POSITIONS. L’expérience d’un maître d’ouvrage de logements (entretien)

Michel Bonord

p. 46-50

References

Bibliographical reference

Michel Bonord, « POSITIONS. L’expérience d’un maître d’ouvrage de logements (entretien) », Cahiers RAMAU, 5 | 2009, 46-50.

Electronic reference

Michel Bonord, « POSITIONS. L’expérience d’un maître d’ouvrage de logements (entretien) », Cahiers RAMAU [Online], 5 | 2009, Online since 10 October 2021, connection on 29 March 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/417

La rubrique « Positions », qui court tout au long de ce Cahier, rapporte des propos tenus par des praticiens ou des chercheurs au cours des journées Ramau consacrées au thème de la qualité, les 31 mars et 1er avril 2005.

Nos méthodes d’organisation

Nous avons un conseil d’administration, un président, un directeur général et quelques directions dont une direction financière, une direction clientèle et une direction patrimoine développement. Cette dernière direction comporte surtout deux services : un service étude et développement chargé des opérations nouvelles et le service patrimoine qui gère le gros entretien, les grosses réparations et les opérations de maintenance sur l’ensemble de notre parc de logements. C’est la même direction qui gère tout ça. Ce n’est pas neutre : ça fait des retours et c’est déjà une certaine façon de gérer la qualité. Il n’y a pas des gens qui conçoivent d’un côté et puis ensuite se désintéressent de la gestion. Ce sont les mêmes. Dans d’autres structures on peut toujours dire que c’est la même société, mais c’est parfois vraiment distinct et il peut y avoir des fossés qui se creusent petit à petit. Chez nous, il y a des différences bien sûr mais c’est la même direction, qui a donc les mêmes perspectives.

La production neuve

Elle se passe de façon extrêmement traditionnelle ; on fait systématiquement appel à des architectes, et pour des missions complètes. On n’organise qu’exceptionnellement des concours. Les concours ce n’est pas une garantie au niveau architectural. Ça peut l’être s’ils sont bien gérés, bien organisés, mais ce n’est pas assuré. En tout cas nous on ne le pratique pas ou exceptionnellement.

On peut y être tenu pour certaines tailles d’opérations. On a eu récemment un contrôle de la MILOS (Mission Interministérielle des logements sociaux), c’est la mission qui nous contrôle, et on a eu une remarque à ce sujet-là. Mais elle était amoindrie par le constat qu’on a un panel relativement large d’architectes avec lesquels on travaille. On travaillerait avec deux ou trois architectes sur les 400 logements que l’on produit chaque année, ils pourraient effectivement dire : « Attendez, vous ne jouez pas l’élargissement ! » et ceci de façon à ce qu’il y ait une production variée. Ce n’est pas le cas. On travaille avec une dizaine d’architectes divers. Donc peu de concours. En revanche nous sommes consultés de plus en plus fréquemment pour des consultations de maîtrise d’ouvrage, de la part soit d’aménageurs, soit de collectivités locales qui consultent des maîtres d’ouvrage sur la base d’un projet. Et nous on s’associe, on se met en partenariat avec un architecte avec lequel on répond en commun. Nous avons dernièrement gagné des concours sur ce principe‑là.

Les programmes

Nous avons une base de programmes que l’on appelle « cahier des prescriptions techniques et architecturales ». Ce cahier définit les bases systématiques d’un programme, soit pour un logement en maison individuelle, soit pour le logement collectif ou intermédiaire et dans la perspective de la production sociale, soit des logements qui sont de financement intermédiaire avec prestations complémentaires. Cette trame est un gros document qui est interne et qui est confié au maître d’œuvre pour effectuer un travail. C’est quelque part notre bible du programme. Cette trame, autre petit cran qualitatif, est systématiquement appliquée. C’est le cahier des charges et l’objectif qualité. Mais normalement elle est mise au point et actualisée toutes les années et demi. Par une lecture commune, elle est annotée, commentée et amendée et par les gens de terrain, par la direction de la clientèle, mais également par les monteurs d’opérations, le responsable du service patrimoine etc. Donc on fait une boucle de mise au point de ce cahier, de ce canevas. Cela fait quelque chose qui vit et évolue régulièrement.

