Grande affaire des professionnels de l’architecture et des institutions qui les représentent, « la qualité architecturale » se construit et se défend aujourd’hui à travers des discours, des expositions et autres distinctions. Dans la pratique, la qualité architecturale se fabrique également au moyen du dispositif canonique du concours d’architecture. En effet, cette compétition réglée apparaît comme un outil économique et démocratique contribuant à sélectionner de la qualité architecturale. Canonisé par l’État et les collectivités locales, réinterprété par certains commanditaires privés ou, simplement, érigé comme modèle conceptuel ou procédural pour un bon nombre d’architectes, le concours constitue un dispositif essentiel à la production d’une qualité architecturale. C’est ce type de situation que nous avons étudié à travers une recherche portant sur le concours d’architecture envisagé comme manière de produire de la qualité et comme mise en scène de la critique en architecture1.
Nous voudrions partir d’un des quatre concours étudiés dans cette recherche, « Les champs libres » de C. de Portzamparc à Rennes, pour analyser les qualités identifiées par les maîtres d’ouvrage de cet équipement et médiatisées au cours de sa réalisation. Ainsi nous examinerons la manière dont la qualité se construit dans les discours tenus sur un projet.
Mais avant d’envisager cette construction symbolique et médiatique, présentons brièvement cette opération. Ce projet d’équipement culturel rennais a derrière lui une assez longue histoire puisque le principe de son existence a été évoqué dès 1989 et que bâtiment remplit pleinement ses fonctions depuis mars 2006. Il réunit dans un même bâtiment trois institutions culturelles distinctes : le Musée de Bretagne, la Bibliothèque centrale municipale et l’Espace des sciences.
Ce projet a fait l’objet d’un concours d’architecture en deux phases, de novembre 1992 à juillet 1993, à l’issue duquel la proposition du cabinet C. de Portzamparc l’a emporté. Après un avancement normal, le projet s’est trouvé occulté par un autre grand projet d’infrastructure de la ville : la réalisation du métro (VAL). Grand projet architectural de la ville de Rennes, l’opération a pris du retard. Puis, une fois le processus enclenché, sa réalisation a engendré d’inévitables modifications et des surcoûts qui ont suscité les principales critiques adressées au projet architectural.
Mais en dépit de ces aléas, le projet architectural semble bien choisi, alors que les relations de C. de Portzamparc avec les responsables des trois institutions paraissent se dérouler en bonne intelligence. Tout cela contribue à un projet presque sans histoire sinon celle du temps perdu pour livrer cet équipement culturel.
Il est donc intéressant d’interroger la manière dont cette proposition a été perçue et identifiée par les acteurs du projet mais également, pour ce concours ancien et parfois un peu oublié, dans les médias qui en ont rendu compte. Afin de mieux comprendre les qualités de la proposition qui emporte le concours architectural, nous commencerons par remonter à la première phase de la consultation pour examiner la manière dont elle structure les débats et le choix définitif. Nous analyserons alors ce qui est choisi et médiatisé pour, ensuite, interroger le caractère « évident » du projet de C. de Portzamparc. Enfin, nous examinerons la question subsidiaire d’une sélection qui s’attache aux qualités d’un architecte en plus d’une réponse architecturale.
1. Les différentes qualités des premières réponses au concours
Analysant le concours alors que la consultation est achevée et que le bâtiment est en construction, nous avons interrogé les commanditaires pour comprendre ce qu’ils attendaient et ce qu’ils avaient choisi. Pour les acteurs que nous avons questionnés, la première phase du concours est une affaire strictement procédurale et technique. Face à l’abondance des réponses à la consultation, il s’agit de retenir six propositions de « qualité » en accord avec une logique d’ouverture sur le plan national et international qui correspond aux enjeux symboliques et urbains de cette opération. Dans l’esprit du concours et le souvenir des acteurs, cette première sélection n’a pas d’autre incidence sur la suite. Pourtant, lorsqu’on prête une attention particulière à la manière dont il a été rendu compte des résultats de la première phase, il semble que quelque chose s’y soit joué.
