Entreprises de services urbains : un nouveau modèle socio‑économique d’aménagement ?

Taoufik Souami

p. 47-67

Citer cet article

Référence papier

Taoufik Souami, « Entreprises de services urbains : un nouveau modèle socio‑économique d’aménagement ? », Cahiers RAMAU, 8 | 2017, 47-67.

Référence électronique

Taoufik Souami, « Entreprises de services urbains : un nouveau modèle socio‑économique d’aménagement ? », Cahiers RAMAU [En ligne], 8 | 2017, mis en ligne le 08 février 2021, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/307

Les exigences et les volontés en matière de durabilité rappellent la nécessité d’intégrer la gestion des espaces bâtis au sein de l’ensemble du processus de fabrication urbaine et architecturale. Parmi les acteurs qui prennent une nouvelle place à cette occasion, les entreprises de services urbains (ESU) – énergéticiens, compagnies des eaux… – sont particulièrement actives. L’article expose d’abord le contexte devenu favorable, depuis une dizaine d’années, à l’arrivée des ESU au centre de l’activité d’aménagement des villes, marquée par une croissance des exigences environnementales. Il présente ensuite les indices d’un mouvement de ces entreprises vers le centre de l’aménagement urbain : il s’agit en particulier de filiales et d’organes de réflexion propres, dédiés à cette activité relativement nouvelle et récente pour les ESU. Enfin, l’article examine et analyse le modèle de fabrication urbaine tel qu’il est vu et représenté par les ESU. En conclusion, la confrontation de la vision de ce modèle par les ESU aux modèles des acteurs traditionnels de l’aménagement permet de considérer plus particulièrement la dimension politique de l’aménagement urbain du point de vue des entreprises de services urbains.

Les exigences et les volontés en matière de durabilité rappellent la nécessité d’intégrer la gestion des espaces bâtis au sein de l’ensemble du processus de fabrication urbaine et architecturale. Certains acteurs du monde de l’aménagement et de la construction passent des intentions aux actes et commencent à traduire concrètement cet appel dans leurs décisions et organisations. Toutefois, ils ne sont pas les seuls. La place désormais donnée à la gestion d’une manière opérationnelle et non plus conceptuelle1 révèle des mouvements naissants dans l’organisation même de l’ensemble de la fabrication urbaine telle que nous la connaissions jusque‑là2.

Parmi les acteurs qui prennent une nouvelle place à cette occasion, les entreprises de services urbains (ESU) – énergéticiens, compagnies des eaux, etc. – sont particulièrement actives. L’organisation en filières parallèles (Carassus, 1992) des mondes de la production de la ville et de sa gestion est remise en cause par les efforts de repositionnement de ces ESU. En effet, aujourd’hui encore, la production urbaine réunit la filière de la construction (concepteurs du bâti, bureaux d’études techniques, entreprises de la construction…), celle de l’aménagement des espaces publics et des ouvrages d’art (ingénieurs, bureaux d’études techniques, entreprises du BTP…), celle des réseaux d’eaux et d’assainissement (ingénieurs spécialisés, réseaux d’eau, entreprises de réalisations spécialisées…), ou encore celle des réseaux énergétiques (entreprises énergétiques, ingénieurs internes ou externes à ces réseaux, installateurs…). Ces filières concourent bien à la réalisation des ensembles urbains et de quartiers entiers, mais d’une manière parallèle, chacune réalisant dans son « couloir » ses propres tâches, sa composante de l’ensemble. Des échanges ponctuels assurent un minimum de coordination. La demande d’une plus grande durabilité conduit à démultiplier ces points de contact et implique une coordination plus importante. Par exemple, une moindre dépense de moyens et un fonctionnement des réseaux strictement ajusté aux besoins exacts des occupants des bâtiments rendent nécessaires des échanges plus étroits entre la filière de la construction et celle des réseaux d’eau ou d’énergie. Cette dernière ne peut continuer à s’organiser d’une manière autonome si elle doit notamment desservir tel ou tel ensemble bâti en énergies renouvelables totalement produites in situ, objectif devenu courant. Progressivement, les entreprises qui constituent ces filières modifient leur positionnement au sein de la production urbaine. Plusieurs indices nous conduisent à émettre trois hypothèses de transformation de cette organisation :

  • Les ESU deviennent des acteurs centraux d’une fabrication urbaine qui se veut plus intégrative de l’ensemble « conception, réalisation et gestion ».

  • Les ESU investissent en particulier la question des modèles socio-économiques orientant, guidant et encadrant l’ensemble de la fabrication urbaine.

  • Ce repositionnement des ESU conduirait à modifier les enjeux et les organisations de conception, donnant plus d’importance au design par les services3 qu’à la conception des espaces.

Afin de contribuer à ce débat, cet article s’appuie sur les résultats d’une recherche traitant de la ville durable (Souami et Kasdi, 2013), réalisée pour l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Elle a été l’occasion d’une exploration plus approfondie des entreprises de services urbains, de leurs stratégies naissantes en matière d’aménagement, de leurs expérimentations et des points de vue divers qui les traversent sur ces questions. Le matériau partiellement mobilisé pour la rédaction de cette contribution est constitué de nombreux entretiens et d’une analyse fine de projets, de programmes et de partenariats portés par ces entreprises de services urbains.

L’article propose une réflexion en trois parties. Il expose d’abord le contexte devenu favorable, depuis une dizaine d’années, à l’arrivée des entreprises de services urbains au centre de l’activité d’aménagement des villes, marquée par une croissance des exigences environnementales. Il présente ensuite les indices d’un mouvement de ces entreprises vers le centre de l’aménagement urbain : il s’agit en particulier de filiales et d’organes de réflexion propres, dédiés à cette activité relativement nouvelle et récente pour les ESU. Ces dernières étaient auparavant à la périphérie de l’aménagement, car elles venaient installer les infrastructures dans les quartiers aménagés seulement après que les collectivités locales, les sociétés d’aménagement et les entreprises immobilières et de construction – se situant, elles, au centre de l’aménagement urbain – eurent décidé, conçu et réalisé les bâtiments et les espaces publics. Enfin, l’article examine et analyse le modèle de fabrication urbaine tel qu’il est vu et représenté par les ESU. En conclusion, la confrontation de la vision de ce modèle par les ESU aux modèles des acteurs traditionnels de l’aménagement permet de considérer plus particulièrement la dimension politique de l’aménagement urbain du point de vue des entreprises de services urbains.

Un contexte favorable à l’arrivée des entreprises de services urbains au centre de l’aménagement urbain

Les exigences en matière d’environnement et de développement durable ont accentué l’attention portée à la question de « l’intégration4 » dans la fabrication de la ville, et plus particulièrement dans celle des espaces publics. Elles soulignent, en négatif, une fabrication de la ville toujours découpée selon les séquences et les secteurs classiques, chacun possédant sa propre organisation, sa logique et sa finalité. Les secteurs concernés sont la construction, l’aménagement et les services urbains (où l’on retrouve les filières de la distribution de l’eau et de l’assainissement, le secteur de l’énergie ou encore les transports). Le constat est communément fait que ce découpage séquentiel et sectoriel montre désormais ses limites, se révèle peu efficace et surtout peu adapté pour répondre aux attentes et aux aspirations des usagers (Coutard, 2010 ; Vilmin et Lorente, 2011 ; Arab, 2001 ; Bourdin, 2010).

