Dans leur présentation du premier Cahier Ramau, publié en mai 2000, les membres du secrétariat du réseau en charge de ce numéro inaugural1 soulignaient l’ambition, la portée et l’esprit d’une initiative consacrée aux activités et aux métiers de l’architecture et de l’urbanisme ainsi qu’à leurs évolutions. Il s’agissait de proposer « un outil commun et une scène partagée » ayant pour « rôle d’être un lieu aussi réel que virtuel où, sans fausse naïveté, ni angélisme béat, puissent être confrontées et comparées des expériences pratiques et des problématiques scientifiques à partir desquelles il sera possible d’envisager des programmes coopératifs de recherche et d’évaluation d’expériences ».
Vingt après, qu’en est-il de ces ambitions programmatiques pour un réseau qui a produit neuf Cahiers publiés à ce jour et organisé autant de rencontres et de séminaires portant sur les thématiques de la conception et de la production du cadre bâti ? Comment Ramau (Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme) a-t-il accompagné les mutations profondes de ces vingt dernières années dans les pratiques de fabrication de la ville ? Quels regards sont portés aujourd’hui par ceux qui ont partagé un moment ce parcours ou ont été progressivement intégrés à son aventure ?
L’objectif que s’est assigné ce Cahier spécial anniversaire est de pouvoir réaliser, à travers ce questionnement, une sorte de point d’étape du réseau, dans l’esprit et la continuité des valeurs affichées par Ramau à sa création.
Les origines : un réseau de recherche et d’information
En mai 1999, soit l’année précédant la première publication, chercheurs et praticiens de l’architecture et de l’urbanisme avaient été conviés à une « Rencontre Ramau », inaugurant en cela une longue série, pour construire les bases d’une collaboration et surtout fixer des orientations de recherche et des propositions de problématiques. Le succès de cette rencontre (une centaine de participants), organisée et soutenue conjointement par des chercheurs des écoles d’architecture2 et des responsables administratifs et scientifiques3, démontrait, s’il en était besoin, que l’attente était forte dans les milieux s’intéressant à la conception et à la production du cadre bâti.
L’événement répondait ainsi aux souhaits exprimés lors de la réunion de fondation de Ramau, organisée quelques mois auparavant, en décembre 1998, par des experts et des praticiens invités à débattre des orientations, des principes et des thèmes contribuant à la future activité du réseau4. S’appuyant sur les travaux et investigations des équipes de chercheurs œuvrant depuis plusieurs années dans le cadre de programmes initiés par diverses institutions5, experts et praticiens établissaient le même constat : celui d’une crise partielle des modèles de division du travail et des responsabilités qui avaient, jusqu’alors, façonné les mondes et les identités des acteurs de la conception architecturale et urbaine. D’où la nécessité de mobiliser et d’enrôler toute la chaîne des acteurs, publics et privés, de la maîtrise d’ouvrage à la maîtrise d’œuvre jusqu’à la réalisation, afin de revisiter collectivement les pratiques et les savoirs en la matière et de « mieux articuler recherches, décisions et débouchés opérationnels »6.
Le principe de création d’un réseau de recherche et d’information baptisé Ramau était né, et avec lui l’idée que, pour aborder ce vaste domaine, celui d’un questionnement sur la globalité des processus en jeu, l’invitation en direction des futurs acteurs du réseau se devait d’être la plus large possible. En conséquence, l’appel aux débats s’adressait à la fois aux chercheurs et praticiens de l’architecture et de l’urbanisme, aux responsables des administrations territoriales et de l’État, et aux membres et dirigeants des organisations et des entreprises de maîtrise d’ouvrage et de construction.
