Comme dans toutes les formations de l’enseignement supérieur, les stages font partie des études d’architecture ; ils sont organisés dans les écoles et s’appuient sur une expérience du travail professionnel. Ils ont été progressivement mis en place à partir de 1968, dans un rapport ambigu à la profession : l’exercice libéral de la maîtrise d’œuvre, représentation alors dominante affirmée dans la formation tant par les enseignants architectes praticiens que par l’Ordre des architectes, fait débat. Peu à peu construits comme des dispositifs pédagogiques, les stages vont être l’occasion, aux côtés parfois d’enseignements de sciences sociales, d’interroger plus largement les mondes professionnels de l’architecture. Ont été analysées dans les archives des écoles, de leurs tutelles et dans les programmes pédagogiques actuels, les réflexions et les positions construites au cours du dernier demi-siècle pour comprendre les enjeux des stages vis-à-vis des réalités professionnelles : ont-ils vocation à les transformer, à s’en distancier ou à s’y conformer ? Proposer des alternatives, ouvrir à des métiers diversifiés et prendre des distances critiques sont les trois orientations que nous avons identifiées. Si elles correspondent à différents moments dans l’évolution des politiques des stages1, elles sont aujourd’hui toujours en question au sein des écoles d’architecture.
Proposer des alternatives aux réalités professionnelles : une pratique opérationnelle hors agence
Dans le contexte de contestation des années 1960, les futurs architectes dénoncent le rapport de la formation à l’architecture de l’École des beaux-arts avec les réalités professionnelles. Les enseignements les en excluent : « à l’École on n’apprend rien, on apprend chez un patron », chez qui les élèves travaillent en continu, pratique dénommée « faire la place ». Est maintenu le « système » d’une École « pourvoyeuse de main d’œuvre parfaitement adaptée aux conditions actuelles du marché » ne formant plus « de véritables architectes, mais seulement des professionnels à demi-armés » (Fichelet et Fourcade, 1968 : 28). Les motions votées en mai 1968 entendent « lutter contre les conditions de la production architecturale » et « contre la domination de la profession2 » (Lengereau, 1992 : 22) à l’échelle des structures d’activité et des modes d’exercice qu’elles induisent. Les évènements achèvent la destruction d’une formation et libèrent les espoirs quant aux possibles transformations d’une profession.
Menées collectivement au sein d’unités pédagogiques d’architecture (UP), les réflexions sur un enseignement se rapprochant du modèle universitaire envisagent aussi la formation pratique des étudiants : comment les confronter aux réalités professionnelles tout en mettant un terme aux pratiques du « faire la place », « dévoreuses de temps » et n’offrant souvent qu’« une formation pratique et opérationnelle […] aléatoire3 » ? Introduits dans la section Architecture peu avant 1968, des cours sur la législation du bâtiment et sur l’organisation professionnelle sont déclinés dans différentes UP. Dès l’automne 1968, une commission de travail réfléchit à « l’introduction d’une pratique opérationnelle dans un enseignement universitaire de l’architecture4 » afin que « tous les étudiants puissent avoir une formation pratique […] sans pour autant l’enfermer dans les structures actuelles de la profession d’architecte », et puissent « expérimenter de nouveaux modes d’intervention professionnels, qui permettront de transformer les professions agissant dans le secteur économique de la “construction” ». Sont imaginés « des IPRAU (Institut de pratique et de recherche architecturale et urbanistique) liés à l’Université, délivrant un enseignement spécifique (clairement dissocié des habituels travaux pratiques ou d’un stage classique), […] tissant des liens avec les industries privées tout en conservant une indépendance budgétaire totale, avec des commandes spécifiques émanant principalement des organismes publics et reposant sur des objectifs pédagogiques stricts pour éviter toute concurrence avec la profession » (Violeau, 2005 : 277).
