24 heures dans la vie d’un éco‑quartier en 2020. Récits des collectivités candidates à l’appel à projets ÉcoQuartier 2011

Juliette Maitre, Nathalie Racineux, Florence Drouy and Olivier Bachelard

p. 88-99

References

Bibliographical reference

Juliette Maitre, Nathalie Racineux, Florence Drouy and Olivier Bachelard, « 24 heures dans la vie d’un éco‑quartier en 2020. Récits des collectivités candidates à l’appel à projets ÉcoQuartier 2011 », Cahiers RAMAU, 7 | 2015, 88-99.

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Juliette Maitre, Nathalie Racineux, Florence Drouy and Olivier Bachelard, « 24 heures dans la vie d’un éco‑quartier en 2020. Récits des collectivités candidates à l’appel à projets ÉcoQuartier 2011 », Cahiers RAMAU [Online], 7 | 2015, Online since 25 July 2021, connection on 19 April 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/344

Après deux appels à projets, un Club national, de multiples conférences et formations et aujourd’hui les premiers labels, qu’en est-il de l’intégration du référentiel EcoQuartier par les collectivités ? Au travers de l’analyse des récits sur la vie future des quartiers produits dans le cadre de l’appel à projets 2011 lancé par le ministère de l’Écologie, nous avons interrogé les représentations des collectivités candidates sur les EcoQuartiers. Ce sont près de trois cents textes qui ont été passés au crible d’une analyse lexicale puis thématique, en prenant comme base le référentiel du ministère. Il en ressort un certain nombre d’enseignements quant aux représentations des collectivités sur les EcoQuartiers. Ceux-ci sont surtout appréciés pour la qualité du cadre de vie, la présence de la nature, les aménités offertes ou la facilitation des relations sociales de proximité. En dehors de l’évolution des pratiques de déplacements, plus orientées vers les modes « doux », on observe peu de changements dans les représentations et les comportements des habitants, de telle sorte que les EcoQuartiers ne semblent pas constituer de véritables territoires d’expérimentation d’un nouveau mode d’habiter.

En octobre 2009, le ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement lançait le premier appel à projets EcoQuartier, suivi d’un second en 2011. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du plan Ville durable, qui constitue « un levier essentiel de la mutation de la société française vers un nouveau modèle de développement : il vise à favoriser l’émergence d’une nouvelle façon de concevoir, construire, faire évoluer et gérer la ville ».

À l’heure où le ministère déploie le label national EcoQuartier afin d’encourager, d’accompagner et de valoriser les projets d’aménagement durable, il nous a semblé intéressant d’interroger la réception par les collectivités de ce qui se veut un nouveau modèle. Après deux appels à projets, la création d’un Club national et de multiples conférences et formations, qu’en est-il de l’appropriation du référentiel EcoQuartier par les collectivités et quelle est sa transposition dans des contextes divers ?

Pour répondre à cette question, nous nous sommes appuyés sur un matériau inédit, remis par les collectivités candidates lors de l’appel à projets EcoQuartier 2011. Il leur était notamment demandé de « raconter » la vie telle qu’elles l’imaginaient dans leur EcoQuartier en 2020. Cet exercice devait permettre de comprendre leurs motivations de manière plus globale, en les incitant à les exprimer de façon plus libre que dans le dossier de candidature (structuré selon diverses questions et les vingt ambitions du référentiel). L’intitulé exact de la consigne était : « Racontez-nous comment vous imaginez une journée classique d’un habitant du quartier en 2020. » Les 393 collectivités ayant déposé un projet devaient donc répondre à cette question.

