Le concept de qualité dans le bâtiment renvoie à plusieurs acceptions. Il peut désigner autant la satisfaction d’une exigence énoncée (norme, objectif…) que le dépassement de l’exigence habituellement acceptée comme courante (ce qui va au-delà du standard). Il s’applique également à mesurer différents aspects de l’objet bâti. On parlera de la qualité technique, de la qualité environnementale ou de la qualité architecturale d’un édifice. Mais il décrit aussi les processus attachés à la production de cet objet. On parlera alors de qualité de la programmation, de qualité de la conception, de qualité de la construction ou de qualité de la maintenance. Les travaux de recherche que nous menons sur le travail collaboratif nous conduisent à aborder plus spécifiquement la dimension qualitative des processus.
Alors que pendant longtemps ce sont les activités propres à chaque acteur qui ont fait l’objet d’amélioration (protocoles de qualité en conception, méthodes de construction…) nous pensons qu’aujourd’hui un enjeu clef pour le développement de la production du bâti repose sur l’amélioration des processus coopératifs à tous les moments du système de production. Le système de production actuel reste peu efficient. Certes il a développé des modes d’action et d’échange qui ont su répondre aux spécificités du secteur, en particulier au caractère éphémère et évolutif des équipes lors d’un projet, mais il souffre de faiblesses réelles dans le dialogue entre agents qui limite sa pleine efficacité (faible niveau d’influence réciproque, peu de représentation contextuelle du déroulement du processus, absence d’interopérabilité des outils…).
Pourtant, les rapports qu’entretiennent les acteurs sont bien un des facteurs déterminants de la qualité globale du processus de production. Les modes de coordination qui régissent les interactions entre partenaires, comme la représentation que les acteurs se font de la place qu’ils occupent ou de l’activité qu’ils conduisent dans le projet, induisent largement leur implication et la qualité de leurs prestations.
Dans le présent article, nous aborderons cet aspect du processus en phase de construction en rendant compte d’une recherche en cours. Ce travail vise à améliorer la qualité de la coopération sur le chantier par le développement d’un outil d’assistance à la coordination. Dans un premier temps, nous décrirons les spécificités de la production du bâtiment, de la nature même de l’objet durant les phases de conception puis de construction aux particularités des processus coopératifs mis en œuvre pour la conduite de projet. Nous verrons ensuite comment décrire et modéliser le contexte de coopération, afin de fournir aux acteurs une représentation claire et intelligible de leur environnement. Des modes de coopération particuliers sont utilisés en phase chantier. Nous les identifierons dans une troisième partie, afin de percevoir leurs natures, enjeux et limites actuelles.
Pour finir, la proposition que nous formulons s’appuie sur le rôle particulier du compte-rendu dans la coopération. Nous avons extrait les concepts-clefs de la coordination en phase chantier afin de développer un nouvel outil d’assistance à la coopération : Image. Chantier. Cet outil est actuellement utilisé dans le cadre d’une expérimentation menée sur un chantier de construction qui nous permet de confronter nos propositions au monde professionnel, d’en analyser l’impact et l’intérêt et de s’inspirer au mieux des modes et pratiques de coopération réels du secteur.
1. Contexte de production du bâtiment et activités coopératives
La réflexion sur l’amélioration de la qualité des processus mis en œuvre dans le cadre de la production du bâtiment doit prendre en compte deux aspects fondamentaux : les spécificités du contexte de production du bâtiment ainsi que ses évolutions récentes et les particularités du contexte de coopération mis en œuvre autour du projet et ses évolutions d’autre part.