En 1969, le ministère projette « des établissements provisoires dits “antennes” [pour] apprécier les problèmes posés par la création d’un enseignement de l’architecture dans une ville nouvelle, mais aussi préfigurer la mise en place des agences universitaires ». Vus pour « s’adapter à l’analyse et à la recherche sur des projets relatifs à la ville nouvelle, à son environnement ainsi qu’à l’ensemble des problèmes d’urbanisme tant sous l’angle universitaire que dans une perspective opérationnelle », ils doivent accueillir des étudiants stagiaires qui auraient « une responsabilité en tant que maître d’œuvre5 ». Ainsi, UP1 crée une « antenne pédagogique expérimentale » à Trappes dans le cadre juridique du « Département universitaire d’architecture », association loi 1901 destinée à mener des activités de pratique opérationnelle jusqu’au début des années 1970. Une autre installée à Cergy-Pontoise, ouverte à l’ensemble des étudiants de 3e cycle, fonctionne de 1969 à 19756. Ses enseignants – architecte, urbaniste, géographe, économiste, psychosociologue, plasticien ou encore réalisateur – investis dans la conception de la ville nouvelle, proposent sous la forme de stages longs – récompensés par des unités de valeurs (UV) – des journées d’information, des séminaires et des travaux de pratique opérationnelle et de recherche financés par des acteurs publics.
Les projets successifs de réforme des études en architecture confortent ces initiatives : un dernier cycle de spécialisation par « la pratique opérationnelle simulée, l’expérimentation et la recherche7 », proposé en octobre 1969 par la Conférence générale ; des instituts de pratique opérationnelle liés aux UP suggérés par Lichnerowicz en 1970 dans son rapport pour la recherche en architecture ; des « centres d’expériences », proches du modèle des CHU, regroupant des « internes en architecture », préconisés l’année suivante par le préfet Paira (Violeau, 2005 : 277). Finalement le décret du 27 septembre 1971 prévoit des « centres de pratique et de recherche d’architecture et d’urbanisme » qui « peuvent passer des contrats en vue d’études de projet ou de recherches8 ».
Dès lors, d’autres initiatives réformistes voient le jour. À UP6 notamment, l’antenne pédagogique expérimentale du parc national des Cévennes accueille de 1972 à 1981 les étudiants de 3e cycle pour les faire vivre au cœur de la réalité sur laquelle ils entendent intervenir9. Le projet valorise l’architecture rurale parce que « l’architecture en ville est malade », qu’elle « n’est plus l’architecture des hommes, mais [celle] du capital, des promoteurs, des architectes et de la rentabilité », et pour « éviter une réflexion universitaire spécialisée en vase clos ». L’antenne collabore avec l’« Atelier d’aide architecturale de la zone périphérique du parc national des Cévennes » et, à partir de 1978, elle devient « un service inter-UPA », proposant des stages d’aménagement et d’habitat ruraux ou d’aide architecturale via l’association « L’atelier pédagogique d’architecture en milieu rural ». Un contrat entre le responsable de l’accueil, un enseignant et l’étudiant donne lieu à « une concertation […] sur le programme, l’emploi du temps, le service mutuel rendu et le travail ou projet à réaliser ». À l’issue, l’étudiant produit « un document d’ordre pédagogique sur l’ensemble de l’opération à laquelle il a participé, les travaux qu’il y a effectués et la contribution propre qu’il y apporte […], ce qui distinguera ce rendu d’un simple rapport de stage10 ».
Les autres antennes, celles liées aux UP de Clermont-Ferrand ou de Montpellier11, n’auront que quelques années d’existence, le coût de ces dispositifs pédagogiques n’étant plus supporté. Les arrêtés d’application du décret du 27 septembre 1971 ne seront jamais publiés. Néanmoins, en 1973, le ministère des Affaires culturelles indique encore que « la pratique opérationnelle intégrée à l’enseignement, et la recherche, sont appelées à se substituer progressivement au travail en agence, dont l’apport formateur s’était avéré médiocre12 ».
La pratique opérationnelle est restée expérimentale durant ces quelques années dans les écoles qui l’ont promue comme un moyen de former les étudiants à un exercice professionnel alternatif au travail en agence d’architecture, un moyen potentiel de réforme des modalités de production de l’architecture. De tels objectifs ne seront pas atteints. Cependant ils ne sont pas totalement abandonnés par la suite.