Alors que la structure du dossier de candidature laissait peu de marges de manœuvre aux collectivités, ce corpus de fiction/anticipation/projection est apparu comme un matériau pertinent pour analyser les représentations que les collectivités ont des EcoQuartiers, et par conséquent la réception (et l’appropriation) du référentiel proposé par le ministère. Il s’agissait alors d’observer les systèmes de référence et les valeurs mobilisés, les liens avec la grille EcoQuartier développée dans le cadre de l’appel à projets 2011 et notamment les ambitions les plus développées, mais aussi ce qui fait consensus et ce qui fait débat, les grandes tendances et les signaux faibles. Au-delà de la réception du modèle, nous souhaitions analyser les changements attendus ou à l’œuvre et, en quelque sorte, la vision du développement durable sous-tendue par ces textes.

Au travers de ce travail mené par une équipe pluridisciplinaire du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA, ex CETE de l’Ouest, de Sud-Ouest et de Lyon), nous présenterons, après un rappel du référentiel et des conditions de son émergence, la méthode d’analyse puis les principales tendances et les signaux faibles à l’œuvre dans ces textes, ainsi que des éléments sur la sociologie des EcoQuartiers.

L’émergence d’un référentiel EcoQuartier « État »

Répondant à l’engagement 49 du Grenelle de l’environnement ainsi libellé : « Sous l’impulsion des collectivités locales, au moins un EcoQuartier sera lancé avant 2012 (en continuité avec l’existant et intégré dans l’aménagement d’ensemble) dans toutes les communes ayant un développement significatif. Un référentiel pour les EcoQuartiers devra être défini », le ministère a proposé un référentiel comprenant vingt « ambitions » regroupées en quatre « piliers » (démarche et processus, cadre de vie et usages, développement territorial, préservation des ressources et adaptation au changement climatique). Il s’agit d’une grille, décrivant les intentions publiques à destination des porteurs de projet engagés dans un EcoQuartier, à adapter aux contextes locaux.

L’annonce des résultats a été l’occasion de préciser ce qu’était un EcoQuartier pour l’État :

« La conception d’un EcoQuartier a pour objectif de proposer des logements pour tous dans un cadre de vie de qualité, tout en limitant son empreinte écologique. Le terme EcoQuartier renvoie le plus souvent à l’idée de performance énergétique et environnementale liée aux bâtiments, à l’eau, aux déchets ou à la biodiversité. Dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, un EcoQuartier se doit aussi d’être un quartier durable, englobant des considérations liées aux transports, à la densité et aux formes urbaines, à l’écoconstruction, mais également à une mixité sociale et fonctionnelle et à la participation de la société civile. »

Les vingt ambitions sont devenues le socle de définition de l’EcoQuartier, support des dossiers de candidature des collectivités et des expertises menées sur les projets et portées au travers des Clubs et formations dispensées par les services de l’État.

Les notions de représentations et de valeurs

Les « représentations » et « valeurs » sont des notions fondamentales pour expliquer l’organisation des sociétés et leur changement. Elles guident les choix et l’action des individus et des groupes sociaux. Les représentations et les valeurs renvoient à un « construit social ». Il s’agit à la fois des manières de penser et de décoder l’environnement de façon plus ou moins consciente (car apprises, incorporées par l’éducation et les processus de socialisation) mais aussi de croyances et de préférences individuelles et collectives plus ou moins partagées. Les systèmes de valeurs diffèrent selon les sociétés et les groupes sociaux et peuvent se révéler antagonistes. Ils participent ainsi à la construction de modèles sociaux. Aussi, tout référentiel d’action publique proposé – tel celui relatif aux EcoQuartiers – est porteur de représentations et de valeurs coproduites conduisant à l’élaboration d’un modèle d’action publique. L’un des enjeux quant à la réception de ce modèle est de savoir jusqu’à quel point ces représentations (telles qu’elles apparaissent dans les vingt ambitions du référentiel) sont partagées par les collectivités locales qui s’engagent dans la création d’EcoQuartiers. Au travers des récits proposés dans un cadre qui reste évidemment institutionnel, peut-on entrevoir de nouvelles valeurs en construction susceptibles de générer une évolution des comportements ?

