En conclusion de ce numéro, je souhaite proposer un essai de lecture transversale et, je le crains, un peu impressionniste. Je partirai de deux notions de base, qui aideront à construire un schéma de lecture des articles et à les situer les uns par rapport aux autres.
La première, celle de système des professions, est empruntée à Andrew Abbott (1988). Elle invite à considérer les groupes professionnels comme liés les uns aux autres, faisant système, au sens que ce qui se passe dans l’un a des répercussions sur les autres. Quand l’un triomphe, il risque de laisser peu de place aux autres, ou de les exclure (tel est le cas du monopole d’exercice, qui constitue une des caractéristiques de la profession au sens anglo-américain) ; quand il s’affaiblit, il offre des opportunités aux concurrents. Ce système n’équivaut pas nécessairement à un jeu à somme nulle, voyons-le simplement comme un ensemble d’interdépendances et de complémentarités, qui traduit la division du travail en partage harmonieux ou conflictuel des tâches et en arrangements permettant la coopération.
Mais la notion de système est trop large : il faut réduire le champ et se pencher sur les configurations professionnelles que l’on rencontre dans les textes du présent ouvrage. La formule s’inspire d’une recherche sur les ingénieurs qui désignait par ces termes toutes les organisations et tous les personnages impliqués dans les débats et les réformes qui engagent l’avenir d’un groupe professionnel : associations, syndicats, écoles et enseignants, entreprises et organisations patronales, mais aussi administrations et conseillers en poste dans les ministères (Derouet, 2020). Ici, la notion est prise dans le sens de mise en présence de plusieurs acteurs, certains intervenant en tant que professionnels, d’autres à des titres différents (usagers, clients, militants, etc.), réunis autour du traitement d’un problème qui relève des attributions d’un ou de plusieurs de ces professionnels. Certains peuvent être très directement impliqués, d’autres se contenter d’intervenir de manière plus périphérique. Une configuration professionnelle peut être considérée comme une concrétisation locale du système des professions, mettant en jeu une situation spécifique de coopération ou de confrontation entre des professionnels ou entre ces derniers et d’autres acteurs.
Ceci étant posé, on peut essayer de lire les idées et les matériaux présentés dans les textes rassemblés ici en s’efforçant d’identifier des modalités différentes de configuration et de dégager quelques formes élémentaires autour desquelles se dessinent des combinaisons variables de paramètres.
Auparavant, il faut introduire quelques précisions sur l’usage de la notion de « groupe professionnel » plutôt que de « profession ». Ce dernier terme renvoie à la figure anglo-américaine du professional, travailleur intellectuel doté d’un statut particulier, de protections légales ou de monopoles, de prestige, etc. Cette figure n’existe pas telle quelle en France. Certes, on y trouve des « professions réglementées », mais cette catégorie inclut aussi bien le coiffeur, le chauffeur de taxi ou le maréchal-ferrant que le notaire ou le médecin. Parler de « groupe professionnel » permet donc d’éviter la confusion. On peut le définir comme un être collectif formé par des travailleurs qui occupent la même parcelle de la division du travail. En général, ceux-ci trouvent dans cette position des ressources pour vivre et cherchent à s’y maintenir. Un des meilleurs moyens d’y parvenir est de faire valoir qu’ils possèdent des savoirs plus légitimes1 que d’autres pour traiter un problème donné. Ainsi, tous les groupes professionnels détiennent, à des degrés variables, et avec un niveau de reconnaissance inégal de la part du reste de la société, une forme de légitimité qui les autorise à proposer leurs services, voire à revendiquer que leurs avis et décisions soient revêtus d’un poids spécifique. Les professions, au sens anglo-américain, constituent simplement des cas particuliers de groupes professionnels mieux lotis que les autres selon un certain nombre de critères.
Certains de ces professionnels se présentent comme des experts. « Intronisé en tant qu’expert, le professionnel, spécialiste praticien ou chercheur, est conduit à endosser un rôle nouveau, soumis à des déterminations différentes de celles qui président à son activité habituelle », note Corinne Delmas (2011). Ne sont experts que les professionnels reconnus et sollicités comme tels. Il faut quelque chose d’autre2 que la légitimité ordinaire du professionnel pour constituer celle de l’expert : un agrément, une inscription sur une liste d’aptitude, une marque de reconnaissance spéciale, éventuellement une sollicitation officielle qui agit comme un acte d’intronisation.