1.1. Le contexte de production du bâtiment
Le contexte de production du bâtiment est aujourd’hui bien connu. Nous en rappellerons ici quelques traits principaux nécessaires pour comprendre la particularité des activités coopératives qui s’y déroulent. L’activité est toujours située, le bâtiment s’insérant dans un site géographique, avec des contraintes de voisinage, de terrain, d’orientation, de réglementation etc. Cette caractéristique fait du bâtiment une production prototype. Si les tâches élémentaires à mener font l’objet d’une reproductibilité pour des raisons de rentabilité, la combinaison des tâches est particulière à chaque opération. Le déroulement d’un projet se fait sur une longue durée, avec de nombreux temps non directement productifs. Les groupes d’acteurs se caractérisent par la coopération de nombreux professionnels indépendants, n’entretenant pas de relations hiérarchiques fortes. Les structures professionnelles représentées dans le cadre d’un projet de construction sont hétérogènes, appliquant des méthodes et utilisant des outils différents avec des objectifs individualisés. Les stratégies d’échange d’information sont différenciées avec une part de non-dit significative. Enfin, le caractère unique du bâtiment se traduit par des équipes constituées de manière éphémère dans le temps et évolutive durant le projet.
À ces caractéristiques traditionnelles du secteur s’ajoutent aujourd’hui de nouvelles exigences. Les attentes qualitatives (Dehan, 1999) envers l’objet ainsi que les pratiques évoluent et se diversifient, notamment du fait de l’augmentation significative du nombre d’acteurs. Ceci s’explique en partie par la fragmentation et l’explicitation de certaines activités (nouvelles missions) afin d’assurer le contrôle de la qualité. La diminution des délais de production modifie les méthodes de travail en profondeur. Les opérations réalisées auparavant de manières séquentielles doivent aujourd’hui être adaptées, imbriquées, afin de s’inscrire dans un dispositif de plus en plus synchrone. Ce contexte de production se distingue de celui rencontré plus couramment dans l’industrie manufacturière par le fait qu’il est largement « ouvert » et qu’il induit, en conséquence, des activités coopératives adaptées.
1.2. Particularités du contexte de coopération
Les pratiques du secteur en termes de coopération sont moins riches en analyse. Si on retrouve des traits communs à toutes les activités collaboratives (protocoles d’échanges…) on peut également identifier des caractéristiques qui semblent propres au domaine du bâtiment. Les rapports contractuels entre les acteurs sont basés sur des règles explicites dans les interactions de haut niveau (phase dans la loi MOP, missions). Par contre, dans les interactions de « bas niveau » c’est l’implicite qui domine, permettant l’adaptation des processus aux évolutions du projet. Les échanges laissent une large place à l’oralité qui permet une grande réactivité en situation d’incertitude ou de changement. Elle va souvent de pair avec des contacts physiques dont les réunions sont une expression. Les responsabilités sont largement distribuées entre les différents acteurs, ce qui permet de prendre en compte l’hétérogénéité et le caractère éphémère des équipes. Le statut particulier du « maître d’œuvre » induit une légitimité par l’objet (l’édifice « œuvre d’art ») plutôt qu’une légitimité par le statut hiérarchique. Ce statut facilite la prise de décision dans un contexte peu hiérarchique. Les dispositifs mis en place pour assister ces échanges sont relativement pauvres. Les outils actuels (fax, mail, boîtes à plans…) permettent l’échange des documents mais pas véritablement le partage d’informations (interopérabilité très faible entre les outils).
1.3. Bilan
Au regard du caractère ouvert du système de production, les modes de coopération ont pris des formes spécifiques afin de répondre avec efficacité aux besoins des acteurs. En particulier, le système de production actuel fait preuve de qualités « d’adaptabilité » en se montrant réactif à la diversité des contraintes identifiables durant les phases de conception puis de réalisation ainsi qu’aux changements et aux imprévus.
On note pourtant des dysfonctionnements qui pèsent sur la qualité de la coopération et des échanges : la lisibilité des processus en cours n’est pas aisée et elle est peu partagée ; la traçabilité des évolutions du projet et des décisions est difficile ; les flux d’informations sont souvent interrompus, obligeant à des ressaisies d’informations ; l’information est parfois redondante, pouvant engendrer des contradictions ou des interprétations différentes…
À cela s’ajoute le fait que la capitalisation collective des savoirs et des savoir-faire du domaine est aujourd’hui presque inexistante, ne favorisant pas le retour d’expérience et donc l’apprentissage de la qualité.
