Renouveler l’approche de la relation entre architecture et technique grâce au regard de l’usager

Entretien avec Marine Morain

Yasmina Dris

p. 160-162

Citer cet article

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Yasmina Dris, « Renouveler l’approche de la relation entre architecture et technique grâce au regard de l’usager », Cahiers RAMAU, 8 | 2017, 160-162.

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Yasmina Dris, « Renouveler l’approche de la relation entre architecture et technique grâce au regard de l’usager », Cahiers RAMAU [En ligne], 8 | 2017, mis en ligne le 08 février 2021, consulté le 03 novembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/324

L’équipe de rédaction a rencontré Marine Morain, architecte et ingénieure de formation. Au sein du Laboratoire des sciences de l’habitat, à l’ENTPE (École nationale des travaux publics de l’État), elle a travaillé sur l’énergie, la thermique et la lumière, avant de créer son agence d’architecture, d’ingénierie énergétique et environnementale Ad’minima1. Cette structure regroupe aujourd’hui une dizaine de professionnels dont la formation croise l’architecture, l’ingénierie, l’urbanisme et d’autres domaines encore. Cette culture pluridisciplinaire est au cœur de l’approche développée par l’agence, qui propose de repenser la question énergétique dans les bâtiments selon l’usage des espaces et ses modalités de gestion.

De l’identification des problèmes de gestion à la construction d’une démarche

C’est en se préoccupant de « performance énergétique et de confort » de l’usager que Marine Morain a été confrontée aux enjeux de gestion. Dans sa pratique d’architecte, elle a noté des écarts importants entre « les prévisions, issues de modèles physiques scientifiquement valides, et les consommations énergétiques réelles » des ménages qui occupent les logements. Une réflexion a alors été engagée au sein de sa structure pour « travailler sur la validité des hypothèses desdits modèles ». Cette réflexion a abouti au développement d’une approche inédite dans l’ingénierie du bâtiment, qui repose sur des enquêtes qualitatives auprès des usagers. La méthode adoptée par l’agence Ad’minima consiste à interroger la réponse technique par rapport à « sa pertinence d’usage et de gestion » et non pas son efficacité énergétique. Cette démarche vise à s’intéresser au confort des occupants ainsi qu’aux consommations et aux modalités de gestion effectives.

En s’intéressant à l’appropriation des lieux conçus, Marine Morain note « la complexité des systèmes techniques » des bâtiments basse consommation (BBC) et de ceux labélisés « HQE » (haute qualité environnementale) ou BEPOS (bâtiments à énergie positive). Elle cite notamment l’exemple suivant, observé à plusieurs reprises dans des ensembles de logements sociaux : alors que leurs consommations diminuaient, les locataires constataient que leurs charges ne diminuaient pas. En effet, il leur était proposé un système de ventilation double flux, « qui assure un débit suffisant pour la qualité de l’air » tout en permettant d’éviter les déperditions thermiques. Néanmoins, il consomme de l’électricité ; en outre, il nécessite un entretien important, d’où un impact direct sur les charges. Certains condamnaient aussi les bouches pour réduire les nuisances sonores. Enfin, il était difficile d’assurer un nettoyage régulier, car les locataires n’étaient pas toujours présents lors du passage de l’entreprise mandatée pour l’entretien. Tous ces facteurs induisaient des dysfonctionnements et des déséquilibres importants, réduisant d’autant l’efficacité énergétique globale des bâtiments.

De l’architecture « soft‑tech » à la conception participative

Marine Morain présente la démarche mise en place au sein d’Ad’minima comme une « architecture soft-tech » qui mobilise « une technique non traumatisante ». Cette approche, qui « privilégie des choix architecturaux plutôt que des solutions techniques », a été développée dans la conception de logements et a pu être déployée dans des projets de bureaux, de groupes scolaires et dans le cadre de réhabilitations. Elle repose également sur le suivi des opérations livrées. Depuis 2008, les membres de l’agence collaborent ainsi avec un sociologue de l’énergie pour réaliser des enquêtes « socio-techniques » et rassembler des retours d’expérience sur le vécu des lieux. Cette approche les a conduits à expérimenter une collaboration en amont avec les futurs usagers. Marine Morain relate, à ce propos, l’expérience du Village vertical, opération menée entre 2009 et 2013 avec une coopérative d’habitants à Villeurbanne.

