Quelques pages d’ego-histoire sur l’origine de Ramau

Bernard Haumont

p. 138-142

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Bernard Haumont, « Quelques pages d’ego-histoire sur l’origine de Ramau », Cahiers RAMAU, 10 | 2019, 138-142.

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Bernard Haumont, « Quelques pages d’ego-histoire sur l’origine de Ramau », Cahiers RAMAU [En ligne], 10 | 2019, mis en ligne le 29 novembre 2020, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/178

Mon intérêt pour les métiers de la ville et du cadre bâti prend place, comme chez beaucoup d’entre nous, au croisement, d’une part, d’une histoire individuelle faite de certaines continuités et discontinuités et, d’autre part, d’opportunités liées à des rencontres ou à des situations. Soit une alliance entre la nécessité d’une cohérence personnelle et le hasard de conjonctures plus ou moins bien maîtrisées.

Les origines de mon intérêt pour les métiers et les professions de l’architecture et du cadre bâti

Pour autant que je puisse me livrer à une sorte d’ego-histoire, quelques situations ont joué au départ pour qu’une large part de mes travaux de recherche ait porté sur la question des métiers et de leurs évolutions. La première tient à ma nomination, en 1966, au poste d’assistant à l’École des beaux-arts, au sein du groupe B. Nous étions, avec mes collègues de sciences humaines et sociales (SHS), confrontés à des attitudes pédagogiques et professionnelles très contrastées, entre un Lamache, un Quénard ou un Rémondet, qui, pourtant, enseignaient la même discipline, à savoir l’architecture. De là viennent de premières interrogations : quelle professionnalité était à lœuvre chez des intervenants si différents ?

Le second élément a trait à mon travail de thèse, soutenue en 1969, qui portait sur les transformations des villes françaises et, surtout, sur l’extension des activités dites de service (les activités tertiaires dans le vocabulaire de l’époque) et les qualifications qu’elles requéraient, entre salariat et travail indépendant.

Le troisième ressort correspond à mon séjour au Québec (1969-1970) au ministère de la Famille et du Bien-Être, où jai pu suivre les questions liées aux politiques sociales et aux travailleurs communautaires, puis comme SPURS Fellow1 (1970-1971) au MIT de Cambridge (États-Unis). Mon intégration dans ce programme était liée à des recherches sur la planification urbaine et le welfare, en particulier sur les planners, groupe professionnel largement établi aux États-Unis dans de multiples domaines : de la ville et de l’urbanisme à la santé en passant par les loisirs, la culture ou les transports. Quelle professionnalité, là encore, pouvait unir des spécialités si différentes ?

Avant Ramau

À mon retour en France, en 1972, outre mon engagement par l’OTH, jai travaillé sur la planification et la prospective territoriale, je suis revenu à l’architecture et à ses enseignements à l’UP 1. Là, dans le cadre de l’Adri 1 (association de recherche de l’UP 1), puis dans celui du Gresa (Groupe de recherche sur la socialisation de l’architecture), que j’ai créé avec Jacques Allégret, nous avons mené des études et des recherches portant sur les métiers de l’architecture et leurs diversifications2. Sans doute faut-il citer ici les soutiens apportés par l’Apec et la grande enquête que j’ai pu mener sur les emplois des diplômés en architecture, ceux apportés par la FNCAUE pour l’étude des trajectoires professionnelles et celle portant sur la consultation architecturale. Il faut également souligner la bienveillance de la direction de l’Architecture, et en particulier celle de Jean-Pierre Duport, très fortement mobilisée sur la diversification des métiers devant accompagner la croissance des effectifs étudiants et des bases renouvelées pour l’essor d’une architecture « à la française ». C’est ainsi qu’avec Jacques Allégret et Claude Hourcade nous avons créé à l’UP 1 le DPEA « Assistance à la maîtrise d’ouvrage », formation qui, par la suite, a migré à l’Institut d’urbanisme de Créteil avec Amine Benaïssa.