L’objectif était de pouvoir organiser sous l’angle d’une collaboration à la fois interdisciplinaire, interprofessionnelle et institutionnelle un milieu de recherche suffisamment structuré sur la durée pour assurer et pérenniser des relations d’échange et de débat, capitaliser les acquis, les connaissances et les savoirs produits, puis les diffuser le plus largement possible en créant un centre de ressources (via le site Internet). Autrement dit, attribuer au réseau une quadruple vocation : échanger, capitaliser, diffuser et initier ; et lui donner un premier fil conducteur pour mener sa réflexion en interne : examiner les modalités et conditions de la coopération et de la coordination entre différents savoirs et différentes actions mobilisées dans le processus de conception et de production architecturale et urbaine.
Il s’agissait aussi de faire apparaître, de manière sous-jacente, l’effort à entreprendre de visibilité et de lisibilité des ressources des chercheurs (le milieu existait) et des professionnels, jusque-là éparses et peu structurées. De sorte à se positionner « aux extrêmes de l’éventail des ambitions possibles du réseau, allant des clarifications théoriques sur l’architecture et l’urbanisme à la diffusion des résultats des recherches aux professionnels » (rapport d’activité n° 2, février 1999).
De quelques permanences et évolutions dans l’activité du réseau
Que retenir de ces vingt ans d’activité du réseau, de ses principales mises à l’épreuve, de ses principes fondateurs et de leur application ? Dans une note du 21 septembre 1998, le secrétariat du réseau soulignait déjà le fait qu’il apparaissait « indispensable d’établir un bilan raisonné de l’existant » ; que, de ce point de vue, le réseau devait être « une instance cumulative pour structurer et développer un milieu de recherche » et constituer « le moyen de rendre compte des manques sur certaines questions et d’aider à rendre opératoires la connaissance et la diffusion des informations produites ou recueillies par le réseau ».
Pour être fidèle à ces intentions, relevons donc quelques aspects (provisoires) qui, au cours des vingt premières années du réseau, ont structuré, orienté et infléchi son champ de travail.
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Premier aspect : la vocation européenne du réseau et plus largement son ouverture internationale. Cette dimension a servi de contexte de référence pour nos premières rencontres, comme le rappellent les titres évocateurs du Cahier Ramau 1, Organisations et compétences de la conception et de la maîtrise d’ouvrage en Europe, et du Cahier 3, Activités d’architectes en Europe. Dès la fondation du réseau, en effet, la dimension européenne avait été définie comme essentielle. C’est aussi ce qu’indique la mission d’un des deux groupes du travail de lancement du réseau, consacrée à la maîtrise d’œuvre, qui situait son approche à l’échelle de l’Europe (animation Bernard Haumont). L’heure était à la préparation des structures et des organismes de ce secteur à l’intégration communautaire européenne. Une série de séminaires prospectifs organisés sous l’égide du Puca avaient déjà permis, les années précédentes, de sensibiliser le milieu des chercheurs et des professionnels à la nature des enjeux européens7. Des chercheurs étrangers (Grande-Bretagne, Danemark et Russie) ont ainsi contribué dès le départ aux travaux du réseau : certains ont même été à l’initiative d’une réflexion approfondie sur le changement de paradigme qui a constitué un tournant dans l’activité du réseau, autour des problèmes de développement durable liés à la conception architecturale et urbaine.
Pourtant, cette dimension, quoique toujours présente dans les références faites à des travaux ayant trait à d’autres pays européens (notamment francophones), ne s’est pas concrétisée par la suite dans l’élargissement du recrutement des membres du réseau. Le symbole qu’a représenté la localisation à Liège (Belgique) plutôt qu’à Paris de la rencontre Ramau sur les formations, en janvier 2018, a cependant permis de renouer avec le principe d’un événement situé « hors les murs de l’Hexagone » (Cahier 9 : Architecture et urbanisme au miroir des formations). -
De « l’effet de boussole » que peut représenter le réseau auprès des chercheurs. Les appels à contributions offrent aux chercheurs la possibilité d’avoir un support et une scène pour présenter et développer des travaux en cours ou déjà réalisés ; chez d’autres, ils peuvent susciter l’intérêt et les orienter dans leur parcours. Le réseau permet, en tout cas, la comparaison et la confrontation sur une série de thèmes dont quelques-uns ont été structurants pour notre domaine, comme ceux identifiés dès l’origine du réseau8, et d’autres ont émergé au fur et à mesure, faisant l’objet d’une mise à l’agenda du réseau du fait de leur actualité ou de leur acuité.
