Quelques renseignements sur la situation des architectes à Moscou

Some lessons learned from the situation of architects in Moscow

Nikita Tokarev

p. 209-223

Citer cet article

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Nikita Tokarev, « Quelques renseignements sur la situation des architectes à Moscou », Cahiers RAMAU, 2 | 2001, 209-223.

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Nikita Tokarev, « Quelques renseignements sur la situation des architectes à Moscou », Cahiers RAMAU [En ligne], 2 | 2001, mis en ligne le 08 novembre 2021, consulté le 22 décembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/541

Cet article est consacré à l’évolution de la profession d’architecte à Moscou dans les années 1990. L’auteur propose tout d’abord une analyse de la demande et de l’offre des services d’architecture et de la sphère d’activité des architectes, soulignant la segmentation du marché, dressant une typologie simple des origines de la commande et des prestations associées (clients privés individuels ou en société, promoteurs, commande publique municipale ou fédérale) et donnant un aperçu de la population et de l’activité des bureaux d’études. Dans une seconde partie, il analyse l’offre et la demande à l’intérieur de la profession elle-même, commentant quelques statistiques sur la population d’architectes à Moscou et des estimations de leurs revenus, établissant les distinctions et évaluations entre les modes d’exercice de la profession (free-lance, salariés d’agences, salariés d’entreprises non architecturales, autres). Du côté de l’offre, il donne un aperçu du système de formation en archi­tecture et de la situation des étudiants en architecture.

This article deals with the evolution of the profession of architect in Moscow during the 90s. The author first proposes an analysis of demand and supply in archi­tectural services and of the sphere of activity of architects, highlighting market segmentation, defining a simple typology of commissions and of associated provisions (private individual clients, corporate clients, developers, city or federal public commission), and giving an over-view of the technical consultant population and its activities. In a second part, the author analyses demand and supply within the profession itself, with comments on statistics of the architectural population in Moscow and an assessment of their income, defining distinctions between and assessments of practice modes (free lance, agency wage earners, non architectural company wage earners, others). On the supply side, he gives an overview of the architectural education system and of the situation of students of architecture.

1. Introduction

« En URSS avant la Perestroïka, la plupart des activités professionnelles étaient soumises à l’État, qui contrôlait entièrement le fonctionnement social et économique des pratiques professionnelles. La profession d’architecte était construite sur le modèle du fonctionnariat : les architectes, comme la plupart des autres professions intellectuelles spécialisées, étaient des fonctionnaires de l’État. L’État et ses organes étaient les seuls et uniques commanditaires de tout ce qui avait trait à l’architecture, l’habitat, l’urbanisme et l’aménagement du territoire ».

Telle est la caractéristique de la situation avant 1989-1990, donnée par E. Voznessenskaia (1996 ; 1997). Suite à l’évolution capitale de la vie économique et politique en Russie, ces dix dernières années, l’activité professionnelle des architectes est devenue (redevenue) un des domaines de l’activité économique, une part du marché des services d’architecture. On peut parler d’une désétatisation de la profession. Ceci a beaucoup influencé la structure de la profession, la situation sociale et politique des architectes et a imposé de nouvelles exigences vis-à-vis de la formation professionnelle. Par conséquent, l’objectif de cet article est le suivant : présenter d’une manière générale la situation de la profession d’architecte à Moscou dans le contexte du marché (équilibre de l’offre et de la demande). L’évolution des aspects sociaux, culturels et esthétiques, qui mérite une étude particulière, n’est pas discutée dans le cadre de ce texte. Ce problème a été envisagé sous deux aspects :

  1. La demande – la vision de l’extérieur. Un champ d’action des architectes, une demande de services architecturaux, une segmentation du marché en fonction de la catégorie des clients, des bureaux d’étude et une gamme de services proposée.

  2. L’offre – la vision de l’intérieur. Une demande et une offre interne à la profession (le marché des employés d’architecture), la spécialisation des architectes, un modèle de professionnel, le rapport entre la formation professionnelle des architectes et les exigences du marché.