Ouvrir à des métiers diversifiés : une politique soutenue aux effets limités
À partir de 1970, les stages, déjà présents dans les écoles d’ingénieurs ou de commerce depuis un siècle, font modèle en entrant progressivement dans les formations professionnelles dispensées à l’université puis dans les écoles d’architecture. Ils y sont rendus obligatoires en 1984. Le pouvoir ainsi conféré aux patrons d’agence sur les étudiants suscite initialement quelque gêne mais un consensus réunit politiques, étudiants et enseignants dès lors que les stages sont promus comme un moyen de multiplier les débouchés professionnels.
En 1975, alors que la question « Faut-il conjuguer – ou dissocier – la formation à une DISCIPLINE et la formation à une PRATIQUE […] ?13 » alimente toujours les réflexions, l’Ordre et l’Union nationale des syndicats français d’architectes veulent renforcer la formation pratique des étudiants au sein des centres de pratique opérationnelle et par des stages obligatoires en 3e cycle du cursus14. Défini comme « l’espace de temps pendant lequel tout étudiant en architecture doit acquérir la PRATIQUE de la production architecturale en dehors des lieux scolaires », le stage doit « rendre les étudiants “opérationnels” à leur sortie de l’UP15 ». La réalité des débouchés professionnels inquiète à un moment où le nombre d’étudiants a triplé depuis 1968 et où l’activité du bâtiment est ralentie par le premier choc pétrolier. Alors qu’un numerus clausus dans les écoles est évoqué, mais contesté, un argumentaire, inédit sur le plan politique, sur la polyvalence professionnelle des architectes consiste « à avancer que, parce que tous les diplômés en architecture n’ont pas vocation à être concepteurs, ils peuvent exercer un autre métier de l’architecture hors du champ de la maîtrise d’œuvre, tout en continuant à se revendiquer architectes de façon pleine et entière » (Chesneau, 2018). L’Ordre appuie cette préfiguration des métiers de l’architecture. La réforme des études qu’il soutient repose sur une « pré-spécialisation » en 5e année, doublée d’« informations abondantes sur l’OUVERTURE à des activités nombreuses et différentes afin de démultiplier les débouchés, et de porter l’esprit d’Architecture partout où il peut trouver sa place selon des modalités d’application différentes dans les structures des divers secteurs de l’activité sociale16 ». Les stages auraient soutenu cette dynamique d’ouverture puis de spécialisation dans un Centre national de spécialisation inter-UP pour étudiants et professionnels en reconversion.
Dans sa version initiale, le texte de la nouvelle réforme des études – complément de la récente loi sur l’Architecture du 3 janvier 1977 – porté par Michel d’Ornano, ministre de la Culture et de l’Environnement, instaure deux stages obligatoires : l’un auprès d’un architecte, l’autre dans un organisme public, parapublic ou privé exerçant une activité dans le domaine de la construction. Face aux critiques des syndicats étudiants sur la « re-professionnalisation des études17 », l’absence d’une rémunération obligatoire faisant des étudiants « une main d’œuvre bon marché pour les agences », le décret du 8 mars 1978 suggère finalement que « des centres de pratique et de recherche d’architecture et d’urbanisme […] peuvent être mis en place », comme cela avait déjà été envisagé en 1971.
En l’absence de règles communes, chaque UP imagine ses propres dispositifs de professionnalisation. Reposant principalement sur des cours magistraux en 3e cycle de droit administratif et de législation du bâtiment ou d’économie, ils sont parfois complétés d’enseignements de sociologie de l’architecture : séminaires optionnels « Sociologie de la profession d’architecte18 » de Jacques Allégret à UP1 et « Sociologie et travail d’architecture19 » de Jean-Charles Depaule à UP3 ; à UP4, cours d’« Organisation professionnelle » de François Cazin, « L’architecture contemporaine dans la société contemporaine : analyse d’une crise » de Jacques Lautman et « Travail en équipe pluridisciplinaire20 », « plus proche de la vie professionnelle ».
