Maîtrise d’œuvre : l’image vecteur d’identité

Construction : the image, an identity vector

Guy Tapie

p. 149-165

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Guy Tapie, « Maîtrise d’œuvre : l’image vecteur d’identité », Cahiers RAMAU, 2 | 2001, 149-165.

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Guy Tapie, « Maîtrise d’œuvre : l’image vecteur d’identité », Cahiers RAMAU [En ligne], 2 | 2001, mis en ligne le 08 novembre 2021, consulté le 31 octobre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/538

En s’intéressant plus particulièrement à l’image que cherchent à se donner les professions de l’ingénierie, cette communication propose une analyse thématique du contenu de divers documents : la presse professionnelle (La lettre de l’ingénierie, La revue de l’ingénierie et du conseil du CICF, Economie et construction, D’architectures, Le Moniteur), des études existantes à caractère généraliste (type livre blanc) qui exposent un idéal, des entretiens avec des responsables de syndicats professionnels. L’auteur analyse ces contenus pour diverses professions : sociétés d’ingénierie, ingénieurs-conseils, économistes de la construction, architectes. Les éléments développés concernent les compétences ou l’expertise dans les domaines organisationnels, techniques, économiques, mais aussi l’étendue des domaines d’intervention.

Focusing on the image that the main construction professions try to give of themselves, this article gives a thematic analysis of the content of various documents: the professional press («La Lettre de l’Ingénierie», “La Revue de l’ingénierie et du conseil du CICF”, “Economie et construction”, “D’architecture”, “Le Moniteur”), available studies (such as a White paper) which express an ideal. It also reports interviews with leaders of professional bodies. The author analyses the material obtained from different professions: engineering companies, consulting-engineers, surveyors, architects. He focuses on elements such as proficiency or expertise in organisational, economic or technical fields, and also on the extent of the fileds in which various professions intervene.

Sociétés d’ingénierie (Syntec), ingénieurs-conseils (CICF), architectes (UNSFA, Ordre), économistes de la construction (UNTEC), élaborent par leurs organisations syndicales ou corporatistes, une image de leur expertise, de leurs missions et positions dans les processus de construction. Les professionnels valorisent cette image car elle traduit sous forme syncrétique une identité et une stratégie. Elle révèle la dimension unitaire de chaque groupe, laissant en creux les débats ou oppositions entre les fractions de chaque corps professionnel. Construit social, cette présentation volontariste de soi homogénéise les prestations, fonde un archétype, manière simple et efficace pour s’identifier vis-à-vis des membres de ces professions, de l’État et des marchés. Cette tendance à superposer l’action de professionnels à cette image standard amène certaines professions, dans des temps de forte médiatisation, à combler le déficit d’image, à maintenir une image positive ou à la réhabiliter. L’exercice1 proposé ici est un moyen de qualifier un aspect de cette image.

1. Les sociétés d’ingénierie, une stratégie de firme

La performance technique est l’essence de la prestation des sociétés d’ingénierie ; elle inclut la connaissance des processus industriels et ses interactions avec la dimension constructive. Sa valorisation passe dans La Lettre de l’ingénierie (Lt) de plusieurs façons.

La première et la plus commune aux acteurs de la maîtrise d’œuvre, est de montrer des projets exceptionnels pour souligner leur savoir-faire et plus encore leur capacité inventive ; d’autres projets plus proches du quotidien (équipements) sont aussi cités, toujours associés à une performance organisationnelle ou constructive. Les dossiers thématiques dessinent à grands traits des marchés : ceux propres aux sociétés d’ingénierie (industrie lourde, grandes infrastructures) ; ceux partagés avec les autres professions de la maîtrise d’œuvre (Bâtiment). Transports (novembre 94) souligne la participation des sociétés françaises dans les grands projets nationaux et internationaux : tunnel sous la manche, pont entre Danemark et Suède ; Energie, Pétrole et Gaz (production, transport, raffinage) (Lt 46) rappelle le fleuron que constitue Technip, voire l’idéal de la société d’ingénierie capable de concurrencer les sociétés étrangères ; Les grands chantiers de la construction dont la TGB (Lt 49) est l’occasion de débattre à un haut niveau du partenariat architectes - ingénieurs ; Génie urbain (Lt 50) est un marché en devenir pour être un contrepoids aux seules expertises des grands groupes (qui fournissent équipements et études) ; Les bâtiments industriels (Lt 51) ; L’ingénierie des stades de coupe du monde (Lt 52), thème d’actualité ; L’ingénierie et les ouvrages d’art (Lt 54) ; L’ingénierie hospitalière (Lt 55). Dans ces multiples circonstances, la société d’ingénierie se fait l’interprète de l’idée du client pour construire une usine, une route, un barrage, un bâtiment ; elle mobilise les compétences et les procédures appropriées insistant sur le management de projet dont on note qu’il est devenu plus complexe (gestion des risques, gestion environnementale). L’horizon espéré est la mobilisation et le contrôle de ressources d’ordre politique, financière ou technique. Cette capacité fait partie de l’acte de naissance des grandes structures d’ingénierie intervenantes dans le secteur pétrolier (le clé en mains) qui est la référence. Le bureau d’études, dont les sociétés d’ingénierie se différencient, intervient de façon plus spécialisée et moins sur le processus global.

1.1. Des organisations pour un service total

La prestation des sociétés d’ingénierie mobilise plusieurs grandes fonctions à l’intérieur des sociétés. Celle de conception schématise les besoins à partir de la définition du processus de production. C’est une vision antérieure à la conception architecturale2. On met l’accent explicitement sur le rapport aux besoins, considérant l’architecture comme une conséquence ou les autres activités techniques comme secondaires, demandant essentiellement des aptitudes techniques.