Pour ce travail on a utilisé les données statistiques de l’Association des Architectes de Moscou (AAM) et les résultats d’enquêtes réalisées de mars à mai 1998 : une enquête auprès des architectes praticiens (230 entretiens), une enquête par téléphone auprès des agences d’architecture (environ 70 agences), une enquête auprès des étudiants de cinquième et de sixième année de l’École d’Architecture (110 réponses), ainsi que des données de presse et de publicité1. Concernant la situation actuelle, on s’est appuyé sur les résultats de l’enquête de la revue Projet-Russie (1 260 architectes licenciés de Moscou et d’autres régions de la Russie ont participé à cette enquête en 1999-2000) (Projet-Russie, 2000).

Des informations très importantes sur la situation des architectes ont été obtenues grâce aux travaux d’Elena Voznessenskaia (1996 ; 1997). Nous nous sommes également basés sur des informations concernant la situation des architectes à l’étranger – en particulier en Europe Occidentale (France, Allemagne, Suisse, Espagne). Du fait de la restriction des possibilités de recherche, les résultats des enquêtes ne peuvent être considérés comme plus ou moins représentatifs que pour Moscou et ils indiquent plutôt une tendance. Des conclusions plus définitives devront être basées sur des recherches approfondies.

2. La demande et l’offre des services d’architecture, la sphère d’activité des architectes

2.1. La segmentation du marché, l’estimation de la demande

Le marché des services d’architecture est directement lié à celui de la construction. Ces trois à cinq dernières années, Moscou ainsi que sa région connaissent un essor considérable de la construction. Cela concerne tous les domaines du marché : de la construction municipale, largement représentée à Moscou (construction de logements et de grands projets au centre de la ville), à la construction individuelle (rénovation et reconstruction d’appartements, construction de maisons individuelles en banlieue). De ce fait, les services d’architecture sont très recherchés. Ultérieurement, en parlant du marché d’architecture et des architectes, nous aurons en vue tous ces différents types de projets et de conception d’architecture et tous les services qui leur sont nécessairement liés.

Au total le marché d’architecture à Moscou est assez développé. La majorité des bureaux d’études font de la publicité dans la presse. Il existe plus d’une dizaine de revues, orientées tant vers les professionnels que vers les clients.

Des concours et des expositions sont souvent organisés. La plupart des architectes (49 %) estiment que la situation générale de leur profession est positive (en ce qui concerne les perspectives, le prestige de la profession, la rémunération du travail), tandis que 35 % d’architectes la considèrent comme insatisfaisante. Le marché est différencié, des groupes de clients avec leurs demandes spécifiques se sont nettement formés, ce qui suscite, en retour, une spécialisation des architectes. De ce fait, la demande peut être estimée, tant du point de vue du nombre de commandes que de leur coût. Il apparaît que pour les architectes qui exercent la pratique privée, le premier paramètre – le nombre de commandes – est le plus important. D’après le nombre de commandes, les groupes essentiels de clients peuvent être classés du plus grand au plus petit. Ci-dessous on peut voir une liste approximative des services demandés par chaque segment du marché.

  • Pour les clients privés (appartements, maisons individuelles) : les services de designer (l’assortiment de meubles et d’équipement), les conseils sur l’aménagement intérieur, le projet architectural, le permis de construire. Les services de maîtrise d’œuvre de réalisation et de conseil à la maîtrise d’ouvrage sont plus rarement demandés.

  • Pour la clientèle de sociétés – c’est-à-dire les sociétés de commerce privées construisant des bâtiments pour leurs propres besoins (design de l’équipement et architecture d’intérieur, bâtiments temporaires, bureaux et bâtiments industriels) : les conseils de programmation, les projets d’aménagement intérieur, les projets des bâtiments (architecture et ingénierie) et le permis de construire, la maîtrise d’ouvrage sont demandés. Les commandes pour la conduite de projet et la maîtrise d’œuvre de réalisation sont plus rares.