Cette question des valeurs attachées au développement durable a irrigué d’autres travaux, dont ceux du groupe de travail « évaluation » mis en place en 2011 par le ministère et ceux de chercheurs du comité scientifique EcoQuartier. Ainsi, du travail mené sur plusieurs séances par une quinzaine de membres du Club EcoQuartier en 2011, est sortie une liste de six termes annoncés comme « valeurs » et affichés comme « incontournables » pour tout EcoQuartier : accessibilité, attractivité, évolutivité, intégration à l’écosystème urbain, sûreté et solidarité. De leur côté, Guillaume Faburel, maître de conférences à l’Institut d’urbanisme de Paris et membre du comité scientifique, et Camille Roché, chargée de projet dans le bureau de recherches Aménités, ont travaillé en 2011-2012 pour le ministère sur « les valeurs et principes de l’aménagement durable ». Reconnaissant dans la liste des six termes issus du groupe de travail « évaluation » du ministère une « attention grandissante pour le développement d’une évaluation plus qualitative des projets », ils lui reprochent une pensée « héritée du fonctionnement historique de l’arrangement politico-administratif et de ses évolutions managériales et instrumentales1 ». Ils ont analysé la démarche EcoQuartier de 2011 dans ses différents dispositifs, puis décrypté les valeurs et principes portés par les projets, avec une attention particulière pour les dossiers de candidature (réponses aux vingt ambitions du référentiel EcoQuartier) des 78 collectivités nominées. Leur travail a abouti à la proposition d’une « pré-grammaire » de six valeurs (engagement, adaptation, solidarité, diversité, sobriété et équité) et d’une dizaine de principes.

En écho aux travaux précités, l’équipe des CETE, suite à la lecture et à l’analyse des récits des collectivités, a choisi de mettre en avant d’autres principes : la participation, la mixité, la solidarité, la cohésion sociale, l’accessibilité, la densité, la sobriété, l’adaptation et l’écoresponsabilité.

Ce détour nécessaire par les conceptions de l’EcoQuartier éclaire la nécessité d’expliciter le référentiel EcoQuartier à l’heure où le ministère, dans le cadre des labels, aborde la question de l’évaluation des premiers projets aujourd’hui sortis de terre. L’identification de ces valeurs nous a servi à analyser le degré d’appropriation du modèle étatique par les collectivités au travers des récits.

Grille ÉcoQuartier 2010-2011

Grille ÉcoQuartier 2010-2011

La méthode mise en œuvre

Lors de l’appel à projets, les collectivités ont dû défendre leur proposition au regard du référentiel EcoQuartier et de ses vingt ambitions. Les projets ont été analysés par les experts au travers de ce prisme. Il nous a donc semblé intéressant d’utiliser les mêmes filtres pour analyser ces textes qui, eux, devaient être relativement libres. Ce choix, discuté et discutable, présentait l’intérêt d’apprécier la réception de ce modèle par les collectivités, le degré de latitude prise vis-à-vis du référentiel et la vision spécifique du développement durable qu’il induit (cf. les valeurs précitées). Les vingt ambitions ont ensuite été déclinées en s’appuyant sur la notice explicative de la grille EcoQuartier et en s’attachant à identifier les éléments constitutifs d’un EcoQuartier relevés dans les textes. Trois thématiques ont été ajoutées à la grille d’analyse : les caractéristiques des ménages, celles du narrateur et celles des logements. Enfin, quelques éléments de définition et de synthèse étaient spécifiés pour chaque récit. En fin de compte, chacun a été passé au crible de 154 items par une équipe d’une quinzaine de personnes aux profils diversifiés (ingénieur, architecte, sociologue, etc.).

L’analyse thématique a été complétée par une approche lexicale. Les textes ont été analysés au moyen d’un logiciel spécifique : Tropes, développé par Pierre Molette et Agnès Landré, sur la base des travaux de Rodolphe Ghiglione2. Ce logiciel a permis de repérer les occurrences principales, mais aussi de percevoir les styles ainsi que les univers de référence.

