Revenir sur vingt ans d’activité du réseau Ramau, c’est tout d’abord retracer et donner un nouveau souffle à une aventure collective, riche et chaleureuse, qui a permis d’inventer une manière spécifique de collaborer et d’interagir autour de centres d’intérêt partagés. Les témoignages que nous avons pu recueillir des différents chercheurs qui étaient présents aux origines de Ramau (Thérèse Evette, Bernard Haumont, Guy Tapie, Élise Macaire et, au Danemark, Niels Albertsen) illustrent cette aventure d’autant de points de vue complémentaires. Dans les années 1990, le travail scientifique en réseau tel que le décrit ici Laurent Devisme n’avait guère pignon sur rue dans les établissements d’enseignement de l’architecture ; le monde universitaire n’y était pas non plus très accoutumé, au-delà de quelques rapprochements thématiques prenant la forme de GDR (groupements de recherche) ou de GIS (groupements d’intérêt scientifique) labellisés par le CNRS. Au fil du temps, Ramau a expérimenté diverses formes de travail et d’action, à la fois singulières et complémentaires de celles qui se développaient au sein des équipes et laboratoires dont chacun des membres faisait partie – équipes et laboratoires qui ont été et sont toujours des partenaires privilégiés pour le réseau.
Sans doute l’identification de Ramau dans le milieu scientifique dont il relève est-elle fortement redevable de la continuité de l’interrogation qu’il a portée sur les transformations du modèle de production du cadre de vie, choisissant toujours l’angle des acteurs de la fabrication de la ville. En prenant comme objet le groupe professionnel des architectes, Olivier Chadoin analyse dans son article ce qui a pu caractériser une approche Ramau par rapport aux grands courants de la sociologie des groupes professionnels et, spécifiquement, des travaux menés sur les architectes. Mais, au-delà, les contributions rassemblées ici témoignent de l’ouverture des problématiques conductrices des activités du réseau : elles touchent aux grandes dynamiques mondiales, aux politiques publiques en matière d’urbanisme, d’architecture et de construction, elles s’inscrivent dans les dynamiques des compétences et des activités professionnelles, elles sont au cœur des rapports de force entre les divers échelons de gestion territoriale, elles interprètent les questions de gouvernance et de démocratie participative, elles se nourrissent des apports de la science politique, de l’économie, des sciences de gestion, etc. Ce qu’elles font en propre est de resituer dans ces problématiques et de prendre comme objet principal les acteurs de la fabrication de la ville. Ceux que, dans les premiers temps du réseau, on dénommait volontiers les acteurs de la maîtrise d’œuvre et ceux de la maîtrise d’ouvrage sont au centre des regards, dans la diversité de leurs formations, de leurs profils, de leurs métiers et professionnalités – dans les coopérations et les concurrences au sein desquelles ils sont pris, aussi. Patrice Godier, Guillaume Lacroix, Laurent Matthey et Guy Tapie nous proposent ici à la fois une lecture transversale et des zooms très significatifs en s’appuyant sur les analyses qui ont pu être faites de ces problématiques.
La distance que procure cette vision rétrospective sur le champ de recherche bien délimité que s’est donné Ramau est sans doute, pour finir, l’occasion de sortir de ce périmètre pour proposer un témoignage sur les transformations du monde dans lequel cette histoire a pris place. Ce témoignage est double. Parce que Ramau est un observatoire des dynamiques qui ont traversé le champ de la fabrication de la ville à l’échelle architecturale comme à l’échelle urbaine et paysagère, il est tentant de pointer les moments clés et les processus majeurs qui ont affecté les sociétés urbaines, au-delà de la production architecturale et urbaine. Ce sera le premier point. Par ailleurs, le travail en réseau, dont un bilan est proposé ici, donne matière à un regard historicisé sur vingt années de pratique de la recherche dans les laboratoires des Écoles d’architecture et des Instituts d’urbanisme. Ce sera le deuxième axe de cette conclusion.
