Bien que la participation citoyenne soit loin d’être un phénomène récent, le développement d’un « impératif participatif » (Blondiaux, Sintomer, 2002), exacerbé au cours de la dernière décennie en France, a poussé nombre d’institutions à s’emparer d’un phénomène de prime abord contraignant, pour le réinterpréter au prisme d’une éthique renouvelée. Dépassant l’optique fonctionnaliste de régulation du conflit, qui a présidé à sa genèse dans les années soixante-dix dans le domaine de l’urbain, la participation relève désormais d’une volonté de gouvernance élargie, reposant sur de nouvelles manières de faire non plus pour ou contre, mais avec les habitants. L’enjeu pour les institutions locales est dès lors d’aller au-delà d’une pratique strictement réglementaire de la participation, pour faire de leur territoire un terrain d’expérimentation de nouvelles manières de faire, plus inclusives et mieux intégrées dans le processus qui mène à la décision.
La participation citoyenne a cela de spécifique qu’elle constitue une activité non normalisée, reposant sur des processus inédits, à la rencontre de sujets et de contextes socio-historiques singuliers. Sa constitution comme champ technique et cognitif repose donc sur de véritables savoirs d’action (Barbier, Galatanu, 2004) fondés sur l’expérience, et sa traduction via le récit et l’analyse. Les « professionnels de la participation » jouent dès lors un rôle particulièrement structurant pour la conduite de processus participatifs et, partant, pour le développement d’une culture locale en la matière. Il s’agira de nous pencher sur les spécificités de ces professionnels comme de leurs modalités d’action, afin de comprendre la manière dont ils entrent en capacité d’agir au sein des institutions et d’en influencer les modes de faire.
L’échelon de l’intercommunalité constitue le terrain privilégié de cette étude. Son intérêt repose sur des pratiques qui apparaissent d’autant plus volontaristes que les contraintes réglementaires1 et la reconnaissance de l’institution communautaire dans l’espace public sont faibles. Notre propos sera éclairé par les premiers résultats d’une recherche doctorale2 menée au sein de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), qui fait montre depuis quelques années d’un dynamisme singulier en matière de participation citoyenne. Dans ce cas d’espèce, le déploiement de cette pratique repose sur une pluralité d’acteurs aux logiques diversifiées : une cellule dédiée3, en interaction constante avec les agents territoriaux « techniques » comme avec les consultants recrutés dans le cadre de démarches ad hoc.
Il s’agira ici d’effectuer un tour d’horizon de ces trois catégories de professionnels impliqués dans l’ingénierie de la participation institutionnelle, afin d’appréhender leur identité et leur rôle, mais aussi de mettre en exergue leur potentiel d’influence sur la culture locale de la participation, définie comme un ensemble de pratiques et de valeurs liées à un territoire. Nous verrons ainsi comment l’expérience de la participation favorise une « montée en conviction » des agents territoriaux et fait évoluer leur perception quant aux modalités de l’action publique ; comment les agents responsables de la participation jouent un rôle stratégique dans la structuration de la ligne de conduite de l’institution, au-delà de la capacité d’action que leur confère leur mission ; comment, enfin, les consultants spécialistes de la participation sont en capacité de faire évoluer la culture démocratique locale à travers un jeu de postures. En conclusion, nous verrons que la capacité d’influence de ces acteurs ne se limite pas à l’échelle du local, mais participe de la structuration même du champ de la participation citoyenne comme référentiel d’action et objet de recherche.