Ainsi, en novembre 1992, les résultats de la première phase du concours sont présentés dans un article du quotidien régional Ouest-France qui apporte quelques informations biographiques sur les six candidats retenus et caractérise leur tendance architecturale :
- « Christian de Portzamparc, le plus connu, est l’auteur de la Cité de la Musique à la Villette. Il propose en général des volumétries sobres ».
- « Jacques Ripault, avec les Duhart, a réalisé le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne et l’école d’architecture de Bretagne à Rennes2. Un style moderne et puriste ».
- « Le groupe 6, de Grenoble s’associe à Marc Petitjean de Rennes. Il a conçu le Musée des Beaux-Arts. Une tendance moderne classique ».
- « Frank O. Gehry, de Californie, a réalisé le musée d’art contemporain de Los Angeles, le centre américain de Paris, le musée Guggenheim de Bilbao. Une dimension plastique forte ».
- « Henri et Bruno Gaudin, de Paris, ont réalisé le centre des Archives et la maison du Sport de Paris ».
- « Christian Hauvette, auteur à Rennes de la fameuse chambre régionale des comptes, est associé à BNR (Brajon, Nicolas, Ressaussière). Un style éclectique et formaliste »3.
Destinée à un large public, cette présentation des résultats de la consultation semble objective et didactique. Mal connue, l’architecture contemporaine est ici incarnée par les lauréats du concours dont le style est défini et les principales réalisations signalées.
Notons que C. de Portzamparc arrive en tête de la liste et est identifié comme « le plus connu », ce qui n’est pas indifférent dans une opération qui est censée s’ouvrir à la grande architecture nationale et internationale. Ensuite, la notice le crédite d’une réalisation supposée connue (« Cité de la Musique ») et d’une esthétique relativement neutre (« volumétries sobres »)4.
Il semble que ces commentaires préfigurent la compétition que l’on retrouvera dans la seconde phase du concours. En effet, sérieux concurrent de C. de Portzamparc, F. O. Gehry est encore, en 1992, inconnu du grand public français5. Mais cet architecte est à découvrir, ne serait-ce que parce que c’est le seul international de la sélection. L’architecte californien est distingué par sa « dimension plastique forte » qui peut le valoriser en s’opposant aux « volumétries sobres » de son devancier.
L’esthétique des autres concurrents est qualifiée par la juxtaposition de deux termes : « moderne et puriste », « moderne classique », « éclectique et formaliste »6. Cette manière de qualifier le style des réponses au concours, produit un effet plus répétitif et abstrait. Enfin, la proposition de H. et B. Gaudin se trouve totalement dépourvue d’évaluation stylistique.
Sur un autre plan, certains lauréats sont présentés par leur inscription nationale ou régionale (« de Grenoble » vs. « de Paris »), à travers leurs principales réalisations diversement situées. La ville de Rennes occupe une place centrale dans cette inscription locale où C. Hauvette se fait remarquer par sa « fameuse chambre régionale des comptes ».
Malgré ses précautions d’usage, le compte-rendu donné par Ouest-France de la première étape du concours, met en avant les qualités de trois réponses architecturales qui peuvent se résumer de la manière suivante :
Architecte |
Signifiant |
Qualité… |
C. de Portzamparc |
le « plus » connu |
de l’architecte |
F. O. Gehry |
une dimension plastique « forte » |
de l’architecture |
C. Hauvette |
la « fameuse » Chambre Régionale des Comptes |
d’une réalisation (locale) |
Nous avons donc trois registres de la qualité mis en évidence dans cette présentation des premiers résultats de la consultation. Et sans que l’on puisse avancer que les qualités relevées par le quotidien régional ont eu une influence sur la suite des événements, il faut souligner qu’elles s’appliquent aux trois architectes qui compteront à la seconde phase du concours.
2. Médiatisation des qualités du projet lauréat
La seconde phase du concours d’architecture est remportée par le projet de C. de Portzamparc qui s’impose avec un caractère inéluctable et évident que rapporteront certains participants à ce jury. Il semble qu’il n’y ait pas eu de lutte serrée. Néanmoins les membres du jury ne manqueront pas de se positionner vis-à-vis des deux autres projets concurrents de F. O. Gehry et de C. Hauvette.