Dans tous les cas, professionnel ou expert, la légitimité procède d’une double nature. D’un côté, elle est liée à une compétence avérée, incarnée par le professionnel, que chacun peut constater et reconnaître comme une forme d’autorité indépendante de toute référence à un pouvoir institutionnel. Il suffit, pour s’en convaincre, de penser à ce que disait Michel Bakounine : « Lorsqu’il s’agit de bottes, j’en réfère à l’autorité du cordonnier ; s’il s’agit d’une maison, d’un canal ou d’un chemin de fer, je consulte celle de l’architecte ou de l’ingénieur. » (Bakounine, 1908, p. 44). L’anarchiste rebelle aux pouvoirs établis et aux lois se soumet sans discussion à l’autorité des professionnels. Mais cela n’empêche pas la légitimité professionnelle d’avoir aussi une face institutionnelle. Pour en retrouver la source, plongeons avec Émile Benvéniste dans les profondeurs de la culture grecque et souvenons-nous du sens originel du sceptre, symbole de l’autorité institutionnelle par excellence, celle du monarque : le skeptron était un bâton qui représentait, dans le monde d’Homère, « l’attribut du roi, des hérauts, des messagers, des juges, tous personnages qui, par nature ou par occasion, sont revêtus d’autorité. On passe le skeptron à l’orateur avant qu’il commence son discours et pour lui permettre de parler avec autorité » (Benveniste, 1969, p. 30). Les professionnels qui disposent d’un statut reconnu, et notamment les experts, détiennent une autorité institutionnelle, symbolisée par leurs titres, leurs prérogatives, leurs positions officielles. Leur parole fait autorité, ils disposent symboliquement d’un sceptre qui donne de l’autorité à leur discours.
Nous disposons à présent de deux outils de lecture des articles : celui de la forme prise par les configurations professionnelles et celui de la légitimité, l’autorité reconnue aux professionnels.
Cela nous permet de situer un premier cas de configuration professionnelle parmi les articles de notre corpus : celui de la reconnaissance faible ou affaiblie de la légitimité des savoirs, celui des professionnels à qui on a retiré ou refusé de tendre le sceptre. Deux textes correspondent globalement à cette situation : celui de Ludivine Damay et Christine Schaut, et celui de Iona Iosa.
Dans le premier, le commanditaire impose une situation de table rase : personne n’a davantage de légitimité que les autres, les professionnels de la recherche sont mis sur le même pied que les profanes et, réciproquement, les habitants du quartier sont qualifiés de chercheurs. Je n’insiste pas sur les paradoxes et les incohérences de cette attitude, que les auteures ont bien soulignés. Je note simplement que les chercheurs professionnels sont caricaturés et qu’on tente de les discréditer : on les accuse d’être déconnectés du terrain, en surplomb, etc. On tente à la fois de les disqualifier et de tirer profit de leurs savoirs en les intégrant au projet. On ne peut pas leur enlever leur statut, mais on essaie de les priver d’autorité.
Dans l’article de Ioana Iosa, les professionnels du patrimoine sont également attaqués, stigmatisés. Ils font l’objet d’une relégation au second plan par des influenceurs médiatiques qui captent à leur profit le soutien du public, des financeurs, des fondations et même, au moins en partie, de représentants des pouvoirs publics qui se mettent également à orienter le financement des restaurations vers les monuments plébiscités par le public. Le savoir des architectes des Bâtiments de France (ABF) ou des conservateurs en matière d’évaluation des projets de restauration se trouve réduit à de vains discours qu’on n’écoute plus. Le cas est redoutablement intéressant, car il montre que la vox populi peut gonfler l’influence d’acteurs qui n’ont aucune légitimité institutionnelle et ériger des formes d’autorité communicationnelle aussi puissantes que déconnectées de la démonstration de savoirs efficients. C’est la notion même de profession qui se trouve alors désarticulée dans ses fondements, puisqu’elle repose sur l’affirmation de la capacité d’accréditer les praticiens (Freidson, 1986), de garantir leurs compétences auprès d’un public qui n’a pas les moyens de juger par lui-même de la qualité des prestations. Les professions dressent des barrières à l’entrée afin d’écarter les charlatans, mais il arrive que ce soient les beaux parleurs qui l’emportent et que le sceptre des professionnels se couvre de poussière.