« Montée en conviction » des agents techniques et remise en cause des modalités traditionnelles de l’action publique
L’évocation des professionnels de la participation au niveau institutionnel a tendance de prime abord à renvoyer aux figures de l’agent dédié ou du consultant spécialisé. C’est pourtant oublier qu’il existe un grand nombre d’agents dont tout ou partie de la mission est consacrée à la gestion de dispositifs participatifs. Ceux-ci présentent des niveaux d’expérience divers, qu’ils aient à satisfaire couramment aux obligations réglementaires de participation, dans le domaine de l’urbanisme notamment, ou à mener des démarches sur mesure sur des sujets moins habituels, relatifs à l’évolution de politiques communautaires par exemple. Dans le cas de la communauté urbaine de Bordeaux, qu’ils mènent de front la conduite de dispositifs participatifs ou soient appuyés de spécialistes, ces agents n’en demeurent pas moins les pilotes d’une pratique qu’ils abordent avec plus ou moins de scepticisme selon, semble-t-il, l’expérience qu’ils en ont. Pour les acteurs novices, la concertation est principalement appréhendée comme une contrainte, remettant en cause leur expertise technique, complexifiant le processus et allongeant le temps du projet. Les plus aguerris en revanche, qu’ils y aient été confrontés une fois ou aient à s’y conformer de manière courante, semblent s’y être aisément « convertis ». Les moteurs de cette appropriation sont dès lors à interroger comme vecteurs d’évolution des pratiques.
Dans un contexte volontariste de déploiement de la participation, la montée en compétence des agents territoriaux apparaît centrale. Appréhendée de manière exogène, elle emprunte deux voies de développement : la sensibilisation en interne, et la formation de professionnalisation, dont l’offre s’accroît de façon importante ces dernières années4. Leurs effets s’avèrent pourtant limités : la sensibilisation aux vertus de la participation peine à convaincre et se heurte à une résistance naturelle face à la remise en cause de « la manière dont on a toujours fait » ; la formation apporte des bases méthodologiques auxquelles les ingénieurs sont sensibles, mais présente le biais d’induire un raisonnement instrumental par les outils, déconnecté de toute réalité pratique et contextuelle.
D’autre part, l’ouverture des agents publics à la participation dépendrait d’une prédominance des bénéfices instrumentaux sur les risques encourus. Ainsi, la perspective d’une plus grande acceptabilité sociale des politiques publiques, de l’émergence d’idées innovantes ou d’un gain d’efficacité via la prise en compte de l’expertise d’usage, serait-elle engageante malgré la contrainte de vulgarisation de l’information ainsi que le risque de perte de temps ou de contrôle sur l’évolution de l’objet du débat5. En ce sens, l’analyse de terrain montre que, si la participation n’a que rarement une influence notable sur le projet, elle génère en revanche des effets périphériques souvent bien identifiés par les agents, qui tendent à impacter de façon positive leur approche a posteriori. Questionnés sur leur appréhension du changement induit par la participation sur la conduite du projet6, des cadres de la CUB y ayant récemment été confrontés pointent des éléments éclairants : des vertus liées à la mise à l’agenda du sujet et à la montée en compétence des élus et associations (concertation sur le mode de gestion des transports en commun) ; une meilleure compréhension des enjeux auxquels sont confrontés des élus (médiation autour de la démarche prospective « 50 000 logements nouveaux autour des axes de transports publics ») ; une source d’enrichissement du projet ou des arguments pour le motiver (concertation sur le PLU communautaire) ; un besoin impératif de pédagogie et de reformulation des objectifs en des termes non techniques, ce qui est éclairant et positif pour le projet (concertation sur la refonte de la politique de l’eau et de l’assainissement).