La fonction chantier (conformité à la conception, respect des coûts et délais) accompagne et supervise la préparation sans fournir la main d’œuvre (distinction vis-à-vis des entreprises). La fonction contrôle de projet (qualité, environnement) est relativement nouvelle et répond aux exigences accrues de performances des clients. La fonction administration du projet assure plus classiquement la gestion comptable, juridique des contrats et contribue à la pérennité des organisations. A ces fonctions directes de production (ou de gestion), il faut ajouter les fonctions commerciales ou technico-commerciales cruciales pour la structure.

En raison de leur taille et stratégies de développement, les sociétés d’ingénierie sont des organisations complexes qui demandent une réflexion organisationnelle poussée (composition du capital, gestion des ressources humaines, organisation des prestations).

L’un des enjeux est de faire apprécier la place de cette ingénierie dans l’économie nationale. Plusieurs arguments montrent sa participation à la production nationale de richesses : de manière directe par son chiffre d’affaires, son potentiel d’emploi et la taille des sociétés ; de manière indirecte par sa capacité à favoriser la compétitivité des entreprises que l’on conseille ou par sa participation au rayonnement de l’ingénierie et de l’industrie française dans le monde (le sentiment national est un argument). Les études faites sur la profession empruntent nettement aux analyses économiques des services (Ministère de l’Industrie, de l’Aménagement et du Territoire, 1990 ; Secrétariat d’État à l’Industrie, 1999 ; Syntec-ingénierie, 1999 ; de Silbereky, 1998). En définitive, l’identité de cette ingénierie transite par son rôle dans les mécanismes d’échanges marchands et par sa valeur en tant qu’agent économique contemporain.

1.2. L’ingénierie professionnelle, de l’indépendance à l’autonomie

Le terme d’ingénierie professionnelle est un vecteur essentiel d’identification. Elle se distingue de l’ingénierie intégrée des maîtres d’ouvrage, institutions ou d’entreprises qui ont leurs propres services pour faire évoluer les process et contrôler leurs investissements en bâtiments. C’est le cas de services publics (transports), d’entreprises publiques (SNCF, RATP, Aéroports de Paris) et d’entreprises privées. L’ingénierie professionnelle met en avant ses capacités à produire de l’innovation contrairement aux services intégrés qui seraient trop imprégnés par les routines de leur organisation et moins prédisposés à l’innovation. L’ingénierie publique ou assimilée est critiquée dans la mesure où elle capte des marchés alors que par la composition de son capital, son lien avec la tutelle, elle est en position privilégiée et fausse le jeu de la concurrence. La concurrence déloyale devient un leitmotiv mettant en position contradictoire l’État et ses services (Syntec-ingénierie, 1996) Les changements récents des services publics, davantage soumis à la concurrence et intégrant les valeurs du marché, la privatisation des grandes entreprises publiques, l’autonomie de services d’ingénieries de sociétés par filialisation, modifient le contexte de définition de l’ingénierie professionnelle puisque d’anciens concurrents, autrefois stigmatisés, deviennent des confrères.

Le second concurrent est l’ingénierie des fournisseurs. C’est le cas des entreprises générales de travaux publics d’une certaine taille qui accompagnent et fournissent des études (recherche-développement, contrôle en laboratoire) ; des fournisseurs d’équipements (Vivendi) avec les prestations de services pour leur mise en œuvre ou leur exploitation3 ; des fabricants de matériaux dont la technicité requiert leurs propres services de recherche ou techniques.

La prestation technique ne différencie pas les deux types d’ingénierie (professionnelle - intégrée). D’autres critères sont mis en œuvre. Dans le cas de l’ingénierie professionnelle, son chiffre d’affaires est constitué de prestations d’études alors que pour les autres entreprises intégrées cela constitue une très faible part de la valeur ajoutée de la société. Un autre critère est l’indépendance des sociétés d’ingénierie dans leur mode opératoire à défaut de leur indépendance financière ou statutaire. Critère qui n’a pas de mesure objective, il s’établit ou se juge en fonction des marchés. En effet, dans l’économie moderne, par la filialisation, il y a toujours des liens de parenté entre l’éventuel client et le prestataire d’ingénierie. Dès lors l’actionnariat (la composition du capital) n’est pas un gage de cette autonomie. Inversement, une filiale peut être indépendante dans son mode opérationnel alors que des sociétés autonomes par leur capital peuvent dépendre à 80 % d’un client. Le lien économique ou politique s’avère donc problématique à identifier d’où la déontologie de Syntec qui se base sur l’analyse du comportement des sociétés faisant en sorte que la concurrence ne soit pas faussée.

1.3. L’exportation : un héritage, une ambition, une identité

La spécificité de ces ingénieries est de travailler à l’exportation et d’avoir comme horizon de référence (voire comme modèle) le marché international. La Lettre de l’ingénierie insiste sur les succès de cette ingénierie à l’étranger montrant par là son dynamisme et ses capacités inégalées par les autres partenaires de la maîtrise d’œuvre.

Les comparaisons avec les ingénieries concurrentes à l’échelle européenne et mondiale sont fréquentes. Et l’on remarque la simplicité de l’offre étrangère (un interlocuteur unique, une prestation complète, un lobbying efficace auprès des institutions internationales), sa capacité d’adaptation et ses moyens nettement supérieurs jusqu’à en minorer sa propre offre. Deux arguments sont mis en avant : la faible reconnaissance du métier en France auprès des donneurs d’ordre et des pouvoirs publics ; la pauvreté financière du secteur et son manque de rentabilité qui découragent les partenaires pour placer des capitaux, support de développement de l’ingénierie.