2. Modèle de l’activité coopérative
Bien qu’il existe des situations extrêmement différenciées, il est possible aujourd’hui d’avancer vers une modélisation de la coopération dans le domaine du bâtiment. Les raisonnements issus de la recherche en Sciences de l’Information nous permettent en particulier d’appliquer aujourd’hui des méthodes au domaine de la recherche pour l’architecture et la construction.
La modélisation est un moyen pour représenter l’activité collective, l’analyser ainsi que supporter des applications particulières. L’approche par modèle permet notamment le développement d’outils inter-opérables, grâce à l’abstraction que représente le modèle (et son modèle : le méta‑modèle).
2.1. Contexte identifiable
Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux éléments de contexte intervenant dans la qualité des interactions et de la coopération. Il s’agit d’identifier et de caractériser « les informations permettant de décrire et d’interpréter une situation d’interaction entre agents » (Rosa et al., 2003).
Une analyse des pratiques nous a conduits à regrouper les éléments représentatifs du contexte de la coopération dans le secteur du bâtiment en quatre grandes familles :
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Le contexte des acteurs impliqués dans le projet permet d’appréhender les équipes d’un point de vue socioprofessionnel, et notamment les rapports hiérarchiques entre individus.
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Le contexte des activités comprend des informations chronologiques (tâches planifiées, en cours ou à venir). Notons l’importance de la perception des interactions à travers le rôle des acteurs (leur relation avec les tâches).
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Le contexte informatif permet de décrire l’information nécessaire au déroulement des activités. La maîtrise des documents est primordiale dans tout projet.
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Le contexte des objets permet de représenter l’objectif du projet qui est la production d’un objet (composé de sous-objets). Les activités sont des moyens d’intervenir sur les objets.
Cette classification ne saurait être exhaustive mais elle nous permet de proposer un premier modèle du contexte de coopération.
2.2. Modèle de coopération
Le modèle de coopération en conception/réalisation doit représenter les acteurs, leurs activités, les documents qu’ils produisent et les objets de la coopération mais aussi les relations et interactions existants entre eux. Nous proposons donc de le structurer autour de cinq concepts :
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Acteur : dans un projet, chaque acteur a une capacité d’action limitée et une autonomie particulière dans la prise de décision. L’acteur agit au sein d’activités qui constituent le projet, donne son opinion, entretient des relations avec son environnement dans le cadre d’une collaboration avec d’autres acteurs.
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Document : le document représente la partie d’un contrat que l’on remet au client. Par exemple, l’appel d’offres doit inclure un certain nombre d’éléments : plans, descriptif, etc.
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Activité : au sein d’un projet, l’activité peut avoir différents niveaux de granularité (projet, phase, tâche). Dans le cadre de la loi française sur la Maîtrise d’Ouvrage Publique, un certain nombre d’étapes sont définies, auxquelles correspondent d’ailleurs les échelles de plans souhaitées.
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Objet : l’objet représente le but de l’activité de coopération. Nous distinguerons deux types d’objets : les ouvrages élémentaires du bâtiment et les espaces.
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Relation : les relations entre acteurs dépendent de l’organisation sociale du groupe (relation hiérarchique) ; les relations entre acteurs et activités définissent le rôle d’un acteur dans une activité : rôle opérationnel, rôle organisationnel ; les relations entre acteurs et documents dépendent du rôle et de l’état du projet : superviser, produire, commenter, consulter, réviser, diffuser, etc.