Les limites de la méthode

La richesse des profils de l’équipe de travail a permis une diversité des regards. Elle a toutefois donné lieu à une analyse plus ou moins homogène du matériau malgré une grille de lecture commune, chacun étant lui-même porteur de représentations sur les EcoQuartiers et ayant plus ou moins intégré les standards du référentiel du ministère.

Concernant le corpus et ses limites, la description d’une journée type induit une attention portée aux actions principales et régulières effectuées dans une journée lambda, ce qui laisse la part belle à la mobilité et aux activités professionnelles, et rend compte d’une approche plutôt fonctionnelle de la vie quotidienne. Sans oublier l’effet « concours », qui tend à enjoliver les représentations des collectivités et à favoriser une adoption a priori du modèle transmis par l’État.

Enfin, le mode de construction des récits n’a pu être analysé, pas plus que le profil des rédacteurs. Si les textes sont adossés à la lettre signée par un élu (souvent le maire), on ne sait pas pour autant, à quelques exceptions près, quel a été le mode d’élaboration du texte et donc en quoi il est représentatif des valeurs portées par un individu ou par la collectivité, ni dans quelle mesure le modèle est intégré au-delà du discours. Les textes ont ainsi été étudiés indépendamment du contenu des projets qu’ils représentent.

Les caractéristiques du corpus

Sur la base des dossiers de candidature, le corpus est constitué de la partie concernant explicitement « la journée d’un habitant en 2020 » ou, tout au moins, toute partie de texte faisant explicitement référence à une journée type ou aux habitants et à leur mode de vie en 2020. Les textes ne correspondant pas à ces critères ont été, de fait, exclus de l’analyse. Un premier tri a fait apparaître 306 textes exploitables. Certains comportant plusieurs récits, ce sont finalement 317 récits qui ont été analysés. Ces textes représentent en moyenne une page, allant de quelques lignes à trois pages.

Plusieurs catégories de textes ressortent de l’analyse. On trouve une majorité de récits relatant la vie d’un habitant de l’EcoQuartier et parfois de sa famille (textes rédigés à la troisième personne, qui suivent le déroulement de la journée). Ensuite, viennent les récits à la première personne et, dans la même proportion, des descriptions plus génériques du quartier. Enfin, on peut noter quelques formes un peu différentes : dialogues, interviews et lettres.

Voici un exemple de texte assez représentatif du corpus, celui du projet de Kaysersberg (68) :