Syntec fonde sa position au nom de la capacité des ingénieries à concevoir la gestion des process, y compris décisionnel, stratégique, organisationnel, productif soumettant la dimension constructive aux liens étroits avec les projets d’investissements. De plus en faisant valoir sa place et ses performances en tant qu’agent économique (l’ingénierie industrielle de haut calibre ; les ressources organisationnelles et humaines des sociétés ; l’exportation comme pratique et axe prioritaire de développement), on s’extrait en partie d’un champ constitutif de la maîtrise d’œuvre ordonnée autour des projets de bâtiments. Trivialement, c’est un moyen d’indiquer dans quelle catégorie chacun joue ou peut prétendre jouer.

2. Les ingénieurs-conseils, réinvestir la conception

Les ingénieurs conseils affichent d’emblée la complémentarité de leurs adhérents au travers de sept branches4 : Infrastructure et Environnement ; Construction ; Management ; Ingénierie Générale Industrie ; Groupement de l’Ingénierie Acoustique ; Ergonomie ; Informatique. Si toutes convergent vers la finalité du service aux clients, grandes ou petites moyennes entreprises, entreprises privées ou publiques, elles n’en demeurent pas moins différentes par la nature du service offert et par les savoirs ou méthodes utilisés. L’on ne s’y trompe pas puisque dans les numéros récents de la Revue de L’ingénierie et du Conseil CICF la parole est donnée successivement aux représentants des spécialités : L’Ingénieur Constructeur (n° 28), Management (n° 31), L’Ingénierie industrielle (n° 32), L’acoustique (n° 33). Un dossier transversal, Vous avez dit changement ? (n° 34), trace quelques enjeux si ce n’est traits communs à la profession.

Le numéro spécial sur L’Ingénieur Constructeur (ici spécialiste des structures) est ouvert par un éditorial L’Art de l’ingénieur. Soulignant le nécessaire travail en équipe (avec l’architecte notamment), l’on insiste sur la spécificité de l’ingénieur duquel dépend la stabilité, la fonctionnalité et l’économie de la construction. Des articles à caractère généraliste soutiennent l’idée d’une évolution nécessaire : un consacré aux défis auxquels est confronté l’ingénieur conseil (innovation technique, modernisation des instrumentations des BET par l’informatique) ; un autre insiste sur la performance de l’intervention de l’association de bureaux d’études de petite taille au lieu de bureaux d’études pluridisciplinaires (Gascogne II : extension de l’usine UPSA). D’autres se réfèrent à l’évolution du contexte de ses interventions : Le bâtiment demain et après-demain. Enfin quelques-uns ont un caractère technique marqué : Béton armé, Désordre structurel des maisons individuelles, La flexion des planchers bois, Règles de construction parasismique.

Pour le Management, la principale finalité est de guider le changement des entreprises ou des organisations sur le plan des ressources humaines et des modes de fonctionnement articulant dimension technique et dimension organisationnelle : Avoir mal à la com’ ou comment appréhender la problématique managériale d’une PME-PMI, (comment décrypter les rapports sociaux et de travail dans les entreprises pour les réorganiser) ; Maintenance des ouvrages d’art de la RATP : méthodologie d’aide à la décision (comment prendre en compte la dimension humaine et l’environnement technique des acteurs par une analyse des fonctions et de la valeur). Pour L’Industrie, la teneur des articles est plus technique : Comportement vibratoire d’ouvrages ; Les portes automatiques et la réglementation ; La corrosion des aciers dans le béton. Elle a des connotations généralistes et stratégiques quand l’action de l’ingénieur conseil ne se limite pas à la construction mais porte sur le process industriel (Transfert d’une usine, conception d’un nouveau poste de travail, n° 26). Cette action s’étalonne entre une approche exclusivement technico-constructive (les éléments de la construction), activités des BET classiques dans le domaine (génie civil et structures, fluides) et une adaptation ou refonte des process industriels5. L’enveloppe et le construit s’appuient sur la culture scientifique et technique du bâtiment alors qu’une connaissance des procédés constitue l’essentiel des savoirs de base alliée à l’analyse de la performance économique.

2.1. Les réseaux : alternative ou impératif

L’organisation des prestations techniques suit deux logiques. La première est de fournir un ensemble complet de prestations intellectuelles techniques ou économiques dans des champs d’activités ouverts (essentiellement destinés au milieu industriel : raffinage, agroalimentaire, industries de toutes sortes). Nous sommes proches des sociétés d’ingénierie.

Une seconde, dominante dans le champ des ingénieurs-conseils, se base sur la complémentarité d’approches techniques (management, acoustique, ergonomie, expertises judiciaires) et sur la pertinence d’expertises spécialisées. Leur mise en réseau (Quand les entreprises travaillent en réseau, n° 34, p 16) est vigoureusement défendue pour faire des offres concertées (en vue d’une diversification des activités) et être un contrepoids aux grosses structures intégrées. Elle serait favorisée par une culture commune (La formation autrement, n° 34, p. 17) pour pallier la divergence d’intérêts entre composantes de l’ingénierie et contrer les stratégies individualistes des ingénieurs conseils ou les situations de sous-traitance. Cette mise en commun passe par une accumulation critique de savoirs transversaux pour mettre en exergue les forces et les faiblesses et surtout les possibles progrès à réaliser. Cette précieuse source d’information et de réflexion est l’Observatoire de l’Ingénierie et du Conseil (OIC) crée en 1996/97.