Ces relations concernant le contexte de projet coopératif sont représentées et décrites dans le modèle de coopération en conception/construction :
La modélisation du contexte coopératif ouvre des perspectives de développement d’un nouvel outil, tant pour la structuration des informations que pour la représentation de ces informations, en compatibilité avec les outils utilisés par les acteurs (Brézillon, 2003). Nous nous intéresserons dans la suite de cet article à la problématique particulière de la coopération en phase chantier. La mise en évidence des enjeux de cette activité, des outils et méthodes utilisés actuellement ainsi que de leurs limites nous conduira à émettre des propositions pour assister cette phase essentielle de tout projet de construction.
3. La coopération en phase chantier
3.1. Enjeux de la coopération
La phase de mise en œuvre est le moment du projet où l’objet (l’ouvrage) passe progressivement de « l’état conçu » à « l’état réalisé ». On peut identifier un certain nombre de points caractéristiques de la phase chantier :
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L’apparition de nouveaux acteurs dans l’équipe de projet (SPS, pilote de chantier, responsable environnement, entreprises…) dont le rapport hiérarchique diffère fortement de celui des acteurs de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre ;
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L’émergence de nouveaux objets qui concrétisent les objets de conception (matériaux, matériels, outils…) ;
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L’évolution de la conception architecturale et technique avec des informations nouvelles relatives aux modes d’exécution qui se traduit par de nouveaux documents (plans d’exécution des entreprises, plans de chantier…) ;
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Le développement de tâches de coordination avec en particulier le découpage du projet en tâches élémentaires dont l’enchaînement doit être maîtrisé le plus finement possible en fonction des intervenants et du temps (mission de planification).
Dans cette phase les enjeux sont multiples : contrôler et assurer la qualité d’exécution des ouvrages et leur conformité aux plans, respecter les délais impartis (anticiper les problèmes, éviter ou résoudre les conflits), maîtriser les coûts tels qu’ils ont été prévus en amont du chantier, etc.
Tous les acteurs sont mobilisés autour de ce processus, mais chacun a son point de vue propre sur l’activité et ses objectifs (économique, technique, architectural etc.) ce qui rend nécessaire une coordination de qualité. Par ailleurs des modifications interviennent souvent sur le projet alors même que sa réalisation est en cours. Des problèmes imprévus apparaissent, obligeant l’équipe de conception et les entreprises à trouver rapidement des solutions pour continuer le chantier.
G. Tapie et E. Courdurier (Tapie et al., 2002) citent d’ailleurs « les expertises liées au chantier : la coordination, l’organisation, la circulation des documents, le suivi, le contrôle » comme quelques-unes des grandes fonctions émergentes dans les activités de maîtrise d’œuvre. L’adaptabilité et la flexibilité des processus et de l’organisation des acteurs et des tâches nous semblent donc être des enjeux essentiels en phase chantier.
3.2. Modes de coordination
La conduite de chantier met en œuvre deux types de coordination bien distincts : la coordination « multi-acteurs » et la coordination « inter-acteurs ». La coordination « multi-acteurs » a pour objectif explicite de définir au mieux les conditions de déroulement du chantier et d’en permettre le suivi rigoureux. Deux types d’activité permettent d’assurer cette coordination : la planification et la réunion de chantier. La planification consiste à décomposer les interventions de chacun en tâches élémentaires, à déterminer leurs enchaînements dans le temps (date de début, date due) et à identifier le chemin critique. La réunion de chantier permet de faire le point sur l’avancement des travaux avec tous les acteurs, et notamment d’identifier et d’essayer de résoudre les problèmes existants ou anticipés. Cette réunion donne lieu à la production d’un compte-rendu validant les décisions prises et les réserves émises de façon contractuelle. La coordination « inter-acteurs », plus implicite, permet aux acteurs de travailler ensemble, de s’organiser et de faire face aux problèmes ou aux changements. Cette coordination de « bas niveau » assure en grande partie l’adaptabilité du système de production à un contexte évolutif.