Seules l’UP8 à Paris et celle de Nantes rendent alors les stages obligatoires. UP4 l’encourage pour ses étudiants de 1re année via leur participation à un chantier ou une rénovation21. À UP1, de 1974 à 1984, des stages optionnels en 3e cycle sont possibles « dans un Organisme de planification et de programmation urbaine, […] une Agence d’Agglomération, dans un organisme public [ou] sur un chantier », en « usine ou bureau d’étude22 », en France ou à l’étranger, mais le stage en agence d’architecture est refusé pour la validation d’UV. Valorisé comme « une activité pédagogique complémentaire à l’enseignement de base, en milieu social, naturel ou professionnel de nature à enrichir le futur architecte », le stage est l’un des outils privilégiés pour ne plus former « exclusivement des architectes libéraux […] mais aussi de futurs salariés du secteur public et du secteur privé » et participer à la diversification professionnelle, l’École restant persuadée qu’elle « doit prendre une part active dans l’innovation des pratiques professionnelles23 ». À partir de 1978, les stages y sont obligatoirement rattachés à un enseignement du programme, et des instances et services pédagogiques dédiés (Commission et Bureau des stages) contrôlent les conventions et évaluent les rapports de stages, obligatoires à partir de 198424.
Avec la nouvelle majorité présidentielle, la réforme des études rend obligatoires en 1984 « des stages ou toute autre forme de mise en situation professionnelle » en 3e cycle25 ; ceux-ci préparent à la « maîtrise d’œuvre et différents modes d’exercice et domaines professionnels26 », précise le décret de 1997. Les stages sont des moments de transition entre l’école et des mondes professionnels pluriels. Au-delà de ce cadre réglementaire, des écoles développent une politique plus ambitieuse, calquée sur les écoles d’ingénieur, en particulier celle des Ponts. À Toulouse, un stage spécifique ponctue chaque année des deux premiers cycles (de découverte pour une socialisation au monde professionnel ; ouvrier ; de chantier ; professionnel) avant le stage obligatoire de fin d’études. Ces stages diversifiés avec des objectifs pédagogiques ciblés tout au long du cursus sont repris dans la réforme de 2005 dite LMD27. Le stage long de l’ancien 3e cycle devient la mise en situation professionnelle (MSP), d’une durée minimale de six mois pendant l’année préparatoire de la HMONP (Habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre), qui autorise l’exercice avec une inscription à l’Ordre des architectes. Alors même qu’ils seront très peu à s’engager de suite sur cette voie28, la plupart des architectes diplômés d’État (ADE) au niveau master envisagent cette 6e année comme le prolongement « naturel » de leurs études. L’ouverture à différents modes d’exercice et domaines professionnels est anticipée dans les stages obligatoires introduits en licence et master. L’arrêté du 20 juillet 2005 en spécifie les formes et objectifs : la formation initiale comprend « un minimum de périodes de stages dont au moins une s’effectue hors agence d’architecture au cours des deux cycles » ; les deux périodes de stages obligatoires en 1er cycle « doivent avoir la double finalité de stage “ouvrier et/ou de chantier”, et de stage de “première pratique” destinés à appréhender la diversité des pratiques professionnelles » ; un stage de « formation pratique » est obligatoire en 2nd cycle29.
Ces formules sont cependant diversement appropriées dans chacune des écoles30. Le stage ouvrier et/ou de chantier est le plus souvent présenté comme une approche du monde du travail dans le domaine de la construction, voire de la fabrication, ce qui conduit les écoles à exclure des organismes d’accueil les cabinets d’architecture ou autres structures de maîtrise d’œuvre31. Il figure comme le stage « hors agence » réglementaire dans les écoles qui imposent un stage de première pratique « en agence », comme à Marseille où il est intitulé « stage de première pratique en agence », ou à Paris-Malaquais pour qui la diversité des activités s’observe dans les agences elles-mêmes : « il y a autant de formes de stage qu’il existe de types de structure de maîtrise d’œuvre32 ». En revanche, des écoles déploient pour ce stage un éventail très large de structures d’accueil possibles, structures de conception, de production, d’études, de gestion, de protection de l’architecture, de la ville et du paysage : agences, bureaux d’études, services de l’État, CAUE, collectivités locales, musées, associations culturelles, OPAC et offices HLM, parcs régionaux ou nationaux, sociétés d’économie mixte, établissements de recherche, ONG, entreprises de construction ou de matériaux, banques, assurances, etc.33
Cette liste est souvent reprise pour le stage de formation pratique en master, qui vise à « découvrir différents aspects de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage ». Quelques écoles (Paris-Belleville, Montpellier) incitent ceux qui briguent un diplôme mention recherche à effectuer leur stage dans une unité de recherche. Les étudiants sont la plupart du temps conduits vers des métiers de l’architecture déjà investis par leurs pairs34 : à Bordeaux, le maître de stage doit être architecte, architecte-urbaniste, paysagiste, concepteur, et à Toulouse, architecte. Grâce à un partenariat avec le rectorat, la DRAC, les CAUE, les étudiants de Montpellier peuvent faire un stage consacré à la sensibilisation à l’architecture en collèges et lycées, une nouvelle mission dévolue aux architectes. Pour illustrer la diversification professionnelle et les débouchés des études d’architecture, mais aussi informer sur des réalités souvent peu abordées via les enseignements du projet, des intervenants du projet architectural et urbain et des partenaires multiples de l’architecte-maître d’œuvre sont invités dans le cadre de cours permanents, de façon occasionnelle, ou par exemple à Montpellier lors la journée de rentrée « Atout stages ». Dans cette école, les stages participent d’une politique d’établissement affichée qui met l’accent sur la diversité des pratiques architecturales et des champs d’intervention des architectes.
