Les services de la communauté d’agglomération Plaine Commune sont engagés, depuis plus de dix ans, dans la mise en place d’une stratégie de prévention, de réduction des risques et d’optimisation de la gestion ultérieure des logements neufs. Ingénieure agronome et titulaire d’un master en management public territorial, Véronique Guillaumin a occupé le poste de chef du service hygiène-habitat de la ville de Saint-Denis pendant douze ans, puis celui de directrice de l’habitat de Plaine Commune entre 2004 et 2012. Elle est depuis déléguée générale de l’association Forum des politiques de l’habitat privé. Elle témoigne ici de l’évolution des processus de production de logements privés neufs suite à la mise en place d’une convention qui permet d’anticiper les modalités de gestion lors de la conception.
Plaine Commune, un territoire en mutation
Cette communauté d’agglomération du Nord parisien, constituée de neuf communes, compte plus de 400 000 habitants. En 2003, environ 14 000 logements indignes sont recensés sur ce territoire, dont plus de 70 % concentrés à Saint-Denis et à Aubervilliers.
Au début des années 2000, à la suite des projets de requalification du quartier du Stade de France, le territoire de la collectivité gagne en attractivité chez les promoteurs privés. La commune de Saint-Denis est particulièrement concernée, avec un quadruplement du nombre de logements mis en chantier entre 2003 et 2006. Les services municipaux engagent alors une réflexion pour éviter de produire « des copropriétés défaillantes », qui débouche sur un courrier adressé en juin 2003 « à l’ensemble des promoteurs du territoire pour les alerter sur les dérives potentielles que pouvait entraîner une hausse foncière ». Dans cette circulaire, la municipalité fixe un prix plafond de 305 €/m² SHON, afin de permettre d’assumer « des coûts de travaux conséquents » et d’investir dans la qualité des constructions.
Une démarche préventive basée sur l’expérience de gestion des copropriétés
Par ce courrier, le service communal hygiène-habitat de Saint-Denis s’est engagé dans une « démarche de prévention » des risques de défaillance dans la gestion des nouvelles copropriétés. Forts d’une longue expérience en matière de logements privés (intervention dans des OPAH, opérations RHI1, multiples procédures d’insalubrité, etc.), les services municipaux ont mis en place une liste de recommandations. Celles-ci portent, d’une part, sur des considérations spatiales telles que la taille des copropriétés, limitée à 50 lots avec 5 logements maximum distribués par palier, et, d’autre part, sur des préconisations d’ordre économique, comme la commercialisation en direction des propriétaires occupants afin de favoriser leur investissement dans la vie de la copropriété (voir ci‑dessous).
Liste des recommandations pour les constructions de logements privés neufs mise en place par le service hygiène‑habitat de Saint‑Denis
Limitation de la taille des copropriétés à 50 lots.
- Limiter le nombre de copropriétaires concernés dans le cas où la copropriété bascule en raison de difficultés financières d’un ou plusieurs copropriétaires
- Garder une échelle humaine favorisant l’appropriation par chacun.
Cinq logements maximum distribués par niveau.
- Lutter contre les corridors impersonnels (effet « hôtel »)
- Limiter l’usure des parties communes et donc les frais d’entretien
(moins de passage entraîne une usure moindre)
Typologie des appartements variée, avec une taille moyenne
de 60 m² habitables.
- Favoriser l’emménagement de familles et leur ancrage local.
- Répondre à des besoins divers, offrir un panel diversifié.
Commercialisation des logements en direction des propriétaires occupants.
- Favoriser leur implication, leur investissement dans leur bien et dans la vie de la copropriété.
- Limiter les produits investisseurs, les copropriétaires bailleurs plus attachés au rendement locatif qu’à l’entretien régulier de la copropriété.
Limitation des charges induites (performance thermique exigée supérieure à la RT 2005, éclairage naturel maximum, y compris des parties communes et des parkings…).
- Alléger les coûts de fonctionnement pour les futurs occupants.
- Optimiser l’ambiance ressentie, la sécurité passive (voir et être vu).
Porter attention à l’histoire locale (écriture architecturale, choix des matériaux…).
Optimiser l’insertion du projet dans le site.
Après le transfert de la compétence « habitat » à la communauté d’agglomération en 2004, ces recommandations de 2003 sont étendues à l’ensemble des villes de Plaine Commune et étoffées : le volet énergétique, par exemple, est renforcé. Elles sont alors regroupées dans la Charte qualité adoptée en 2006.
À l’occasion de l’élaboration du PLH (programme local de l’habitat), des ateliers « constructions neuves » sont mis en place pour « échanger avec les promoteurs et bailleurs sociaux sur les évolutions à apporter à la charte ». Des réflexions sur l’amélioration du volet juridique de la copropriété sont menées avec des promoteurs et des syndics. Ces modifications sont alors adoptées dans le cadre de la Convention qualité constructions neuves et réhabilitation en juin 20112.
L’anticipation de la gestion, source de bouleversements organisationnels
La convention engage l’ensemble des parties prenantes dans la construction de logements neufs sur des objectifs de qualité de produit, d’usage et de gestion. Véronique Guillaumin relate les tensions intervenues lors du processus de négociation sur les objectifs de qualité, qui, selon elle, font apparaître des divergences d’intérêts entre les acteurs. Elle souligne notamment la prégnance d’une « culture de l’image et de l’immédiateté » chez les aménageurs et les concepteurs, « au détriment de l’usage ultérieur et de la pérennité du bâtiment ». La convention a constitué, dans ce contexte, un outil pour convaincre les partenaires de la collectivité de l’intérêt de penser les futurs usages et les modalités de gestion dès les phases amont de définition.
La convention s’inscrit ainsi dans une stratégie de prévention des risques en constituant un cadre de référence des pouvoirs publics pour l’octroi des permis de construire. L’engagement des promoteurs par la signature de la convention en amont de la conception les oblige à prendre acte des préconisations de la collectivité lors des phases de commercialisation, de chantier et de livraison.
Chaque projet est discuté avec l’opérateur, l’architecte et l’ensemble des élus et des services municipaux et intercommunaux concernés. La collectivité a également consulté les habitants via une enquête de satisfaction. Les professionnels de l’entretien et de la gestion de proximité sont, dans ce cadre, des intermédiaires cruciaux pour faire remonter le vécu des copropriétaires.
Ainsi, le témoignage de Véronique Guillaumin permet de retracer l’évolution d’une démarche de prévention engagée à l’échelle municipale (Saint-Denis) sous forme de recommandations, jusqu’à la mise en place d’une convention applicable à l’échelle de Plaine Commune. Il souligne également les changements que suscite cette démarche dans l’organisation du processus de production de logements neufs. D’autres territoires ont engagé des expérimentations similaires. On peut notamment citer les Chartes qualité durable à Bordeaux (33) et à Aulnay (93), la Charte de l’aménagement et de l’habitat durables de la communauté urbaine de Strasbourg (67) ou le Guide des opérations d’aménagement de Vannes Agglo (56).