Le thème de la transformation des compétences et des mécanismes de coordination et de coopération en œuvre dans les projets architecturaux et urbains fait partie de la première catégorie. Cette thématique a fait l’objet d’un groupe de travail dès la fondation du réseau (Cahier 1, 2000) et a donné lieu à une réflexion sur la notion d’interprofessionnalité dans l’urbain et dans le bâtiment (Cahier 2, 2001). Elle sera prolongée par la suite par des questions portant sur les nouvelles expertises dans la fabrication de la ville : Projets urbains. Expertises, concertation et conception (Cahier 4, 2006).
Le réseau, nous l’avons dit, s’est aussi attaché à parcourir des champs qui ont émergé au cours des vingt dernières années, en contribuant à leur investigation : les notions de service et les procédures « clés en mains » de type partenariat public-privé (Campagnac, 2009), la concertation dans les projets urbains (Cahier 4, 2006), la participation et l’implication des habitants dans la fabrication de la ville (Cahier 6, 2013), la qualité architecturale (Cahier 5, 2009), l’ingénierie concourante et les nouveaux principes de gestion de projet.
Le tournant thématique a cependant été celui de la prise en compte du développement durable puis des questions de transition énergétique et écologique en matière architecturale et urbaine, érigés en nouveau paradigme d’action (voir notamment l’article initiateur de Martin Symes : « La durabilité : question multidimensionnelle traversant toutes les opérations » dans le Cahier 2). -
De la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité dans la production des savoirs. Au titre des disciplines convoquées par le champ et les objets d’étude privilégiés du réseau, on retrouve au fil des Cahiers l’architecture, l’urbanisme, la sociologie, l’économie, l’histoire, la géographie, les sciences politiques, les sciences de l’ingénieur et celles de la gestion (document de présentation de Ramau, octobre 1999), puis, plus tardivement, les sciences de l’environnement, de l’énergie, du paysage, voire les autres champs disciplinaires supports de la médiation urbaine et architecturale.
Au-delà des disciplines, il faut aussi entendre par multi- et pluridisciplinarité les situations des organisations publiques et privées, ou encore celle des praticiens qui se trouvent par situation ou par nécessité à cheval sur différents domaines d’expertise ou de compétences (bureaux d’études, consultants, entreprises de services) et qui pratiquent la pluridisciplinarité au quotidien. Certaines de ces situations ont été révélées dans le cadre des travaux du réseau à travers la description de pratiques concrètes, de témoignages d’expériences et de « bonnes pratiques » (Cahier 2).
La notion d’interdisciplinarité a été quant à elle souvent présente dans les débats organisés dans le cadre de rencontres, que ce soit en termes d’expertises ou de disciplines, relancée par la nature des enjeux (cf. table ronde du Cahier 7, « La ville durable et les chercheurs : quelle construction interdisciplinaire des savoirs ? »).
In fine, la variété des profils des intervenants ayant participé aux séminaires, aux rencontres et aux colloques organisés par le réseau ou ayant contribué aux articles des Cahiers est révélatrice en elle-même de cette « chaîne des acteurs » qui caractérise notre espace de travail. -
De la collaboration interprofessionnelle et institutionnelle. Elle concerne l’engagement des praticiens et des dispositifs publics dans Ramau, conçu comme lieu de confrontation et de comparaison entre tous les acteurs de la production du cadre bâti.