De surcroît, le constat des imperfections des pratiques de concertation ne semble pas décourager les agents territoriaux mais générer une dynamique nouvelle, les engageant dans un rôle nouveau d’entrepreneur pour leur institution. Comme le note Lise Monneraud quant au cas bordelais : « Leurs intérêts professionnels convergent avec ceux de la CUB, puisque les agents comme l’institution tireraient d’une meilleure participation une reconnaissance supérieure dans le processus d’élaboration des espaces urbains. » (Monneraud, 2010, p. 119). Ce changement de regard dépasse donc le cadre de l’exercice ciblé, et induit plus largement une réflexivité de ces acteurs quant aux modalités de l’action publique. En atteste ce témoignage de l’un d’entre eux, suite à une première expérience de participation citoyenne :
« Cela change complètement les paradigmes de la décision publique. C’est une véritable étape qu’il faut intégrer dans un processus décisionnel classique en réinterrogeant la place de la décision des élus et le positionnement de l’avis des publics concertés par rapport à cette décision.7 »
La dimension empirique de la participation mènerait donc à une « montée en conviction » des agents territoriaux et, partant, à l’appropriation de cette pratique dans une logique de « transformation cumulative » de l’action publique (Palier, 2005). A l’inverse d’un changement idéologique radical, la participation se développerait comme un nouveau mode de faire éprouvé, vecteur de diffusion d’une nouvelle logique au sein du système. Par l’intermédiaire de leurs pratiques, les agents territoriaux joueraient dès lors un rôle dans l’infusion d’une culture de la participation à l’échelle de l’institution.
Agents dédiés à la participation et pouvoir d’influence stratégique
Si l’on observe que les démarches réglementaires courantes peuvent être menées à bien par des agents sans autre expertise spécifique que leur expérience propre, le développement de pratiques participatives plus volontaristes, en tension entre expérimentation méthodologique et nécessité d’efficience, s’ancre quant à lui dans des compétences singulières. Les institutions se dotent alors d’agents spécialistes de la participation8, dont le savoir-faire est souvent mobilisé dans le cadre d’une double mission : opérationnelle, de coordination et d’appui à la mise en œuvre des démarches participatives, et didactique, pour le déploiement d’une culture partagée en interne. L’intégration de ces professionnels constitue en outre un signe positif quant à la probité des objectifs politiques poursuivis, puisque leur rôle est en partie d’assurer le lien entre les résultats de la participation et la prise de décision (Gourgues, 2009).
Des potentiels d’action variables...
Ceci étant dit, leur place au sein de l’institution ne va pas nécessairement de soi. Le potentiel d’action des agents dédiés à la participation apparaît en effet lié à leur position dans l’architecture institutionnelle d’une part, et à la place occupée par la politique d’autre part. Un fort volontarisme des élus, une activité centralisée au sein d’une entité transversale dédiée plutôt qu’essaimée au sein de différentes directions, un lien direct avec le directeur général des services (DGS) plutôt qu’une localisation dans le bas de l’organigramme et la mise à disposition d’un budget propre semblent ainsi constituer autant d’éléments en faveur de la capacité d’action de ces acteurs. Pour autant, l’analyse du cas de la communauté urbaine de Bordeaux nous permet de formuler l’hypothèse d’un lien entre les marges de manœuvre opérationnelles et didactiques dont ils disposent et le cadre politique et organisationnel dans lequel ils s’inscrivent.
L’intégration d’agents dédiés à la participation est relativement récente à la CUB9. Elle se formalise aujourd’hui à travers une « cellule participation », côtoyant Agenda 21 et évaluation environnementale au sein d’une direction transversale plus largement axée sur le développement durable. Si, sur le papier, ses missions sont bien d’ordre à la fois opérationnel et didactique, l’essentiel de son activité s’avère en réalité d’ordre opérationnel. Cela peut d’abord s’expliquer par la posture de la cellule participation au sein de l’administration, qui apparaît peu avantageuse : faible dimensionnement au vu de son ambition ; éloignement par rapport à l’autorité du DGS, problématique en termes de traduction des objectifs politiques ; faible visibilité, peu propice à la circulation de l’information ; absence de ligne budgétaire propre. De là découle un potentiel didactique réduit, dont témoigne la prégnance de la place accordée à la direction du Conseil de développement durable10 sur ces questions. Ensuite, l’importance du portage politique de la thématique participative, à laquelle le président de la CUB est particulièrement sensible, se traduit par la passation de « commandes » à la cellule participation. Celles-ci ciblent les sujets à soumettre au débat public, mais disent paradoxalement peu sur ses objectifs. Dès lors, les agents en charge de la participation bénéficient de marges de manœuvre significatives en matière de traduction de la commande politique. S’ils ont une capacité d’initiative restreinte quant aux objets à mettre au débat, leur potentiel d’action vis-à-vis de la conception des démarches ad hoc en termes de méthodes, moyens et finalités est en revanche important.