Mais cette confrontation de projets concurrents ne fait pas débat et ne transparaît pas dans la presse locale. Ainsi, le quotidien Ouest-France se limite à annoncer la victoire du lauréat et sa validation municipale : « C’est finalement le projet de M. de Portzamparc qui a obtenu les suffrages de la commission et l’approbation du conseil municipal. »7 Cet article vient donc relayer l’acte performatif du jury et du conseil municipal en s’appuyant sur la présentation de la maquette du projet. Cet exercice impose une description canonique du projet prononcée par l’élu en charge du dossier :
« Il s’agit d’un parallélépipède abritant le musée au-dessus duquel se déploient une forme conique surmontée d’une sphère pour le CCSTI8 et d’une pyramide renversée pour la bibliothèque. »9
La pluralité des propositions en lice dans cette phase décisive, est plutôt relatée dans la presse professionnelle et technique. Ainsi, un article du Moniteur rend compte de « l’issue d’une consultation internationale, [par laquelle] C. de Portzamparc a été désigné lauréat du futur NEC »10. Cet article destiné aux professionnels de l’architecture, évalue la proposition en rappelant la demande à laquelle elle répond :
« L’intérêt de ce très beau projet réside d’abord dans son mode de composition. La difficulté était de concevoir un bâtiment abritant trois programmes différents, donc d’inventer une cohérence pour trois fonctions sans relations apparentes. »11
Cette évaluation de la réponse lauréate permet d’examiner les propositions de ses concurrents :
« Les architectes interrogés ont répondu diversement à ce problème : de manière monolithique (H. et B. Gaudin, le Groupe 6 ou J. Ripault et D. Duhart) ou en créant un système éclaté (C. Hauvette et F. O. Gehry). C. de Portzamparc, lui, a choisi une formule intermédiaire. »12
L’analyse du Moniteur note que la formule gagnante (« intermédiaire » entre fusion et séparation des trois composantes de l’équipement culturel) est adoptée par un seul projet. Les concurrents, écartés et oubliés rapidement, ont adopté une logique fusionnelle et « monolithique ».
La réponse pertinente à un impératif, mentionné dans le programme du concours13, constitue bien un facteur déterminant du choix. Et comme d’autres médias, l’article du Moniteur utilise diverses figurations du projet qui font apparaître l’imbrication des trois volumes correspondants aux institutions culturelles14.
En outre, cette solution architecturale magique pour les acteurs locaux de l’opération, est clairement identifiée par le magazine spécialisé comme une compétence spécifique de l’architecte lauréat : « On a déjà apprécié, en particulier à la Cité de la musique de La Villette, le talent original de C. de Portzamparc pour ce jeu de composition de volumes, d’opposition de matières et de couleurs. »
3. L’évidence du projet dans le discours des destinataires
La presse, quotidienne régionale aussi bien que professionnelle et technique, fait ressortir la manière dont la proposition architecturale de C. de Portzamparc répond parfaitement aux attentes des institutions pour réaliser un nouveau type d’équipement culturel censé les réunir dans leurs différences. Cette interprétation de la réponse au concours est parfaitement conforme à la vision des décideurs politiques. Ainsi, lorsqu’on demande au président du jury de résumer la principale qualité de la proposition retenue, il insiste sur le parti de rassembler les trois institutions dans une volumétrie lisible et se démarquant de l’immeuble parallélépipédique (de la « boîte »)15.
Mais il est essentiel de confronter cette interprétation à la vision qu’en donnent les responsables des institutions culturelles impliquées dans ce projet16.