Cette inefficacité socio-technique et sociale serait particulièrement révélée par les déséquilibres financiers que connaissent les établissements publics ou les sociétés en charge de l’aménagement de périmètres urbains entiers. Mais ces déséquilibres sont rarement énoncés ou exposés d’une manière claire. Le tableau peut se résumer ainsi : le secteur de l’aménagement peine à trouver son équilibre, en particulier à cause d’un coût d’accès au foncier alourdi par l’inflation et la dominante de la rénovation (Paris, 1995 ; Gateau-Leblanc, 2011) ; le secteur de la construction serait mis en difficulté par les charges foncières et les surcoûts liés aux exigences programmatiques (mixité sociale, mixité des fonctions…) et environnementales (Carassus, 2006 ; UNTEC, 2013) ; le secteur des services urbains est porteur d’une crise de son fonctionnement économique, principalement indexé sur les quantités (d’eau, d’énergie…) fournies, car le développement durable suppose une réduction des consommations (Coutard, 2008 ; Barles, 2008 ; Criqui et Thoulouze, 2011), etc.

Cette division du travail dans la fabrication urbaine entre les secteurs et leurs agents est ainsi fondamentalement remise en cause par les crises internes à ces secteurs et par une exigence d’approche intégrée qu’il n’est plus possible de négocier ou de reporter comme par le passé (Souami, 2009 ; Llorente et Vilmin, 2011). L’intégration souhaitée depuis au moins les années 1970 en France vise à resserrer et à multiplier les liens entre les acteurs en évitant que chacun intervienne sur une séquence : le programmiste d’abord, puis le concepteur, puis le BET (bureau d’études techniques) pour le dimensionnement, puis l’entreprise de mise en œuvre…

Parmi les acteurs concernés dans ce paysage, les entreprises de services urbains semblent plus (ré)actives dans la reconstruction d’une position pour elles-mêmes et d’une nouvelle vision de la fabrication pour tous. Jusqu’à récemment, en France, les entreprises d’aménagement étaient chargées de fabriquer les villes et leurs espaces urbains pour le compte (ou sous le contrôle) des collectivités. Elles étaient donc perçues comme les acteurs centraux articulant et négociant leur travail de fabricant avec les promoteurs et les constructeurs. Les ESU étaient plutôt situées dans une position secondaire : elles intervenaient à l’aval du processus de planification et de décision en matière d’équipement et d’aménagement. Même si elles influençaient les décisions des grandes infrastructures nationales, elles demeuraient davantage dans une position de « metteurs en œuvre » et d’exploitants de réseaux, en particulier dans le champ de l’aménagement local. Par exemple, elles n’étaient que ponctuellement consultées sur les choix dans les opérations d’aménagement urbain, mais contribuaient par la suite à leur mise en œuvre (création ou extensions de réseaux, déploiement des services auprès des nouveaux habitants…).

Ces entreprises ont progressivement trouvé un rôle plus central. Elles ont été considérées comme les seules ou les mieux outillées pour prendre en charge les nouvelles exigences liées au développement durable. Elles maîtrisent le déploiement des dispositifs techniques nouveaux par eux-mêmes ou à l’échelle d’ensembles urbains larges (réseaux de chaleur biomasse, systèmes de récupération des eaux, etc. pour tout un quartier ou une partie de la ville). Elles sont centrales pour la recherche des bouclages in situ des flux d’énergie et de matière, et pour travailler les interdépendances techniques et socio-économiques entre des composantes habituellement disjointes. Elles sont familières des questions de préservation d’une partie de l’environnement malgré l’intervention urbaine. Elles sont supposées assurer (au début, au moins) l’accessibilité sociale des équipements et des coûts maîtrisés. Elles ont des capacités de mobilisation financière pour opérer des investissements lourds…

Ce nouveau rôle est utilisé par une partie de ces entreprises pour repenser les liens entre des éléments qui étaient du ressort de plusieurs secteurs et séquences (Carassus et Duplessis, 2010). Alors même que les salariés de ces entreprises affirment leur rôle partiel face au système de « territoires urbains » dans son ensemble, ils se réservent la possibilité de proposer des « solutions complètes » articulant élaboration, réalisation matérielle, exploitation et usages. Pour ce faire, les expériences se resserrent dans des périmètres précis et maîtrisables (écoquartiers, smart cities, solutions appliquées à des centres-villes, etc.), et concernent notamment les espaces publics. Chez les responsables des territoires, les ESU seraient désormais les seules à posséder les capacités nécessaires pour organiser les investissements dans des systèmes territoriaux devenus plus complexes, soumis à des exigences de durabilité, de sobriété environnementale et d’économies. Cette représentation des entreprises de services urbains s’est tout particulièrement renforcée depuis que les collectivités publiques sont considérées comme exsangues et structurellement démunies face à la question des investissements dans les infrastructures. Les entreprises de services urbains sont vues comme ayant les compétences pour trouver les ressources permettant ces investissements et les conduire d’une manière plus globale et plus intégrée grâce à leur connaissance supposée des différents secteurs.

Les « extensions » des ESU vers l’aménagement urbain

Depuis le début des années 2000, plusieurs entreprises de services urbains ont opéré un mouvement progressif vers l’amont du processus de fabrication de la ville et de l’équipement des territoires urbains : l’aménagement. Ce mouvement prend, pour l’instant, la forme de réorganisations émergentes et ponctuelles. Trois ensembles d’indices convergents nous conduisent à avancer cette hypothèse :

  • la constitution d’organes internes de réflexion ou de prospective sur l’évolution des villes en général, et plus particulièrement sur la fabrique urbaine ;

  • la mise en place de structures d’étude et de conseil opérationnel intervenant dans des projets urbains comme prestataires ou membres d’équipes de concepteurs urbains ;

  • le réagencement de filiales et leur réorientation partielle dans la perspective d’apporter des offres plus intégrées.

Des organes pour repenser la fabrication urbaine

Depuis le début des années 2000, nous assistons à la constitution d’organes5 internes (totalement ou partiellement ouverts vers l’extérieur) aux entreprises, chargés d’assurer cette fonction de capitalisation des connaissances, des analyses et des capacités d’expertise, pour mieux les traduire dans les choix opérationnels. Ils visent également l’« injection », au sein de l’entreprise et de ses composantes, des éléments de savoir nécessaires pour une meilleure familiarisation avec les questions d’urbanisme durable.

Plusieurs exemples illustrent la transformation interne de ces organisations depuis le début des années 2000. Ainsi, Vinci6 a mis en place, la Fabrique de la cité, animée par quelques salariés permanents. Elle identifie les différentes questions qui se posent et reçoit les contributions internes et externes aux entreprises. Elle est présentée comme « une instance de réflexion prospective et d’échanges réunissant des acteurs publics et privés de tous horizons, impliqués à haut niveau dans les problématiques d’aménagement urbain et de mobilité ». Son activité prend la forme de séminaires, de petits travaux d’études, de visites de terrains et de débats. Si, parmi les premiers animateurs de la Fabrique de la cité, certains ont travaillé dans le secteur du BTP, la plupart ont eu un parcours qui les a conduits vers des activités liées aux services, en particulier dans le champ de la mobilité et des transports. Et l’équipe de direction et d’animation est principalement constituée de personnes issues du monde des concessions et des contrats d’exploitation.