2.2. L’ingénieur-conseil : le sens de l’humain

La convergence d’intérêts et la similitude des expertises de CICF et de Syntec n’excluent pas des différences. Les unes renvoient à l’origine individuelle des cabinets d’ingénierie, à l’implication personnelle de leur créateur puis gestionnaire et donc au caractère vocationnel de l’exercice du métier : l’action de l’ingénieur est plus une passion qu’un métier ; un engagement plus qu’une activité6. Même ceux qui exercent en société conservent ce caractère fusionnel entre dirigeants et structures contrairement aux sociétés d’ingénierie qui se situent dans la sphère marchande et capitalistique.

D’autres différences s’expriment dans la terminologie employée pour identifier les unités de base, société ou bureau d’études (ou cabinets), de chaque syndicat. A la société correspond – outre sa valeur marchande et financière – une mission d’assemblage et de supervision des projets ; au BET une capacité d’ordre productif et technique. Apparemment ces derniers sont régulièrement les sous-traitants des sociétés qui conservent l’aspect technico-commercial mais n’ont plus la capacité ou la volonté de traiter concrètement les dimensions techniques (sauf sous forme de contrôle) pour des raisons économiques.

La métaphore du gros et du petit, du moderne et du traditionnel, guident la perception de soi et les orientations politiques : « Plus les gros offreurs veulent imposer leurs solutions standardisées plus les clients rêvent de solutions personnalisées, appropriées, proposées par des structures à dimension humaine. Il est possible de rester indépendant aussi bien en situation de profession libérale qu’en étant côté en bourse ou en faisant partie d’un réseau d’idées» (Vous avez dit changement ? CICF n° 34). Le CICF met alors en avant le sens de l’humain. C’est une forme de confiance liée à la proximité relationnelle. Cela amène Syntec et le CICF à distinguer de concert plusieurs catégories d’ingénierie : l’ingénierie de spécialité ; l’ingénierie de proximité ; l’ingénierie de management de projet, caractéristique des sociétés d’ingénierie.

2.3. Réinvestir la conception et négocier le leadership

Concernant la maîtrise d’œuvre de construction (activité dominante de CICF) et quel que soit le secteur d’activités (industrie, infrastructure, bâtiment), deux éléments principaux affectent l’exercice du métier et sa reconnaissance collective : la valorisation des tâches de conception ; le travail pluridisciplinaire.

Les phases de réalisation et de mise en œuvre technique (principalement occupées par les ingénieurs) se déprécieraient vis-à-vis des phases préalables de réflexion et de conception. Dans ces conditions, l’ingénierie traditionnelle serait trop marquée par la pensée technique ce qui la contraindrait pour s’inscrire dans des processus plus globaux à caractère stratégique. Un moyen de reconquête de cette position est l’innovation au travers de la formation permanente jusqu’ici faiblement utilisée et peu valorisée dans le milieu des ingénieurs.

La pluridisciplinarité est une des conditions de la mise en œuvre d’une action experte dans un système d’action. Aujourd’hui les projets sont plus complexes, élaborés sur l’interdépendance croissante de variables économiques, techniques, culturelles, organisationnelles. La spécialisation de chacun et le besoin de coordination qui en résulte repositionnent le rôle de chaque partenaire.

C’est à propos des ingénieurs du CICF que la césure entre les activités de maîtrise d’œuvre (la construction) et d’autres prestations de services (le conseil en organisation ou une approche plus spécialisée, l’ergonomie, l’acoustique) apparaît la plus marquée. Si ce rapprochement d’expertises à un sens pour offrir un service étendu aux entreprises et aux maîtres d’ouvrage, il fait face à une atomisation des disciplines et des structures. L’acquisition d’une plus forte reconnaissance passerait selon le CICF par une réorientation de leur offre vers l’assistance à maîtrise d’ouvrage et des tâches de conception tout en se rapprochant de certaines catégories de client (les marchés de proximité). Cela passe aussi par une moindre dépendance des sociétés d’ingénieries et des architectes.

3. L’économiste de la construction, une stratégie d’émancipation

La logique centrale qui articule l’action des économistes est la reconnaissance du titre pour être, sur le plan du statut social, à l’égal de l’architecte ou de l’ingénieur et être assimilé au Quantity Surveyor britannique, référence constante d’une professionnalité reconnue en Europe. Les économistes entreprennent une construction patiente et idéale d’une profession : une expertise qui correspond au traitement particulier de la dimension économique des projets et son accrochage en amont (programme, conception) ; une formation que l’on cherche à consolider ; une indépendance et une autonomie élaborées sur des partenariats avec des clients (maître d’ouvrage) pour redistribuer les tâches dans le processus constructif et avec des fournisseurs (équipementiers, fabricants) pour maîtriser la qualité et les prix ; des formes de solidarités originales (fonds d’assurance par exemple) et un partage de savoirs.

La base de cette reconnaissance est la valeur ajoutée fournie par l’économiste de la construction, liée à la prégnance constante dans les processus constructifs de la dimension économique. Traitée en amont (le programme, la conception) et en aval (les travaux), les économistes revendiquent une position plus centrale dans le processus. Les racines historiques – le toisé, les métreurs vérificateurs – et la dimension universelle de ces questions (le modèle anglo-saxon des Q.S.) sont les autres arguments d’une légitimité au delà d’une simple revendication conjoncturelle.