Pour ce qui concerne la bibliothèque, sa responsable est plutôt un maître d’ouvrage expérimenté17. Conservateur général de la bibliothèque de Rennes depuis 1981, elle a à la fois une grande connaissance de son institution, de la vie culturelle rennaise et une expérience de la création de nouveaux établissements de ce type (bibliothèque universitaire et bibliothèques de quartier). Par ailleurs, appartenant au monde social des bibliothèques, elle a été confrontée aux débats sur la « Très Grande Bibliothèque ». Dans ce contexte, la responsable de la bibliothèque suit son « grand projet » depuis le début et participe évidemment aux débats du jury de ce concours. Son adhésion à la proposition retenue semble totale :
« J’ai été naturellement attirée par le projet de C. de Portzamparc car chacun [bibliothèque, musée et CCSTI] avait sa visibilité, et qu’il y avait un équilibre des formes et des fonctions. Et c’était le seul, quand même, qui répondait à l’exigence de synergie. Si vous connaissez l’intérieur du projet, le grand hall vous met en relation avec les trois composantes, vous avez le choix. Il y avait un autre projet où on était accolé. C’était la barre musée de Bretagne, la barre bibliothèque et puis l’espace des sciences qui était à nos pieds. Je ne sentais aucune dimension de coopération. Je peux vous dire que quand on a sorti la maquette de C. de Portzamparc du carton, tout le monde s’était dit que c’était le projet qui allait être retenu. Parce qu’il était original, il avait une autre dimension. »18
La proposition de C. de Portzamparc est donc la « seule » qui réponde à la question essentielle pour les trois institutions : la gestion de leurs rapports au sein du nouvel équipement culturel. La position « intermédiaire » de la proposition de C. de Portzamparc est donc la bonne. Cette adhésion franche aurait pu être gâtée par quelques défauts perceptibles dans le fonctionnement du futur équipement. Mais la personnalité et l’attitude de l’architecte ont permis de comprendre que cela était remédiable à travers la mise en place d’une collaboration qualifiée d’« exceptionnelle ».
Le responsable du futur Espace des sciences, directeur du Centre de culture scientifique, technique et industrielle, est en poste depuis 1986 et a suivi le développement rapide de son institution qui le conduit à s’intégrer au projet d’équipement culturel19. Il est évident que l’association qu’il représente n’est pas aussi établie ou institutionnalisée que ses deux partenaires et n’a aucune expérience de ce type d’opération. L’architecture est donc une préoccupation nouvelle pour ce responsable qui s’enthousiasme pourtant en découvrant un concours international qui mobilise « les plus grands [architectes] du monde, Foster, Gehry, de Portzamparc, Nouvel »20. Et cette découverte du monde de l’architecture au fur et à mesure de l’avancement de l’opération, le conduit, le moment venu, à adhérer totalement à la démarche de l’architecte lauréat :
« De Portzamparc, c’est le seul vraiment, j’avais trouvé, qui avait bien répondu à la question du trois en un et du un en trois. C’est-à-dire qu’il apportait une autonomie à chacun et il apportait une ouverture sur les trois autres, tout en ayant une réponse dans les espaces communs. Et j’avais trouvé le programme, enfin sa proposition par rapport à notre programme, très astucieuse. Donc quand j’avais vu cela, j’avais dit, c’est pour lui vraiment qu’il faut se battre, qu’il faut soutenir. »21
Comme la responsable de la bibliothèque, le directeur de l’Espace des sciences fait son choix à la vue d’un projet intermédiaire qui réunit en préservant les identités des trois institutions. Le scientifique est séduit par l’architecte qui vient le voir et lui parle simplement d’un projet qui semble d’ailleurs suffisamment expressif et convaincant sur un plan visuel.
L’évidence de la proposition de Portzamparc paraît effacer tous les autres projets. Pourtant le responsable de l’Espace des sciences se souvient d’autres propositions. Il cite notamment l’architecte du Futuroscope qui était présent à la première phase du concours et qui était une référence dans son domaine. Par ailleurs, la réponse de Gehry ne le laisse pas indifférent mais elle s’appliquerait mieux à un parc scientifique qu’à un équipement de centre-ville : « Gehry, je m’en rappelle, il avait plus de 50 entrées différentes, donc ça, je me suis dit, ça va être ingérable ». Ce qui ne l’empêche pas d’admettre, comme les autres membres du jury, que « c’était assez novateur au niveau des formes ».
Le jury de la seconde phase du concours architectural semble avoir retenu la proposition de l’agence C. de Portzamparc en raison de la force de sa proposition répondant aux attentes des trois institutions culturelles tout en s’insérant sans erreur dans un environnement urbain difficile et en pleine recomposition.
4. Les qualités humaines du lauréat
Mais si la proposition paraît extrêmement convaincante dans le cadre d’un jury et parlante pour le grand public, il semble que le jury ait également retenu un architecte avec lequel il était possible de travailler. L’homme, C. de Portzamparc, a séduit ses interlocuteurs en les écoutant et en leur présentant simplement son architecture.