  • Pour les promoteurs : les projets d’architecture et d’ingénierie, le permis de construire, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre de réalisation sont demandées.

  • Pour la commande publique (municipale et fédérale) : logements, bureaux, bâtiments sociaux et culturels ; généralement, la demande concerne des projets d’architecture et d’ingénierie (y compris les travaux d’adaptation d’un projet type à une situation concrète), le permis de construire et la maîtrise d’œuvre d’exécution.

Il est intéressant de comparer ce modèle avec les données du tableau 1, qui montrent la répartition des différents clients différents dans l’ensemble des commandes (voir tableau 1). Les proportions du marché local sont presque similaires aux résultats de l’enquête faite en Espagne (là-bas la commande des clients privés et des clients entreprises constitue en tout 68 % du marché), ce qui confirme l’idée que le marché d’architecture à Moscou est développé (Documents du IIème congrès des architectes de la Catalogne, 1995). La part des promoteurs à Moscou est inférieure à celle de l’Espagne (6 % contre 22 %). La part de la commande publique correspond à peu près à celle de l’Espagne et le nombre de clients privés est relativement faible. Ceci s’explique, d’une part, par le fait que la catégorie des clients privés qui s’adressent aux services des architectes ne s’est pas encore constituée ; d’autre part, par le fait que les architectes professionnels n’ont pas suffisamment pénétré ce marché et que le volume de commandes est hors de leur contrôle.

Tableau 1 Les différents clients de la commande architecturale en Russie

Tableau 1 Les différents clients de la commande architecturale en Russie

La demande des petits clients entreprises et des clients individuels est assez importante et a tendance à s’accroître. C’est qu’il y a beaucoup d’architectes non-professionnels qui travaillent dans ce secteur du marché (des agences de construction proposant les services de projets, des artistes de différentes spécialisations, etc.) ainsi que des étudiants architectes. C’est dans ce secteur là qu’existe un marché parallèle, car la plupart des services sont effectués sans licence ni autorisation officielle.

De nombreuses revues sont publiées à l’attention des clients potentiels. On recrute des architectes et des architectes d’intérieur dans des sociétés non-architecturales (il s’agit de sociétés dont les services architecturaux sont secondaires) travaillant pour des clients individuels. C’est le seul domaine où se pratique l’embauche des architectes par le biais des agences ou des annonces. Tout cela indique une concurrence relativement peu importante dans ce secteur du marché.

La part des commandes publiques, qui était en baisse au début des années quatre-vingt-dix, du fait de la réduction des investissements dans la construction, reste aujourd’hui assez stable, au niveau de 20 % du nombre des commandes totales.

On peut dire que la différenciation des commandes a tendance à s’accentuer, grâce aux services d’avant-projet (conseils), aux services des architectes d’intérieur, aux services de programmation et également grâce à ceux d’après-projet (conduite et contrôle de la réalisation), d’accomplissement des fonctions de clients, dans la plupart des cas sous forme de maîtrise d’œuvre (voir tableaux 2 et 3).

Tableau 2 La spécialisation des architectes et de la commande en Russie

Tableau 2 La spécialisation des architectes et de la commande en Russie

Tableau 3 Les différents services offerts par les agences architecturales en Russie

Tableau 3 Les différents services offerts par les agences architecturales en Russie

