La conduite du programme de relogement de 2 000 familles vivant à Cascais, Portugal

Implementing a programme for re‑housing 2 000 families at Cascais (Portugal)

Michel Bonetti

p. 66-71

Citer cet article

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Michel Bonetti, « La conduite du programme de relogement de 2 000 familles vivant à Cascais, Portugal », Cahiers RAMAU, 3 | 2004, 66-71.

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Michel Bonetti, « La conduite du programme de relogement de 2 000 familles vivant à Cascais, Portugal », Cahiers RAMAU [En ligne], 3 | 2004, mis en ligne le 03 novembre 2021, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/492

La municipalité de Cascais, située dans la banlieue de Lisbonne, a mis en œuvre un programme de relogement de 2 000 familles vivant en bidonville. Ce programme a été dirigé par une architecte-urbaniste, avec une équipe pluridisciplinaire de trente personnes comprenant des architectes, des économistes et des travailleurs sociaux, qui assurent la négociation avec les familles à reloger, avec les habitants des zones d’accueil et avec les élus locaux et les services municipaux, ainsi qu’avec les architectes et les entreprises en charge de la conception et de la réalisation des opérations de construction et d’aménagement urbain. L’analyse de cette opération complexe et pluridisciplinaire dégage d’abord les facteurs qui ont orienté le mode de conduite et la conception du programme et, ensuite, les contraintes qui ont pesé sur sa réalisation. Elle pointe en particulier la nécessité de coordi­nation des acteurs intervenant sur différents champs dans des projets situés sur plusieurs territoires. Ce sont donc les capacités d’organisation des acteurs et les compétences de communication et de négociation entre les acteurs professionnels et les habitants, qui sont questionnées.

The municipality of Cascais in suburban Lisbon recently carried out a programme for re-housing 2 000 families, moving them from a shanty town. The programme was directed by an architect-urbanist who lead a team of 30 professionals, including architects, economists and social workers, who negotiated with the families to be re-housed, the inhabitants of the new host areas, local government heads and municipal offices, and also with the architects and contractors in charge of design and construction of the new dwellings and their urban layout.
The analysis of this complex pluri-disciplinary operation throws light on the factors that guided the conception and implementation of the programme, and on the constraints that weighed upon it. It reveals the fundamental need for co-ordination between the many parties involved in various capacities on projects located in several territories. Particular attention is given to the organisational skills of the team members and their performance as communi-cators and negotiators working between professionals and inhabitants.

La municipalité de Cascais, située dans la banlieue de Lisbonne, a mis en œuvre un programme de relogement de deux mille familles vivant en bidonville. Cette opération fait partie d’un programme national de relogement (dénommé PER) bénéficiant d’un important soutien financier de la Communauté Européenne. La commune de Cascais représente 200 000 habitants, répartis dans différentes villes, dont Cascais (60 000 habitants), mais aussi Estoril, qui fait partie de cette commune, et une multiplicité de bourgs et de villages situés le long du Tage, ou plus à l’intérieur des terres. Ce programme a été conduit par une équipe pluridisciplinaire de trente personnes comprenant des architectes, des économistes et des travailleurs sociaux, chargée du montage de cinquante opérations de construction et d’aménagement urbain situées dans les différents bourgs que comprend la commune. En effet, l’option choisie a été d’éviter la reconstitution de ghettos et de greffer des opérations de cinquante à cent logements dans les bourgs existants.

Cette équipe assurait la négociation avec les familles à reloger, avec les habitants des zones d’accueil, et avec les élus locaux et les services municipaux, ainsi qu’avec les architectes et les entreprises assurant la conception et la réalisation des opérations de construction et d’aménagement urbain. La responsabilité de la conduite du projet a été confiée à une architecte, dont la compétence a été utilisée ici pour exercer un rôle de maîtrise d’ouvrage complexe, de gestion économique, de direction d’une équipe importante, d’organisation et de conduite d’opérations complexes et de négociations politiques, sociales et professionnelles. Ce programme d’aménagement et de construction intégrait également un programme de développement social et culturel, de nombreuses actions ayant été mises en place pour favoriser l’intégration des familles issues des bidonvilles et des habitants des zones d’accueil.

Une mission d’assistance méthodologique a été confiée conjointement aux sociologues du CSTB de Paris et du LNEC de Lisbonne pendant la durée du programme (depuis 1995 à ce jour). L’élaboration de ce dernier s’est inspirée de la démarche de « programmation générative » élaborée par le CSTB, qui vise à générer progressivement le programme à travers le développement d’un processus d’interaction entre les habitants et les différents acteurs concernés.

