Ramau : Vous avez été l’un des chercheurs des Écoles nationales supérieures d’architecture à l’initiative de Ramau. Quel était alors le contexte institutionnel de la recherche architecturale et urbaine ?
Guy Tapie : Le réseau est né dans la continuité de plusieurs programmes de recherche sur l’analyse des processus de conception dans la production du cadre de vie – programmes soutenus par le Plan Construction Architecture (PCA), représenté par Michel Bonnet, et le Bureau de la recherche architecturale, dirigé par Danièle Valabrègue. La ligne directrice était de décrypter la façon dont les acteurs interagissent pour produire le cadre de vie et l’architecture. Michel Bonnet se positionnait d’un point de vue global, avec un intérêt pour la programmation et la formulation des besoins des clients, alors que Danièle Valabrègue se focalisait davantage sur les architectes et le statut de la conception architecturale dans ce processus. Ces programmes ont financé de nombreuses équipes de recherche, y compris au niveau international. Michel Bonnet a soutenu une vision de la comparaison internationale pour identifier la « spécificité française » au moment de l’uniformisation européenne. Séminaires, colloques et programmes de recherche se sont succédé en un laps de temps assez court, avec des moyens financiers importants, et l’on a constaté que les chercheurs étaient nombreux, venant de plusieurs pays, avec des interlocuteurs danois, anglais, hollandais, allemands bien identifiés. L’idée de réseau, pour les décideurs, a été le prolongement naturel de la mobilisation de la recherche. Elle émanait, initialement, des commanditaires plutôt que des chercheurs, par nature plus individualistes.
Ramau : Quelles appréciations portez-vous aujourd’hui sur la production des savoirs de cette époque en matière architecturale et urbaine ?
Guy Tapie : Elle était assez hétérogène du point de vue des problématiques (l’usage, le professionnel, le système d’acteurs, les nouvelles technologies naissantes) et des savoirs de référence (l’ingénierie, la sociologie, l’architecture, la science politique, l’histoire). Ces thèmes apparaissaient plutôt comme complémentaires, via un objet et un questionnement partagés : comment se fabriquent les espaces de vie ? Comment les décideurs et les professionnels agissent-ils ? Le regard des sciences humaines sur ces questions correspondait à une partie de la recherche conduite alors dans les écoles d’architecture. Leur force a été d’introduire un regard sur les processus, de se démarquer de l’usage et de la réception des projets architecturaux et urbains constructifs. Le réseau s’est inscrit dans une nouvelle problématique.
Ramau : Quelle a été votre participation et votre implication personnelle dans le réseau ?
Guy Tapie : Michel Bonnet souhaitait vivement consolider un milieu de la recherche sur ce thème. J’y ai d’abord participé en tant que chercheur. Nous avions été retenus dans différents appels d’offres, et il avait pu apprécier notre travail et notre investissement, notamment dans le premier colloque international sur les projets urbains et architecturaux en Europe, franchement réussi, élaboré avec Catherine Chimits et Patrice Godier, chercheurs à l’Ensap Bordeaux. Ce travail pionnier a conditionné les autres séminaires. Nous étions inconnus, il faut le dire, et provinciaux qui plus est. Nous croyions à ce que nous faisions, à l’originalité de nos perspectives. Nous avions la confiance des commanditaires. Ceux-ci ont aussi introduit le LET (Thérèse Evette et François Lautier) qui, à l’époque, était plutôt spécialisé dans les bâtiments de bureaux, assez distant vis-à-vis de la thématique généraliste du réseau, et Bernard Haumont et Véronique Biau (Ensa-Nanterre), plus attentifs, eux, à la profession et aux dynamiques collectives de production. Pour nous, c’étaient des poids lourds !
Je faisais partie du triumvirat qui a créé le réseau. J’ai beaucoup participé aux textes initiaux et à la théorisation de la thématique, très inspirée par Bernard Haumont, qui, par ses travaux, exerçait un leadership intellectuel. C’était au moment de ma thèse et d’une bifurcation de ma carrière vers la recherche architecturale et urbaine sur les systèmes d’acteurs. J’insistais toujours sur une analyse en termes de processus. Le texte de synthèse du premier colloque sur les projets urbains, rédigé avec Patrice Godier, a été un moment fort1. Je me retrouvais bien dans ces perspectives théoriques, dans ces objets.
Ramau : Quelles sont les thématiques que vous avez pu développer personnellement dans le cadre du réseau durant cette période ?
Guy Tapie : Paradoxalement, malgré ma proximité originelle avec le thème du réseau, je ne me rappelle pas avoir développé quelque chose de plus que ce que je faisais personnellement à Bordeaux avec mes collègues. En 2000, nous avons participé avec les mêmes personnes à une importante recherche sur les professions de la maîtrise d’œuvre financée par le ministère de la Formation personnelle, et notre équipe en a été le leader avec Grain (Groupe de recherches d’aménagement et d’interventions nouvelles) et la sociologue Elisabeth Courdurier. Un travail considérable qui demeure trop méconnu aujourd’hui2. J’ai l’impression que nous servions plus le réseau que le réseau ne nous servait ! En étant éloigné de l’organe de direction, je me suis investi sur d’autres terrains (mon HDR en 2003) et je me suis recentré sur les thématiques de l’habitat, que j’estimais plus lisibles par la société que les approches en termes de systèmes d’acteurs. La direction scientifique du programme « Habitat individuel, Architecture, Urbanité » a été pour moi un autre tournant, et mon engagement dans Ramau s’est estompé.
Ramau : Quels regards portez-vous aujourd’hui sur l’organisation du réseau et sur sa production scientifique ?
Guy Tapie : Ramau est de nouveau d’actualité pour notre laboratoire (Pave), grâce à Patrice Godier (sociologue Pave), qui a intégré le comité scientifique du réseau en 2011. Laura Brown (architecte, docteure en sociologie à Pave) l’a aussi récemment fait, ce qui donne une réelle épaisseur à notre participation. Chaque fois que l’on en parle, Patrice Godier souligne le renouvellement générationnel, le travail considérable d’organisation et d’animation, que j’ignorais, d’Élise Macaire, par exemple, l’élaboration de séminaires thématiques, la bonne ambiance qui y règne, aussi, le plaisir de se retrouver. Des journées, des séminaires, des publications rythment la politique du réseau. J’ai l’impression qu’il y a là un véritable milieu de la recherche, peut-être plus ouvert que par le passé, et surtout qui est redevenu une boîte à idées plus qu’un système de gestion de l’information. Pour Pave, c’est essentiel d’y participer.