Figure 1 : Stages 2015-2116, ENSA Montpellier
Stages s6 « premières pratiques » |
|||||
Agences |
Hors agences |
||||
Agences |
éts publics |
éts semi‑publics |
Associations |
Entreprises sociétés |
|
Montpellier et environs |
53 |
9 |
2 |
3 |
2 |
Province |
34 |
6 |
2 |
2 |
|
Paris |
5 |
1 |
|||
DOM-TOM |
4 |
1 |
|||
Pays étrangers |
13 |
1 |
3 |
||
Sous-total |
109 |
32 |
|||
Total : 141 |
Pays étrangers : Sénégal, Italie (4), Canada, Etats-Unis, Île Maurice, Espagne (2), Allemagne (3), Afrique du Sud, Belgique, Pérou (2)
Établissements publics
Mairies : Montpellier (3), Béziers, Cahors, Arles, Alès
STAP de Limoges
DRAC de Montpellier (2)
Conseil départemental du Gard
Établissements semi-publics
Maison de l’architecture Montpellier (2), Centre culturel Tjibaou (Nouméa)
Associations : Yes We camp, Aladar, les Co-mains (construction), Champ Libre
Divers : Compagnie Tempo théâtre
Stages s8 « formations pratiques » |
|||||
Agences |
Hors agences |
||||
Agences ateliers |
éts |
éts semi-publics |
Associations |
Entreprises sociétés |
|
Montpellier |
17 |
19 |
1 |
2 |
|
Province |
19 |
2 |
2 |
3 |
|
Paris |
13 |
||||
DOM-TOM |
5 |
4 |
|||
Pays étrangers |
30 |
3 |
|||
Sous-total |
84 |
36 |
|||
Total : 120 |
Pays étrangers : Japon (2), Pays-Bas, Vietnam (2), Belgique, Canada (4), Espagne (8), Thaïlande, Allemagne (2), Inde (2), Italie, Portugal (3), Slovénie, Lituanie
Établissements publics
Mairies : Saint-Paul, Saint-Pierre
CAUE de La Réunion
Direction régionale du ministère de la Justice de Toulouse
Conseil départemental des Landes
Université laboratoire Piment Saint-Pierre
Laboratoire Lifam
Collèges et lycées Montpellier (14)
Établissements semi-publics
Maison de l’architecture Montpellier
Associations : AERA (Actions Etudes Recherche Habitat), Opération Brésil, Champ libre, PULX, Rempart, l’Ecole du jardin planétaire (La Réunion), TIBA (Brésil)
Divers : Nature et Habitat, Bureau baroque-scénographie de Bordeaux
Réglementairement, le stage « hors agence d’architecture » représente pour l’étudiant une ouverture limitée sur les métiers de l’architecture, avec seulement trois stages d’une durée totale de trois mois et demi dans le cursus. Ses expériences sont cependant souvent plus nombreuses. Des écoles y insistent : à Toulouse, un stage supplémentaire de vingt jours de « diversification du métier » est prévu pour ceux qui n’auraient pas respecté la directive ; à Nantes, un stage obligatoire de suivi de chantier conduit les étudiants de 3e année à comprendre les processus techniques et administratifs de la réalisation d’un bâtiment, et les rôles et interactions des différents acteurs, vus depuis une agence d’architecture. De nombreux étudiants choisissent en outre de faire des stages supplémentaires – « approfondissement du métier » à Toulouse – ou libres35, souvent de plus longue durée, pendant un semestre supplémentaire ou une année de césure instituée depuis 2015.