Aller-retours

Il y a des choses impératives, d’autres souhaitées. Il y a différents niveaux et c’est sur cette base que travaillent les maîtres d’œuvre. L’existence de cette chose-là et ces mises au point ont un lien direct avec la qualité. C’est sur cette base que la mise au point du projet se fait avec l’architecte : les allers-retours ; parce que ce ne sont que des allers-retours. C’est ça notre logique de fond de la qualité au niveau de la production. C’est une des raisons de notre, non pas scepticisme, mais de notre peu d’attrait pour les concours : par définition, dans un concours il n’y a pas d’allers et de retours. Et la loi, le pire, y interdit quasiment ces allers-retours. C’est complètement aberrant alors que, je pense, c’est fondamentalement la base de la qualité architecturale. Des allers-retours avec pleins de gens ! Pas seulement entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, l’architecte, mais aussi avec d’autres intervenants soit des bureaux d’études, des techniciens, des économistes, soit des interlocuteurs institutionnels comme les politiques locaux qui sont nos interlocuteurs principaux.

L’interlocuteur en charge du grand public et du bien public, pour nous, c’est le maire. C’est lui qui représente les gens pour qui nous construirons. Nous avons une connaissance des attentes locatives par le biais de la direction clientèle qui nous fait remonter des analyses et des tendances générales. Il faut donc aussi faire des allers-retours avec le maire, à partir d’un certain moment où nous on est d’accord avec l’architecte. C’est relativement traditionnel. Un projet peut faire l’objet de une, deux, trois, quatre réunions en interne avant d’aller voir un maire. Un projet de dix ou quinze maisons individuelles dans un petit village, on mettra ça au point au bout de deux ou trois réunions avec un architecte et ensuite on va voir le maire, lui présenter le projet, discuter et éventuellement travailler à nouveau. Mais nous avons un projet de 70 logements avec un partenaire privé : nous on fait du locatif et lui de l’accession en privé dans le même bâtiment, à Lille. Là on fera trente réunions ensemble avec les architectes avant d’aller voir la ville.

L’architecte

Je ne m’arrête pas à l’image qui est furtive, provisoire et virtuelle. Même un très bon concepteur qui a une belle réalité architecturale et je parle en terme d’images, même un très bon concepteur avec une très bonne qualité, s’il est invivable au sens relationnel, s’il n’écoute pas, s’il ne maîtrise pas certains aspects des phases de production soit techniques, soit économiques, soit relationnelles, il n’est pas fréquentable au sens où ce n’est pas un professionnel. Or pour nous un bon architecte c’est d’abord un bon professionnel. C’est comme une bonne entreprise c’est quelqu’un qui fait bien son boulot, qui a une production et qui est vivable. Il n’y a pas autre chose. Les belles images ne me suffisent pas.

Alors rien ne nous empêche de consulter des gens qui ne s’arrêtent pas aux images puisque eux par ailleurs vous les retenez sans faire de concours. On ferait un bâtiment tous les cinq ans, je conçois que l’on fasse un concours et que l’on se paie, non pas le luxe, mais que l’on se paie les dépenses liées à ça parce que l’on ne sait pas construire, parce que l’on doit avoir plusieurs compositions, parce que plein de choses mais cela ne se reproduira pas avant un certain temps. Mais non, nous on produit régulièrement donc à quoi ça servirait ! Le jour où on se dit : « Tiens, tel type de produit avec tel type d’architecture bien particulière on ne sait pas trop bien où on va ! » Là cela sera intéressant de faire une consultation. Donc on choisit dans les gens qui sont vivables et bons sachant qu’on est aussi dans le business et donc dans la production.

L’accession, on n’en fait pas notre métier

Il y a une grosse différence entre l’accession et le locatif, surtout de métier, de mission. Quand vous faites de l’accession, on construit et après on s’en va ! Vous avez vendu, vous avez vendu ! Après c’est le problème des acquéreurs. Votre vraie difficulté elle est là, est-ce que je vais vendre ou pas ! Après, vous pouvez vous dire que si les gens ont des difficultés derrière cela peut se savoir vite et que, partant de là, vous allez moins vendre. Ce n’est pas du tout le cas du locatif. D’où l’importance du relationnel aussi avec les collectivités locales.