3.3. Limites des modes de coordination actuels
Les différentes méthodes de coordination sont complémentaires et ont pour objectif d’assurer le bon déroulement du chantier. Toutefois nous pouvons identifier un certain nombre de limites à ces activités. D’une manière générale, les activités de coordination génèrent une très grande quantité d’informations. Les méthodes employées ne permettent pas de créer des liens entre les informations et elles n’assurent que peu de traçabilité des informations (choix, décisions). L’information est le plus souvent diffusée dans sa totalité à tous les acteurs. Cette surcharge informationnelle a un effet négatif car les acteurs ne retrouvent plus l’information qui les concerne. La communication de l’information de coordination se fait sous des formes basiques comme le fax ou parfois l’e-mail. Ces moyens ne permettent pas de contrôler la diffusion et la consultation des documents. Les documents eux-mêmes n’ont souvent pas de lien entre eux (planning et compte-rendu par exemple) ce qui rend fastidieux tout travail de recherche d’information. Ces méthodes ne sont pas très réactives et demandent beaucoup de travail afin d’adapter l’information saisie à la réalité du chantier. L’adaptabilité des outils est loin d’être optimale et pénalise donc l’adaptabilité des équipes d’acteurs (retards d’intervention, erreurs...).
Pour répondre à ces limites, on assiste depuis quelques années au développement de nouvelles méthodes et de nouveaux outils, tant pour la coopération en phase de conception qu’en phase de construction. Les « armoires à plans » sont utilisées dans le cadre de grands projets, pour faciliter l’échange de documents. Les « serveurs de gestion de projet » proposent d’organiser et de gérer diverses facettes de l’activité : requête entre acteurs, tâches, etc. Des travaux de recherche récents ont pour but d’adapter ces outils issus du monde de l’industrie aux spécificités du domaine de la construction (Hanser, 2003). L’interopérabilité des outils se répand, notamment par l’utilisation de formats d’échanges de données orientés « objets » comme les IFC (Information For Construction)1. On assiste même depuis quelques années au développement de l’utilisation de la photographie numérique qui apparaît comme un média intéressant pour ses qualités de représentation du contexte (Dossier, 2005).
Mais ces nouvelles pratiques trouvent elles aussi leurs limites. Issues le plus souvent d’autres secteurs d’activités, elles souffrent souvent d’inadaptation au contexte du bâtiment en ne prenant pas suffisamment en compte ses particularités. Face à cette analyse de la coordination en phase chantier, il nous semble nécessaire de préciser que la coordination de groupe peut être améliorée par le développement et l’utilisation d’outils de gestion de projet adaptés aux particularités du secteur. La coordination « inter-acteurs » dans sa forme actuelle doit être préservée car elle permet l’adaptabilité du système aux changements et évolutions du projet. On peut cependant émettre l’hypothèse qu’une meilleure connaissance du contexte par les acteurs devrait les aider à s’auto‑coordonner.
4. Améliorer la qualité de la coopération en phase chantier
La maîtrise de la diffusion de l’information de coordination de groupe est un des facteurs clefs dans la qualité de la coopération en phase chantier. La réunion de chantier est le moment privilégié pour le partage de cette information (consignes d’avancement, résolution des problèmes etc.). Elle donne lieu à la rédaction d’un compte‑rendu.
4.1. Le compte‑-rendu de chantier
Ce document vise à synthétiser les informations échangées au cours de la réunion et d’assurer leur transmission aux différents intervenants (Grezes et al., 1994). La structure du compte-rendu est relativement stable d’une opération à l’autre. On y trouve des informations générales relatives à la réunion et au chantier, des informations sur l’état d’avancement du chantier et la coordination des tâches, ainsi que des points particuliers décrivant des problèmes, des remarques…
L’illustration 2 montre aussi que les concepts identifiés dans la structure habituelle d’un compte-rendu sont décrits aisément par les entités du modèle de coopération exposé précédemment... Le compte-rendu est donc un outil essentiel dans la coordination en phase chantier. Cependant sa forme de diffusion actuelle, ainsi que son contenu, nous semblent encore perfectibles. L’utilisation d’un système d’information adapté pourrait permettre d’améliorer la coordination du chantier (Hanrot, 2005). Notre proposition consiste à améliorer la qualité de représentation du contexte par l’acteur afin de lui permettre de mieux situer son action dans le projet. Nous énonçons deux propositions-clefs pour la conception d’un outil d’assistance à la gestion du chantier : la prise en compte du point de vue des acteurs sur l’information et l’utilisation de l’imagerie numérique de chantier.