En faisant un petit saut historique, et après le numéro fondateur des Cahiers de la recherche architecturale « Métiers » (1978), nous avons créé dans le courant des années 1980 un premier groupe de travail « Métiers et professions » avec Jacques Allégret, Jean-Pierre Martinon et Jean-François Crola (Puca). Ce groupe s’est progressivement étoffé (Peter Bachtold, Robert Prost, Jean-Pierre Epron…) et a donné lieu à une première rencontre élargie en 1989 à l’Académie d’architecture, ce qui a ouvert l’institutionnalisation de ce réseau.

Avant cet élargissement, ce petit réseau s’était réuni à maintes reprises, mais force est de constater qu’il n’a pas produit de résultats véritablement importants hors des notes qui ont pu nourrir les recherches que nous menions (« Les figures salariales », « Larchitecture communale », « Les maîtres douvrage et la commande architecturale », « Traces darchitectes », etc.)3. Moi-même, à lépoque, jétais davantage mobilisé par le séminaire que j’organisais à l’UP 1 sur les métiers de la conception, où j’ai pu inviter un large éventail de concepteurs et de créateurs, de la typographie au cinéma. Et puis, à partir de l’automne 1986, j’ai été absorbé par mon travail comme chef du bureau de la Recherche architecturale, où, parmi d’autres thématiques, je n’ai évidemment pas oublié celle des métiers et des professions, puisque j’ai soutenu la réunion mentionnée à l’Académie d’architecture, ai participé à la fondation de l’association Territoires & Enseignement, réunissant des chercheurs et des enseignants d’une dizaine d’écoles et d’autant de CAUE, et ai organisé avec Philippe Boudon et Robert Prost un petit colloque sur la conception à l’Arche de La Défense. Dans ce sens, la thématique des métiers est apparue de façon explicite et en tant que telle dans les divers programmes du BRA.

À partir de 1990, de retour dans une école d’architecture, où j’ai créé une nouvelle équipe de recherche (Cressac), j’ai repris des travaux plus personnels, tout en assurant dans le cadre des premières années du PIR-Ville du CNRS une veille et un soutien aux recherches portant sur les métiers de la conception et de la production du cadre bâti ainsi qu’à celles traitant des formes urbaines4.

En 1991, parce que j’avais lancé avec quelques autres une recherche sur les architectes en Europe, Michel Bonnet et le Puca, m’ont demandé de réfléchir à un programme européen susceptible d’engager des équipes françaises et étrangères de chercheurs et de praticiens s’intéressant aux métiers et aux conditions de travail de la conception et de la maîtrise d’œuvre. Cette réflexion a conduit, d’une part, à la rédaction d’une note5 et, d’autre part, à la création du programme Euro-Conception. Assez vite, celui-ci, après des missions en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, a associé des équipes étrangères (dont certaines ont ensuite participé à Ramau : Martin Symes, Graham Winch…) et, surtout, un certain nombre d’équipes françaises dont beaucoup se retrouvent aujourd’hui dans Ramau.

Euro-Conception, dans sa première phase, a mobilisé au travers de ses appels d’offres (1992, 1993 et 1994) de nombreux chercheurs français et européens, et organisé trois séminaires spécifiques à l’École d’architecture de Paris-La Défense6. Dans une seconde phase, démarrée fin 1994, le programme a été intégré au pôle créé par le Puca et la direction de l’Architecture, « Programmer et Concevoir », visant à intégrer dans un même ensemble les travaux de l’Europan et ceux d’Euro-Conception, d’une part, et à orienter les recherches vers les formes de la commande, d’autre part. Cette réorientation, dénommée Euro-Conception 2, a concerné de façon élargie les interrogations et les analyses se rapportant aux métiers de la maîtrise d’œuvre. Surtout, elle les a mieux mises en lien avec les évolutions concernant la commande et la maîtrise d’ouvrage en Europe. Plusieurs colloques et séminaires conduits sous l’intitulé général « Lélaboration des projets architecturaux et urbains en Europe : quels systèmes daction ? » (1997 et 1998) ont concrétisé cette transformation du premier programme Euro-Conception, qualifié par Michel Bonnet lui-même « d’action de recherche fragile, encore balbutiante […], car un milieu de recherche structuré et reconnu se constituait tout juste (il était in statu nascendi)7 ».