Notre boulot c’est de construire pour renouveler le parc car la construction cela représente 400 logements sur 22 000. C’est 2 % ! J’aime bien lorsque j’entends parler de cette partie construction : on a trouvé un logement révolutionnaire, on va renouveler l’habitat et toute cette histoire, … D’accord mais cela ne représente que 1 voire 2 %. On a un parc de plusieurs milliers de logements plutôt occupés par des personnes âgées. Quand ils ont été conçus au alentour de 70-80, ils l’ont été plutôt pour des personnes valides, ils étaient adaptés pour du locatif. A cette époque-là on faisait une baignoire avec un lavabo. L’âge aidant, on se retrouvait avec des demandes presque hebdomadaires, de gens qui demandaient à changer la baignoire en douche. Alors généreusement on leur disait ; on vous autorise à transformer. Si les gens demandaient ça c’est qu’il y a un problème. C’est un peu facile de leur dire : eh bien débrouillez-vous ! parce qu’ils ne sont quand même que locataires. En plus le pire c’est que quand vous faites une douche, c’est moins cher en loyer. Du coup on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose et on a lancé un programme de remplacement de plusieurs milliers de baignoires par des douches. C’est de la qualité aussi ça. On a modifié plusieurs milliers de logements. Là on ne travaille pas sur les deux pour cent. Nous sommes allés voir les gens pour savoir s’il souhaitaient, avec le maintien du même loyer, que l’on vienne chez eux, que l’on casse tout et que l’on adapte le truc : on a eu un succès pas possible. 70 % des gens contactés qui acceptent alors que l’on va les embêter pendant quelques jours. Ça c’est pour revenir sur ces 2 %. Là on a une action que l’on étale sur deux/trois ans et on change fondamentalement une prestation qui est fondamentale pour des personnes âgées : tout bêtement le changement d’une baignoire par une douche. Alors là il y a aussi un travail architectural, technique de production. On ne passe pas dans les revues, c’est très modeste.

Combien on voit d’opération de logements de personnes âgées sans garage. Parce qu’une personne âgée n’aurait pas de voiture. C’est primaire comme raisonnement. Tous les logements que l’on fait ont un garage traversant. On sait bien que la moitié n’a pas de voiture mais dans ces logements-là, le garage comme il est traversant et qu’il est attenant à la cuisine et bien c’est la deuxième cuisine ; l’été les gens y sont au frais parce qu’ils ont ouvert côté rue ou côté jardin. Ils en ont fait parfois une chambre, parfois un autre truc et ça on le savait.

Et cela n’empêche pas non plus de travailler sur des programmes comme celui que nous avons actuellement en cours où là on travaille avec une architecte qui est Zaha Hadid, grand prix Mies van der Rohe. Ce n’est pas très facile, mais c’est pour dire que l’on gère aussi bien le remplacement de la baignoire par la douche que la gestion d’opérations de ce type là et c’est cette variété qui permet en permanence une certaine modestie des choses. Et pas des envolées, ni strictement financières, ni dans le but de faire la première page d’AMC quoi qu’on aimerait bien faire la première page d’AMC !

Exploitants et clientèle

Il y a encore deux ans les agents décentralisés qui dépendaient de la direction clientèle n’étaient que techniques. Depuis deux ans les agents décentralisés non seulement ne sont plus uniquement techniques mais ils sont aussi passés à la gestion locative. Ils sont au sein d’agences décentralisées qui entre autres suivent les chantiers en suivi de chantiers opérationnels et qui font en même temps la gestion quotidienne des immeubles.

Ils ont en charge aussi bien la maintenance que le suivi du chantier. Donc on n’a pas un constructeur qui construit et qui remet la clé à un exploitant : ce n’est pas ça. L’exploitant est déjà impliqué dès avant le démarrage du chantier. Il y a une réunion qui est une réunion d’informations et de passations avec la direction de la clientèle et avec le responsable de l’agence qui explique ce qui c’est passé avant. On ne lui remet pas la clé d’un logement fini : on lui remet la première pierre. Et il vit la vie du chantier. Et ensuite, il suit avec les occupants. Donc cela remonte vite et donc il n’est pas uniquement là comme exploitant.

Sur certaines prestations de maintenance, il y a une interpellation du responsable du service patrimoine vis à vis d’un responsable du service études et de développement pour certaines choses. Je pense à tout ce qui est traitement des halls, des enduits, des renouvellements des peintures. Dés qu’il y a une modification à apporter sur le parc, systématiquement on interpelle une personne du service développement. C’est une validation ; en fait les personnes ne sont pas toutes seules ; derrière il y a aura toujours un croisement. L’agence locale est plutôt exécutant dans ce cas-là dans le sens où elle fait remonter la demande. C’est traité ensuite ici. On intervient. Ce n’est pas fermé.

Michel Bonord

Architecte, Directeur du Patrimoine et du Développement à la Société Immobilière de l’Artois (SAHLM), Douai