4.2. Le point de vue
Afin de répondre au besoin particulier d’un utilisateur, l’outil qu’il utilise doit être en mesure de lui fournir une information adaptée à son besoin. La prise en compte du point de vue de l’acteur sur l’objet passe par la construction d’une représentation adaptée de son contexte d’interaction. Deux types de points de vue sont identifiables dans le cadre de la coopération en phase chantier : le point de vue a priori, qui définit les informations utiles à l’utilisateur dans une situation donnée, et que l’on peut construire dans la définition même de l’outil (accès personnalisé) ; le point de vue « en situation », qui est une construction de la représentation en fonction du besoin formulé par un utilisateur. Le système doit donc être réactif et adaptable.
4.3. L’image numérique
L’image est un support largement utilisé pour transmettre l’information. Dans notre visée d’instrumentation de la phase de mise en œuvre du bâtiment, nous nous sommes intéressés aux caractéristiques particulières de l’image de chantier et à ses potentiels d’utilisation. L’image de chantier a pour particularité le fait qu’elle rend compte d’un objet en cours de fabrication (Kubicki et al., 2004). Elle est une illustration de l’avancement général du chantier ou de la réalisation d’ouvrages particuliers à un instant donné. En cela, elle est une trace de ce qui est fait. Dans cette optique, son intégration en tant qu’illustration de points du compte-rendu de chantier est de plus en plus fréquente. L’image possède une fonction heuristique puisqu’elle peut permettre la découverte et l’anticipation de problèmes non détectés par d’autres moyens. Enfin, l’image permet de capitaliser une connaissance de terrain (savoir ou savoir‑faire).
4.4. Prototype « Image. Chantier »
Ces spécifications ont conduit au développement d’un prototype d’outil dont l’objectif est de proposer une forme de diffusion nouvelle de l’information de coordination.
Dans le cadre de ce développement, nous avons restreint notre champ d’étude afin d’isoler certains concepts issus du document de compte-rendu :
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Les points d’avancement : information relative à l’avancement d’un ouvrage particulier. On les décrit par acteur réalisant l’ouvrage ;
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Les points particuliers : information et description de problèmes singuliers. Ils se caractérisent par un émetteur (auteur du point) et un ou plusieurs destinataires (entreprises en interface par exemple). Ils peuvent concerner un ou plusieurs ouvrages particuliers ;
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L’intégration dans un système d’information nous permet de gérer certains points de vue. Le prototype propose des filtres sur l’information : par acteur et par ouvrage.
Enfin, le modèle montre que des liens peuvent exister entre différents types d’information : par exemple un point particulier peut concerner un ou plusieurs points d’avancement. Le prototype utilise une base de données permettant de saisir et de structurer l’information en relation avec le modèle de coopération). Des interfaces Web permettent la diffusion de l’information du compte-rendu.
5. Expérimentation
Pour valider notre approche nous conduisons actuellement une expérimentation en situation réelle de construction2. Ce travail expérimental a été découpé en plusieurs phases : une phase d’analyse des besoins en étroite collaboration avec les différents acteurs et le développement du prototype ; une phase d’utilisation de l’outil dans le cadre du chantier comme outil de visualisation de l’information de coordination par les différents acteurs ; et une phase de validation. Cette phase s’appuie d’abord sur des entretiens oraux en cours de chantier avec les utilisateurs pour valider à la fois la pertinence de l’information proposée (lien avec le compte-rendu officiel) et l’intérêt d’un nouvel outil basé sur les TIC.