Vendredi 4 juin 2021

Il est 6 h 30 du matin. Julien Brand, 36 ans, se lève. Après la douche (l’eau chaude collective est produite durant la « belle saison » par les capteurs solaires sur les toits de l’immeuble, si nécessaire une chaudière bois collective dédiée à l’eau chaude sanitaire et au chauffage au sol des appartements prend le relais), il prend un rapide petit-déjeuner avant de réveiller Elsa, 2 ans, pour la déposer à la crèche toute proche. Claire, son épouse, le rejoint à la cuisine vers 7 heures. Tout à l’heure, elle déposera leur fille aînée, Marianne, à l’abribus, de l’autre côté de la rue. Depuis des années, la municipalité assure le ramassage des enfants, sauf au troisième trimestre, où une association de parents d’élèves organise un pédibus, plus convivial et moins gourmand en énergie.
À 7 h 45, Julien rejoint son entreprise, sise à deux kilomètres à vélo par la piste cyclable.
Claire dépose Marianne et profite de quelques minutes de battement pour échanger des nouvelles du quartier avec ses voisins. Dans 5 minutes, elle se rendra à son travail grâce au nouveau tram-train qui dessert en moins de 20 minutes le centre-ville de Colmar. Le vendredi, Julien termine sa semaine de travail à midi. Il profitera de cet après-midi, pour entretenir des espaces verts de l’immeuble avec un voisin, impliqué comme lui dans les travaux courants des espaces verts. Ce jour, ils arrosent le potager collectif et diverses plantations à partir du réservoir de récupération des eaux pluviales.
À 15 heures, Julien a rendez-vous avec son banquier. La municipalité a imaginé un système financier original pour faciliter aux locataires l’accès à la propriété : dans un premier temps, la banque a investi dans les logements en s’engageant à en mettre un quota en vente aux locataires au bout de cinq ans. Ces primo-accédants bénéficient ainsi, par un astucieux système d’épargne lié à leurs loyers, de taux attractifs sur une partie des futurs emprunts. Surprise pour Julien, la consommation d’énergie de son logement étant inférieure à 30 kWh/m²/an, et son couple ne disposant pas de voiture (ils n’en ont pas besoin), son banquier est également disposé à accepter un plafond d’endettement supérieur à 30 %.
Vers 16 heures, Julien va rejoindre Claire et des amis à leur bistrot favori. En chemin, il repense à leur rêve, dix ans plus tôt, d’une maison individuelle, chacun chez soi (ou pour soi…). Il trouve ce rêve bien lointain, remplacé par le plaisir de se balader le long de la Weiss pour rentrer du travail, dans cette ville dense, gage de bien-vivre, facteur d’animation, d’émulation culturelle et sociale, et attractive. Il est heureux d’aller annoncer la bonne nouvelle à Claire et de profiter pleinement d’une bonne bière en terrasse, loin du bruit et de la pollution, en se disant : ce que j’ai pu être con !

Les résultats de l’analyse

Les principaux principes et valeurs mis en évidence par les récits des collectivités, parmi ceux sous-tendus par le référentiel EcoQuartier du ministère, sont l’accessibilité, la proximité, la solidarité intergénérationnelle, les échanges, la convivialité et la sobriété (dans le sens d’une vie « simple »). Au regard de ce référentiel, il ressort, en termes de représentations et de pratiques, à la fois des tendances lourdes et des signaux faibles, ainsi qu’une esquisse de sociologie des EcoQuartiers. Mais commençons par revenir sur la réception des différentes dimensions du référentiel.

Lecture du corpus au regard des dimensions du référentiel EcoQuartier

La dimension « démarche et processus » est nettement la moins abordée dans les textes. En effet, la consigne « Racontez une journée » renvoie peu à l’élaboration du projet et à son évaluation. Seuls quelques aspects concernent la gestion du quartier et les rapports avec la population, rarement en phase de conception mais surtout au moment de la vie dans le quartier, ce qui correspond souvent au temps du récit.

La dimension « cadre de vie et usages » est la plus abordée. L’intitulé de l’exercice a, de fait, favorisé l’accent mis par les collectivités sur le cadre de vie et sur les usages du quartier. Plus précisément, figurent sous ce vocable la qualité du cadre de vie, la place de la nature et la qualité des espaces publics, les relations sociales et de voisinage, les liens intergénérationnels et les jardins.

La dimension « développement territorial » est la deuxième la plus abordée dans les textes. Elle touche à la fois à ce qui relève des courtes distances, de la proximité et de la mobilité mais aussi, dans une moindre mesure, du développement économique.

La dimension « préservation des ressources et adaptation au changement climatique » comprend les champs environnementaux et plus techniques : le climat, l’énergie, l’eau, les déchets, la biodiversité. Elle apparaît en troisième position.

La prédominance des dimensions « cadre de vie et usages » et « développement territorial » est venue confirmer l’impression générale dégagée par la lecture des textes, et plus généralement par celle des dossiers de candidature, et semble cohérente avec les récits de vie. En revanche, la moindre présence d’éléments concernant le volet « préservation des ressources et adaptation au changement climatique » dans cet exercice (mais plus globalement dans les dossiers de candidature) tend à conforter l’idée qu’un EcoQuartier n’est pas qu’un quartier « écologique ». Si c’est bien le vocable d’EcoQuartier qui est aujourd’hui présent dans les discours, sa connotation initialement « écologique » semble avoir été gommée au profit d’une acception plus large de « quartier durable » telle que diffusée par le modèle ministériel.