Chez EDF7, un responsable issu de la direction des collectivités locales a été chargé de mettre en place un projet « ville durable », qui présente une partie interne à l’entreprise et une autre davantage ouverte au public. La première a consisté, pendant près de deux ans, à réaliser une exploration en France et à l’étranger pour mieux situer EDF dans cette problématique. Cette exploration a été l’occasion d’interroger le modèle économique de l’entreprise et de resituer les discussions internes autour des valeurs sociales qui sous-tendent son action. « Le projet ville durable, c’est vingt-cinq personnes. Et on travaille en collaboration avec la recherche et développement du groupe, avec deux labos : l’un, situé en France, est plutôt orienté “bâtiment”, il compte cinquante personnes ; l’autre, à Karlsruhe, en Allemagne, travaille surtout sur les systèmes urbains, il s’appelle l’Eifer8. »

Chez Eiffage9, le programme Phosphore a été mis en place pour conduire une réflexion en partie interne sur la réponse des métiers de l’entreprise aux attentes de la ville durable. Depuis 2009, ce « laboratoire » animé par quelques permanents a mobilisé une quarantaine d’ingénieurs maison, invités à travailler en workshop sur des problèmes opérationnels situés dans une ville réelle. Par exemple, ils ont d’abord planché sur l’aménagement de Marseille, afin d’y intégrer un maximum de solutions technologiques et environnementales performantes. Le projet était certes virtuel (il s’agissait d’une simulation), mais il partait de données bien réelles sur un quartier de la cité phocéenne. Selon ses animateurs, le programme Phosphore sert à familiariser les ingénieurs avec les questions urbaines et à profiler les modèles économiques globaux ou plus systémiques, de sorte à dépasser les approches « produits et matériaux de construction » qui dominent au sein d’Eiffage. En effet, la recherche de composantes constructives y est minoritaire. Les filiales les plus investies sont celles en charge des services énergétiques, des concessions et des questions de mobilité. L’entreprise utilise ce laboratoire pour rompre clairement avec une approche privilégiant la commercialisation de produits destinés au BTP.

Des structures d’études et de conseil pour s’introduire dans la mécanique de l’aménagement

D’autres types de structures mises en place par ces entreprises pourraient être considérés comme des tentatives pour intégrer la fabrication urbaine et ses processus amont. Ce sont les bureaux d’études et de conseil constitués ou rachetés par plusieurs entreprises pour réaliser des missions sur la ville ou les quartiers durables auprès des collectivités. Ces entreprises disposent ainsi d’organes propres totalement immergés dans la réalité de la fabrication urbaine. Arrêtons-nous sur trois exemples de ce type de structures.

H4, filiale d’EDF créée en 1993, est un bureau d’études détenu à 100 % par l’énergéticien à travers la holding EDF Développement (EDEV). Sa mission d’origine était de prendre en charge la reconversion de sites industriels ou tertiaires en opérations immobilières ou en quartiers urbains. Depuis le début des années 2000, ses compétences ont été étendues à la maîtrise d’ouvrage déléguée pour le compte des collectivités publiques (État, régions, départements, villes). Plus récemment, H4 a élargi le champ de ses compétences par l’intégration de l’activité « développement urbain durable ». Ses études techniques pour des aménageurs et ses missions d’AMO (assistance à la maîtrise d’ouvrage) pour des collectivités dans le cadre de projets opérationnels en urbanisme constituent un moyen d’accumuler un savoir et un savoir-faire dans la construction de la ville durable.

La société 2EI est également un bureau d’études, filiale de Veolia. Elle s’est constituée principalement à partir d’un staff d’ingénieurs et a été mise sous la responsabilité directe d’un des responsables de premier rang de Veolia, en charge de piloter la montée en puissance de l’entreprise sur les questions de ville durable et d’aménagement durable. Si le bureau d’études met en avant ses capacités dans les domaines techniques et sectoriels, il se présente également comme un accompagnateur global des collectivités locales pour mettre en œuvre le développement durable urbain.

La SAFEGE (Société anonyme française d’études de gestion et d’entreprises), quant à elle, est plus ancienne. Elle a vu le jour en 1919 sous le nom de Société auxiliaire française d’électricité, gaz et eau. Elle trouve son autonomie comme bureau d’études en 1947, pour se spécialiser dans la conception et le dimensionnement des infrastructures d’eau et d’énergie. Ses diversifications successives, au cours des décennies suivantes, en font un des bureaux d’ingénierie de référence, spécialiste des études techniques accompagnant les collectivités locales pour aménager leur territoire. Rachetée par Suez Environnement, elle aide désormais la multinationale à mieux développer son activité, son savoir et ses connaissances sur la ville et l’aménagement de ses espaces.

Ces trois structures d’études témoignent de la percée progressive des entreprises de services urbains, désormais positionnées plus à l’amont du processus de décision dans l’aménagement des territoires urbains.

Des réorganisations et réorientations de filières pour imaginer de nouvelles offres urbaines plus intégrées

Au-delà de ces organes spécifiques et de ces structures d’études et de conseil, nous observons d’autres indices d’une évolution des ESU, relevant de l’organisation et de l’orientation interne de ces entreprises. Mais ces mouvements-là sont plus difficilement perceptibles.

Reprenons l’exemple d’EDF, dont le rapport à l’aménagement urbain passait principalement, il y a encore une dizaine d’années, par les extensions de réseaux et leur entretien. Exceptionnellement, la présence d’un équipement ou d’une infrastructure majeure suscitait une contribution plus importante de l’entreprise dans une partie du travail d’aménagement, puis de gestion, d’un quartier. Depuis le milieu des années 2000, après avoir mené quelques réflexions, EDF a commencé, d’une part, à contribuer davantage à la fabrication et à la gestion urbaines et, d’autre part, à tenter de faire le lien entre ses activités les plus utiles pour ce même secteur : production énergétique, distribution, éclairage public, valorisation énergétique de la biomasse, services aux usagers, etc.

Les compléments d’activité se font, pour certains, à travers le développement de nouvelles entreprises. Par exemple, la société Mobee a été créée en 2012 sur le mode des start-up pour mettre en place un service de voitures électriques partagées. Le lancement s’est fait à Monaco, mais les ambitions ne se limitent pas à ce périmètre. L’idée est bien d’expérimenter des services dévolus à la mobilité, en œuvrant à l’intégration de ces équipements dans l’espace public, ce qui conduit à travailler sur leur gestion avec les collectivités concernées.

Outre les filiales existantes d’EDF, les compléments d’activité s’exercent également par la réorientation des composantes internes de l’entreprise : EDF Optimal Solutions, spécialisée dans la recherche de solutions économes pour les « grands portefeuilles », notamment industriels, a plus nettement dirigé ses actions vers les collectivités locales et leurs opérateurs. Elle a été intégrée à l’ensemble Dalkia France, spécialiste de la distribution locale de chaleur, dans le cadre de la prise de contrôle totale par EDF des activités de Dalkia en métropole. L’idée de cette réorganisation est bien de créer une synergie entre ces deux entreprises en direction des territoires : leur aménagement, leur équipement et leur gestion.

Dans le même mouvement, et plus largement, les activités en France de Dalkia sont reprises ou gardées par EDF, à la suite d’une négociation avec Veolia visant à résoudre leur « fusion » avortée. L’arrivée de ces activités au sein d’EDF constitue un apport majeur pour compléter les capacités de propositions de l’entreprise dans le domaine énergétique, au niveau territorial et urbain. Comme nous l’avons indiqué précédemment, Dalkia est le premier distributeur de chaleur et de froid en France, à travers des réseaux urbains. L’entreprise participe depuis longtemps à l’équipement des ensembles et des espaces urbains, et donc à une partie de leur gestion. Avec la montée des exigences environnementales et énergétiques, elle a pris une place encore plus centrale dans la fabrication et la gestion urbaines. Citelum, leader français de l’éclairage urbain, qui était dans le giron de Dalkia, se retrouve également, par la même opération, au sein d’EDF pour compléter ses compétences. Cet opérateur, spécialisé dans l’éclairage public pour les collectivités depuis le début des années 1990, a progressivement étendu ses activités au design et à la gestion des différentes composantes urbaines qui participent de la maîtrise de l’électricité, de l’accès à Internet ou de la sécurité… En résumé, il propose non seulement de contribuer à l’aménagement et à l’équipement du réseau des espaces publics, mais aussi d’utiliser tout le mobilier qu’il installe comme autant de supports pour développer d’autres services fournis à la collectivité et aux habitants.

