle l’ENSA Nantes doit aussi se mobiliser.