Tendances lourdes et signaux faibles

Les principales thématiques abordées dans les récits des collectivités renvoient au lien social et notamment à la question de l’intergénérationnel, mais aussi à une mobilité facilitée et décarbonée, à la proximité et à l’accessibilité des services et équipements dans l’optique d’une ville des courtes distances, ou encore à la forte présence de la nature ainsi qu’à la performance écologique des différents dispositifs dans le quartier et/ou les bâtiments.

Au-delà de l’enjeu de réception du modèle de l’EcoQuartier par les collectivités, il convient également de noter la forte référence au bonheur de vivre dans ces futurs quartiers. Il est évident que le contexte d’écriture des textes (un appel à projets) a sans doute poussé les collectivités à insister sur les qualités de leur projet, mais il paraît tout à la fois remarquable que, dans les trois quarts des textes, les EcoQuartiers soient clairement synonymes de bien-être et de bonheur. Six facteurs principaux viennent justifier ce bonheur de vivre dans un EcoQuartier, par ordre d’importance : le cadre de vie, la proximité, le vivre-ensemble, la sécurité, la nature et le logement.

Enfin, parmi les éléments marquants des textes (mais aussi des projets), on retrouve la figure du jardin. Adossé à de multiples qualificatifs (partagé, familial, coopératif, thématique, potager, sec, etc.), le jardin répond à de multiples fonctions interdépendantes : espace de détente, de rencontres avec les voisins et les anciens, notamment, de cohésion sociale, d’échanges de savoir-faire, d’auto-production, mais aussi espace d’expérimentation écologique, sociale, support de la biodiversité. Il incarne le lieu du collectif par excellence. Le jardin apparaît aujourd’hui comme un élément quasi indissociable de la notion d’EcoQuartier, notamment en tant que synthèse de ses dimensions structurantes.

Si l’analyse des textes a fait ressortir quelques grandes tendances à l’œuvre dans les représentations des collectivités, il semblait aussi intéressant de mettre en avant les signaux faibles, à savoir les éléments cités rarement dans les textes alors qu’ils sont présents dans le référentiel EcoQuartier. Parmi ces signaux faibles, on peut noter le cadre bâti (et notamment la qualité d’usage du logement), la densité et les formes urbaines, la mixité sociale, les questions de propriété (et donc celles de mutualisation et les réponses en termes d’habitat participatif), la place du citoyen, le vécu du chantier et la gestion du quartier, l’innovation et les technologies de l’information et de la communication, le modèle de développement économique, le lien à l’agriculture, le lien au territoire, la prise en compte du patrimoine et de l’identité, la prise en compte des risques naturels et techniques (mais aussi des nuisances), et enfin la prise de conscience des crises en cours ou à venir (en lien avec la notion de résilience).

Sociologie des EcoQuartiers

Dans le cadre de nos analyses, il nous a semblé utile de nous intéresser aux profils et aux pratiques des habitants des EcoQuartiers, 80 % des textes donnant des précisions à ce sujet. Nous nous interrogions sur une éventuelle « spécificité » de ces habitants et de leurs modes de vie, qui serait relative aux « spécificités » des EcoQuartiers. C’est pourquoi, pour compléter l’analyse, nous avons proposé une sociologie sommaire, telle que représentée dans les dossiers des EcoQuartiers, au travers des caractéristiques des ménages (situation familiale, relations de voisinages, etc.) et de certaines de leurs pratiques (répartition des tâches entre les hommes et les femmes, rapport au travail et aux loisirs, implication dans la vie de quartier, écocitoyenneté, idée du bonheur, etc.).

Il en ressort une forte référence à la famille traditionnelle3 et au travail (avec une valorisation de l’épanouissement personnel), une forte implication dans la vie de quartier, une vie « saine » et « bien rythmée », avec une « bonne intégration » des écogestes.