Ces situations sont différentes de celle que rapportent Catherine Aventin et Corinne Sadokh. Si, dans leur recherche-action, il y a coproduction de connaissances et transformation des « profanes » seniors en co-chercheurs, ce n’est pas en raison de tentatives de discréditer les chercheuses, mais plutôt du désir des chercheuses elles-mêmes de réduire la dissymétrie, d’instaurer des porosités, en somme de poser leur sceptre. Poser son sceptre, c’est un peu comme lâcher le guidon quand on conduit une bicyclette : c’est faire preuve d’une maîtrise suffisante pour se passer des moyens de contrôle ordinaires. On se trouve donc dans une autre forme élémentaire de configuration, qu’on pourrait désigner par le néologisme d’« eucoopération », construit sur le modèle d’« euphonie », qui désigne le contraire de la cacophonie. Ce serait donc une sorte de collaboration euphonique dont les membres « s’entendent » suffisamment pour que la coopération puisse se construire. Tout n’est pas nécessairement idyllique, mais il n’y a pas d’obstacle assez fort pour la mettre en échec.
Ce cas correspond à la plupart des articles présentés. Il est intéressant de noter qu’on n’y trouve pas de situations de rupture ou de conflit ouvert, alors qu’on sait que, dans la réalité, il arrive que des projets s’interrompent par incapacité des équipes à coopérer ou à se comprendre, voire à cause de tensions ingérables. La case vide de la discorde aide à comprendre la structure d’ensemble du tableau : les configurations évoquées offrent une série de variations sur le thème des arrangements qui rendent possible le fonctionnement de la coopération et permettent d’en surmonter les difficultés.
Kevin Chesnel met en évidence les dispositifs organisationnels, les « arènes », les « ateliers » qui permettent de rassembler les acteurs autour d’une définition partagée du problème à traiter, de les intéresser et de les enrôler selon la logique de la théorie dite de la traduction. De multiples acteurs sont ainsi amenés à s’engager dans la construction expérimentale d’un réseau socio-politique incluant des services publics financeurs, des élus, des organismes bailleurs, des constructeurs et promoteurs, des architectes, des experts. C’est une configuration professionnelle complexe que l’on voit se mettre en place, avec toute une architecture d’instances de concertation, les unes formelles, les autres plus souples. Elle passe par des « ateliers de coproduction » au sein desquels professionnels et experts partagent des résultats d’études, s’informent des règles d’urbanisme, prennent connaissance des attentes des habitants et élaborent des « bonnes pratiques », capitalisant à travers l’expérimentation de nouvelles formes d’ingénierie de projet.
Ce cadre théorique permet de comprendre le devenir d’un projet comme le produit de l’interaction entre acteurs de diverses catégories, mais aussi entre humains et « non-humains » tels que la nature, les champs, les haies, ou encore ces non-humains particuliers que sont les dispositifs organisationnels et cognitifs : les modalités d’organisation des débats et de circulation de l’information. On entre ici dans la partie qui est peut-être la plus cumulative des articles. En effet, plusieurs textes donnent à voir des moyens possibles de régler les problèmes de langage ou de partage des informations et des représentations, permettant d’identifier toute une panoplie d’outils et de modalités d’action. Alexandre Callens évoque lui aussi diverses « arènes » au sein desquelles écologues et paysagistes, armés d’un appareillage de résultats d’enquêtes, de cartes, de photos avec des calques superposés, réinterprètent le paysage existant pour construire des scénarios interprofessionnels d’agro-paysages, qui sont ensuite soumis à une concertation élargie incluant des techniciens communaux, un agronome en charge de la protection d’un captage d’eau, des agriculteurs et des habitants de la commune. Le dispositif de recherche conçu pour produire une thèse fonctionne à la fois comme instrument de coopération interprofessionnelle et méthode de concertation avec les agriculteurs et les habitants.