Avec ces compléments, les réorientations des composantes plus anciennes de l’entreprise s’opèrent progressivement. Par exemple, le groupe TIRU10, en charge du traitement et de la valorisation des déchets au sein d’EDF depuis 1946, a pris le tournant de la diversification des formes de valorisation des déchets : méthanisation, recyclage, travail sur les déchets des activités, etc. Il a également pris un deuxième tournant : historiquement, il cultivait un rapport d’opérateur industriel avec les territoires et les villes ; depuis quelques années, ses concessions ou ses réalisations ajoutent l’organisation de circuits locaux de collecte et de mise en valeur des déchets à la réalisation des usines de valorisation. Son approche de la gestion ne s’arrête plus aux frontières de ses sites industriels, mais s’étend lentement aux lieux urbains (d’habitat ou de production, notamment agricole).

L’exploration d’autres entreprises françaises et européennes révèle des indices équivalents. Veolia a entamé une transformation profonde de son organisation à partir de 2011-2012. Rendue publique en 2013, elle vise à mettre en place un fonctionnement plus « géographique ». En effet, comme beaucoup de groupes de services urbains, elle était bien impliquée localement dans la fourniture de services à travers quatre « métiers principaux » : eau, énergie, propreté et transport. Toutefois, chacun de ces « métiers » était organisé d’une manière sectorielle et industrielle. Autrement dit, les entités locales participaient bien à la gestion urbaine, mais à travers la seule exploitation d’un équipement, d’un réseau ou d’une ligne de bus, dont on isolait suffisamment le matériel et les modalités de fonctionnement pour lui donner de fait une quasi-totale autonomie de gestion. La réorganisation « géographique » annoncée par la direction de Veolia a consisté à fusionner les directions centrales et locales en charge de l’eau et de la propreté, maintenant provisoirement l’énergie en dehors de ce mouvement. Elle a également réduit l’autonomie des directions locales, notamment parce qu’elles étaient considérées comme trop fortement centrées sur leurs logiques industrielles historiques. En effet, malgré les analyses stratégiques, les appels à réorientations, les formations, et autres séminaires internes produits dès le début des années 2000, les changements d’activités chez Veolia pour répondre à la stagnation des quantités d’eau consommées11 et développer de nouvelles offres ont mis du temps à être entendus par les opérationnels12. Pour l’instant, cette réorganisation « géographique » a trouvé une traduction à l’échelle nationale. Elle ne vise pas toujours une implication systématique dans la gestion globale des ensembles urbains. Toutefois, son exploration est bien en cours dans certaines villes, comme en témoigne par exemple l’investissement particulier de Veolia à Lyon, où l’entreprise mène plusieurs projets et expériences allant dans ce sens. On peut recenser la plateforme d’expérimentation de solutions intelligentes TUBA, le projet NOVEA pour le partage local des savoir-faire en matière de fonctionnement urbain, l’outil FORCITY pour optimiser la gestion des espaces et des investissements publics, le programme KEY2CO2 pour réaliser du monitoring dans la production et la gestion urbaines en fonction des émissions de CO2

Les indices ne convergent pas tous dans cette même direction. Le groupe Veolia s’est séparé de l’essentiel de ses activités de transport, alors que cela lui octroyait la possibilité de renforcer son implication dans une gestion plus globale des services (eau, énergie, transport, etc.) pour les collectivités locales et leurs ensembles urbains. Il a également fait le choix, comme Suez, de chercher de nouveaux marchés dans les villes et les pays émergents, où les consommations sont en constante augmentation, voire en explosion. Ce report indique plutôt le souhait de continuer à valider un modèle sectoriel et industriel fondé sur les quantités d’eau ou d’énergie consommées. Une telle démarche signifie le maintien d’une conception de la gestion urbaine cantonnée à l’exploitation d’un équipement ou d’une infrastructure.

Il en va de même au sein d’EDF, dont les préoccupations stratégiques demeurent officiellement tournées vers les enjeux de production et de distribution de l’électricité. Localement, l’entreprise travaille à l’amélioration de ses rapports avec les collectivités locales et les acteurs de l’aménagement des territoires urbains (Poupeau, 2010), mais les grands projets industriels ont encore la préférence d’une partie des commerciaux devant assurer localement l’activité de l’entreprise. Une telle préférence réduit l’orientation de l’activité vers une participation plus centrale à la gestion urbaine.

Ces entreprises de services urbains sont complexes, et les indices livrés par quelques-unes de leurs composantes ne rendent pas nécessairement compte des choix et des convictions qui sous-tendent l’ensemble de leurs activités. Plus encore, les réorganisations internes ne dépendent pas uniquement de leur rapport aux villes et à leur gestion. Les actionnaires, les orientations (ou pressions) politiques, les stratégies boursières, les logiques de management et de gestion, les cultures professionnelles des différents métiers, les variations des normes et des lois, etc. pèsent lourdement sur les décisions. Nous rappelons ces réalités pour souligner qu’il s’agit bien là d’indices identifiés et non d’orientations stratégiques confirmées.

Dans un contexte de changement important pour les ESU, les scénarios et les orientations possibles sont nombreux. Ils n’ont pas exactement le même effet sur le positionnement de ces entreprises urbaines. Nous pourrions résumer ces possibles en quatre catégories.

La première consisterait à maintenir une position de pure player13 dans chacun des secteurs, sans tenter de les croiser mais en trouvant des économies d’échelle et des gains de productivité à réaliser. Cela pourrait avoir pour conséquence d’accentuer l’approche classique de la gestion par ces entreprises, qui tend à isoler les composantes dont elles ont la responsabilité pour atteindre une meilleure maîtrise des coûts et une gestion performantielle.

La deuxième permettrait de devenir pure player au sens de la « nouvelle économie » (OCDE, 2001), c’est-à-dire adopter une stratégie de retrait de la fabrication matérielle pour se centrer sur les activités à forte valeur ajoutée, à savoir la direction et le management, la conception et l’innovation, l’organisation commerciale, en utilisant au maximum les technologies de l’information et de la communication. Dans ce cas, il est imaginé un développement beaucoup plus important de la sous-traitance et de l’externalisation, en rupture avec la tradition de ces entreprises. Notons également que la fragmentation des interventions sur le terrain ne paraît pas favorable à une position plus centrale des ESU dans une gestion globale de l’urbain.

La troisième piste, régulièrement évoquée, serait la recherche de relais de croissance. La participation de ces entreprises à la fabrication et à la gestion des territoires urbains serait considérée comme une activité supplémentaire qui, en elle-même, augmente le chiffre d’affaires et permet de trouver des opportunités de contrat pour réaliser des équipements ou des infrastructures.

Enfin, quatrième possibilité, il pourrait y avoir une modification profonde du modèle de services urbains et un investissement plus important dans la fabrication et la gestion des territoires urbains.

Dans les lignes qui suivent, nous explorons plus particulièrement cette dernière orientation possible.

Le modèle de fabrication urbaine vu par les ESU

Le raisonnement tenu par ces entreprises part d’un constat encore peu formalisé, mais dont nous avons vérifié la validité dans des travaux antérieurs (Souami, 2010).

D’une part, les professionnels de l’aménagement et du bâtiment, obligés de construire plus dense, en milieu urbain existant, sur du foncier recyclé, constatent régulièrement que leur activité est déficitaire. Dans tous les cas, elle est devenue impossible sans les aides publiques, en particulier celles des collectivités locales. En résumé, la valorisation du foncier par son aménagement ne permet plus de créer des marges suffisantes afin de rémunérer cette activité. Certaines entreprises de construction et de promotion valident à travers leur activité ce que nos recherches indiquent14 : la création de valeur se fait désormais davantage dans l’exploitation que dans la fabrication (Bouygues Immobilier, Nexity…).