L’éclairage apporté par ce cas d’espèce nous permet de proposer une typologie caractérisant quatre situations d’exercice des agents dédiés à la participation, au regard de leur degré d’intégration administrative d’une part, et de l’importance du portage politique de cette thématique d’autre part (figure 1)11. Selon cette classification, les agents en charge de la participation au sein de la CUB seraient dans une posture « proactive », plus aptes à influencer directement les pratiques de l’institution qu’à agir sur la formation des agents techniques et la diffusion d’une culture partagée en interne.
...mais des professionnels par nature stratégiques
Le potentiel d’action octroyé par l’institution est une chose, mais les caractéristiques attachées à une profession en sont une autre. Ainsi, plusieurs éléments donnent à penser que les agents dédiés à la participation, même limités dans leur autonomie, ont pour eux une importante capacité d’influence du système. Ils font d’abord montre d’une distance critique vis-à-vis de leurs pratiques, gage de réflexivité et d’amélioration continue. Ils exercent en outre une veille constante sur les connaissances produites dans leur champ d’activité : retours d’expériences participatives conduites en France et à l’international, études nationales et productions de chercheurs notamment. Ce lien avec le milieu de la recherche, tout à fait caractéristique des professionnels de la participation, se traduit par une assimilation de ses concepts (« top-down/bottom-up », « syndrome Nimby », échelle d’Arnstein, par exemple), dont on note par ailleurs une appropriation progressive par les agents techniques.
Ensuite, le rôle des agents en charge de la participation dans la traduction de la commande politique passe par une contribution à la formalisation écrite d’objectifs en amont des démarches (via la rédaction de cahiers des charges à destination de consultants ou de supports de communication), et d’enseignements en aval (retours d’expériences, rapports d’activité) qui tendent à caractériser l’approche promue par l’institution. Ils prennent ainsi part à la structuration d’une doctrine faisant état d’objectifs et de valeurs spécifiques12, qui apparaît susceptible d’influencer la culture locale à deux niveaux : coélaborée et appropriée par les agents techniques, elle contribue à l’infusion d’une culture professionnelle commune en interne ; promue par la communication institutionnelle, elle vient renforcer le message politique et concourt à la construction d’une identité territoriale singulière. Partant, les agents en charge de la participation citoyenne disposent d’un pouvoir d’influence du système de l’intérieur, non plus dans une logique d’action stratégique cadrée par une mission, mais bien d’acteurs stratégiques au sens sociologique du terme (Crozier, Friedberg, 1977). Le responsable de la participation de la CUB l’exprime d’ailleurs très bien : « On est dans les courroies de distribution du système, on peut faire évoluer les choses. »
Consultants externes et inflexion de la culture locale
La troisième catégorie des professionnels impliqués dans la mise en œuvre de la participation institutionnelle est celle des acteurs privés et associatifs, que nous désignerons de façon générique par le terme de « consultants ». Leur posture est sensiblement différente de celle des professionnels évoqués précédemment, en ce qu’elle s’inscrit non plus dans une logique institutionnelle, mais dans une logique de marché. Employés par le biais d’appels d’offres pour des missions ponctuelles liées à la mise en œuvre de démarches ad hoc, ils apportent aux institutions un surplus de moyens humains, mais surtout une expertise singulière en matière de participation : expérience des outils et du terrain, capacité de traduction des enjeux du débat, animation et gestion des dynamiques locales. En outre, leur externalité par rapport au système (voire au territoire) constitue un gage de relative neutralité vis-à-vis des intérêts en jeu dans les démarches de participation, un atout, donc, en faveur de la dépolitisation et de l’efficacité des débats.