Les actions menées par le Puca les années suivantes ont renforcé le déplacement, engagé fin 1994, « des focales vers lamont de la chaîne “conception/réalisation” en direction de la programmation et de la commande, c’est-à-dire les acteurs et les processus de la maîtrise d’ouvrage8 ».

Ramau

Face à ces réorientations, nombreux furent ceux qui considérèrent qu’il serait dommage d’abandonner la dynamique de recherche créée avec les programmes d’Euro-Conception. Certains s’engagèrent en 1998, pour perpétuer des échanges moins inscrits dans les politiques institutionnelles du Puca, mais avec la bénédiction d’Olivier Piron, alors son secrétaire, sous la forme d’un réseau également soutenu par le Brau et le ministère de l’Industrie (J.-M. Dossier). Des chercheurs des Écoles d’architecture ainsi que quelques praticiens en particulier engagés dans l’association « Architecture et maîtrise d’ouvrage » (AMO) rejoignirent cette initiative, ce qui explique les orientations européennes de la première manifestation publique de Ramau en 1999 : « Organisations et compétences de la conception et de la maîtrise d’ouvrage en Europe ».9

Depuis, le réseau Ramau, à partir de ses coordinateurs et dirigeants successifs, a su développer diverses thématiques et problématiques, toutes pertinentes et très souvent stratégiques, sinon pionnières, quant à l’évolution des métiers et des professions de la maîtrise d’œuvre et de la conception architecturale et urbanistique. Je dois reconnaître pleinement ces apports, même si, pour ma part, d’autres intérêts de recherche mont temporairement tenu quelque peu éloigné de ces questions relatives aux métiers et aux professions. Outre les rencontres, les Cahiers constituent des ouvrages de référence pour tous ceux qui s’intéressent à ces évolutions.

En conclusion, j’aurais quelques remarques à formuler. La première tient principalement à une minimalisation, du moins dans sa visibilité, des questions internationales. À l’échelle européenne, et sans doute même mondiale, les façons d’être architecte et de pratiquer l’architecture se modifient sans cesse, alors que les interactions dans les modes de faire semblent croissantes. Qu’en est-il des États-Unis ou de la Chine, mais aussi de l’Amérique latine et surtout de l’Afrique francophone ? Comment, dans ces pays, se renouvellent les relations entre concepteurs, commanditaires et constructeurs ? Etc.

Ma deuxième remarque a trait à une trop faible évocation, dans les travaux de Ramau, de la diversification des métiers auxquels les formations à l’architecture sont susceptibles de conduire. Dans ce sens, les formes très disparates de professionnalisation sont assez peu traitées (structures éphémères ou militantes, effets de la HMONP…), de même que les métiers d’architecte hors maîtrise d’œuvre (AMO, agences diverses, collectivités locales, etc.).

Enfin, à côté de trop rares monographies, il manque toujours une approche véritablement ethnologique du travail architectural, depuis la division du travail existant dans les agences ou d’autres structures de conception jusqu’à la nature des échanges régissant l’avancement des projets.

Peut-être faut-il incriminer ici les recentrages progressifs de Ramau vers les seules Écoles d’architecture, au détriment des instituts et départements d’urbanisme ou d’aménagement et des formations d’ingénieurs, qu’elles dépendent d’écoles spécifiques ou de filières universitaires.

1 SPURS: Special Program for Urban and Regional Studies.

2 Voir les publications, dans la collection « In Extenso », de l’UP 1.

3 Allégret J., 1985, Les Communaux. Les pratiques architecturales intégrées aux collectivités locales, Paris, École d’architecture Paris-Villemin

4 Haumont B., 1985, Figures salariales et socialisation de l’architecture, Paris, École d’architecture Paris-Villemin, coll. « In Extenso » n° 8.

