François Jolliet, architecte praticien et scénographe, missionné pour la réhabilitation d’un ensemble de logements vétustes à Lausanne

Pratiques et parcours

Olivier Chadoin et François Jolliet

p. 72-74

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Référence papier

Olivier Chadoin et François Jolliet, « François Jolliet, architecte praticien et scénographe, missionné pour la réhabilitation d’un ensemble de logements vétustes à Lausanne », Cahiers RAMAU, 3 | 2004, 72-74.

Référence électronique

Olivier Chadoin et François Jolliet, « François Jolliet, architecte praticien et scénographe, missionné pour la réhabilitation d’un ensemble de logements vétustes à Lausanne », Cahiers RAMAU [En ligne], 3 | 2004, mis en ligne le 03 novembre 2021, consulté le 27 avril 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/494

Les textes présentant les « pratiques et parcours » de professionnels ont été rédigés par Olivier Chadoin à partir des interventions orales des intéressés lors des rencontres Ramau 2002.

Suite à une intervention urbaine et architecturale, la commune de Lausanne est confrontée à l’existence d’un important stock d’immeubles très vétustes. Le statut des immeubles survivants est alors clair : ils sont déclarés irrécupérables et promis à la démolition. Pourtant, sous l’effet de l’action déterminée de certains habitants regroupés en comité, le Conseil communal lausannois en décide autrement. Pouvait-on rénover ce qui restait de l’îlot Tunnel-Riponne ? Le comité des habitants, s’appuyant sur une étude, avait répondu par l’affirmative et des contacts avaient été établis dès les années 1990 pour associer la Ville de Lausanne à cette rénovation. La création de la Coopérative Tunnel-Riponne, qui associe les habitants et la munici­palité, est l’aboutissement de cette démarche. Elle se donne pour but « toutes opérations, en faveur de ses membres, tendant à la préservation et la création de lieux d’habitat populaire et commerciaux, caractérisés par des loyers modestes, et par une prise en considération des aspirations des habitants ». C’est dans ce cadre qu’est mandaté François Jolliet et qu’il exerce sa mission d’architecte en collabo­ration avec d’autres confrères lausannois.

Mission de l’architecte

Les architectes doivent alors répondre concrètement au problème suivant : peut-on rénover l’îlot Tunnel-Riponne à moindres frais ? C’est donc la définition de l’ampleur du projet qui est au départ l’enjeu majeur de l’étude et du débat qui l’accompagne. Le travail urbain est soumis à une tension constante entre deux pôles : d’une part les différentes nécessités découlant de l’état existant et de sa rénovation (solidité, usage, aspect, performances, etc.), d’autre part les moyens financiers disponibles en fonction des loyers « acceptables » (enjeux d’un débat brûlant).

Techniquement, le projet se concentre d’abord sur les travaux les plus urgents que les locataires ne pouvaient entreprendre : l’entretien du gros-œuvre comprenant le système porteur et l’enveloppe du bâtiment avec couverture, charpente, enduits de façade et fenêtres. Le second-œuvre (revêtements intérieurs des appartements, sols, parois, plafonds, menuiseries) est donc laissé en l’état, avec l’idée que le locataire se chargera de son entretien comme par le passé.

Le principal sujet de confrontation entre les membres du Comité des habitants et les architectes concerne les installations de chauffage, ventilation, sanitaires et électricité. Si un accord s’établit rapidement sur les questions relatives au chauffage et à l’électricité, en revanche, la question la plus vivement débattue est la création de nouvelles salles de bain, par les locataires eux-mêmes, et sur la base d’un nouveau réseau de canalisations « en attente » des raccordements des différents utilisateurs. Aussi, sauf pour quelques rares exceptions, toute création de salles de bain nouvelles a été exclue. La devise « on n’entre pas dans les appartements » a prévalu. Du coup, le projet reste radical dans son minimalisme.

Risques…

Pour l’utilisateur, l’avantage d’un projet réduit et « conceptuel » est bien sûr financier. Néanmoins, pour l’architecte, cette recherche constante du « sacrifice maximal » dans les travaux prévus ne simplifie pas le travail. Elle exige au contraire une évaluation constante des risques encourus, dans la mesure où sa responsabilité face au bâtiment, aux prescriptions et à la « durabilité », se trouve engagée. Cette recherche du projet minimal passe donc par l’énoncé des risques et par leur prise en compte par le maître d’ouvrage lui-même. Celui-ci doit s’attendre à des frais d’entretien supérieurs, s’il conserve certaines installations ou dispositifs dont l’état de vétusté permet de présumer un remplacement à moyen terme. C’est donc à l’ingénieur et à l’architecte que revient la charge d’attribuer des degrés d’importance et d’urgence dans les interventions.

Pour autant, dans la mesure où tous les problèmes ne peuvent être connus, plusieurs défauts peuvent rester cachés. En effet si, par définition, la rénovation « douce » évite la démolition, elle laisse en contrepartie le maître d’ouvrage et les utilisateurs exposés à un certain nombre de risques qui demeurent difficiles à cerner.

… et bénéfices

Quoi qu’il en soit, ce type d’intervention vaut avant tout par son économie. Le défi consiste à mettre à disposition soixante logements acceptables en centre-ville à des prix réduits. Non seulement le rapport prix-qualité est intéressant, mais surtout ce loyer autorise des modes de vie généralement exclus par la société contemporaine, pour des habitants en situation sociale fragile. D’une certaine manière, il s’agit d’une équation reliant économie, société et technique. Si le projet apporte une solution réalisable et pérenne, les trois termes du dévelop­pement durable (économie, société, écologie) sont satisfaits.

Perspectives durables ? Sur cette opération, les travaux prévus se sont concentrés sur le gros-œuvre, et la réfection sera effectivement durable. En revanche, les travaux réduits au niveau des installations engageront à un entretien de l’existant avec une perspective de remplacement dans vingt-cinq ans au plus. Quant au second-œuvre, l’intérieur des appartements ne sera, on l’a vu, pas touché. Telles sont les conditions du maître d’ouvrage, d’ailleurs les seules possibles, à ses yeux, pour atteindre des loyers extrêmement bas. Pourtant, si le projet circonscrit les travaux « hors gros œuvre » à un minimum, celui-ci devraient, inclure quelques gestes simples et quasiment sans influence sur les loyers. Il s’agit de rendre possibles les travaux que les générations futures pourraient souhaiter. Pour François Jolliet, il serait en effet dommageable d’interdire aux successeurs des habitants actuels un développement de leur patrimoine dans le sens des objectifs de la Coopérative (préservation et création de lieux d’habitat populaire à loyers modestes). Une attention aux détails de la réalisation semble susceptible de faire la différence en la matière.