De nombreuses municipalités portugaises ont participé à la réalisation de programmes de relogement dans le cadre du programme national PER, en réalisant des opérations de construction de plusieurs centaines de logements, sans réellement mettre en place un processus visant à préserver les liens sociaux des familles concernées et surtout à faciliter leur intégration dans les nouveaux quartiers dans lesquels elles sont implantées. La municipalité de Cascais s’est efforcée a contrario de préserver ces liens et de favoriser l’intégration de ces familles en réalisant des opérations de taille plus limitée, mieux articulées avec l’environnement et en nouant des liens avec le voisinage.

1. Les facteurs ayant orienté le mode de conduite et la conception du programme

Différents facteurs ont favorisé la mise en place de ce mode de conduite du programme ou ont constitué des contraintes qui ont pesé sur sa réalisation.

1.1. La complexité du programme liée à la multiplicité des acteurs

La réalisation de ce programme pose des problèmes d’intégration urbaine, sociale et politique considérables, qui vont bien au-delà de la réalisation d’un programme de logements, si on ne se contente pas de les parquer dans des ghettos à l’écart des villes. Si on veut réaliser des opérations ne dépassant pas une centaine de logements comme l’a décidé la municipalité de Cascais, il faut trouver une multitude de terrains, les aménager, concevoir des équipements sociaux et, surtout, négocier avec les habitants des bourgs dans lesquels ces opérations sont réalisées, pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants et les aider à s’adapter à leur nouvel environnement.

Cela nécessite de multiples compétences urbaines, techniques, architectu­rales, économiques et sociales pour coordonner les différents professionnels spécialistes de ces questions. Mais il faut également des capacités d’organisation, de médiation et de négociation pour conduire ce genre d’opération et organiser la coopération entre les partenaires.

1.2. Les contraintes économiques

Les contraintes économiques exercent des pressions sur les acteurs. Elles appellent des évolutions des modes d’exercice de leur activité, mais ouvrent également des opportunités nouvelles aux professionnels qui ont un rapport réflexif à ces situations et cherchent à se positionner différemment dans ce champ, en exploitant les brèches qui apparaissent de ce fait dans les systèmes traditionnels de conduite des projets.

Ces facteurs économiques jouent dans la volonté du gouvernement et des collectivités locales portugaises d’éradiquer les bidonvilles, car ceux-ci offrent une image dégradée et archaïque de l’espace urbain dans un pays soucieux de montrer son efficacité économique et ses compétences techno­logiques. A Lisbonne, notamment, le mouvement de suppression des bidonvilles a été accéléré à l’approche de l’Exposition Universelle qui se voulait être une vitrine de la modernisation du pays.

Les bidonvilles contribuent également à dévaloriser les espaces urbains environnants, ces externalités étant particulièrement importantes dans des zones à fort potentiel de développement, comme les alentours de l’aéroport de Lisbonne, ou dans une station balnéaire telle que Cascais. Le relogement des habitants dans des immeubles permet de les déplacer dans des zones dont la valeur économique est plus faible, voire de réduire les surfaces qu’ils occupent en réalisant des immeubles de plusieurs étages à la place des baraquements individuels qui s’étalaient au sol.

Mais pour réaliser de tels objectifs économiques, il faut résoudre des problèmes sociaux, politiques et culturels complexes qui rendent nécessaire le développement de nouveaux modes de conduite des opérations de relogement, et donc développer de nouvelles compétences si on ne veut pas générer en retour de nouveaux problèmes extrêmement graves.

1.3. Le développement du rôle des collectivités locales

Les collectivités locales ont acquis une relative autonomie par rapport à l’État central et leurs compétences opérationnelles s’accroissent. Elles tendent à développer des politiques urbaines et à prendre en compte les enjeux sociaux et politiques sous-tendant la façon dont elles gèrent les problèmes d’habitat et d’insertion des populations en difficulté.

Cette évolution a conduit l’État portugais à financer une politique d’éradication des bidonvilles, mais à confier la maîtrise d’ouvrage des opérations aux collectivités locales.

2. La stratégie de relogement dans une diversité de lieux et de formes d’habitat

La solution de facilité eut été de construire quatre ou cinq quartiers d’environ 500 logements pour reloger les familles vivant en bidonville, ce qui aurait créé des zones paupérisées qui se seraient rapidement dégradées, empêchant toute possibilité d’intégration de cette population.