Différemment des savoirs scientifico-techniques des ingénieurs et de la tradition culturaliste des architectes, une place est faite à une réflexion de fond sur les savoirs des économistes. Ces savoirs procèdent de la rationalisation de savoir-faire dans le domaine de l’économie de la construction et s’expriment par des procédures, des règles, des fiches dont la confection est orientée par des finalités opératoires. Dans le Livre Blanc de la profession (Untec, 1995, p. 98-106) est soulignée l’impérative nécessité de savoirs propres et surtout qu’ils soient communs ou partagés par tous ceux qui exercent cette activité quel qu’en soit le cadre. Stigmatisant les approches trop individuelles (chaque économiste a sa propre méthode) et notant le formidable potentiel des outils informatiques, la stratégie est de doter la profession d’une science de l’économétrie appliquée à la construction. La compétence est directement dépendante alors de l’application d’une méthode normalisée, outil incontournable de la pratique professionnelle. On l’étend à des secteurs spécifiques comme les monuments historiques.

Cet effort de rationalisation des savoirs passe par la mise en œuvre d’un partenariat actif avec les principaux maîtres d’ouvrage notamment dans le cadre de l’Institut de Recherche et d’Information de l’Économie de la Construction (IRIEC) dont le but est de développer des banques de données de coûts sur des opérations par typologie de bâtiments (banques de données informatisées avec conception de logiciels afférents : d’abord construction neuve puis extension à la réhabilitation). Cet arsenal – envié chez les QS – donnerait les bases homogènes d’une approche de l’économie de la construction et des prestations des professionnels. Si la formalisation des savoirs est une étape importante, les économistes cherchent à se positionner le plus en amont possible, dès l’intention de construction ou de la phase pré-opérationnelle et du programme. Ainsi, le coût global ne peut être dissocié des autres dimensions d’une opération immobilière (choix techniques, financiers, juridiques). On insiste sur la co-élaboration et la co-responsabilité avec les autres partenaires voire sur le rôle que peuvent jouer les économistes dans les activités d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou de management de projet. Ainsi une entrée relativement singulière à l’origine – le métré et le coût – interroge aujourd’hui la globalité du processus. Ce qui explique le rééquilibrage recherché de l’image de la profession passant du réducteur de coût, image castratrice, au management de la valeur, image dynamique.

Le rôle d’intermédiaire entre la maîtrise d’ouvrage et les entreprises est un autre point à partir duquel s’articule la prestation des économistes. Un terme résume ce double rapport, la prescription. Ce qui entraîne la mise au point de chartes de collaboration avec les industriels (GIP : Groupement Industrie Promotion dont on suit les avancées dans la revue Economie et Construction) et qui se concrétisent par la mise en œuvre d’outils communs d’aide à la prescription notamment les fiches Produits et Systèmes Industriels (PSI), (n° 105). Un salon de la prescription (195 industriels présents) a été créé lors de chaque congrès. Une rubrique régulière sur les produits et la technique décrit les matériaux ou alternatives techniques (Prescription info ; produits) jusqu’à quelquefois rendre confus ce qui ressort d’une analyse critique de produits et une publicité faites par les fournisseurs (la présentation graphique ne lève pas d’ailleurs cette ambiguïté). Ce n’est pas anodin quand on défend l’autonomie de décision et de prescription alors qu’une partie de l’activité dépend des prestations auprès des entreprises de travaux.

Alliée à une instrumentation technique qui analyse les matériaux, la relation avec les industriels est une ressource stratégique importante. Néanmoins, en tant que prescripteur, cette prise de position doit composer avec les autres acteurs de la maîtrise d’œuvre (architectes, bureaux d’études) qui, par les liens avec la conception, ont un rôle déterminant sur cet aspect de la prescription.

3.1. La formation : une identité dans la durée

Les économistes de la construction forment une profession mais encore faut-il des voies unifiées d’entrée dans le métier et reconnues par l’État (et donc par les autres partenaires). Pour cela l’UNTEC travaille à deux niveaux complémentaires : la reconnaissance d’un système de formation autonome d’un niveau bac plus 4 ou 5 ce qui permet d’enrichir notablement les filières de formation jusqu’alors essentiellement liées aux niveaux BT et BTS et à un enseignement technique dont on sait qu’il reste faiblement considéré en France ; l’intégration dans le système de qualification européen.

En instituant des formations supérieures longues et labellisées par l’Europe, la stratégie est de clarifier les voies d’entrée et d’assurer une visibilité pleine et entière d’une profession. D’ailleurs le Livre Blanc (UNTEC, 1995) souligne cet aspect fondamental et propose une grille des compétences directement en prise avec le système de formation hiérarchisé du collaborateur à l’ingénieur. Par l’affranchissement du seul enseignement technique, on entre davantage dans les professions à statut fort. De manière régulière, la revue fait une place à la formation initiale.

3.2. Marchés et concurrents

L’un des axes principaux de la stratégie des économistes est de diffuser cette composante dans tous les domaines de l’activité constructive ce que traduit la présentation généraliste de types de marchés (actuels ou en devenir). Cela se fait par le biais de dossiers thématiques complétés par des entretiens auprès d’acteurs reconnus du secteur (les missions de l’ANAH, n° 107) : Amélioration de l’habitat, activité n° 1 du logement (n° 107). Les monuments historiques (n° 106) font partie d’un des secteurs à davantage investir. Le contexte général d’intervention (la politique patrimoniale française) est présenté ainsi que la place de l’économiste de la construction (le statut des vérificateurs). Les marchés sont aussi vus au travers des clients visés, Le marché des collectivités locales est largement ouvert aux économistes de la construction (n° 108). Elles sont une cible, notamment pour les plus petites d’entre elles pour proposer d’autres services : optimisation des investissements des clients ; valorisation des patrimoines immobiliers ; diagnostics technico-économiques. Cet enjeu de l’économie attire des convoitises et doit trouver ses meilleurs ambassadeurs dans des conditions objectives de choix pour le maître d’ouvrage. L’indépendance de la mission est une garantie quand elle est dispensée par des cabinets libéraux et davantage sujette à caution quand elle est intégrée par des BET ou des architectes. Cette critique est adressée par des représentations régionales confrontées à la concurrence de ceux qui prennent en charge cette dimension de l’économie. Elle est aussi soulignée par les instances nationales. Les économistes sont aussi offensifs particulièrement dans les deux secteurs évoqués : l’assistance à maîtrise d’ouvrage et le management de projet au nom du caractère transversal de la dimension économique et par la force de la constitution d’un corps professionnel. Comme pour beaucoup de professions, dès qu’il s’agit de petites structures, l’une des orientations possibles est de constituer des réseaux ou des pôles de compétences technico-économiques pluridisciplinaires.