Le réseau a fonctionné sur ce principe durant sa première phase (ou première saison, 1998-2010), avec des organismes professionnels (Association Architecture et Maîtres d’ouvrage, Fédération nationale des agences d’urbanisme) pour des thèmes impliquant des expériences et autres pratiques. Mais, par la suite, il l’a fait de manière plus irrégulière (à l’exception du thème de la participation, pour lequel le réseau associatif et les AMO spécialisés en participation étaient présents), en se recentrant sur la recherche et des problématiques scientifiques en architecture et urbanisme durables. Et ceci au détriment des professionnels de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage, moins présents dans les contributions.
Manquent également un certain nombre d’acteurs comme les élus locaux, que l’urbaniste et sociologue Francis Godard souhaitait impliquer dans le dispositif lors de la fondation du réseau, ou bien encore ces acteurs « réflexifs » dont le profil défini par Michel Callon renvoie aux professionnels (et non pas seulement aux chercheurs) qui « ont un regard critique sur les choses et sont capables d’analyser les situations »9. -
Des écueils de la « fausse naïveté » et de « l’angélisme béat » évoqués dès l’origine du réseau. Autrement dit, il faut avoir recours à une posture critique et distanciée vis-à-vis du discours des acteurs et des scènes d’observation, pour éviter par exemple de donner une vision par trop post-politique de l’analyse de l’urbain ou de céder à la facilité interprétative en donnant les clés des processus alors que l’on a préalablement dessiné soi-même la serrure ! Ces problèmes avaient déjà été posés en 1998, quand nous soulignions « les effets de l’urgence des questions à aborder et ceux de certains modes contractuels et concurrentiels de financement de la recherche et des études », qui obèrent cette distanciation (note du secrétariat de septembre 1998).
De manière sous-jacente, et pour souligner notre état d’esprit, il faut également relever la mise en place et la diffusion d’une culture de réseau qui s’est progressivement instituée et qui soude ses membres et en incite d’autres à s’enrôler, notamment les nouvelles générations de chercheurs qui viennent grossir les rangs du réseau et l’enrichir (les Jeunes Ramau).
Retours sur vingt années de recherche
Pour mettre en perspective vingt années de recherche, ce Cahier anniversaire est organisé autour de quatre grandes sections intitulées « Thema », « Témoignages », « Tendances » et « Transmissions ». Elles présentent successivement un regard critique sur la production du réseau depuis son origine (« Thema »), une analyse personnelle de la part de ceux qui ont mis en place les programmes de recherche et organisé les publications durant toutes ces années (« Témoignages »), la place de Ramau dans les réseaux actuels et dans la production scientifique en sciences humaines et sociales (« Tendances ») et enfin les modalités d’ouverture du réseau aux travaux des jeunes chercheurs docteurs et doctorants – les Jeunes Ramau (« Transmissions »).
La section « Thema » permet aux chercheurs qui ont fait et qui font aujourd’hui l’activité de Ramau d’apporter des éléments d’appréciation et de bilan raisonnés sur les activités d’un réseau qui s’est imposé dans son domaine : celui de la production du cadre bâti. Une manière de revisiter collectivement quelques-unes des grandes thématiques transversales qui ont constitué l’essentiel de la production de Ramau durant ses vingt ans d’existence. Pour traiter de chacune des cinq thématiques retenues, nous avons opté pour la forme du dialogue intergénérationnel en constituant des équipes de contributeurs (de deux à quatre participants) composées, dans la mesure du possible, d’un « ancien » ou d’un compagnon de route de Ramau, d’un chercheur actuellement impliqué dans le réseau et d’un jeune docteur travaillant ou ayant travaillé sur ces thèmes. L’objectif est de dessiner des lignes futures d’investigation et/ou d’approfondissement de chantiers et de champs.