La municipalité a décidé de réaliser des opérations de construction ne dépassant pas 100 à 150 logements greffés sur les villages ou les bourgs existants. Par ailleurs, l’équipe chargée du projet a exploré les possibilités de relogement dans le parc privé et a même monté des opérations d’accession à la propriété. Ce choix a bien entendu accru la complexité technique du programme, mais également sa complexité politique, car cela a suscité des réactions d’hostilité des habitants des zones d’accueil pressenties. La perspective d’installation de familles originaires des bidonvilles, en majorité africaines, dans ces différents lieux a entraîné dans certains cas le développement de fantasmes et de peurs de l’agression difficilement gérables politiquement.

2.1. Un processus de relogement fondé sur une préparation du transfert et de l’installation dans les zones d’accueil

L’équipe chargée du programme a tout d’abord analysé les situations économiques et sociales des familles et leurs réseaux de sociabilité pour organiser leur répartition dans les différentes zones de relogement. Cette répartition s’est efforcée de tenir compte des liens de solidarité, des lieux de travail des familles et de leurs souhaits d’installation.

L’objectif visé consistait à limiter, autant que faire se peut, les risques de déstructuration des familles et à choisir les solutions de relogement susceptibles de favoriser leur insertion. Les bidonvilles existants compor­taient parfois quelques logements, mais pouvaient représenter plusieurs centaines de familles. Des équipes ont été affectées à ces différents territoires.

Elles avaient également pour rôle de préparer les familles à ce changement, car malgré leur désir d’accéder à un logement décent, elles étaient bien entendu très inquiètes. Les équipes ont donc effectué un patient travail d’explicitation du processus de transfert, en favorisant le développement des associations d’habitants pour disposer de relais au sein de la population. Mais dès que les sites ont été choisis, il leur a fallu également faire un autre travail d’explicitation auprès des habitants de l’environnement, en s’appuyant sur les acteurs locaux, pour atténuer leurs craintes et préparer l’accueil des futurs habitants relogés.

Pour faciliter cette intégration, la stratégie a été de réaliser des aménage­ments ou des équipements pouvant bénéficier à la fois aux habitants en place et aux nouveaux arrivants, de manière à ce que les craintes suscitées par l’installation de ces derniers soient en partie compensées par une amélioration du cadre de vie et des services urbains.

La troisième phase a concerné l’assistance à l’installation des familles dans leur nouvel environnement, en s’appuyant également sur les acteurs locaux (enseignants, travailleurs sociaux, élus). Pour faciliter cette insertion, des rencontres et des manifestations sociales, culturelles et sportives ont été organisées. Toute cette démarche s’est accompagnée d’un travail de communication, notamment avec la presse locale, pour atténuer les réactions négatives et la diffusion de rumeurs.

Un autre volet du programme a concerné l’amélioration de la gestion urbaine en coopération avec les services municipaux et la création d’une Société municipale de gestion de l’habitat social pour gérer ce nouveau patrimoine. L’ancien patrimoine de logements sociaux de la ville (qui était limité à 400 logements) était géré directement par le service municipal de l’habitat qui était tributaire des services techniques municipaux pour assurer la maintenance.

2.2. La coordination de plusieurs formes d’intervention sur différents territoires

La conduite du programme a donc nécessité la coordination des acteurs intervenant sur différents champs, dans des projets situés sur plusieurs territoires. A cela s’est ajouté un travail d’animation tant auprès des familles vivant en bidonville que des habitants situés à proximité des sites d’installation de ces familles.

La complexité de la démarche est également due à la nécessité de programmer dans le temps la réalisation des différents projets, la réalisation des opérations de construction s’étalant pratiquement sur une dizaine d’années. Il fallait donc en même temps procéder à l’installation des familles dans les premiers sites construits, et poursuivre le travail d’explicitation du processus de relogement auprès des familles des bidonvilles qui devaient être relogées ultérieurement.

On mesure les capacités d’organisation, de la part de la municipalité et de la responsable du projet, que requiert cette démarche, de même que les compétences de communication et de négociation avec des professionnels aussi divers que les urbanistes, les travailleurs sociaux, les responsables des services techniques municipaux mais également les habitants.

Michel Bonetti

Laboratoire de sociologie urbaine générative, CSTB,
4 avenue du Recteur Poincarré,
75 782, Paris Cedex 16, France
bonetti@cstb.fr

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