Les stages sont au centre d’une politique de l’enseignement en faveur des métiers de l’architecture, visant à multiplier les perspectives professionnelles. Intégrés à la formation, ils auraient vocation à construire une meilleure employabilité des architectes en multipliant les domaines possibles d’activité. Notant en 2010 que 77 % des stages de l’ENSA Paris-La Villette s’effectuent en agences d’architecture, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) reproche le manque d’information dispensée sur les différents métiers qui permettraient aux étudiants d’en « prendre conscience et de décider en connaissance de cause d’une orientation particulière36 ». Pourtant cette proportion de stages dans cette école correspond à la réalité de l’activité professionnelle des diplômés à l’échelle nationale : 78,9 % des ADE de 2010 travaillent en agence37. En outre, les stages sont peut-être moins déterminants que le salariat pendant les études : 35,7 % des ADE38 poursuivent après l’obtention de leur diplôme une activité salariée engagée pendant leurs études, le « faire la place » n’a pas disparu. Enfin, les statistiques de l’observatoire de la région Rhône-Alpes pour 2007 et 201039 montrent que « les structures d’accueil des architectes n’ont pas significativement évolué avec les nouveaux diplômes », avec donc la diversification des stages. Comme l’affirme le sociologue José Rose, « évaluer les stages à partir d’indicateurs d’insertion est une profonde erreur parce que ce que nous observons, c’est l’effet conjoncturel du marché du travail » (de Briant, 2013 : 377).
Figure 2 : Enquête diplômés 2010. Ministère de la Culture, 2014
Domaines d’exercice professionnel |
Diplômes |
|
Diplôme d’état d’architecte |
HMONP |
|
Conception architecturale |
85,4 % |
90,9 % |
Réhabilitation, entretien de bâtiments |
29,4 % |
34,1 % |
Urbanisme, aménagement urbain |
21,2 % |
19,2 % |
Architecture intérieure, décoration |
20,1 % |
20,7 % |
Construction, BTP |
18,7 % |
17,5 % |
Paysage, environnement |
3,6 % |
3,2 % |
Patrimoine protégé |
1,6 % |
3,9 % |
Scénographie |
1,9 % |
2,6 % |
Design de produit, graphisme |
3,6 % |
0,6 % |
Autres domaines |
2,7 % |
1,9 % |
Total Diplômés |
364 |
463 |
Activités exercées au titre de l’emploi principal |
Diplômes |
|
Diplôme d’état d’architecte |
HMONP |
|
Maîtrise d’œuvre, conception de projet |
91,8 % |
95 % |
Suivi de chantiers |
48,4 % |
50,5 % |
Assistance à la maîtrise d’ouvrage |
16,5 % |
9,5 % |
Administration, gestion |
11,3 % |
8,6 % |
Etudes techniques |
10,2 % |
6,5 % |
Programmation, montage d’opérations |
3,8 % |
3,9 % |
Conseil |
2,2 % |
2,2 % |
Expertise, contrôle, sécurité |
2,5 % |
1,1 % |
Enseignement, formation, recherche |
1,9 % |
1,7 % |
Communication, publicité, édition |
1,9 % |
2,2 % |
Promotion, commercialisation |
1,4 % |
0,4 % |
Autres activités |
2,7 % |
1,5 % |
Total Diplômés |
364 |
463 |
Structure d’exercice de l’activité principale |
Diplômes |
|
Diplôme d’état d’architecte |
HMONP |
|
Agence d’architecture |
300 / 78,9 % |
415 / 86,3 % |
Bureau d’études techniques |
16 / 4,2 % |
11 / 2,3 % |
Entreprise de BTP |
8 / 2,1 % |
5 / 1,0 % |
Autre entreprise du secteur privé |
16 / 4,2 % |
16 / 3,3 % |
Ministère ou services extérieurs |
2 / 0,5 % |
4 / 0,8 % |
Collectivité territoriale |
9 / 2,4 % |
3 / 0,6 % |
Entreprise du secteur public |
8 / 2,1 % |
4 / 0,8 % |
Autre structure |
14 / 3,7 % |
16 / 3,3 % |
Non réponses |
7 / 1,8 % |
7 / 1,5 % |
Total Diplômés |
380 / 100 % |
481 / 100 % |
L’intention conférée aux stages d’agir sur les mondes professionnels en devenant vecteurs de diffusion de la culture architecturale dans de nombreux secteurs a finalement des effets limités. Si les stages ont peu d’incidence sur l’insertion professionnelle, ils posent en revanche la question de la professionnalisation de la formation.