Par la gestion d’une ressource incontournable et cruciale du projet (l’économie), les économistes revendiquent un statut à part entière dans les équipes de maîtrise d’œuvre ou davantage encore par leur investissement dans des missions de conseil (on se rapproche ainsi du cercle des pouvoirs). Et l’on conteste la place des architectes qui ont cette écoute directe du pouvoir par leurs capacités de symbolisation. L’économiste de la construction cherche à s’affranchir de la domination d’autres partenaires de la maîtrise d’œuvre par ses efforts d’homogénéisation des compétences (savoirs, méthodes, techniques de travail partagées par tous), par sa position dans les processus de production (fonction de conception ; management des projets), par la constitution de filières de formation plus lisibles. La prochaine étape est celle de la réglementation de l’activité7.

4. Architectes, une stratégie du politique

Les architectes à la différence des autres corps professionnels décrits, forment une profession réglementée et dont le titre est protégé. C’est une différence primordiale. De nombreuses revues présentent leur travail : D’Architectures, Architecture d’Aujourd’hui, Architecture Intérieure Créé, Techniques et Architecture. Nous avons choisi D’Architectures car elle a un double visage. Elle est un magazine d’actualité architecturale : on y trouve la description de nombreuses réalisations, présentation au caractère visuel (photographie de bâtiments, images, pièces graphiques) et des dossiers traitant de problèmes doctrinaux ou esthétiques ; elle est une revue professionnelle. De fait, son contenu est éclectique, dense (plus de 60 pages), couvrant de multiples domaines de l’architecture. Elle met en scène conjointement l’élite (sur tous les plans), les jeunes prometteurs, les plébéiens : des projets des maîtres, de la maison aux équipements publics, des ouvrages d’art aux plans d’urbanisme des villes, la palette abordée est large.

4.1. L’expertise de projet et de conception

Les dossiers thématiques, comme ceux des autres professions, sont l’indicateur d’un positionnement stratégique. Le projet architectural dans toutes ses filiations ou facettes y a une place importante (Ruralité et modernité, La reconquête des bourgs, n° 80 ; Lieux de spectacles contemporains, n° 81, Architecture navale. Sur la vague de l’expérimentation, n° 85). D’autres numéros concernent davantage la nature de l’action des architectes : L’invention : moteur du projet, n° 84, thème fondamental qui fait référence aux savoirs originaux des architectes ; Il n’y a pas de petits projets, n° 86 ; Réactualiser les années 1970, n° 93 ; Régionalisme : quand l’architecte cherche ses racines, n° 94, autant d’approches qui entretiennent le débat doctrinal. Enfin certains couvrent le champ urbain de l’urbanisme ou du projet urbain, deuxième grand domaine de conception des architectes : Les lumières de la ville, n° 88 ; Urbanisme, la fin du plan masse, n° 89 ; La ville reprend des couleurs, n° 90 ; Transports : le siècle de l’intermodalité, n° 92. Si l’on remontait dans le temps, l’on verrait que de nombreuses productions bâties sont traitées y compris celles dans lesquelles l’architecte à une action marginale : c’est une manière de définir non seulement son champ d’intervention, mais aussi l’universalité d’une préoccupation. Plus rarement, les dossiers sont consacrés à des thèmes sur l’activité de la profession, non médiatisée par des enjeux culturels : L’enjeu de la commande privée, n° 84, contribue à poser d’autres questions à la profession comme son dynamisme économique ou organisationnel. Si elles alimentent les savoirs de l’architecte (la triple dimension esthétique, culturelle et constructive de l’architecture), ces présentations sont davantage une réflexion sur les tendances actuelles qui accumulées ou confrontées les unes aux autres, offrent quelques repères dans les productions des architectes. On identifie les termes du débat architectural dans l’espace professionnel.

Les invités sont fréquemment des architectes, valorisant leurs approches originales au travers de réalisations ou de projets (réponses à des concours) : la rubrique Parcours le montre. Les références aux registres de la singularité et de l’inspiration dominent largement la présentation des architectes-concepteurs. Chez eux, le professionnel est une personnalité que l’on voit en résonance avec les bâtiments conçus. La polémique (concours, régionalisme) multiplie les points de vue décalés enrichissant le débat doctrinal. Cette liberté de ton correspond à celle de l’artiste.

Les invités extérieurs sont des personnalités, médiatrices de réflexions généralistes et sociétales voire philosophiques (Baudrillard, Virilio, Latour).

L’architecte par l’architecture se situe résolument du côté de la pensée, de la culture et de la recherche de sens à la production du cadre matériel. C’est une différence très sensible avec les autres professions.