La famille « rêvée » de l’EcoQuartier serait un couple de trentenaires avec enfants, actifs et impliqués dans la vie de quartier, menant une vie « équilibrée » entre travail, famille et activités personnelles, avec des rapports sociaux de genre plutôt conventionnels.

Les EcoQuartiers « vus par les collectivités » en 2011

En conclusion, l’EcoQuartier, tel qu’il ressort des récits, offre un cadre de vie sain et de qualité, avec une forte présence de la nature. Il est doté de nombreux commerces et équipements de proximité, mais aussi d’espaces publics suffisamment diversifiés et sécurisés pour vivre la ville des courtes distances. L’identité territoriale des espaces dans lesquels les EcoQuartiers prennent place étant peu marquée, ces derniers apparaissent très génériques.

Les déplacements à pied, à vélo, en transports en commun ou partagés sont privilégiés au détriment de la voiture, mise à distance, voire abandonnée. La faible place accordée à celle-ci limite les sources de pollution et les nuisances sonores et favorise l’activité physique, bénéfique pour la santé. L’entretien des espaces verts et des jardins évite le recours à l’usage de pesticides. Les logements sont « performants » et ont été construits avec des matériaux écologiques. Pour autant, leur qualité d’usage est très peu commentée en dehors de la performance énergétique et de la présence d’espaces extérieurs privatifs. Les espaces publics, les unités de voisinage, mais surtout les jardins, sont les supports privilégiés des interactions sociales et des échanges entre les générations. Le rapport à l’autre est facilité, et les échanges de services une évidence. Les habitants s’impliquent dans la vie associative mais sont peu engagés politiquement, pas plus qu’ils ne le sont dans la gestion de la cité au-delà du périmètre de l’EcoQuartier.

L’EcoQuartier, de par sa conception et son mode de fonctionnement, favorise une bonne hygiène de vie et paraît tout à fait adapté à la vie familiale de type nucléaire, parfois élargie aux anciens.

Les évolutions de pratiques individuelles et collectives concernent le tri des déchets, la priorité donnée aux déplacements « doux » ou collectifs, et peut-être une plus grande ouverture à l’autre, à condition qu’il présente une certaine proximité culturelle. Les figures de « l’étranger », du « pauvre », du « malade » et du « sans-emploi » ont ainsi peu de place dans l’EcoQuartier. Par ailleurs, la nature est idéalisée et considérée avant tout comme étant au service de l’homme. Les pratiques de consommation « responsables » ne sont pas encore clairement à l’ordre du jour, même si les produits locaux et l’auto-production sont bienvenus. Aussi semble-t-il trop tôt pour parler d’écocitoyenneté. De plus, on peut s’étonner que les technologies liées à l’information et à la communication soient encore peu présentes dans les textes au regard des mutations actuelles.

En fin de compte, la vie dans un EcoQuartier est positive et agréable, c’est un « havre de paix ». On vit en harmonie avec son environnement et les autres : c’est le « mythe du village » (où tout le monde se connaît, s’entraide et s’apprécie), la recherche du « paradis perdu », l’expression d’une forme de nostalgie qui traduit un certain conformisme dans les représentations et pratiques. Au travers des textes, les collectivités semblent surtout donner à voir ce que l’on connaît bien, ce que l’on aurait perdu et que l’on souhaiterait retrouver. Tout cela traduit une forme de « sobriété heureuse » qui n’est pas fondée sur l’épuisement des ressources et l’essoufflement du modèle de développement.

Pourtant, à la lecture de ces presque trois cents textes, tout se passe comme si le monde n’avait pas vraiment changé en 2020 : il n’y a pas ou peu eu de crise, pas de problème majeur, il n’est donc pas nécessaire de s’adapter à un nouveau contexte ; le changement de paradigme sous-tendu par le développement durable n’est pas à l’ordre du jour. Face aux différentes approches du développement durable, les textes traduisent plutôt une « soutenabilité faible4 », c’est-à-dire une approche qui ne remet pas en cause la croissance et qui compte avant tout sur la technologie pour compenser le problème de l’épuisement des ressources.