2.2. Les bureaux d’études et la gamme de services proposée

Il y a aujourd’hui environ 300-330 agences à Moscou, qui proposent leurs services architecturaux (selon les données de presse). Si le nombre approximatif d’architectes praticiens à Moscou est de plus de 5 500 (selon les données de 1992 – sans compter les étudiants qui travaillent et les retraités en activité), alors, une agence comprend en moyenne 18 architectes diplômés, avec le reste du personnel cela constitue au total 22,5 personnes par agence (Projet-Russie, 2000).2 Pour comparaison, en Suisse ce nombre est égal à 7 architectes. La part des grandes agences sur le marché de Moscou est donc assez importante. Il y a approximativement 200 agences créées par des architectes qui ont des licences individuelles de l’AAM, les autres ont des licences corporatives, délivrées par les structures d’État. La majorité écrasante des agences sont d’origine locale, il n’y a que quinze agences complètement étrangères qui fonctionnent à Moscou en permanence (il s’agit de départements de sociétés étrangères ou bien d’agences créées par des personnes étrangères). Il existe encore un certain nombre d’entreprises en joint-venture. Globalement le marché de services architecturaux est bien protégé par l’État. Les agences étrangères collaborent en général avec des clients étrangers et jouent le rôle de sous-traitants pour certains types de travaux. Il y a une forte différence entre les tarifs des travaux établis par les architectes locaux et étrangers, ces derniers étant deux fois plus élevés.

Il est à constater que la spécialisation des agences s’est formée en fonction d’un type de commande. Les commandes municipales (surtout les projets d’urbanisme) sont principalement traitées par les agences issues des établissements soviétiques et qui aujourd’hui font partiellement partie de la propriété municipale (environ trente agences). Les commandes des promoteurs et une grande partie de la commande des sociétés sont partagées entre ces mêmes organismes ex-soviétiques et les grandes agences privées, créées après 1991. La majorité des petites commandes des sociétés et individuelles appartient aux petits bureaux d’études, aux architectes en free-lance et aux agences non-architecturales. Ce secteur du marché évolue plus rapidement que les autres et c’est là, d’après une information de presse, que le nombre de nouvelles entreprises augmente le plus. Beaucoup de jeunes architectes travaillent sans avoir de licence et sans faire partie de l’AAM. Il est probable que le niveau de ce secteur soit encore plus élevé que l’enquête ne l’a démontré, car il n’est pas toujours possible d’enquêter auprès de tous les architectes travaillant sur le marché des commandes privées. La nature des commandes des agences participant à l’enquête, ainsi que la spécialisation des architectes (le secteur où ils travaillent principalement) est présentée d’une manière plus détaillée sur le tableau 2. Ces données coïncident. Les projets de bâtiments sont les plus nombreux (le nombre de logements et de bâtiments publics est le même et le nombre de bâtiments industriels est de 1,5 fois inférieur) mais il y a beaucoup (par exemple par rapport à l’Espagne) de travaux d’aménagement intérieur, de rénovation et de reconstruction. Le niveau de commandes concernant l’urbanisme est assez faible (en Espagne l’urbanisme constitue presque 30 % des commandes), il en résulte que la part de commandes budgétaires municipales est en baisse.3

Les services offerts par les agences architecturales qui ont répondu à l’enquête sont présentés sur le tableau 3. La gamme des services est large. Beaucoup d’agences offrent, hormis des travaux de projet, des travaux de maîtrise d’œuvre d’exécution. La maîtrise d’ouvrage est relativement rare, le nombre de travaux de projet d’ingénierie est aussi insuffisant – il n’y a que 50 % des agences qui offrent cette sorte de services.

On peut conclure les parties 1 et 2 : la structure de l’offre ne correspond pas suffisamment à la structure de la demande. Le secteur où il y a le plus grand nombre de commandes est le moins occupé. Le nouveau domaine du marché – les besoins des clients individuels et des petites sociétés – n’est pas investi jusqu’au bout par les architectes professionnels. Une hausse future de l’offre n’est donc pas à exclure dans ce secteur du marché.