4.2. L’intérêt public d’architecture

Les discussions sur les ajustements de la loi sur l’architecture de 1977 révèlent la position des architectes de manière conjoncturelle (la réforme d’un cadre législatif) et de façon plus structurelle. Les architectes affirment que leur action est d’utilité publique : elle sert le citoyen, l’usager, les fondements de vie commune, l’avenir de la société et du pays, l’intérêt public.

Dans la présentation de soi, les architectes commencent par poser souvent le thème de l’intérêt général, autour du cadre de vie et de ses multiples composants, moyen d’asseoir la pertinence d’une expertise architecturale et urbaine. Cette position prend plus de sens que l’on assimile architecte (professionnel labellisé) et architecture (tout acte qui modifie l’espace physique bâti). On se place alors résolument du côté du public. Cette place est renforcée par la présentation de projets (logements, équipements, espaces publics) ou de l’action des architectes dans les politiques publiques, y compris sociales (le logement, la banlieue). Une fois posé l’intérêt public d’architecture, on affirme la vocation et la tradition de la profession à servir et à garantir cet intérêt général.

Nombre de discours privilégient une caractérisation généraliste de l’expertise architecturale défendant une idée publique et collective de la transformation de l’espace bâti. Cette revendication d’une action sur l’aménagement et le cadre de vie était déjà présente dans les années 1970. Dans le rapport à la culture, une double signification opposée émerge : une vision anthropologique (on crée des lieux d’activités sociales) ; une vision d’avant-garde (on innove, voire on invente la culture de demain).

4.3. Les réformes d’un modèle professionnel

Trois discours sont minoritaires. Celui sur l’Europe, référant incontournable et incontrôlable, révèle une approche défensive8. Le discours sur la rationalité économique et des marchés (la prestation de service, l’exportation) est aussi secondaire malgré une rubrique régulière sur les marchés, quelques élans sur l’efficacité gestionnaire d’agences, voire par les prises de position de groupes ou personnalités qui prônent une modernisation des architectes9. Si l’on valorise une agence c’est par la qualité de sa réflexion architecturale, esthétique, symbolique et sociale et moins par ses performances économiques ou la qualité de son organisation. La dimension créative et inventive de son activité est privilégiée. Dans la présentation de soi, moins dans la réalité, les compétences de négociation, de composition avec les autres professions sont secondaires bien que la revue présente des collaborations réussies (acousticien, BET, artistes, design) avec d’autres intervenants mais toujours dans la logique du projet architectural. Le troisième discours minoritaire est la diversification professionnelle (assistance à maîtrise d’ouvrage par exemple) bien qu’elle soit fortement dans les pratiques. Le modèle de la maîtrise d’œuvre et du concepteur reste dominant.

La formation, au moins sur la dernière année 1999, est faiblement abordée. Elle devient un enjeu important lors des processus de réforme, occasion de débats sur la finalité de l’action de la profession, sur la nature des changements auxquels elle est confrontée et sur les stratégies que la formation doit intégrer : se centrer exclusivement sur la conception architecturale et le projet ou s’ouvrir aux métiers de l’architecture. Pourtant la formation pose de nombreuses questions comme celle de la licence d’exercice, bien que les architectes aient bien compris tout l’intérêt politique à garder le recouvrement entre DPLG (diplôme d’État) et licence d’exercice.

Les architectes se situent résolument sur le terrain du politique et du culturel et s’efforcent de conserver une position hégémonique. En demandant une délégation de service public sur la question de l’aménagement et de la production constructive, l’objectif est de réguler la production du cadre bâti dans le sens du bien public.

5. Images : jeux d’identité et de différenciations

Entre profession et marchés… cette formule détournée (Karpik, 1995) résume à traits grossiers les deux pôles d’un axe sur lequel se détermine l’image des professionnels.

La référence à la profession demeure essentielle dans le secteur. À travers elle, sont déclinés toutes les raisons à promouvoir une expertise indépendante. Les architectes et les économistes de la construction se rejoignent pour défendre l’autonomie de la conception pour les uns, celles de la prescription pour les autres. Les architectes valorisent la dimension culturelle et sociale de l’architecture et l’osmose avec l’intérêt public ou collectif. Les économistes insistent sur la nécessité d’instaurer une analyse objective de l’économie des projets (une expertise, une position, un mode d’organisation). Si les architectes ont réussi en grande partie à le faire, les économistes s’efforcent d’y parvenir en instaurant un véritable discours de cohésion professionnelle : une finalité, des savoirs, une formation, une indépendance statutaire.

Le marché est l’autre pôle de référence. L’image la plus cohérente de ce point de vue est portée par les sociétés d’ingénierie. Les prestations de service, la productivité, l’exportation, l’autonomie de la prestation et pas forcément des organisations de maîtrise d’œuvre, la nature de la majorité de leurs clients (l’industrie) organisent leur image. La pression croissante de la mondialisation de l’économie, la réorganisation des marchés plus sensibles à l’efficacité financière, la clarification du rôle de l’État sont aussi d’autres arguments qui fixent cet univers de pensée. C’est sans doute cette vision de l’activité qui bouscule l’autonomie revendiquée (vis à vis des grands groupes ou des clients) des entreprise de maîtrise d’œuvre et qui introduit d’autres critères de jugement des expertises.

L’image de chacun s’adosse encore à des différenciations d’expertise, principalement entre ceux qui valorisent une dimension technique (ingénierie, économistes) et ceux qui privilégient le symbolisme esthétique et culturel. Le cercle des ingénieries (Syntec, CICF, Économistes de la construction) associe ceux qui, par leur culture technique ou la rationalisation de leurs savoir-faire, se retrouvent sur une vision du service à rendre.