Interrogé sur cet aspect, le président du jury préfère mettre l’accent sur une « signature » garante de qualité pour cet équipement culturel ainsi que pour le marketing urbain inévitablement attaché à cette opération. Il semble se souvenir que certains membres du jury étaient séduits par la griffe américaine de F. O. Gehry, mais admettaient que C. de Portzamparc était également une « bonne signature »22. Outre la qualité de sa proposition, que le président du jury met systématiquement en avant, un atout de C. de Portzamparc était aussi d’incarner un rennais ayant réussi et bénéficiant d’une notoriété internationale.
Un autre élu, « passionné d’architecture » selon le président du jury, souligne la performance de la présentation du projet faite par C. de Portzamparc devant les jurés du concours23. Cette performance communicationnelle mais également la personnalité « romantique » de l’architecte lui semblent essentielles.
Il est évident que la personnalité de l’architecte ne peut pas constituer un argument de choix pour les décideurs politiques en quête de rationalité dans la présentation de leurs décisions (et soumis aux règles des concours). Mais la personnalité semble être un élément déterminant pour les acteurs du projet qui sont, dès le départ, et qui seront, lors de la réalisation, en relation étroite avec le maître d’œuvre retenu. Cette logique humaine, se conforme spontanément aux bons conseils des guides de conduite de projet qui incitent à choisir un architecte en fonction de sa capacité à dialoguer avec ses commanditaires24.
Cet intérêt sinon cette fascination pour la personnalité de l’architecte apparaît dans les propos du responsable de l’Espace des sciences qui connaît mal cet univers mais se passionne pour la consultation. Sa rencontre avec les architectes en lice lui permet de se faire une idée sur les relations qui pourront s’établir par la suite. Attentif à la prestation de C. de Portzamparc, ce maître d’ouvrage s’engage pour enfin se réjouir que l’architecte qui l’a convaincu l’emporte « facilement ».
D’ailleurs, cette attention à la personnalité du maître d’œuvre n’est pas gratuite. En effet, les propos du maître d’ouvrage soulignent la « compréhension » dont l’architecte fait preuve à son égard : « comprenant bien les choses », « il a bien compris cela », « il avait bien écouté notre projet scientifique », etc. C’est le dialogue qui se trouve plébiscité et qui s’avère nécessaire à la concrétisation du projet. Cette possibilité de travailler avec l’architecte est aussi mise en avant par la responsable de la bibliothèque qui choisit une proposition architecturale en sachant qu’il lui faudra rediscuter du fonctionnement de la future bibliothèque qui n’est pas satisfaisant dans la proposition remise au concours d’architecture.
Maître d’ouvrage doté d’une certaine expérience et d’une sensibilité aux enjeux architecturaux, la responsable de la bibliothèque s’enthousiasme aussi pour la réponse globale qu’apporte le bâtiment au projet de réunion des trois institutions, tout en relevant que l’architecte « n’avait pas très bien compris la liaison entre les magasins et les espaces de lecture »25. Mais la personnalité de l’architecte et la présence d’une équipe soudée et cohérente autour de lui, inspirent plutôt confiance en la possibilité d’établir un dialogue constructif :
« Il a très vite compris et puis, de toute façon, il nous a laissé tenir le crayon… Et il a très vite compris que, et d’ailleurs il le dit, qu’il avait intérêt à nous associer parce qu’on lui donnait l’impression de bien connaître notre fonctionnement et nos besoins de fonctionnement. »26.
Ainsi la collaboration sera jugée exceptionnelle et l’échange fructueux. A contrario, la responsable de la bibliothèque mentionne un autre architecte et un autre projet en lice pour confirmer que la personnalité de l’architecte peut jouer un rôle dans cette affaire.