3. L’offre et la demande à l’intérieur de la profession

3.1. L’estimation de la demande. Le marché des cadres en architecture. La figure de l’architecte

Selon les données statistiques de 1992, à Moscou il y avait environ 7 000 architectes diplômés (parmi lesquels 1 500 retraités). À en juger par le nombre des membres de l’Association des Architectes de Moscou (5 115 personnes en 1992 et 4906 en 1997), le nombre d’architectes a peu évolué ces cinq dernières années, même si le nombre de personnes travaillant dans ce secteur s’est certainement accru, essentiellement grâce aux architectes non-professionnels et aux étudiants. Il y a 611 architectes praticiens pour un million d’habitants à Moscou – c’est une grande densité, qui peut être comparée avec celle des pays européens principaux (selon les données statistiques de 1989, en Grande-Bretagne cet indice est égal à 500 ; en France, à 447 ; en Italie, à 663 ; en Allemagne, à 1 000). Parmi les architectes de Moscou il y a environ 40 % de femmes et 60 % d’hommes (Projet-Russie, 2000).4

Concernant les données sur l’emploi des architectes, nous n’avons pas d’information et il n’existe d’ailleurs pas de marché de l’emploi officiel. Dans la liste du service municipal de l’emploi et des autres agences de recrutement, il n’y a pratiquement pas d’architectes (par exemple, dans la liste de la bourse d’emploi, auprès du service spécialisé de l’Archfond5, il n’y a que 36 prétendants inscrits). Un seul secteur du marché de l’emploi est pris en compte, c’est le recrutement des architectes dans des sociétés non-architecturales. On peut conclure qu’il y a suffisamment de demandes sur le marché et que le milieu professionnel, où l’on cherche du travail sans avoir recours aux services des intermédiaires, est assez dense et compact.

Le niveau de revenus de 40 % des architectes interrogés (voir tableau 4) s’élève à plus de 500 dollars par mois, ce niveau est supérieur à celui du salaire mensuel moyen à Moscou. Une part notable des architectes peut être intégrée au groupe de la population à fort revenu (il s’agit, à Moscou, d’après une information de la revue Itogui (Les Bilans), des citoyens dont les revenus s’élèvent à plus de 270 à 300 dollars par mois pour un membre de la famille). On constate qu’il y a une certaine relation entre le niveau de revenus et la situation professionnelle (tableau 5). Les revenus des architectes en free-lance et de ceux qui travaillent dans des sociétés non-architecturales sont supérieurs aux autres. La corrélation entre le revenu et la durée de la carrière est faible.

Tableau 4 Les revenus des architectes en Russie

Tableau 4 Les revenus des architectes en Russie

Tableau 5 Les revenus des architectes en Russie par type d’activité

Tableau 5 Les revenus des architectes en Russie par type d’activité

Du point de vue de la situation professionnelle, les architectes peuvent être classés en quatre groupes (tableaux 6 et 7) :

  • les architectes en free-lance (travaillant seuls ou avec des partenaires) ;

  • Les architectes salariés, travaillant dans des agences architecturales ;

  • Les salariés travaillant dans des sociétés non-architecturales ;

  • Les autres (fonctionnaires, professeurs, chercheurs, etc.).

Tableau 6 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’enquête

Tableau 6 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’enquête

Tableau 7 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’A.A.M

Tableau 7 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’A.A.M

Il est certain que les architectes salariés travaillant dans des agences architecturales et non-architecturales sont les plus nombreux. Selon les données de l’enquête et celles de l’AAM, leur part constitue environ 70 % (en France cet indice est égal à 10 %, en Allemagne à 46 % – un des plus élevés en Europe).6

« Les architectes de Moscou ont été parmi les premiers groupes professionnels à organiser leur activité sous des formes alternatives aux formes étatiques. C’est parmi eux que se trouvent les pionniers du processus de conversion, les premiers architectes à se donner la dénomination d’indépendants. » (Voznessenskaia, 1996 ; 1997).