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L’analyse des processus d’internationalisation des pratiques de conception architecturale et urbaine, thème mis à l’agenda du réseau dès son origine, permet à Véronique Biau, Laura Brown et Bernard Haumont de souligner les convergences croissantes qui existent sur ce registre entre niveaux nationaux et internationaux. Sous les effets conjugués de l’harmonisation européenne et de la mondialisation des échanges, la dynamique d’internationalisation contribue à modifier et à transformer les pratiques et les identités professionnelles. Elle permet aux modèles architecturaux et d’organisation de circuler plus rapidement, et met en exergue les capacités d’adaptation et d’innovation comme socle nécessaire pour affirmer et garantir une vision partagée du travail de conception. Un travail d’analyse poursuivi aujourd’hui par de jeunes chercheurs rattachés au réseau.
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L’ouvrage La Fabrication de la ville. Métiers et organisations, paru en 2009, a représenté pour le réseau une sorte d’aboutissement de la réflexion menée dès son origine sur les coopérations et les coordinations des acteurs de la production architecturale et urbaine. Dix ans après la parution du livre, les regards critiques portés par Patrice Godier, Guillaume Lacroix, Laurent Matthey et Guy Tapie sur ces mêmes thèmes font apparaître les continuités, évolutions, inflexions et nouveaux horizons de recherche apparus depuis. Ils soulignent ainsi la continuité du questionnement relatif au modèle français de production du cadre bâti dans les activités du réseau Ramau.
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La prise en compte des usagers a constitué un point fort des travaux de Ramau au mitan de son activité (2011-2012). L’analyse par Thérèse Evette, Aurélie Couture, Isabelle Grudet et Élise Macaire de la place, des formes et des contenus de la thématique de la participation dans la production du réseau montre bien l’importance de cette question dans la réflexion collective de Ramau. Les quatre auteures y voient l’expression de la socialisation du processus de fabrication de la ville, comme en témoigne par exemple le passage sémantique de la notion d’usager-habitant à celle d’usager-client et/ou d’habitant-citoyen. En découlent l’apparition de nouvelles formes de professionnalisation, avec leurs outils, méthodes, métiers et marchés spécifiques, et l’avènement concomitant d’une « moralité participationniste » comme forme d’enrôlement des habitants dans les projets. Autant de phénomènes qui procurent de nouveaux horizons pour la recherche.
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La mesure des effets du développement durable sur la conception architecturale et urbaine fait l’objet d’une conversation à quatre (Gilles Debizet, Éric Henry, Nadine Roudil et Silvère Tribout) pour porter un regard introspectif et analytique sur la façon dont le développement durable a marqué de son empreinte la réflexion de Ramau, de sa création à 2011. Tous soulignent l’implication précoce du réseau dans une dynamique de recherche qui n’a fait que s’amplifier par la suite, avec notamment le recouvrement de la question environnementale par celle de l’énergie, les effets de la normalisation, les conséquences politiques du passage de l’échelle du bâti à l’urbain, etc. Une approche foisonnante qui aujourd’hui tend à marquer un certain essoufflement, et une recherche qui se réoriente vers la question de la transition.
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En posant la question de la place du bénéficiaire de l’espace construit dans l’organisation du projet, Michael Fenker et Graham Winch renouent avec les approches organisationnelles (managériales et gestionnaires) présentes depuis le début dans la production Ramau, qui leur a consacré plusieurs Cahiers. S’appuyant sur des études de cas dans le domaine des espaces d’entreprise et d’administration en France et au Royaume-Uni, ils prolongent le débat toujours fécond sur la connaissance des organisations d’acteurs, trop souvent limitée aux relations maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre. En repositionnant notamment le statut de l’usager final en « bénéficiaire », ils ouvrent de nouvelles perspectives à la recherche, que la notion de maîtrise d’usage ne suffit pas à elle seule à résumer.
Une mémoire vivante des Cahiers repose aussi en grande partie sur les témoignages de ceux qui ont participé à la création du réseau et à son animation au cours des vingt dernières années. La partie « Témoignages » donne ainsi la parole à quatre chercheurs, Thérèse Evette, Bernard Haumont, Élise Macaire et Guy Tapie, qui, à des titres divers, ont initié les premiers pas du réseau, conçu les programmes de recherche et organisé les rencontres. Eux-mêmes acteurs et héritiers d’une situation institutionnelle qui avait déjà posé de solides jalons en la matière (Puca, Euro-Conception, etc.), ils restituent avec franchise le contexte dans lequel a émergé le réseau et livrent les appréciations, les attentes et les modes d’implication qui ont été les leurs aux différents moments de cette histoire.