Une autre façon de rendre compte des modalités de coopération au sein des configurations professionnelles consiste à s’appuyer sur la notion de convention, empruntée à la conceptualisation des mondes de l’art proposée par Howard Becker (1988). On retrouve chez Guillaume Duranel des figures classiquement opposées, celle des gens de la théorie, les chercheurs, et celle des gens de la pratique, les architectes d’agence, mais qui, de manière emblématique, sont là pour travailler ensemble dans le cadre des appels d’offres de l’AIGP. À la différence des dispositifs, qui reposent sur une organisation explicite et relativement formalisée, les conventions s’apparentent à des modalités plus implicites, informelles, « des normes d’usage qui émergent à l’occasion de collaborations répétées », rappelle Guillaume Duranel. Elles aident à régler plus rapidement les problèmes pratiques de coopération et de prise de décision collective en s’appuyant sur des valeurs partagées et sur les expériences passées.
Tout aussi informels à l’origine, les « réseaux de copinage » de certains personnages décrits comme des « marginaux sécants » par Thierry Maeder et Laurent Matthey, qui ont cultivé des relations entre le monde de la gouvernance urbaine et celui de la recherche académique, peuvent devenir le point de départ de dispositifs qui formalisent les procédures et capitalisent les expériences et les savoirs en matière de commande publique d’études et recherches, ou rester des « arrangements circonstanciels » sans vocation à durer mais susceptibles d’être remobilisés en cas de besoin pour élaborer de nouvelles coopérations.
C’est ainsi que se constituent les communautés de pratiques, analogues à celle dont Stéphane Duprat, Bernard Davasse et Cyrille Marlin nous content la genèse. Ici aussi, « la complicité professionnelle et amicale qui s’est installée et qui s’est pérennisée n’y est pas pour rien », notent les auteurs. Ce sont des relations informelles, des affinités, des centres d’intérêt communs et des orientations partagées qui ont permis le tissage des premiers liens autour d’un projet de recherche-action. Le schéma de la configuration professionnelle est du même type que les précédents : des professionnels de spécialités différentes et appartenant à des institutions ou organismes divers développent au fil du temps des pratiques et des savoirs communs, ainsi que des formes d’organisation qui facilitent la coopération. Le réseau s’élargit et le niveau d’intervention passe du local au national, des acteurs entrent et sortent, mais la dynamique collective se maintient. La notion de communauté de pratique ajoute la dimension de l’identité, dont on peut imaginer qu’elle contribue effectivement à entretenir la cohésion, ne serait-ce qu’en dotant le groupe d’un nom qui, précisément, proclame l’appartenance à ce qui n’est plus un rassemblement d’individus mais le « Collectif du Chomet ».
Sans doute serait-il intéressant de pousser plus loin la réflexion sur ce qui se joue dans cette dynamique identitaire : de quelle façon le sentiment d’appartenance et d’identification à son métier de chacun des participants s’articule-il avec cette revendication d’identité transprofessionnelle ? Peut-être retrouverait-on la logique des segments professionnels donnant lieu, selon Bucher et Strauss, à des alliances entre membres de professions différentes qui font naître des proximités plus grandes qu’à l’intérieur de la même profession. « L’identification à des segments n’oriente pas seulement les relations à l’intérieur d’une profession, elle est aussi étroitement liée aux relations avec les métiers voisins et apparentés. Nous pourrions utiliser le terme “alliance” pour distinguer ce phénomène de la confraternité à l’intérieur d’une profession. Les alliances mettent fréquemment en évidence le fait qu’une partie d’une profession peut avoir davantage en commun avec certains éléments d’une profession voisine qu’avec ses propres collègues. » (Bucher, Strauss, 1992, p. 78).