D’autre part, les gestionnaires de services urbains classiques, invités à réduire les quantités consommées qui faisaient leurs chiffres d’affaires, vivent ou prévoient une contraction très forte de leur activité. Depuis plusieurs années déjà, les quantités d’eau et d’électricité consommées stagnent ou diminuent en France (Pecqueur et Brochet, 2013 ; Coutard et Rutherford, 2012). Cette situation découle des décisions prises en amont de leur activité : la planification et l’aménagement des territoires et la baisse des consommations des usagers (particuliers ou entreprises). Cette planification et les contraintes qu’elle induit (en termes de densité, de localisation et maintenant de caractéristiques techniques du bâti) imposent des solutions techniques à faibles consommations. L’obligation de construire des bâtiments à basse consommation, et bientôt à énergie positive, en est l’exemple le plus flagrant. Par ailleurs, l’aménagement, sa programmation et ses encadrements des pratiques déterminent en partie le peuplement, et donc facilitent des modes de vie plus sobres en termes d’utilisation des services urbains (eau, mobilité…). Face à cela, les ESU font de la maîtrise en amont des aménagements une préoccupation plus importante (Cofely, Veolia Environnement, etc.). Elles réalisent surtout qu’elles doivent dépasser leur offre mono-service et leur rapport binaire aux usagers (fourniture et consommation) pour trouver d’autres activités plus durables et plus lucratives.

Sur la base de ces constats, plusieurs opérateurs de services urbains tentent d’anticiper le mouvement en imaginant des offres, des montages et des projets. Ils envisagent différentes formes d’intégration du processus de la « conception, réalisation, gestion » des espaces, des équipements et des réseaux. Ils considèrent, en quelque sorte, que vendre des installations ou du bâti ne rencontre plus le même « consentement à payer », alors que les clients finaux sont en attente de services produits grâce aux équipements et aux espaces aménagés. La valeur de ces installations se révélerait ainsi au moment de l’usage et trouverait alors une monétarisation possible à travers la vente du service offert plutôt que par la facturation de la propriété ou de la location des installations. Dans un tel schéma, la gestion prend une place cruciale. Les ESU proposent ainsi une perspective d’intégration de l’ensemble du process de fabrication urbaine, à travers la production de services durables aux usagers. Une « organisation orientée services » s’esquisse notamment dans le sens de la réduction des matériels et des flux (Buclet et Bourg, 2005).

L’affirmation d’un tel modèle à la place de celui – classique – de valorisation monétaire des fonciers et des équipements serait particulièrement favorable aux entreprises de services urbains. Celles-ci présentent plusieurs avantages comparatifs dans un tel schéma, en particulier face aux entreprises classiques de la construction et de l’aménagement :

  • Elles possèdent des compétences et des expériences consolidées en matière d’exploitation et de gestion.

  • Elles sont outillées pour concevoir les services attendus par les usagers finaux et assurer dans la durée la gestion avec les différentes clientèles.

  • Elles ont souvent des surfaces financières importantes, leur permettant de mobiliser des capacités d’investissement devenues rares et concurrentielles aujourd’hui dans la fabrication urbaine.

  • Elles disposent de l’ingénierie nécessaire pour réaliser des montages juridiques et financiers spécifiques pouvant mobiliser également d’autres types de financeurs.

Les aménageurs classiques possèdent rarement ces compétences – et certains ne souhaitent pas les acquérir. Ils considèrent que leur métier est d’aménager et d’équiper un lieu, et non de le gérer dans la durée. L’opération d’aménagement achevée, ils estiment leur mission accomplie. Plus encore, le maintien dans leur portefeuille de locaux ou d’équipements après la fin d’un projet urbain est jugé par certains aménageurs comme le signe d’un échec signifiant qu’ils n’ont pas pu ou su commercialiser la totalité des programmes.

Pourtant, quelques sociétés d’aménagement ont commencé cette intégration de la gestion et de l’exploitation dans leur modèle. Un exemple intéressant est celui de la SEMAEST, société parapublique d’aménagement ayant développé depuis quelques années une activité de gestion de locaux de commerce. De même, Nexity articule progressivement ses activités d’aménagement, de promotion et de gestion immobilière (comme syndic). Bouygues immobilier fait aussi ce type d’expérimentation à travers des opérations ponctuelles telles que les écoquartiers Ginko à Bordeaux ou Fort d’Issy en première couronne parisienne. De tels exemples, cependant, restent rares, et les entreprises de services urbains paraissent plus près de prendre cette direction.

En effet, les ESU testent différentes pistes. Les majors françaises dans ce domaine travaillent sur des symbioses entre énergie, eau, déchets, mobilités, etc. et, pour cela, cherchent de nouveaux modèles d’affaires15. Nous pourrions parler ici d’un service de rationalisation environnementale et financière localisé, rendu d’abord aux collectivités et aux habitants de leur territoire. Dans ce cas, il s’agit d’aller bien plus loin que la fourniture d’eau ou de kilomètres de transports : il est question de trouver comment les liens entre ces différentes activités apportent des ressources aux uns et aux autres, réduisent les impacts sur l’environnement et augmentent le bouclage des flux financiers localement. Certaines grandes entreprises énergétiques explorent tous les services supplémentaires qu’elles peuvent apporter aux clients-habitants à partir des données de leurs consommations et localisations. Les projets de smart grids (réseaux électroniques intelligents) s’inscrivent dans cette tendance qui, à l’occasion de l’optimisation des réseaux par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, démultiplie la production de données fines et massives ouvrant notamment sur la création de nouveaux services. Ainsi, en plus de fournir de l’énergie, l’opérateur peut, seul ou en s’associant à d’autres, imaginer déployer des services de proximité aux seniors ou encore des prestations de sécurité pour des ensembles immobiliers. Pour les entreprises concernées, ce déploiement de nouveaux services suppose d’atteindre une meilleure intégration entre, d’une part, la mise en œuvre de ces services et l’organisation de leur exploitation, et, d’autre part, la fabrication, non seulement de leurs équipements propres (réseaux, capteurs, etc.), mais aussi des territoires urbains dans lesquels ils vont agir et offrir leurs « nouveaux produits ». Autrement dit, il s’agit de mieux maîtriser la chaîne de création de valeur, depuis l’amont de la planification, en assurant l’arrivée et le maintien de clients, jusqu’à l’aval de l’exploitation, en diversifiant les services rendus par l’intermédiaire de leur matériel.

Pour le secteur des services urbains, l’adoption d’un modèle plus serviciel suppose aussi de remettre en cause certains fondamentaux de sa propre construction économique. Historiquement, ce secteur s’est constitué sur les principes théoriques spécifiques du « service en réseau » retravaillés par ces entreprises. Les services en réseau ont été mis en place sur la base d’une reconnaissance du « monopole naturel », compte tenu à la fois de la lourdeur des investissements, des rendements d’échelle croissants et de la présence d’externalités de réseau, permettant d’assurer une fonction sociale de redistribution (Dupuy, 2007 ; Coutard, 2010). Autrement dit, pour faire fonctionner un service en réseau supposant des investissements aussi importants, le consensus s’est établi dès le XIXe siècle sur l’impérative nécessité d’y intégrer tous les usagers (Souami, 2012). Ces derniers bénéficieraient ainsi des économies obtenues par la répartition des efforts sur le plus grand nombre et des rationalisations dans la gestion des réseaux ainsi déployés, en sécurité économique pendant le temps long des concessions.

Ce modèle historique du « monopole local naturel » perd progressivement de sa pertinence et s’affaiblit. Les usagers sont tous connectés et abonnés, mais leurs consommations diminuent, ce qui fragilise le système et ses principes fondamentaux. Ces évolutions envisagées ou amorcées conduisent les entreprises de services urbains à se confronter aux modèles économiques des autres secteurs et à y trouver des modalités d’articulation, voire de constructions économiques, plus englobantes. Comme décrit précédemment, la première proposition consiste à faire des services la finalité des activités d’aménagement, d’équipement et de fabrication des territoires urbains. Toutefois, cela ne suffit pas, et cela redonne à la question des modèles économiques une nouvelle acuité dans les réflexions au sein des ESU.