Ensuite, une enquête finale basée sur un questionnaire permettra d’évaluer l’intérêt et l’usage réel des utilisateurs pour les fonctionnalités proposées et leurs effets possibles sur l’amélioration de la coopération sur le chantier.
Même si la validation de cette expérimentation est encore en cours, nous pouvons déjà souligner un certain nombre de résultats encourageants de nos entretiens informels avec les différents acteurs du chantier. Tout d’abord, la tendance de l’utilisation de nouveaux outils basés sur les TIC semble aujourd’hui largement acceptée par les différents acteurs même s’ils ne sont pas vraiment disposés à franchir le pas dans leurs entreprises. Ensuite, nous avons noté une utilisation régulière de l’outil par certains types d’utilisateurs : maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, particulièrement pour sa capacité à permettre un suivi du chantier de l’extérieur (personnes ne se déplaçant pas régulièrement aux réunions). D’une manière générale, nous pouvons aussi noter que l’effet de preuve de l’image est largement reconnu par tous (vérification du résultat constaté par rapport au résultat attendu). Enfin, il semble se confirmer que l’image porte aussi une fonction d’identification et d’anticipation de problèmes non posés, notamment chez les utilisateurs distants et peu présents sur le chantier.
Conclusion
Les particularités de la production du bâtiment et de l’activité de chantier ont engendré des dispositifs coopératifs spécifiques faisant preuve de beaucoup de réactivité et d’adaptabilité, mais qui doivent encore gagner en qualité et en fiabilité (maîtrise des délais, des coûts…). L’apparition de nouveaux outils de coopération semble prometteuse pour améliorer la qualité des processus, mais ces outils soulèvent des difficultés pour les utilisateurs comme leur manque d’adaptabilité ou la difficulté à se représenter et à agir sur le « contexte de la coopération ». Pour y remédier, ces outils doivent mieux prendre en compte le point de vue de l’utilisateur sur le contexte de projet afin d’améliorer la qualité des interactions. La visualisation de ce contexte peut être aussi facilitée par l’utilisation de l’image.
Le modèle de coopération et le prototype d’outil proposés ici ainsi que l’expérimentation confortent l’utilité et la place de nouveaux outils pour assister la gestion du chantier. Au-delà de la diffusion du compte-rendu de chantier, c’est tout le circuit de l’information de coordination qui peut être réenvisagé sous l’œil de nouvelles technologies afin de gagner en qualité : souplesse, adaptabilité et réactivité. Cette étude laisse entrevoir un certain nombre de pistes de recherche. Tout d’abord, les objets manipulés et conçus (ouvrages, espaces…) en phase de conception peuvent être représentés à l’aide d’une maquette numérique. Cette maquette permet un flux continu d’information de la phase étude à la phase chantier : planification, suivi de chantier, Dossier des Ouvrages Exécutés… Par ailleurs, d’autres informations comme celles qui sont fournies par les industriels des produits et composants devraient pouvoir s’ajouter au projet de mise en chantier. L’activité de chantier gagnerait en qualité, notamment par une meilleure maîtrise du flux d’information avec l’industrie en amont. Enfin, les pages précédentes ont permis de caractériser le rôle central du document de compte-rendu de chantier dans la coordination des équipes d’acteurs, qui centralise l’information importante mais ne la décrit pas toujours assez précisément. Concrètement, il renvoie souvent vers d’autres documents explicitant l’information (plannings, CCTP…). L’utilisation d’un système d’information pour la gestion de chantier nous permet donc aussi d’entrevoir des potentialités pour lier « intelligemment » ces documents et outils entre eux, notamment en fonction des besoins de l’utilisateur.