Des approches diversifiées relevant d’un milieu hybride
L’essor de la participation institutionnelle semble directement lié à la naissance de ce type de consultants comme à leur diversité. Il a en effet généré l’ouverture d’un marché nouveau, qui a contribué à la professionnalisation de certains acteurs comme à la spécialisation de métiers préexistants. Les acteurs d’origine, généralement issus de la sphère militante, se sont ainsi vus concurrencés par l’investissement du champ de la participation par des professionnels de formations diverses, originaires des milieux de l’ingénierie sociale, de l’urbanisme, de la communication, de la recherche en particulier (Nonjon, 2005). Dès lors, cela induit l’adoption par ces professionnels de stratégies de démarcation, qui se traduisent par des postures différenciées vis-à-vis de la commande publique.
Les missions qui leur sont proposées peuvent être à géométrie variable, depuis la simple animation d’un dispositif participatif jusqu’à l’aide à l’élaboration et/ou à l’évaluation de démarches globales. Bien que le cadre de la commande soit généralement bien défini et ne leur laisse qu’une marge d’initiative réduite, les réponses des différents consultants aux appels d’offres laissent transparaître une diversité significative d’approches. Celle-ci semble non seulement résulter de stratégies de démarcation, mais également de valeurs spécifiquement liées à leur origine professionnelle. Sur la base d’une étude approfondie du phénomène de professionnalisation de ces acteurs, Magali Nonjon13 propose d’en distinguer deux pôles, qui se définissent eux-mêmes comme des « conseillers » d’un côté et des « médiateurs » de l’autre. Ainsi, les acteurs du premier pôle considèrent avant tout la participation comme un outil d’aide à la décision14 et affectionnent les dispositifs du type réunion publique ou enquête, pour lesquels la question du nombre de participants est centrale. Ceux du second l’appréhendent comme un moyen de redistribution de pouvoir aux citoyens et privilégient la dimension didactique des dispositifs dans une logique de capacitation15 (par la valorisation du témoignage et la construction de référentiels communs).
Cette distinction est aisément identifiable chez les consultants mobilisés par la communauté urbaine de Bordeaux. Elle peut également être explicitée par la différenciation entre une posture de « mise au service du commanditaire » dans une logique d’animation, et de « mise au service du processus », en vue de la création d’une dynamique pérenne. Comme l’affirme une consultante que l’on considère appartenir au pôle des « médiateurs16 » :
« En tant que tierce partie, notre posture est vraiment d’être au service d’une dynamique de concertation sur un territoire. Pour nous, c’est la qualité du processus qui induit la légitimité démocratique de la production issue de la concertation. Tenir le processus de manière distanciée par rapport au commanditaire est donc le meilleur service à lui rendre. En revanche, se mettre à son service dans une logique d’animation où tout serait bordé, contrôlé, peut lui donner satisfaction à court terme mais risquerait d’avoir des impacts négatifs, et ce non seulement pour la maîtrise d’ouvrage, mais aussi sur le territoire même, à moyen ou long terme. »
Une tension créatrice
Les consultants appartenant au pôle des « médiateurs » semblent donc privilégier une approche éthique à la logique de marché, considérant que la légitimité d’une démarche participative ne découle pas tant de celle du commanditaire que de la qualité démocratique du processus. Cela se traduit par des propositions méthodologiques dépassant souvent le cadre de la commande, ainsi que par des pratiques privilégiant une approche « ingénierie sociale » génératrice de dynamique citoyenne plutôt qu’une approche instrumentale axée sur les dispositifs. Néanmoins, si cette posture peut amener ce type de professionnels à entrer en tension avec le commanditaire, c’est bien dans l’optique de servir l’ambition commune de développement pérenne d’une culture de la participation sur le territoire. Pour l’institution locale, la collaboration avec ce type de consultants nécessite donc d’accepter d’avoir une maîtrise moindre des processus participatifs. Elle témoigne néanmoins d’une ambition qualitative et d’une réelle volonté d’apprentissage. Dès lors, l’influence exercée par ces consultants sur les démarches mises en œuvre semble avoir une incidence sur le développement des pratiques de l’institution et, partant, sur la culture locale.