Dans l’ensemble, on peut noter une relative homogénéité des représentations de l’EcoQuartier entre les collectivités, par-delà leurs différences de taille et de contexte. Globalement, le modèle développé par le ministère semble bien reçu et approprié, même si les consignes des textes induisent des inégalités de prise en compte de certaines dimensions (notamment liées à la conception du projet).

Dans le cadre de la labellisation des EcoQuartiers, il reste intéressant pour le ministère de demander aux collectivités de réaliser ce type d’exercice inédit. De même, il faudrait prévoir d’en réitérer l’analyse afin d’apprécier les évolutions des représentations des collectivités sur ce sujet et donc les évolutions quant à la réception d’un modèle toujours en construction. Il conviendrait alors d’en profiter aussi pour interroger le processus d’élaboration de ces discours : relèvent-ils d’un exercice individuel ou collectif ? D’une approche technique ou politique ? Cet exercice a-t-il été sous-traité et à qui ? Cela permettrait d’aller plus loin quant à la réception, mais surtout quant à la traduction dans les réalisations de ce modèle proposé par l’État et qui, finalement, n’a jamais fait l’objet de profonde remise en cause depuis 2008.

1 Faburel G., Roché C., 2012, « Les valeurs et principes de l’aménagement durable. Analyse et perspectives par et pour les EcoQuartiers en France »

2 Rodolphe Ghiglione est un psychologue français, fondateur du groupe de recherche sur la parole qui a notamment contribué à élaborer l’APD (analyse

3 Définition de la famille traditionnelle selon l’INSEE : un couple d’adultes mariés ou non et d’enfants nés de cette union partageant la même

4 Boutaud A., 2007, « Croissance, décroissance et soutenabilité », EcoRev, n° 26,en ligne.

Faburel G., Roché C., 2012, « Les valeurs et principes de l’aménagement durable. Analyse et perspectives par et pour les EcoQuartiers en France », rapport pour le ministère de l’Écologie.

Faucheux F. (dir), ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, 2011, Appel à projets ÉcoQuartier 2011. Notice explicative de la grille ÉcoQuartier.

Ghiglione R, Blanchet A, 1991, Analyse de contenu et contenus d’analyses.

1 Faburel G., Roché C., 2012, « Les valeurs et principes de l’aménagement durable. Analyse et perspectives par et pour les EcoQuartiers en France », rapport pour le ministère de l’Écologie.

2 Rodolphe Ghiglione est un psychologue français, fondateur du groupe de recherche sur la parole qui a notamment contribué à élaborer l’APD (analyse propositionnelle du discours) et l’ACD (analyse cognitivo-discursive).

3 Définition de la famille traditionnelle selon l’INSEE : un couple d’adultes mariés ou non et d’enfants nés de cette union partageant la même résidence principale.

4 Boutaud A., 2007, « Croissance, décroissance et soutenabilité », EcoRev, n° 26, en ligne.

Grille ÉcoQuartier 2010-2011

Grille ÉcoQuartier 2010-2011

Juliette Maitre

Juliette Maitre, ingénieure, architecte et urbaniste, est chargée d’études aménagement durable et accessibilité au CEREMA, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – Direction territoriale Ouest, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.

Nathalie Racineux

Nathalie Racineux est sociologue et chargée d’études au CEREMA, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – Direction territoriale Ouest, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.

Florence Drouy

Florence Drouy, est ingénieure, docteure en géographie, chargée d’études au CEREMA, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – direction territoriale Sud-Ouest, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.

Olivier Bachelard

Olivier Bachelard est ingénieur et architecte, chargé d’études au CEREMA, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – direction territoriale Centre-Est, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.