Cette conception participative a permis aux professionnels de comprendre les futurs usages des lieux en associant les habitants aux choix architecturaux et techniques. Un comité de pilotage, constitué de trois représentants des habitants et d’une équipe réduite de la maîtrise d’œuvre, se réunissait chaque semaine. Tous les deux mois, un représentant par foyer et l’équipe de maîtrise d’œuvre se retrouvaient autour de différents sujets. Enfin, chaque semestre, des séances de travail plénières avec tous les habitants et la maîtrise d’œuvre étaient organisées. Lors de ces rencontres, des choix architecturaux et techniques ont été effectués en fonction de l’entretien futur des lieux :

  • Les locaux techniques (local ventilation, local onduleurs, etc.) ont été positionnés en attique dans le volume bâti et non en toiture, restant ainsi facilement accessibles par l’escalier principal du bâtiment.

  • La configuration du bâtiment a été pensée de sorte à n’avoir qu’un seul ascenseur pour les 38 logements, réduisant les charges d’entretien annuel. La ventilation ainsi que la production de chaleur et d’eau chaude ont également été centralisées.

Marine Morain souligne le caractère expérimental2 et unique de ce projet. Les habitants fortement engagés dans la cause écologique ont fait des choix « favorisant souvent la performance et l’autogestion ». Les modalités d’entretien des installations ont été d’autant plus faciles à négocier que le groupe projetait l’autogestion de son immeuble.

De l’expérimentation à la pérennisation des acquis

Les enquêtes auprès des habitants ont été systématisées dans l’ensemble des projets conçus par l’agence. Le but étant « d’établir une typologie d’usagers et d’y associer les niveaux d’efficacité des mesures » à déployer pour chaque bâtiment. Cette information nourrit le travail des concepteurs en particulier dans les projets où il n’est pas possible de rencontrer les futurs usagers. Elle complète une veille documentaire sur la conception participative et les solutions techniques et architecturales, menée au sein de la structure. Cette agence capitalise ainsi sur ses différents projets et développe une pratique réflexive renforçant son expertise dans son domaine de compétence.

En s’intéressant aux notions de confort et de bien-être, cette approche place l’usager au cœur de la démarche de conception et de gestion future des lieux. Elle permet également de repenser les modalités d’appropriation des dispositifs techniques conçus lors d’un processus d’échange en amont avec les habitants, ce qui minimise par ailleurs le recours aux « notices » d’usage.

1 Marine Morain dirige actuellement cette structure, implantée à Lyon et à Paris, avec Vincent Argouse et, depuis peu, Lauréna Cazeaux.

2 Notons que l’évaluation socio-technique est en cours au moment de la rédaction de cet article et que les conclusions ne sont donc pas encore connues

1 Marine Morain dirige actuellement cette structure, implantée à Lyon et à Paris, avec Vincent Argouse et, depuis peu, Lauréna Cazeaux.

2 Notons que l’évaluation socio-technique est en cours au moment de la rédaction de cet article et que les conclusions ne sont donc pas encore connues.

Yasmina Dris

Yasmina Dris est architecte-urbaniste, diplômée de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger (EPAU) et de l’Institut d’urbanisme de Paris (IUP). Depuis 2014, elle mène une recherche doctorale en architecture, urbanisme et environnement au sein de l’UMR LAVUE 7218 CNRS, équipe LET, rattachée à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette et au Conservatoire national des arts et métiers. Ses recherches portent sur les démarches de programmation participative dans les projets urbains et architecturaux.
Contact yasmina.dris@paris-lavillette.archi.fr

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