Cette influence se traduit par la manière dont les stratégies participatives évoluent dans le temps. Certains modes de faire sont ainsi introduits par les consultants, éprouvés par l’institution, puis appropriés et reproduits. C’est le cas à la CUB en ce qui concerne par exemple l’implication d’acteurs-tiers « garants » des démarches de participation, dont le rôle est d’assurer la transparence comme l’impartialité des processus. Cette fonction est initialement introduite sur proposition d’un consultant associé à deux démarches volontaristes de grande ampleur conduites en 2008 et 200917. Elle se retrouve dans une nouvelle démarche lancée en 2011, cette fois à l’initiative de l’intercommunalité18. Aujourd’hui cette fonction est totalement intégrée à la pratique, puisque ce rôle de « garant » est désormais investi par le Conseil de développement durable de l’agglomération à la demande de la CUB. Cet exemple nous apparaît significatif en ce qu’il traduit non seulement l’appropriation d’une composante méthodologique impactant le déploiement des pratiques de l’institution, mais surtout une évolution de son approche quant aux conditions nécessaires à l’inscription durable de la thématique participative dans la culture locale.
Enfin, ces consultants jouent un rôle dans le développement d’un regard critique de l’institution sur ses pratiques internes, vis-à-vis du pilotage des démarches participatives et des interactions entre les différents professionnels impliqués notamment. Leur indépendance par rapport au système constitue en effet un atout pour sa remise en cause, au service d’une meilleure cohérence de son organisation interne et, in fine, du déploiement d’une action plus qualitative. Ainsi, par leur posture éthique et les dynamiques qu’ils génèrent tant au sein de l’institution que sur le territoire, ces professionnels constituent de réelles ressources en termes d’évolution de la culture locale, à la fois professionnelle et citoyenne.
Conclusion
Les trois types d’acteurs étudiés (agents techniques ou dédiés à la participation, consultants externes) semblent donc concourir chacun à sa manière à l’évolution de conduite de la participation citoyenne institutionnelle. Les uns par le développement de pratiques quotidiennes plus inclusives, les autres par une contribution à la définition d’une ligne de conduite collective, les derniers par l’induction d’évolutions structurelles des pratiques. Ces professionnels participent ainsi de la transformation de la culture institutionnelle et dépassent le cadre de leur fonction de technicien ou d’ingénieur de la participation pour constituer des ambassadeurs de son développement qualitatif sur un territoire, vecteurs d’une évolution de la culture démocratique locale.
Leur apport ne s’arrête pourtant pas à l’échelle du territoire, puisque ces acteurs appartiennent à un champ d’activité réflexif, fortement ancré dans une communauté de pratique. Le développement de réseaux dédiés à la thématique participative19, comme l’organisation de rencontres réunissant praticiens et universitaires20 en témoignent. Les allers et retours entre expériences concrètes et analyses scientifiques participent alors de l’élaboration progressive d’un référentiel commun, entendu comme cadre d’intelligibilité construit et partagé par les différents acteurs de la participation. Structuré autour de catégories d’analyse et de modèles méthodologiques partagés, en constant ajustement, ce référentiel favorise la structuration d’un champ professionnel spécifique à la participation citoyenne. Néanmoins, la circulation des modèles comme des expériences au sein du cercle particulièrement restreint des acteurs qui y évoluent (agents spécialisés comme consultants), souvent mobiles entre les différentes institutions, semble présenter un risque de dérive vers une standardisation des méthodes et une uniformisation des pratiques. On ne peut alors qu’espérer que les ressources identifiées chez ces différents professionnels favoriseront une réelle évolution de la culture institutionnelle, menant à l’appropriation de la thématique participative non pas uniquement comme instrument de l’action publique, mais comme un processus social à part entière, nécessitant un ancrage fort dans des contextes territoriaux singuliers comme dans la durée.