Néanmoins, tous les groupes professionnels ont remarqué que l’enjeu central est le management des projets et l’organisation des ressources stratégiques sur plusieurs dimensions des savoirs (techniques, architecturales et spatiales, organisationnelle, économique). Ce management est vécu différemment par les professions : autour d’une réflexion stratégico-technico-économique pour les sociétés d’ingénierie ou dans d’autres conditions d’interventions par le CICF ; sur la base de l’économie en combinant évaluation financière (décompte des coûts d’un bâtiment) et économique (pertinence de choix) par les économistes, sur la nature sociale et culturelle du cadre bâti pour les architectes. Un nouveau champ de luttes se met en place autour de fonctions stratégiques.

1 Cette analyse thématique s’appuie sur trois types de données : la presse professionnelle (La Lettre de l’ingénierie ; La Revue de l’ingénierie et du

2 L’industrie est l’un des marchés visés. (L’Usine Nouvelle, 1999).

3 Sur le secteur du génie urbain, une part très importante du marché est occupée par l’ingénierie intégrée des grands groupes du BTP ou des

4 Cette diversité catégorielle existe aussi chez Syntec et les architectes.

5 L’Ergonomie, approche ciblée des postes de travail, y participe mais reste dans les circonstances actuelles un savoir spécialisé (Expertise et

6 Cette caractéristique rapproche les ingénieurs conseils des architectes.

7 « Puisque la qualification ne suffit pas aux maîtres d’ouvrage pour séparer le bon grain de l’ivraie, c’est le port du titre qui, sans être

8 En fait l’expression de ce discours sur l’Europe passe par d’autres canaux (Le Moniteur, Études sur l’Europe, l’AFEX).

9 Cet aspect est portée en particulier par les « architecteurs » qui associent conception, projet et démarches commerciales ; l’AFEX soutient l’idée d

De Szilbereky M., 1998, L’ingénierie de la construction en France : capacité d’adaptation à l’évolution du marché mondial, DAEI.

Karpik L., 1995, Les avocats. Entre l’État, le public et le marché. XIIIe-XXe siècle, Gallimard, Paris.

Ministère de l’Industrie de l’Aménagement et du Territoire, 1990, Contribution de l’ingénierie française à l’économie nationale, juin.

Le Moniteur, 1997, « Economistes. Vers la réglementation du titre professionnel », n° 4876, 9 mai.

Observatoire de l’Ingénierie et du Conseil (OIC), 1997, Rapport annuel, CICF.

Secrétariat d’État à l’Industrie, 1999, Développer la valeur des services à l’industrie (la relation prestataire client, les certifications), mars.

Syntec-ingénierie, 1996, Le marché français des services d’ingénierie et les services intégrés d’ingénierie dans les administrations ou établissements publics, document de travail.

Syntec-ingénierie, 1999, L’évolution des métiers de l’ingénierie et les besoins en formation.

UNTEC, 1995, L’économiste de la construction aujourd’hui et demain, Livre sur la profession, mai. (Livre Blanc de la profession)

L’Usine Nouvelle, 1999, n° 2690, juin.

1 Cette analyse thématique s’appuie sur trois types de données : la presse professionnelle (La Lettre de l’ingénierie ; La Revue de l’ingénierie et du conseil du CICF ; Economie et construction ; D’Architectures ; Le Moniteur) ; des études existantes à caractère généraliste (type livre blanc) qui livrent un idéal ; des entretiens (une quinzaine d’entretiens qualitatifs) auprès des représentants syndicaux. Une première version de ce travail a été réalisée dans le cadre d’un contrat d’études prospectives des professions de la maîtrise d’œuvre.

2 L’industrie est l’un des marchés visés. (L’Usine Nouvelle, 1999).

3 Sur le secteur du génie urbain, une part très importante du marché est occupée par l’ingénierie intégrée des grands groupes du BTP ou des exploitants. Une tendance actuelle serait de faire appel à l’ingénierie professionnelle privée pour augmenter la concurrence.

4 Cette diversité catégorielle existe aussi chez Syntec et les architectes.

5 L’Ergonomie, approche ciblée des postes de travail, y participe mais reste dans les circonstances actuelles un savoir spécialisé (Expertise et développement pour un nouveau banc de test, n° 26, p 17).

6 Cette caractéristique rapproche les ingénieurs conseils des architectes.

7 « Puisque la qualification ne suffit pas aux maîtres d’ouvrage pour séparer le bon grain de l’ivraie, c’est le port du titre qui, sans être nécessaire à l’exercice du métier, fera la différence. Les économistes veulent assujettir ce titre à des compétences et à une déontologie. Un projet de décret fera dépendre le titre d’économiste d’une formation initiale reconnue (imposée à partir de 20001, rehaussé au niveau européen Bac+3 depuis le 4 juillet 1996. […] Un tableau national regrouperait les économistes en titre, par catégorie de qualification, afin d’aider les maîtres d’ouvrage dans leur démarche. » (Le Moniteur, 1997, p. 21)

8 En fait l’expression de ce discours sur l’Europe passe par d’autres canaux (Le Moniteur, Études sur l’Europe, l’AFEX).

9 Cet aspect est portée en particulier par les « architecteurs » qui associent conception, projet et démarches commerciales ; l’AFEX soutient l’idée d’exportation et d’alliance dans ces conditions avec les BET ou sociétés d’ingénieries. D’autres enfin prônent une modernisation des organisations et des outils de travail de l’architecte via son intégration dans des logiques de marchés.

Guy Tapie

ARD – Ecole d’Architecture et de Paysage de Bordeaux
Domaine de Raba 33405 Talence
guy.tapie@bordeaux.archi.fr

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