S’ajoute à ces quatre témoignages celui d’un chercheur étranger, Niels Albertsen, compagnon de route de Ramau, qui nous fait part de son expérience originale au sein du réseau. En inscrivant sa réflexion du point de vue d’un autre pays, le Danemark, il interroge la pratique même de la recherche : y a-t-il une manière spécifique de poser les questions, d’organiser le travail collectif ? Y a-t-il des « impasses » par rapport à des sujets présents dans le débat scientifique, notamment dans les pays scandinaves ? Y a-t-il des perspectives de travail communes dans nos domaines ? Autant de questions soulevées par ce témoignage, qui interpellent le périmètre d’influence du réseau à l’heure des comparaisons internationales.
En fin de compte, ces cinq témoignages, au croisement d’une histoire personnelle et d’une histoire du réseau, permettent de mieux cerner les spécificités du réseau Ramau, en comparaison notamment avec les activités d’autres réseaux de recherche ou avec des laboratoires universitaires. Chacun de ces « compagnons de route » propose aussi, en fin d’article, des questions pour l’avenir.
La section « Tendances » permet de situer Ramau dans l’organisation et la production académique contemporaine. D’abord, Laurent Devisme, dans son texte sur la forme réseau, montre comment des dynamiques transversales de recherche et d’exploration se sont imposées ces dernières années dans les échanges entre chercheurs. Elles se sont affirmées indépendamment des logiques territoriales propres aux établissements et aux organisations issus de la recherche architecturale et urbaine comme celles des laboratoires. Dans ce cadre, le réseau Ramau possède deux caractéristiques constitutives : le soutien initial des institutions à son projet et le caractère hybride de sa composition acteurs/chercheurs. Ensuite, Olivier Chadoin positionne l’activité Ramau dans ses apports et ses rapports avec le métier d’architecte, dans une perspective de sociologie des professions et d’une sociologie du travail. Il rappelle ainsi la nécessité, pour les chercheurs du réseau Ramau, de dépasser les études de cas, et souligne l’importance de faire dialoguer leurs travaux avec les questions théoriques générales à propos des professions.
La section « Transmissions » renvoie à l’avenir du réseau en s’intéressant à la génération des jeunes chercheurs en architecture, urbanisme, ingénierie et paysage qui se positionnent autour des thématiques du réseau et pour lesquels Ramau représente un espace d’expression et de débats potentiels. Quelques éléments de l’étude sociologique du groupe des « Jeunes Ramau » (article de Laura Brown) donnent ici un aperçu de leurs activités, profils et trajectoires. Des portraits illustrent ce premier panorama et font apparaître quelques traits communs : une majorité de diplômés en architecture et en urbanisme, une féminisation du groupe, le désir de devenir enseignant-chercheur. Un groupe en constitution qu’il s’agit désormais de fédérer.
Prendre prétexte d’un anniversaire, nos 20 ans, pour réaliser une publication sous forme de bilan, c’est sans doute célébrer un collectif vivant et chaleureux qui a su pérenniser son activité, accueillir de nouveaux membres et de nouvelles thématiques dans un climat d’écoute et de partage. Le choix d’écritures à plusieurs mains a d’ailleurs été un moment fort pour le collectif, et l’occasion pour les nouveaux entrants de prendre connaissance d’une histoire déjà riche. C’est aussi une occasion de se situer, voire de se comparer, dans le monde exigeant de la recherche. Mais c’est surtout l’occasion de définir quelques perspectives et directions d’avenir. Nous espérons que nos lecteurs y puiseront des ressources et des idées.