Une question importante est à poser : quel type de l’architecte peut être considéré comme free-lance (ou indépendant) ? Trois critères sont possibles : a) un critère formel ou potentiel (la présence d’une licence) – dans ce cas, nous pouvons utiliser la statistique de l’AAM ; b) un critère effectif – la propre estimation par un architecte de sa situation professionnelle ; enfin, c) un architecte qui a créé une agence peut être considéré comme architecte en free-lance. La part des architectes en free-lance, définie selon chacun des trois critères est très différente parmi les architectes interrogés (tableau 8). En se basant sur ces données on peut conclure que dans les conditions de la pratique indépendante, le nombre réel d’architectes qui travaillent est supérieur à celui des licences (ce fait est confirmé par les données sur les revenus – tableau 5) et l’obtention par un architecte d’une licence ne prouve en rien la création d’une agence. A présent l’AAM a délivré environ 800 licences, la croissance du nombre d’architectes ayant une licence a ralenti (cet indice a atteint son maximum en 1993-1994). L’apparition de nouvelles agences a aussi diminué : durant les années 1991-1993 on a créé 150 agences sur les licences de l’AAM, vers 1998 on a constaté l’apparition de 100 nouvelles agences. Ceci signifie que le nombre d’architectes prêts à lancer leur agence est limité et que, d’autre part, ils trouvent, pour organiser leur bureau d’études, d’autres possibilités que la protection de l’AAM.

Tableau 8 La part des architectes en free-lance en Russie selon différents modes d’estimation

Tableau 8 La part des architectes en free-lance en Russie selon différents modes d’estimation

Le nombre des fonctionnaires, de chercheurs et de professeurs s’est stabilisé au niveau approximatif de 20 % (selon les données de l’AAM). C’est un indice moyen, similaire aux données des pays européens. La part des architectes dans des sociétés non-architecturales s’est retrouvée assez grande et constitue 10 à 20 % du nombre général des architectes. Il n’est pas exclu que cette proportion soit en hausse.

Du point de vue des spécialités, ce sont les différents projets de bâtiments qui jouent le rôle dominant. En même temps la part des travaux d’aménagement intérieur, de la restauration (rénovation) et de la reconstruction est excessivement grande (pour comparer, en Espagne ce domaine d’activité a été reconnu comme celui de base seulement par 0,4 % et 0,9 % des architectes interrogés). Il est possible qu’à Moscou les professions d’architecte et d’architecte d’intérieur ne soient pas séparées. Parmi les architectes interrogés, les architectes en free-lance sont spécialisés le plus souvent dans l’architecture intérieure, les salariés sont spécialisés dans le travail de projet de bâtiments et leur rôle est absolument dominant dans l’urbanisme (planification). Les travaux d’aménagement intérieur, qui n’exigent pas de moyens techniques considérables ni beaucoup de personnel, attirent les petits bureaux d’études, les projets de grande échelle reviennent aux organismes plus développés qui disposent d’employés, tandis que l’urbanisme reste aujourd’hui une prérogative exclusive de l’État.

3.2. L’offre sur le marché des cadres en architecture. La question de la formation

La formation des architectes (spécialité d’architecte et d’architecte d’intérieur) est effectuée à Moscou, dans sept écoles d’État et trois écoles privées supérieures. Chaque année ces écoles forment au total 350 architectes et des architectes d’intérieur. Cela fait 6 % du nombre général des architectes praticiens. Le nombre d’établissements d’étude et d’étudiants promus a tendance à s’accroître, grâce aux architectes d’intérieur, qui sont formés dans plusieurs écoles professionnelles et supérieures privées. C’est que les étudiants de province ne peuvent plus faire leurs études à l’École d’Architecture de Moscou et reçoivent leur formation dans d’autres écoles supérieures, notamment à l’Université Lumumba. Par ailleurs de nouveaux centres de formation d’architectes apparaissent, par exemple l’Institut de la Construction. Il est à noter que la formation et la profession d’architecte restent toujours prestigieuses (Voznessenskaia, 1996 ; 1997). Le concours d’entrée à l’École d’Architecture est stable – entre 1,7 et 2 candidats par place. 60 % d’étudiants considèrent leur statut de formation comme assez élevé, surtout ceux qui travaillent dans leur spécialité. Jusqu’à présent l’École d’Architecture de Moscou garde le monopole de la promotion des architectes, elle forme 75 % de tous les étudiants promus, le nombre de candidats entrant à l’École ces dernières années a diminué seulement de 6 à 7 %.