Il faut d’ailleurs remarquer que cette dimension du projet n’est pas du tout médiatisée. S’il est fait mention, lors de la première phase du concours, de la notoriété respective des six architectes retenus (C. de Portzamparc étant « le plus connu »), les résultats de la seconde phase mettront en évidence la qualité du projet retenu sans s’étendre sur celle de son concepteur. Dans la période du lancement de ce concours, la personnalité du concepteur ne sera pas abordée dans la presse régionale, sa notoriété ne sera plus systématiquement soulignée et son caractère « rennais » ou « breton » ne sera pas mis en valeur. Mais l’inscription rennaise et bretonne réapparaîtra dans la presse lors de la relance puis de la matérialisation du projet.
Conclusion
Nous nous sommes intéressés à la manière dont s’énonce la qualité architecturale de la proposition retenue par un concours d’architecture.
Avant de tirer des conclusions générales à partir de cet exemple, il est utile d’insister sur le fait que nous avons analysé les propos tenus par les principaux protagonistes d’un concours d’architecture présentant les qualités de la proposition retenue. Autrement dit, cette analyse met l’accent sur les qualités singulières d’une proposition architecturale qui a remporté l’épreuve du concours et qui affronte l’épreuve décisive de la réalisation27. Sans être tautologique, cette analyse ne porte qu’indirectement sur les propositions qui ont échoué, en se focalisant sur les interprétations pragmatiques des qualités du bâtiment, énoncées par des acteurs intéressés à sa réalisation. Et il est indéniable que dans cette ultime épreuve, le discours portant sur la qualité architecturale du projet contribue à l’unité d’une équipe engagée dans la réalisation d’un édifice qui tarde à se concrétiser28.
À partir de ces considérations sur la logique du discours de la qualité architecturale dans une situation donnée, nous avons pu constater que cette qualité pouvait être exprimée dans plusieurs registres complémentaires, indépendants sinon contradictoires.
Dans le cadre d’un concours d’architecture organisé dans les règles de l’art, la première qualité identifiée et mise en scène, sinon construite par la démarche performative du concours, réside dans l’attribution d’une valeur architecturale générale (disant : ceci est de l’architecture29) et d’une valeur singulière (ceci est un projet architectural répondant aux attentes de ce concours singulier) aux projets sélectionnés. Parmi d’autres pratiques instituées, nous pouvons admettre que le concours fabrique de l’architecturalité en désignant ce qui est « architectural »30. Le concours permet également de désigner ce qui peut convenir à un programme donné. Ces deux registres peuvent se compléter mais aussi être envisagés de manière indépendante, lorsqu’un jury retient une proposition architecturale peu ou pas adaptée en faisant le pari que l’architecte ou l’agence s’adapteront ultérieurement à la commande.
Mais dans l’exemple étudié, la proposition retenue est architecturalement et programmatiquement adaptée. En effet, la proposition de C. de Portzamparc est unanimement présentée comme la seule réponse adéquate à la question posée par le programme. Sa composition architecturale tient en trois formes simples qui répondent aux institutions culturelles et viennent résoudre des problèmes de fonctionnement de l’équipement. Tout cela sans oublier d’insérer le nouvel équipement dans un espace urbain en plein remodelage.
Ces formes architecturales semblent donc dotées d’une indéniable efficacité sociale relevée par le jury et les bénéficiaires du projet. Mais cette efficacité formelle et sociale trouve également sa force dans son pouvoir d’expression : la proposition retenue s’énonce et se communique clairement. La clarté de son énonciation impressionne le jury, permet sa communication institutionnelle ainsi que sa diffusion par les médias locaux31.
Cette traduction verbale d’une forme architecturale joue un rôle pédagogique lorsque le projet commence à s’imposer avant de servir d’ancrage symbolique face aux aléas de sa réalisation. Mais cette efficacité formelle ne résout pas tous les problèmes rencontrés. Ainsi, les qualités formelles et conceptuelles de la proposition architecturale ont été communiquées à un large public sans que cela n’empêche le développement d’une critique. Cette critique et les défauts qu’elle stigmatise, se situent dans un autre registre lié à la conduite du projet et à sa maîtrise économique. S’agit-il de la même histoire ? On pourrait répondre par la négative, en considérant que le « bon » concept architectural n’engendre pas automatiquement une réalisation exemplaire. Et cela en dépit de ses qualités communicationnelles qui mobilisent et font tenir ensemble des acteurs motivés par la concrétisation de ce projet architectural.