Acteurs et processus de la fabrication de la ville, vingt ans d’évolution du contexte
Les textes réunis ici témoignent très clairement de la manière dont les processus d’intervention sur la ville, comme les acteurs qui en sont parties prenantes, se sont trouvés pris dans un faisceau d’injonctions et d’innovations, dont beaucoup coïncident avec les années 1990 ou le début des années 2000. Le vocabulaire de la transition – ou du tournant – qualifie bien cette période d’articulation.
Le tournant néolibéral
L’expression du « tournant néolibéral » est souvent employée pour qualifier l’observation du moment auquel les politiques urbaines ont commencé à laisser une place croissante aux acteurs privés et/ou aux dynamiques qui leur sont réputées propres dans la gouvernance des villes. Les premières observations de ce tournant se sont attachées aux phénomènes de concurrence généralisée – entre villes, notamment – en matière d’attractivité économique. Ceux-ci se sont traduits par des stratégies de marketing territorial, d’offre culturelle et d’hébergement de grands événements, la construction de quartiers d’affaires, de centres commerciaux, de stades ou de nouvelles infrastructures de transport, etc. Des « bonnes pratiques » et des modèles ont été mis en avant (Espaces et Sociétés n° 131, 2007), dont l’adéquation avec le contexte spécifique n’était que peu questionnée, donnant lieu à des formes de standardisation des politiques urbaines.
Simultanément, les nouveaux rapports de force technico-économiques des années 1970-1980 plaçaient les décideurs publics face à des opérateurs urbains de plus en plus puissants, ces « ensembliers » (Lorrain, 1992) qui agissent dans le domaine de la construction mais aussi dans diverses fonctions de cette filière, de l’aménagement à la gestion immobilière. La montée en puissance de ces acteurs privés allait de pair avec la diffusion d’une idéologie entrepreneuriale chez les décideurs locaux, l’application du New Public Management au sein des gouvernements locaux, la délégation de la production des espaces urbains aux acteurs économiques dans le cadre des partenariats public-privé (Fol et Morange, 2014). Les journées d’études du réseau Ramau organisées par Élisabeth Campagnac en collaboration avec le Latts et le Puca les 29 et 30 novembre 2007 ainsi que la publication qui leur a fait suite (Campagnac, 2009) ont permis d’analyser ce processus dans divers contextes européens.
C’est aussi à cette occasion que s’est observée de plus en plus clairement la montée d’un « modèle serviciel1 » modifiant profondément le statut de l’édifice construit dans un certain nombre de segments de la production bâtie. Un glissement s’opérait d’un bâtiment considéré comme objet en tant que tel, avec ses caractéristiques morphologiques, techniques, esthétiques et sa valeur patrimoniale, vers une représentation de l’édifice comme enveloppe support de la prestation de services. Jean Carassus évoquait cette mutation dès 2003 pour le secteur de la construction. Cette dynamique, très lisible dans les contrats globaux associant dès l’amont la conception, la réalisation de l’ouvrage et sa gestion sur une temporalité plus ou moins longue, mettait en avant les protagonistes autrefois définis comme « acteurs des phases aval ». C’est à ceux-ci, les professionnels du facilities management, que Ramau commençait à s’intéresser dès 2008, au cours des journées d’études des 17 et 18 avril de cette année-là, « Architecture et facilities management. La conception face à la montée des services », organisées par Michael Fenker et François Lautier en partenariat avec le Puca et le ministère de la Culture. Les intervenants, majoritairement issus du monde professionnel et scientifique anglo-saxon (Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Canada) montraient déjà comment le fait de considérer les édifices comme des moyens et des supports de services conduisait à transformer les méthodes et les processus de leur conception. De nouvelles modalités d’action se développaient entre architectes, propriétaires, gestionnaires et utilisateurs ; le facilities management, en tant que gestion stratégique des moyens et des services nécessaires aux entreprises et administrations pour exercer leur activité, était emblématique de cette évolution. C’est ce modèle serviciel qui incite Michael Fenker et Graham Winch, dans l’article inclus dans ce Cahier, à désigner par le terme de « bénéficiaire » l’organisation assurant tout à la fois la maîtrise d’ouvrage, au sens traditionnel du terme, et une forme de maîtrise d’usage.