La contribution de Sarah Thiriot, Nicolas Bataille et Guillaume Lacroix suggère que la recherche urbaine n’échappe pas à ces tensions, bien que son pied soit plus fermement posé sur le versant universitaire. D’un point de vue formel, la configuration professionnelle ressemble à la précédente : elle met en présence des laboratoires et des chercheurs d’un côté, des entreprises et des praticiens de l’autre. Entre les deux, ou plutôt dans les deux en même temps, les doctorants Cifre intériorisent les tensions et se posent de nombreuses questions sur la manière de légitimer les savoirs hybrides dont ils se sentent porteurs, en matière tant de recherche que d’enseignement. Ils en viennent ainsi à mettre en place un dispositif original, le groupe de recherche des doctorants, qui semble fonctionner comme un système de capitalisation et d’accréditation mutuelle. Ils peuvent en attendre non seulement de nouveaux savoirs pour chacun, mais aussi des fertilisations croisées et une forme de réassurance mutuelle, sans compter une expérience de participation à des initiatives d’animation de la recherche valorisable dans leur curriculum vitae. Ils tentent ainsi d’accumuler des signes de légitimité académique pour des savoirs hybrides, sans être certains d’en obtenir une pleine reconnaissance lorsqu’ils devront sortir du cadre transitoire de la thèse. En somme, ils essaient de façonner et de manier un sceptre qui donnera de l’autorité à leurs savoirs hybrides.
En contrepoint, la contribution de Solène Leray montre que les savoirs dotés de légitimité académique peuvent s’avérer inefficients. Les informations fournies par les experts de la prévention des risques d’inondation sont si complexes que ni les élus locaux ni les habitants ne peuvent se les approprier. La solution est cherchée en composant une configuration originale qui fait appel à d’autres acteurs, professionnels et bénévoles – des acteurs aussi divers et inattendus que des volontaires de la Croix-Rouge ou des comédiens et scénaristes. On pourrait faire un rapprochement avec le cas rapporté par Catherine Aventin et Corinne Sadokh : d’une certaine façon, en reconnaissant la nécessité d’être aidés par des profanes pour atteindre leur but, les professionnels posent leur sceptre. Mais on peut aussi remarquer qu’en donnant un tour ludique à la mise en situation d’inondation les mêmes experts tentent de réduire l’écart de réglage émotionnel qui caractérise les positions respectives des professionnels et des profanes : l’inondation, qui met le profane dans l’impossibilité de continuer sa vie ordinaire et le charge d’angoisse et d’impatience de revenir à la normale, est pour le professionnel la routine du métier. Au fond, cette irruption de l’émotion dans la configuration professionnelle nous fait toucher du doigt une dimension permanente mais pas toujours perçue de la vie professionnelle. Le travail constitue une mise en scène dans laquelle le professionnel joue son propre rôle et tente de valider auprès de son public (les autres professionnels, les clients) le personnage qu’il entend incarner : celui qui maîtrise ses émotions, celui qui en a vu d’autres, celui qui rassure, ou au contraire le débutant qui trahit son anxiété par l’excès de confiance en soi qu’il veut afficher, etc.
Cette scène qui donne forme au « drame social du travail » (Hughes, 1996) est le dénominateur commun à ces arènes où se confrontent des savoirs hétérogènes, des ethos professionnels dissemblables, des schèmes de perception et de raisonnement divergents. Dans toutes les configurations examinées, les acteurs en présence tentent d’obtenir d’autrui la confirmation de leur crédibilité de professionnel, la reconnaissance de leur capacité de s’inscrire dans le projet collectif et d’apporter une contribution significative. Il ne va pas de soi d’y parvenir. Certains ne disposent pas encore d’une légitimité complètement établie (les doctorants CIFRE) ; d’autres voient la leur menacée, soit par les spécifications du commanditaire qui disqualifient les chercheurs, soit par la captation de l’attention du public et des financeurs par des influenceurs médiatiques ; d’autres encore doivent faire appel à des réglages spécifiques de la définition de la situation, par exemple en faisant intervenir des comédiens. Pour la plupart des autres cas, c’est par la mise en place de dispositifs, de « conventions », d’arrangements et de compromis que les rôles des uns et des autres sont définis et stabilisés, et qu’un ordre négocié s’établit sur les frontières informelles de la division du travail.