Une bataille de modèles économiques… et politiques

À partir de ces constats, nous pourrions nous acheminer vers une conclusion qui serait à consolider ou à ajuster par des travaux à venir : les entreprises de services urbains détiendraient une position centrale dans la fabrication et la gestion en construisant un process intégrant élaboration, réalisation, exploitation et usages. Elles pourraient ainsi prendre un rôle dominant, renvoyant les structures d’aménagement et les promoteurs classiques (liés ou non à des entreprises de construction) à des rôles plus secondaires. Elles mobiliseraient pour cela plusieurs atouts : une expertise en matière de gestion et d’exploitation, une longue expérience du design et de l’activité orientée vers les services, une ingénierie financière adaptative et innovante pour répondre aux besoins de financement… L’ensemble semblerait s’organiser à travers un modèle émergent orienté « services », intégrant finalement toute la chaîne de création de valeur, dont la révélation sociale et la monétarisation financière s’opèrent dans l’exploitation et par l’usage. Elle viendrait soutenir socialement, économiquement et techniquement tout le travail de fabrication matérielle. Ce modèle conduirait à une inversion fondamentale du processus de fabrication classique : il faudrait réellement partir des usages pour élaborer, réaliser et exploiter les espaces qui font la ville ; il faudrait réellement repartir des usagers de la ville.

Cette assise par l’usage et les services interdit de limiter l’enjeu à l’élaboration d’un modèle technico-économique et à son acceptation par les autres acteurs. Les limites mêmes des réflexions produites au sein des ESU, les questions auxquelles elles se heurtent le révèlent clairement. Examinons-les.

Au sein des entreprises de services urbains sur lesquelles nous avons enquêté, le terme « modèle économique » recouvre deux significations qui, parfois, sont bien distinguées et d’autres fois confondues. La première concerne le modèle économique des entreprises mêmes, le « modèle d’affaires ». Il permet de résumer toutes les interrogations sur les modalités d’organisation de l’activité de l’entreprise pour atteindre ses équilibres financiers, voire dégager des résultats positifs au regard des critères entrepreneuriaux. La seconde met en valeur le modèle économique d’un secteur, d’une filière ou d’un ensemble d’activités économiques. Elle décrit les rapports internes et externes de cet ensemble en assurant sa croissance et ses équilibres. Une autre signification possible, « modèle de développement » (Du Tertre et al., 2011), est formellement absente, alors que l’aiguillon du développement durable est constamment rappelé. Pourquoi ? La question du développement territorial est considérée par les responsables de ces entreprises16, implicitement ou explicitement, comme étant hors de portée de leurs entreprises et de leur production de connaissance, quel que soit leur niveau d’implication et de préoccupation sur l’état de la société. Cependant, malgré cette absence dans les discours, une observation plus affinée montre que les entreprises abordent de fait la question du modèle de développement des territoires à travers leurs réflexions et leurs expérimentations. Autrement dit, elles tentent de trouver de nouveaux modèles économiques qui dépassent leur périmètre habituel, tout en essayant de le circonscrire de manière à rester dans un espace d’action qui leur semble maîtrisable et légitime pour elles. L’économique ferait bien leur affaire, mais pas le développement des territoires, qui relèverait des responsabilités politiques. En effet, cette question suppose de traiter des conditions de vie et des types de mode de vie sous-tendus par des projets de sociétés différents. Il ne s’agit pas de se restreindre aux conditions économiques qui permettent tel ou tel modèle social et les modes de vie afférents. Ce questionnement se joue des choix sociétaux, qui renvoient à la sphère du politique, au sens à la fois du champ des rapports de force et des processus de décision, et de représentation des biens et des lieux qui relèvent de l’intérêt général et public. Le pas de côté opéré par les ESU par rapport aux organisations classiques rend bien difficile le maintien d’une réflexion limitée au modèle d’affaires ou au modèle économique de filière.

Cet aspect des réflexions sur les modèles économiques et de développement territorial éclaire deux « fonctions » attendues de la fabrication et de la gestion urbaines qui paraissent échapper pour l’instant aux ESU : la valorisation des espaces aménagés et des territoires et la contribution au développement local.

L’aménagement et la gestion des espaces urbains n’ont pas pour seule finalité de fournir des équipements utiles et pratiques. Ils visent aussi la valorisation des espaces aménagés et des territoires. Ils cherchent à leur donner une valeur au sens financier et économique, mais également au sens sociologique et symbolique. La chaîne de valeur inclut l’ensemble de ces aspects, car, sans valorisation sociologique et symbolique, il ne peut y avoir de valorisation financière (Zuindeau et Torre, 2009). De fait, la monétarisation de la valeur d’un aménagement ne rend compte que d’une partie de la valeur attribuée par les usagers et les sociétés locales à leurs lieux de vie (Guelton et Rousseau, 2002 ; Paris, 2001). Or, les entreprises de services urbains ne parviennent pas à appréhender cet ensemble. Elles postulent visiblement que la création de valeur se concrétise ou se monétarise (en partie) dans l’activité de gestion, mais elles ne parviennent pas encore à considérer l’ensemble du processus. La valorisation sociologique et symbolique demeure hors de leur approche, car celle-ci a longtemps été centrée sur le service rendu aux usagers au sens utilitaire (réponse aux besoins). De même, est peu prise en compte la valorisation d’ensemble des territoires urbains : les effets d’image, de qualité, de représentation des lieux de vie dans la ville (Davezies, 2008). Or, les usagers et les collectivités locales sont attentifs non seulement aux espaces aménagés ou gérés mais aussi, plus largement, à leur insertion et à leurs effets sur la totalité des territoires de vie (Gumuchian et Pecqueur, 2007).

A contrario, ces formes de valorisation sociale et territoriale au-delà des lieux et des équipements directement gérés sont bien connues et prises en compte par les aménageurs et les promoteurs immobiliers. Ces derniers les ont intégrées dans leurs approches depuis plusieurs décennies, car elles constituent un des moteurs de leur modèle économique. En résumé, le travail des aménageurs et des promoteurs est, d’une part, d’améliorer la qualité matérielle d’un lieu pour la « verser » à la représentation globale du quartier urbain concerné, et, d’autre part, de faire bénéficier leur périmètre d’aménagement et de construction des aménités et de l’image du territoire urbain au sein duquel s’insère leur projet. Dans leur modèle, ils se rémunèrent sur la monétarisation de cette valorisation réciproque rendue visible par leurs actions. Autrement dit, un aménageur n’est pas payé seulement pour construire des routes et des équipements, mais pour contribuer à une représentation « positive » des lieux aux yeux de leurs futurs usagers – et de l’ensemble des citadins et des citoyens. Cette valorisation sociale et symbolique auprès de tous les individus dont les avis et les actes font la valeur des lieux relève d’un processus contradictoire et ouvert sur les biens communs de l’urbain, c’est-à-dire un processus politique. Les lieux qu’habitent les usagers et les biens qu’ils utilisent ne leur appartiennent pas en propre : ils s’insèrent dans des systèmes de jugements et de valeurs auxquels contribuent tous les citadins. Cet aspect important du travail et du modèle de l’aménagement classique relève donc bien de la dimension politique de la fabrication urbaine (Baraud-Serfaty, 2008) que refuse d’assumer pour l’instant une majorité d’entreprises de services urbains.