Le tournant participatif
Comme le tournant néolibéral, et peut-être en lien avec la place nouvelle de la notion du service à l’usager dans une économie qui s’oriente de plus en plus vers l’offre de services, le « tournant participatif » que décèlent certains auteurs2 relève d’une dynamique très globale, et qui excède largement les objets de nos travaux. On a pu le noter dans les textes rassemblés ici, la notion de « forum hybride » empruntée à Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yann Barthe (2001), qui l’ont forgée dans un tout autre contexte, a été introduite très tôt dans les réflexions collectives du réseau. Elle nous permettait en effet de saisir globalement la recomposition des acteurs et des scènes participant des nouveaux régimes de décision urbaine. La question de l’hybridité entraînait celle de l’altérité, au sein des mondes professionnels comme dans leurs rapports avec les « profanes », dont divers travaux ont mis en lumière l’enjeu de leur désignation.
Dans le champ professionnel, la notion de forum hybride permettait de rendre compte tout à la fois de la fragmentation des expertises et des métiers et de la multiplicité des profils spécialisés appelés à intervenir au cours d’un procès qui se sophistiquait, tant dans les fonctions de maîtrise d’ouvrage que dans celles de maîtrise d’œuvre. Au-delà, les études de processus de fabrication architecturale et urbaine montraient que l’analyse d’activités professionnelles liées au projet ne pouvait être dissociée de celle de l’ensemble du système d’acteurs – élus locaux, municipaux ou intercommunaux mais aussi du secteur privé – des entreprises et des enjeux économiques d’attractivité et de concurrence dans lesquels les villes étaient prises. La frontière même entre ces deux blocs de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre instaurés par la loi MOP3 – et tellement fondamentaux dans les analyses des années 1990 – se brouillait avec la montée des métiers de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage et de diverses activités de conseil. Les dispositifs participatifs en étaient une nouvelle illustration.
Concernant les non-professionnels inclus dans les forums hybrides, l’instabilité de la terminologie utilisée pour désigner cet « autre » (habitant, citoyen, usager, résident, utilisateur, profane, riverain, etc.) dit bien, d’ailleurs, si l’on suit Aurélie Couture, Isabelle Grudet et Élise Macaire dans leur dialogue avec Thérèse Evette, la manière dont sont attendus de l’interlocuteur un positionnement, un horizon d’intérêt, une forme de mobilisation ou encore un langage. Il peut être reconnu aux habitants une expertise propre, mais encore faut-il qu’elle s’exprime dans le cadre de ce que les professionnels et institutionnels ont posé en amont : des dispositifs prédéfinis, des questions déjà formulées, des outils, des mots, des références qui font l’objet de cultures professionnelles.
Avec le recul, on peut aussi noter que l’un des préalables épistémologiques du réseau à ses débuts – l’affirmation selon laquelle on pouvait étudier le processus de conception/production sans s’attacher à son résultat – a dû être reconsidéré. Là où le souci de s’écarter de la démarche de la critique architecturale, ou celui de s’affranchir de descriptions monographiques, avait pu conduire les chercheurs du réseau à mettre de côté les espaces et les objets architecturaux et urbains dans leurs caractéristiques matérielles, les questions participatives les ont remis au centre. Dans ces démarches, et parce que les espaces deviennent les supports d’interactions qui valorisent usages et perceptions, il n’est plus pertinent de dissocier processus et produit, conception et réception. La notion même d’acteurs de la fabrication de la ville s’élargit alors en conséquence.
