Titulaire d’un doctorat en gestion de la sécurité incendie1 de l’Université d’Heriot Watt (Écosse), médaille MacFarlane pour excellence en recherche, Marie Puybaraud est également diplômée en France et en Angleterre dans le domaine du bâtiment et de la construction. Après avoir occupé le poste de directrice de recherche et d’innovation2 de Johnson Controls’ Global WorkPlace Solutions, elle est actuellement directrice internationale de la recherche et de l’innovation au sein de JLL Corporate Solutions. La mission de ce département est de comprendre « comment les collaborateurs, les lieux et les activités peuvent contribuer à améliorer les résultats d’une organisation ». Marie Puybaraud a mené de nombreuses recherches et publié sur l’immobilier d’entreprise (corporate real estate) et le facilities management. Partant de son expérience dans le monde de la recherche, au contact de nombreuses entreprises et au cœur de structures de gestion, elle nous explique comment les enjeux du développement durable contribuent à questionner le rapport qu’entretiennent les gestionnaires des espaces de travail avec l’usage et l’usager de ces mêmes espaces.
Vers une approche stratégique de la gestion des espaces de travail
L’immobilier est depuis longtemps un levier d’économies pour les entreprises, notamment en temps de crise, car il est alors particulièrement vulnérable aux réductions de la superficie des espaces de travail. Marie Puybaraud note que les entreprises ont pris conscience, ces dernières décennies, du rôle de l’immobilier dans leur performance. Cette prise de conscience les a conduites à adopter une approche plus stratégique de la gestion de leur parc immobilier, ce qui représente un véritable tournant dans leurs pratiques. Entreprises et gestionnaires cherchent, aujourd’hui, le moyen de concilier la réduction des coûts avec la qualité des espaces et le confort des utilisateurs. Marie Puybaraud estime que les enjeux de développement durable ont joué un rôle important dans cette évolution.
Sustainable at Work : Creating Greener Workplaces (2014) est une recherche-action menée par Marie Puybaraud (Johnson Controls Global WorkPlace Solutions, en collaboration avec le Royal College of Art). Ce travail avait pour but d’interroger la culture de la « durabilité » (sustainability) chez les salariés et dans les entreprises en développant une approche globale dans différents pays (Angleterre, États-Unis, Inde, Chine, Australie et Allemagne). Il en ressort que, pour les entreprises étudiées, plusieurs facteurs sont à l’origine d’un engagement dans une approche « durable » de la gestion de leur parc immobilier. Les plus importants sont :
- la communication, les entreprises concernées cherchant à améliorer leur image à travers un engagement environnemental ;
- la réduction des coûts, considérée comme susceptible, à court terme, de permettre des retours sur investissement, notamment par la réduction des dépenses énergétiques, et, à long terme, de favoriser la protection de l’environnement.
L’étude révèle des approches variées parmi les entreprises concernées. Certaines développent une stratégie cantonnée à l’aspect environnemental, d’autres engagent leurs salariés dans une démarche de partage plus globale.
Alors que la question de la « durabilité » est loin d’être nouvelle dans le monde de l’entreprise et de la gestion des espaces de travail, elle connaît un changement de paradigme. Les réflexions centrées, à l’origine, autour de la consommation énergétique, incluent désormais une « dimension humaine » plus orientée vers le bien-être (wellness) des utilisateurs. Pour illustrer son point de vue, Marie Puybaraud s’appuie sur l’évolution des référentiels dans la conception des espaces de travail. Elle cite la HQE (Haute Qualité environnementale), qui a graduellement laissé place à d’autres labels tels que le Well Building Standard3, qui, en plus des aspects physiques, traitent des effets de la conception des espaces de travail sur les utilisateurs.
Les évolutions des pratiques de gestion
Marie Puybaraud estime que le rôle des gestionnaires a sensiblement évolué, entraînant des changements dans les pratiques professionnelles. La prise en compte des enjeux de durabilité ne se limite plus à des contraintes physiques lors de la conception, elle impacte la gestion des bâtiments de manière plus globale. Les gestionnaires ne se considèrent plus uniquement comme des acteurs « opérationnels qui gèrent un bâtiment », mais comme des stratèges dont la mission inclut désormais la recherche du « meilleur aménagement d’espace pour améliorer la performance de l’entreprise ». Ces professionnels sont par ailleurs confrontés à d’autres changements. Alors que les modalités de gestion étaient régies par des normes techniques, elles sont aujourd’hui de plus en plus établies en fonction du « vécu de l’utilisateur4 » et de « comment vit le bâtiment ».
Marie Puybaraud note que les salariés sont de plus en plus souvent associés au processus de conception et de gestion de leurs espaces de travail. Selon elle, leur place a évolué : de simples destinataires, ils sont devenus des « acteurs » de ces démarches.
Le confort des utilisateurs et les préoccupations relatives à leurs conditions de travail sont devenus source d’innovation. Le coworking, l’activity based working5 ou encore flexible working apparaissent comme des « alternatives prometteuses ». Ces nouvelles façons de travailler permettent de réduire les coûts de l’immobilier pour l’entreprise sans affecter le confort des utilisateurs, tout en répondant à des modes de vie actuels.
Workplace – Powered by Human Experience (2017)6 est une recherche menée par Marie Puybaraud et son équipe au sein de JLL. Elle se base sur l’analyse de l’expérience de 7 364 salariés dans 12 pays, avec neuf ateliers de co-création et plus de 40 entreprises et experts associés. L’objet de cette recherche est de comprendre ce que recouvre la notion d’expérience de travail et la façon dont elle peut être déclinée dans différentes cultures.
Il apparaît que l’expérience de travail est devenue un facteur clé dans les interactions entre les entreprises et leurs collaborateurs. Selon les résultats de cette étude, l’expérience de travail jouerait un rôle majeur sur le plan stratégique et opérationnel pour renforcer l’engagement qui devra être inscrit au cœur de toutes les réflexions ; l’empowerment sera la clé du changement, et l’accomplissement une nouvelle quête des collaborateurs.
Ainsi, le témoignage de Marie Puybaraud souligne les effets de l’introduction d’une approche « durable » de la gestion de l’immobilier d’entreprise sur les pratiques des gestionnaires des espaces de travail. Il permet de situer ces mutations dans un contexte plus global et complexe. Les évolutions des pratiques professionnelles, la mobilité des salariés, la place du numérique sont autant d’enjeux qui questionnent les modalités de conception et de gestion des espaces de travail aujourd’hui.