Les étudiants sont engagés dans l’activité professionnelle. Une partie des étudiants travaillent en permanence dans leur domaine (le nombre d’étudiants travaillant en permanence ou temporairement s’élève à 80 %, selon les données de l’École d’Architecture de Moscou). Les étudiants travaillent aussi bien dans le secteur des travaux de projet, que sur le marché de services secondaires pour les architectes – maquette, visualisation (modèles en 3D, animation).

La majorité des étudiants de l’École d’Architecture de Moscou n’ont pas de problèmes au niveau de l’emploi. 14 % ne sont pas certains de trouver du travail (tableau 9). Il est important de faire remarquer que 53 % des étudiants interrogés ont répondu « on voudrait » à la question « avez-vous l’intention de travailler dans la spécialité ? ». Quant à la question « êtes-vous certains de trouver du travail après vos études ? », 43 % des étudiants ont été embarrassés pour répondre. Une telle incertitude, à notre avis, s’explique, plus que par le manque de demande, par le fait que la situation réelle ne répond pas à l’aspiration des étudiants et par le fait que le modèle de professionnel diplômé de l’École d’Architecture ne correspond pas suffisamment aux exigences du marché. L’enquête sur l’orientation des étudiants le confirme (tableau 10). Il faut remarquer qu’ils sont orientés très différemment vers la formation du bureau d’études et vers le travail salarié, le management et la gestion de projet ne sont pas populaires. En même temps la spécialisation d’architecte-technicien n’attire pas trop les interrogés.

Tableau 9 Les perspectives d’emploi vu par les étudiants en architecture

Tableau 9 Les perspectives d’emploi vu par les étudiants en architecture

Tableau 10 Les préférences des étudiants en matière d’emploi

Tableau 10 Les préférences des étudiants en matière d’emploi

Ce travail a été commencé sur une commande de l’AAM en 1998. Cependant la crise économique et financière de 1998 a modifié ses indices absolus (le volume des travaux de projet, la rémunération, etc.). Mais on peut affirmer qu’au niveau qualitatif, les tendances fondamentales de l’évolution interne de la profession, notées dans ce rapport, n’ont pas changé (Projet-Russie, 2000). Il s’agit de la segmentation du marché ; la différenciation du marché en fonction du type de clients, chacun étant orienté vers les services spécifiques et l’élargissement de la gamme des services offerts, au compte des spécialités connexes : gestion de projet, consultations, etc.

Ceci a pour conséquence l’effacement des limites de la profession : d’une part, l’architecture s’intègre au design, au show-business, à la publicité et, d’autre part, à la construction et à l’activité d’investissement. Ainsi, dans ce domaine, il existe une concurrence assez serrée entre les architectes et les représentants d’autres spécialités.

Probablement, les plus grandes réussites attendent les architectes et les agences qui, hormis leur engagement professionnel dans une spécialisation étroite, seront prêts à assumer d’autres fonctions. D’autant plus que le caractère synthétique et universel de la profession permet de le faire. C’est l’architecte lui-même qui possède, à tous les étapes du travail d’un projet, l’information la plus détaillée sur tous ses aspects : fonctionnels, d’ingénierie, financiers etc., ce qui lui permet de redevenir une figure de proue du processus de la construction.