5 Haumont B. et Rousseau O., 1986, Architecture communale. La maîtrise d’œuvre intégrée, Paris, École d’architecture Paris-Villemin, coll. « In

6 Martinon J.-P., 2003, Traces d’architectes. Éducation et carrières, Paris, Anthropos.

7 Voir « La Ville », 1994, Courrier du CNRS, n° 81.

8 « Les métiers et les compétences de la conception architecturale et constructive ». Cette note, sous diverses versions, apparaîtra dans plusieurs

9 Bonnet M., Haumont B. et Berthomieu B. (dir.), Forces et tendances de la maîtrise d’œuvre, 1992 ; Enjeux européens de la maîtrise d’œuvre.

Bonnet M., 1988, La Conception en Europe. Euro-Conception 2, Paris, Puca, p. 14.

Bonnet M., 2001, La Commande… de l’architecture à la ville, tome 1, Paris, Puca, p. 15.

1 SPURS: Special Program for Urban and Regional Studies.

2 Voir les publications, dans la collection « In Extenso », de l’UP 1.

3 Allégret J., 1985, Les Communaux. Les pratiques architecturales intégrées aux collectivités locales, Paris, École d’architecture Paris-Villemin, coll. « In Extenso » n° 6.

4 Haumont B., 1985, Figures salariales et socialisation de l’architecture, Paris, École d’architecture Paris-Villemin, coll. « In Extenso » n° 8.

5 Haumont B. et Rousseau O., 1986, Architecture communale. La maîtrise d’œuvre intégrée, Paris, École d’architecture Paris-Villemin, coll. « In Extenso » n° 10.

6 Martinon J.-P., 2003, Traces d’architectes. Éducation et carrières, Paris, Anthropos.

7 Voir « La Ville », 1994, Courrier du CNRS, n° 81.

8 « Les métiers et les compétences de la conception architecturale et constructive ». Cette note, sous diverses versions, apparaîtra dans plusieurs publications du Puca, dont Bonnet M. (dir.), 1992, Techniques et métiers de la construction. Perspectives, et comme texte introductif des actes du séminaire « Forces et tendances de la maîtrise d’œuvre », 24 et 30 mars 1992, EA de Paris-La Défense et Puca. Il est à noter que ces actes ont été publiés sous l’égide du programme Eurorex, l’indépendance d’Euro-Conception n’ayant été acquise qu’après ce séminaire.

9 Bonnet M., Haumont B. et Berthomieu B. (dir.), Forces et tendances de la maîtrise d’œuvre, 1992 ; Enjeux européens de la maîtrise d’œuvre. Confrontations et perspectives, 1993 ; Recherches sur le projet et les concepteurs, 1993, Puca.

Bonnet M., 1988, La Conception en Europe. Euro-Conception 2, Paris, Puca, p. 14.

Bonnet M., 2001, La Commande… de l’architecture à la ville, tome 1, Paris, Puca, p. 15.

Bernard Haumont

Bernard Haumont, sociologue, est professeur honoraire de l’École d’architecture de Paris-Val de Seine et chercheur associé au Lavue, UMR CNRS 7218. Il a enseigné dans diverses écoles françaises (Paris-Villemin, Paris-La Défense…) et étrangères (Hust, Wuhan, Chine ; Epau, Alger…), ainsi qu’aux universités Paris-7, Paris-10 et Paris-12. Il a dirigé l’UMR Louest de 2001 à 2010.
Il a mené personnellement de nombreux travaux sur les métiers et les professions de l’architecture et de la conception et a coordonné divers programmes s’attachant à ces thèmes : PIR-ville (CNRS), Euro-Conception 1 (Puca), FSP franco-algérien… Ses recherches actuelles en France et à l’étranger (principalement en Algérie, en Chine et en Italie) portent sur les processus de patrimonialisation et les dimensions matérielles des identités collectives (patrimoines, paysages…), et sur les expressions sociales de celles-ci (fêtes, manifestations…). Il s’intéresse ainsi également aux doctrines architecturales et urbanistiques contemporaines, dont celles qui traitent de l’esthétisation des espaces publics dans leurs relations à l’art contemporain.
Contact Bernard.Haumont@paris-valdeseine.archi.fr

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