La deuxième fonction attendue de la fabrication et de la gestion urbaines concerne la contribution au développement local. Par le passé, les ESU sont parvenues à établir un rapport à la ville, aux citadins et à la société qui, sur la base d’un modèle économico-technique et de micro-pactes sociaux, était inséré dans un échange fournisseur-client. Elles étaient en charge de la gestion au sens de l’exploitation d’installations et de réseaux permettant de fournir des services simples. La nécessité d’aller vers l’aménagement les a conduites à se situer dans la coproduction d’objets publics… et politiques. Or, la création et la gestion de tout un pan de ville ne peuvent être enfermées dans des rapports aussi maîtrisés que pour un réseau d’énergie ou d’eau. Les aménageurs et les promoteurs, en revanche, possèdent cette expérience et cette connaissance.

Le modèle émergent fondé sur le citadin et ses usages accentue encore cette ouverture à la dimension politique, car il ne s’agit plus de réduire cet utilisateur à ses consommations moyennes, bien pratiques pour programmer, réaliser et gérer, tout en le maintenant à distance. La confrontation à la diversité des attentes, des exigences et des rapports de force est plus directe. L’implication dans les enjeux de société est plus difficile à euphémiser et à renvoyer aux grands objectifs des rapports d’activité annuels des entreprises de services urbains.

In fine, les ESU se retrouvent interrogées d’une manière plus fondamentale que ne le laisse penser a priori l’invitation qui leur est faite (ou qu’elles se sont donnée) à se positionner au centre de l’aménagement. La nécessité d’y répondre les a conduites à mettre en place plusieurs dispositifs pour mieux comprendre les processus et les acteurs classiques qui participent à la fabrique urbaine. Au-delà de ces dispositifs, certaines de ces entreprises ont entrepris de mettre en lien plusieurs de leurs filiales pour imaginer et installer les premières offres intégrées, alliant par exemple production énergétique classique, éclairage public, mobilité électrique, etc. tout cela parfois inséré dans un mode de gestion intégré (smart grids).

Ces explorations et débuts d’élaboration conduisent les ESU à penser plus globalement le modèle économique qui leur permettrait ainsi de se transformer en acteur central de l’aménagement. Ils pourraient, pour cela, capitaliser sur une partie de leur savoir-faire désormais fortement demandée : capacité de montage financier et juridique, compétences techniques et, surtout, maîtrise supposée des services aux usagers. Ce dernier point constitue le principal avantage comparatif au regard de ce que savent faire les acteurs classiques de l’aménagement, qui livrent, eux, des bâtiments, des équipements, des bureaux, etc. En même temps, en se rapprochant du cœur du processus d’aménagement, ces entreprises de services urbains se trouvent confrontées à une caractéristique majeure de cette activité qu’est la fabrique urbaine : celle-ci produit des lieux, des espaces et des bâtis de nature publique et politique. Autrement dit, à la différence des réseaux qui sont confinés spatialement et sociologiquement, la production d’ensemble urbain ne peut s’accommoder de modalités de production spatialement discrètes, socialement réservées à certains décideurs et politiquement contenues dans des scènes de contestation maîtrisées.

En se positionnant comme acteur central de la fabrication et de la gestion des espaces de la ville, les entreprises de services urbains se trouvent actrices directes de cette articulation entre la fabrique quotidienne et les perspectives plus lointaines que se donne la société. Elles deviennent plus visiblement responsables pour dire (et faire) au sein de la société ce qui constitue et permet leur développement, bien au-delà des espaces publics et de leurs habitudes de gestion. La question est de savoir si elles souhaitent mener la bataille du modèle de développement territorial au-delà de la bataille des modèles économiques.

1 L’appel à la prise en compte de la gestion plus en amont lors de la conception et de l’aménagement matériel des lieux n’est pas nouveau. Au cours

2 Voir en particulier le programme Activités d’experts et coopérations interprofessionnelles, mis en place par le Plan Urbanisme, Construction

3 Cette démarche consiste à organiser les processus de conception en partant des services finaux que l’on souhaite rendre à des usagers finaux.

4 Les processus de conception et de fabrication en architecture et en urbanisme sont l’objet d’interrogations sur la relative fragmentation de leurs

5 Nous utilisons ici le terme « organe » pour deux raisons. Les « entités » ou « éléments » que nous décrivons sont bien une composante « 

6 Vinci Concessions est le premier opérateur européen de concessions d’infrastructures de transport. L’entreprise possède trois filiales agissant dans

7 Électricité de France est le leader mondial des énergies bas carbone. Le groupe EDF rassemble tous les métiers de la production, du commerce et des

8 Extrait de l’entretien réalisé avec le chef de projet.

9 Eiffage regroupe les métiers de la construction et de l’immobilier, du génie civil, du métal et de la route, de l’énergie et des concessions. Chaque

10 Spécialiste de la valorisation des déchets depuis 1922, le groupe TIRU (originellement : Traitement industriel des résidus urbains) conçoit

11 Rappelons que, depuis plus d’une dizaine d’années, les quantités d’eau consommées sont en stagnation en France et en baisse dans plusieurs aires

12 Les opérationnels sont les directeurs régionaux, les chefs d’agences locales et les techniciens de terrain. Les premiers sont en particulier

13 C’est-à-dire un acteur spécialisé dans un secteur, utilisant un process de production unique. Un pure player ne va pas diversifier ses activités

14 Souami T., 2016, La Dimension économique dans les écoquartiers. Enjeux opérationnels et théoriques, ministère du Logement ; Kasdi I., Souami T.

15 Voir le projet ANR Syracuse, 2012-2015, Sous la direction d’Olivier Coutard.

16 Il s’agit ici de plusieurs directeurs adjoints, des directeurs régionaux, des directeurs de filiales et des responsables des think tanks ou

Arab N., 2001, « La coproduction des opérations urbaines : coopération et conception », Espaces et sociétés n° 105, p. 57‑81.

Baraud-Serfaty I., 2008, « La ville est-elle encore publique ? Capitales et capitaux. Lorsque les entreprises font la ville », D’architectures n° 169, p. 37‑50.

Buclet N., Bourg D., 2005, « L’économie de fonctionnalité : changer la consommation dans le sens du développement durable », Futuribles n° 313, p. 27‑37.

Carassus J., 1992, Les Filières de construction, Presses de l’École des ponts, Paris.

Carassus J., Duplessis B., 2010, Économie et développement urbain durable. Modèles économiques appliqués à la ville. Financement et coût de l’investissement durable, Presses des Mines, Paris.

Coutard O., 2010, « Services urbains : la fin des grands réseaux », dans O. Coutard et J.‑P. Levy (dir.), Écologies urbaines, Economica/Anthropos, Paris.

Coutard O., Rutherford J., 2009, « Les réseaux transformés par leurs marges : développement et ambivalence des techniques “décentralisées” », Flux n° 76-77, p. 6‑13.

Coutard O., Rutherford J., 2010, « Post-networked cities: recombining infrastructural ecological and urban transitions », dans H. Bulkeley, V. Castan Broto, V. Hodson et al., Cities and Low Carbon Transitions, Routledge, p. 107‑125.

Criqui, P., Thoulouze, D., 2011, « L’énergie, l’environnement et l’aménagement durable », dans D. Bloch (éd.), Grenoble, cité internationale, cité d’innovations : rêves et réalités, Presses universitaires de Grenoble, p. 87‑97.

Davezies L., 2008, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Le Seuil, Paris.

Du Tertre C., 2010, « Économie de la fonctionnalité, un développement plus durable », Cahiers de l’IAU Île-de-France n° 156, p. 69‑72.

Du Tertre D., Gaglio G., Lauriol J. (dir.), 2011, L’Économie de la fonctionnalité : une voie nouvelle vers un développement durable ? Octares, Toulouse.

Dupuy G., 2007, L’Urbanisme des réseaux, Armand Colin, Paris.

Guelton S., Rousseau, M.-P., 2002, Bilan économique globale d’une opération d’aménagement, OIEL/Club ville et aménagement, Paris.

Gumuchian H., Pecqueur B., 2007, La Ressource territoriale, Économica, Paris.