1 D’après des fragments tirés de Moscou en construction et Moscou construit, Les page jaunes 1997, Guide universel d’un homme d’affaire 1997-1998 et

2 D’après l’enquête de Projet-Russie, en Russie en général 45 % d’architectes travaillent dans des bureaux avec moins de 10 employés, 32 % de 10 à 50 

3 L’enquête de Projet-Russie constate la même situation en 2000 : à Moscou la fréquence des travaux de rénovation est la même que celle des travaux de

4 Parmi les architectes licenciés il y a 82 % d’hommes et 17 % de femmes.

5 Archfond : organisation de l’AAM qui exerce l’aide juridique et technique aux architectes praticiens.

6 L’enquête de Projet-Russie montre en 2000 une structure de l’emploi en Russie en général : 57 % d’architectes sont employés dans les bureaux privés

Institut de Sociologie auprès de l’Académie des Sciences de Russie, 1994, « Les mécanismes de la formation de l’entreprise en Russie pendant la période de post-perestroïka ».

Documents du IIe congrès des Architectes de la Catalogne, 1995, « La figura del arquitecto: nuevo marco professional ».

Voznessenskaia E., 1996, Les professions de haute qualification et la jeunesse : attrait, prestige et choix, Institut de Sociologie de l’Académie des Sciences de Russie, Moscou

Voznessenskaia E., 1997, « La construction d’un groupe d’architectes indépendants à Moscou », Information sur les Sciences sociales, n° 36 (6).

Projet-Russie, 2000, n° 18, pp. 11‑12.

1 D’après des fragments tirés de Moscou en construction et Moscou construit, Les page jaunes 1997, Guide universel d’un homme d’affaire 1997-1998 et des revues Projet-Russie, Le tabouret, Le monde et la maison, Le salon.

2 D’après l’enquête de Projet-Russie, en Russie en général 45 % d’architectes travaillent dans des bureaux avec moins de 10 employés, 32 % de 10 à 50 employés, et 5 % de 50 à 100 employés, les 16 % restant n’ont pas répondu à cette question.

3 L’enquête de Projet-Russie constate la même situation en 2000 : à Moscou la fréquence des travaux de rénovation est la même que celle des travaux de construction neuve (en ce qui concerne les bureaux, on fait de la rénovation plus souvent que des nouveaux bâtiments). De 20 % à 40 % d’architectes s’occupent d’aménagements intérieurs. 40 % d’architectes mentionnent des projets de bureaux et de logements, environ 15 à 20 %, des villas et des bâtiments industriels.

4 Parmi les architectes licenciés il y a 82 % d’hommes et 17 % de femmes.

5 Archfond : organisation de l’AAM qui exerce l’aide juridique et technique aux architectes praticiens.

6 L’enquête de Projet-Russie montre en 2000 une structure de l’emploi en Russie en général : 57 % d’architectes sont employés dans les bureaux privés, 23 % dans les grandes structures « ex-soviétiques », 9 % sont fonctionnaires etc., 4 % ont une pratique privée.

Tableau 1 Les différents clients de la commande architecturale en Russie

Tableau 1 Les différents clients de la commande architecturale en Russie

Tableau 2 La spécialisation des architectes et de la commande en Russie

Tableau 2 La spécialisation des architectes et de la commande en Russie

Tableau 3 Les différents services offerts par les agences architecturales en Russie

Tableau 3 Les différents services offerts par les agences architecturales en Russie

Tableau 4 Les revenus des architectes en Russie

Tableau 4 Les revenus des architectes en Russie

Tableau 5 Les revenus des architectes en Russie par type d’activité

Tableau 5 Les revenus des architectes en Russie par type d’activité

Tableau 6 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’enquête

Tableau 6 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’enquête

Tableau 7 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’A.A.M

Tableau 7 La situation professionnelle des architectes en Russie selon l’A.A.M

Tableau 8 La part des architectes en free-lance en Russie selon différents modes d’estimation

Tableau 8 La part des architectes en free-lance en Russie selon différents modes d’estimation

Tableau 9 Les perspectives d’emploi vu par les étudiants en architecture

Tableau 9 Les perspectives d’emploi vu par les étudiants en architecture

Tableau 10 Les préférences des étudiants en matière d’emploi

Tableau 10 Les préférences des étudiants en matière d’emploi

Nikita Tokarev

École d’architecture de Moscou.
nikto@orc.ru