Construire une distance critique avec les réalités professionnelles : des stages enseignements
Les recherches récentes consacrées à l’objet « stage » montrent que « les situations en milieu professionnel ne sont pas formatives en elles-mêmes », mais « dotées d’un potentiel d’apprentissage », fonction de la « capacité des stagiaires à traduire des situations professionnelles en savoirs, [de la] capacité du dispositif à créer des situations formatives et [de la] capacité des acteurs de la formation à accompagner les expériences réalisées par les stagiaires » (de Briant, 2013 : 427). C’est ce constat que font les écoles d’architecture qui inscrivent les stages dans un dispositif pédagogique ad hoc. Au-delà d’une mise en situation professionnelle conduisant l’étudiant à acquérir des outils et savoir-faire complémentaires à l’enseignement et à mettre à l’épreuve des compétences acquises à l’école, de tels enseignements visent à rendre compte, avec une distance critique, de réalités professionnelles, qu’elles soient passées, présentes ou suggérant des futurs à construire, sans l’utopie de les transformer ou le dessein de s’y modeler. Néanmoins cette position est diversement partagée et mise en œuvre.
Une posture réflexive est rendue possible par l’inscription du stage dans un dispositif pédagogique comprenant un « avant » et un « après » stage qui sont élaborés. Dans plusieurs écoles, un guide des stages en précise les enjeux. Une bibliographie spécifique à chacun des trois stages obligatoires est donnée aux étudiants de l’ENSA Paris-Malaquais. À ceux-ci est également demandé de définir une thématique en licence et une problématique en master liées à leurs intérêts, à expliciter dans une demande préalable. À Rouen, l’étudiant est encadré dans l’élaboration d’un projet personnel et professionnel qui permet un choix raisonné du stage.
L’étudiant, le représentant de l’établissement d’enseignement et le maître de stage du lieu d’accueil sont liés par des conventions tripartites réglementaires40 qui précisent les conditions de stage. La réalité de leurs relations reste variable. Les enseignants sont de fait rarement en rapport avec les maîtres de stage et ne peuvent apprécier leur rôle de formateur qu’à travers le rapport de stage, obligatoire quand le stage l’est aussi. En revanche, il ne l’est pas quand les stages sont libres et dès lors ne se distinguent guère d’un emploi, mal voire non rémunéré. En licence, les contenus des rapports ne sont pas toujours précisés, parfois seulement leur volume maximal pour une lecture rapide de l’enseignant évaluateur, ou au contraire, minimal, pour un développement approfondi de la part de l’étudiant. En master, les attendus sont davantage explicités, mais limités dans plusieurs écoles à un retour de l’étudiant sur sa propre formation, la restitution des savoirs et savoir-faire acquis lors du stage et la confrontation de « ses connaissances théoriques aux pratiques réelles de conception et de réalisation d’édifices41 ». Un carnet de bord, parfois demandé, dans lequel l’étudiant relate quotidiennement son expérience professionnelle, permet que le rapport de stage s’en distingue en intégrant des problématisations avec analyses et réflexions. Dans ce document, les étudiants de l’ENSA Normandie doivent rendre compte d’une connaissance des réalités professionnelles du métier investi (fonctions, projets, compétences et qualités demandées, environnement et conditions de travail, etc.), du secteur d’activité concerné (productions, évolutions, tissus économiques, types d’entreprises, etc.), ainsi que du marché de l’emploi du métier et/ou secteur (état du marché, évolutions de carrière, débouchés par zone géographique, etc.)42 ; cette recherche est facilitée par les conférences et retours d’expérience tenus dans un atelier mensuel des stages. Un tel rapport permet à l’étudiant d’associer les deux espaces – pédagogique et professionnel – pour que le stage acquière sa dimension formative.