Llorente M., Vilmin T., 2011, « Nouveau regard sur l’aménagement », Études foncières n° 153, p. 23‑30.

OCDE, 2001, La Nouvelle Économie : mythe ou réalité ?

Paris R., 2001, Le Bilan global d’aménagement, SCET/Club ville et aménagement, Paris.

Pecqueur B., Brochet A., 2013, Le Service public d’eau potable et la fabrique des territoires, L’Harmattan, Paris.

Souami T. et Kasdi I., 2013, Économie de la ville durable, rapport de recherche, ADEME.

Souami T., 2010, Environnement et aménagement urbain, habilitation à diriger des recherches, université Paris Est.

Souami T., 2012, « Récupération et utilisation de la pluie : un éclairage sur l’enfermement décisionnel et économique de la gestion de l’eau », Flux n° 88, p. 7‑18.

Zuindeau B., Torre A., 2009, « Les apports de l’économie de la proximité aux approches environnementales : inventaire et perspectives », Natures, Sciences, Sociétés n° 17, p. 349‑360.

1 L’appel à la prise en compte de la gestion plus en amont lors de la conception et de l’aménagement matériel des lieux n’est pas nouveau. Au cours des dernières décennies, il a suscité différentes propositions théoriques ou méthodologiques : démarches d’intégration des utilisateurs au travail de programmation et de conception dans les années 1970 et 1980, ou encore approche en coût global depuis les années 1990. En France, toutes ces idées sont restées à l’état de propositions ou, au mieux, ont été expérimentées ponctuellement. Elles n’ont pas trouvé de mise en œuvre pratique.

2 Voir en particulier le programme Activités d’experts et coopérations interprofessionnelles, mis en place par le Plan Urbanisme, Construction, Architecture (ministère de l’Équipement) entre 2002 et 2005, dont les principaux résultats ont été valorisés par le réseau Ramau.

3 Cette démarche consiste à organiser les processus de conception en partant des services finaux que l’on souhaite rendre à des usagers finaux. Partant de ces services, il s’agit d’abord d’organiser le processus de conception (ses acteurs, son planning, ses méthodes…) et d’en orienter les contenus et les résultats pour produire des espaces ou des objets facilitant la réalisation de ces services.

4 Les processus de conception et de fabrication en architecture et en urbanisme sont l’objet d’interrogations sur la relative fragmentation de leurs acteurs, outils, matériaux et sur leur déroulement. Les réflexions sur l’intégration visent à comprendre ce qui fait ou permet la cohérence de ces processus, ce qui peut en conforter la coordination et la continuité entre leurs acteurs et composantes. Plus précisément, l’intégration dans les processus de fabrication urbaine concerne les liens directs entre la programmation, le design des formes urbaines et architecturales, le montage juridique et financier, la mise en œuvre opérationnelle, etc. Donc il s’agit d’une intégration « interne » des composantes et des acteurs qui réalisent les processus de conception et de fabrication.

5 Nous utilisons ici le terme « organe » pour deux raisons. Les « entités » ou « éléments » que nous décrivons sont bien une composante « organiquement » liée aux entreprises qui les ont créés. Celles-ci n’ont pas choisi de commander une étude externe ou de s’adosser, selon les besoins, à un bureau d’études ou de conseil. Par ailleurs, la diversité des formes adoptées rend inadaptée l’utilisation d’un terme spécifique : département, service, filiale… Le mot « organe » est suffisamment générique pour couvrir ces différents statuts tout en décrivant leur situation et leur rôle dans l’entreprise.

6 Vinci Concessions est le premier opérateur européen de concessions d’infrastructures de transport. L’entreprise possède trois filiales agissant dans les domaines de l’énergie, de la construction et de la gestion. Ses 171 828 collaborateurs sont intervenus sur 270 000 chantiers dans une centaine de pays en 2016. Cette même année, son chiffre d’affaires a atteint 33 milliards d’euros.

7 Électricité de France est le leader mondial des énergies bas carbone. Le groupe EDF rassemble tous les métiers de la production, du commerce et des réseaux d’électricité. L’entreprise compte près de 155 000 employés et réalise un chiffre d’affaires de près de 40 milliards d’euros dans une trentaine de pays.

8 Extrait de l’entretien réalisé avec le chef de projet.

9 Eiffage regroupe les métiers de la construction et de l’immobilier, du génie civil, du métal et de la route, de l’énergie et des concessions. Chaque année, ses 64 000 collaborateurs travaillent sur 100 000 chantiers réalisés. En 2016, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 14 milliards d’euros.

10 Spécialiste de la valorisation des déchets depuis 1922, le groupe TIRU (originellement : Traitement industriel des résidus urbains) conçoit, construit et exploite des unités de traitement thermique, biologique et matière en France, en Grande-Bretagne et au Canada. Acteur majeur sur son secteur, il possède soixante années d’expériences cumulées dans l’exploitation d’unités de traitement. TIRU est une filiale du groupe EDF depuis 1946 et une filiale de Dalkia depuis mai 2016.

11 Rappelons que, depuis plus d’une dizaine d’années, les quantités d’eau consommées sont en stagnation en France et en baisse dans plusieurs aires géographiques et certains secteurs industriels. Ces réductions de consommation résultent d’efforts importants dans les process industriels, mais aussi dans l’équipement des bâtiments, qu’ils soient destinés à la production, au travail ou à l’habitat. Cette situation pose problème aux entreprises de l’eau, dont l’activité et le chiffre d’affaires dépendent directement ou indirectement des quantités consommées.

12 Les opérationnels sont les directeurs régionaux, les chefs d’agences locales et les techniciens de terrain. Les premiers sont en particulier invités à imaginer de nouvelles offres pour maintenir le niveau d’activité malgré la baisse des quantités consommées. Les directions centrales leur proposent notamment d’élaborer des offres intégrées alliant par exemple production locale de l’énergie, programme d’économie, éclairage public et mobilité électrique. Toutefois, ces responsables locaux en charge de maintenir le niveau d’activité en obtenant régulièrement des contrats et des commandes se trouvent en difficulté pour changer de modèle tout en maintenant cette activité contractuelle.

13 C’est-à-dire un acteur spécialisé dans un secteur, utilisant un process de production unique. Un pure player ne va pas diversifier ses activités mais renforcer sa spécialisation.

14 Souami T., 2016, La Dimension économique dans les écoquartiers. Enjeux opérationnels et théoriques, ministère du Logement ; Kasdi I., Souami T., 2014, Retombées et externalités socio-économiques des écoquartiers sur les territoires. Analyse du cas lillois, ministère du Logement ; Kasdi I. Souami T., 2011, Les Montages juridiques et financiers des opérations d’aménagement durable, Programme ÉcoQuartier du ministère du Développement durable.

15 Voir le projet ANR Syracuse, 2012-2015, Sous la direction d’Olivier Coutard.

16 Il s’agit ici de plusieurs directeurs adjoints, des directeurs régionaux, des directeurs de filiales et des responsables des think tanks ou organismes divers présentés dans la première partie de cet article.

Taoufik Souami

Taoufik Souami est codirecteur de l’École d’urbanisme de Paris – LATTS, université Paris Est Marne-la-Vallée. Architecte-urbaniste de formation, parallèlement à une activité en agence d’urbanisme, il a conduit une thèse et des recherches sur les pratiques urbanistiques. Il a en particulier codirigé avec Éric Verdeil un programme et un ouvrage sur les milieux de l’urbanisme dans le sud et l’est de la Méditerranée. Il a initié et conduit plusieurs recherches sur l’intégration de l’environnement et du développement durable dans les pratiques d’aménagement urbain en Europe ainsi que sur le montage et la conduite des opérations d’aménagement ou encore leurs modèles socio-économiques.
Contact taoufik.souami@u-pem.fr

Articles du même auteur