Quand elle a lieu, la présentation orale du rapport varie entre une soutenance argumentée et une séance de débats. Une séance publique tenue par un enseignant, où plusieurs étudiants rendent compte de leur stage et des structures d’accueil investies comme terrains d’enquête, permet de confronter les expériences individuelles de chaque stagiaire à travers le récit des réalités professionnelles vécues. Si à Clermont-Ferrand la présence du maître de stage est souhaitée (mais non obligatoire), ailleurs (Marne-la-Vallée, Paris-Malaquais) elle pourrait paraître inopportune quand il s’agit de mettre en débat des pratiques professionnelles. Alors que les étudiants les pensent souvent inéluctables, contraintes par le poids de la nécessité, elles sont relativisées lors de ces échanges qui les amènent à prendre conscience de la variété des manières de faire. Y participent notamment les stages qui se multiplient à l’étranger. Enfin, un archivage des rapports dans les écoles constitue pour les étudiants comme pour les enseignants des ressources sur la connaissance des structures d’accueil.
L’approche des réalités professionnelles n’est pas dévolue aux seuls stages. La réforme de 2005 précise ainsi des « exigences indispensables » (contraintes de la maîtrise d’œuvre : histoire et économie du projet, acteurs de la construction, de la maîtrise d’ouvrage, des règles d’urbanisme et de construction, celles de la commande publique ; contraintes des gestions financière et humaine du processus ; exigences également en matière d’usage et de qualités d’espace) et instaure des « domaines particuliers d’études » (développement durable et prise en compte des risques majeurs, réhabilitation et interventions sur le bâti existant). Cette position fait débat dans les écoles et si des enseignements spécifiques, dits professionnalisants, en droit, réglementation, économie, gestion, politique, gouvernance, communication43 figurent dans les programmes pédagogiques, ils restent juxtaposés aux enseignements de projet. Néanmoins leur forme académique n’en écarte pas a priori une dimension critique qui interroge les réalités professionnelles. Encore présents dans les formations, des enseignements sur les pratiques des architectes les envisagent avec quelque recul : à Paris-Malaquais, un cours magistral de licence « Les architectes. Dynamique d’un groupe professionnel » de Maxime Decommer et Isabelle Chesneau et un séminaire de master « Les plans des architectes » de Anne Debarre ; à Bordeaux le cours de licence « Usages professionnels du regard sociologique » de Jean-Philippe Guillemet s’intéressant aux démarches participatives et méthodologies de concertation « qui s’éloignent de plus en plus de l’académisme universitaire ».
Inscrite dans les dispositifs pédagogiques des stages ou d’autres enseignements, la distance critique vis-à-vis des réalités professionnelles vécues, analysées, observées et rapportées invite les étudiants, plus qu’à construire un projet professionnel qui puisse s’y conformer, à prendre conscience qu’ils peuvent composer avec elles.
Alors que le stage est devenu une modalité consensuelle de formation dans l’espace social, son efficacité est « considérée comme “évidente” et spontanée » (de Briant, 2013 : 469) et, de ce fait, l’envisager comme un enseignement à part entière ne semble pas toujours constituer un enjeu. Lorsqu’il n’est qu’une expérience hors école, respectant a minima les règles, il s’inscrit finalement dans la continuité de la tradition du salariat des étudiants en agence, pourtant fortement contestée en 1968. Transition entre école et monde professionnel, il joue un rôle d’insertion des futurs diplômés sans cependant ouvrir largement sur des métiers de l’architecture comme il est souvent évoqué : il ne transforme pas le marché du travail. Dans les écoles, les stages ne sont plus aujourd’hui dans la lignée des expériences professionnelles proposées aux étudiants dans les années 1970, lorsque les enseignants voulaient en garder la totale maîtrise ; en revanche, ils participent à professionnaliser la formation grâce à un dispositif pédagogique contribuant à développer des capacités réflexives sur l’expérience vécue, voire à mettre à distance critique des réalités professionnelles : les futurs architectes disposeraient ainsi de ressources pour inventer de nouvelles manières de pratiquer l’architecture.