La mondialisation
L’élargissement des objets d’étude du réseau au cours de ces vingt années est lié, également, à l’élargissement des univers de référence. Cela a été rappelé par plusieurs témoins, l’origine du réseau s’articule étroitement avec la nécessité de dépasser le schéma de compréhension franco-français pour aborder le cadre européen alors en pleine gestation. Cela suppose, comme le font Véronique Biau, Laura Brown et Bernard Haumont dans ce numéro, de s’ouvrir à des comparaisons européennes, mais aussi d’appréhender des pratiques qui, quoique très situées par nature, s’internationalisent. Avec l’évolution des visions Nord-Sud vers des approches qui évoquent leur pluralité (les Suds, les Nords), c’est l’échelle mondiale qui s’impose progressivement : nombre de marchés se font désormais à l’exportation, les formations s’internationalisent, les mobilités sont facilitées. Et sans doute l’univers de la recherche, en France, n’est-il pas le plus perméable à ces évolutions. Plusieurs voix s’accordent ici à regretter le manque de diffusion internationale des productions du réseau, le manque aussi d’échanges internationaux au sein du conseil scientifique et des événements publics du réseau. Les conditions matérielles dans lesquelles celui-ci travaille n’y sont pas étrangères, mais elles n’expliquent pas tout. Les chercheurs qui ont été confrontés à des travaux comparatifs sur les acteurs et métiers de la production architecturale et urbaine savent combien il est difficile de saisir avec toute la finesse nécessaire – dans différentes situations nationales – les cultures et positionnements professionnels, la segmentation des activités et les rapports de ces segments aux pouvoirs publics d’une part, aux marchés d’autre part, les systèmes de formation et de compétences, les contextes juridiques et réglementaires, etc.
La transition environnementale
Si la notion de développement durable est arrivée dans l’agenda français dès la fin des années 1980, le réseau Ramau n’en a réellement fait un objet de recherche que dans les années 2010, comme le rappellent Gilles Debizet, Éric Henry Nadine Roudil et Silvère Tribout dans leur échange publié ici. Mouvement émergeant dans le champ du politique à l’occasion de grands sommets internationaux et de prises de position des chefs d’État, il n’a réellement suscité le choix de Ramau de s’y intéresser qu’à partir du moment où il a pris place dans le concret des opérations architecturales et urbaines.
Cela a été un choix débattu au sein du réseau, notamment par rapport à la stratégie collective adoptée à l’égard de financements de recherche qui s’orientent alors de manière très sélective sur les thèmes du bâtiment et de la ville durables. Les questions épistémologiques liées à cette nouvelle surdétermination sont rudes : dans son indéfinition, la notion de développement durable remet en cause les cloisonnements disciplinaires traditionnels et invite à la pratique d’une interdisciplinarité radicale. Les sciences humaines et sociales sont convoquées (mais comment et pour quoi ?) afin de contribuer à des projets relevant des sciences de la vie et de la Terre, ou bien des sciences pour l’ingénieur. L’injonction à prendre en compte la question environnementale soulève aussi à nouveaux frais le débat de l’opérationnalité de la recherche ; le débat consigné dans le Cahier 74 en est emblématique pour beaucoup d’entre nous.
On le voit, les questions éthiques et politiques sont indissociables des problématiques de recherche telles qu’elles se sont progressivement imposées au réseau.
Une recherche sur et/ou avec les professionnels
« L’ambition du réseau Ramau est d’offrir un lieu d’échange, de coopération, de débat entre les milieux scientifiques et professionnels, de façon à élaborer conjointement des programmes de recherche pertinents à la fois du point de vue scientifique et du point de vue social, de telle sorte que leurs résultats soient rendus disponibles, mis en forme de telle façon qu’ils puissent atteindre les publics d’intervenants qui agissent dans ces secteurs », écrivait Thérèse Evette dans la première livraison des Cahiers Ramau.
Au cours de son existence et en réponse aux contextes, notamment institutionnels, dans lesquels se développait le réseau, cette itération entre monde de la recherche et monde professionnel a connu deux moments. Il est intéressant de noter que les deux dispositifs selon lesquels le réseau a organisé son rapport aux milieux professionnels se sont tenus à distance des impératifs émis par l’environnement académique.
Années 1990-2000 : légitimer une recherche en architecture fondée sur des passerelles entre les milieux de la recherche et les milieux professionnels
Dans la première période de développement du réseau, en effet, le contexte est encore celui des débuts de l’institutionnalisation de la recherche architecturale. Chercheurs et laboratoires des Écoles d’architecture sont peu nombreux ; leurs liens avec les universités où sont dispensés les enseignements en urbanisme, en sciences sociales et en sciences de gestion, qui pourraient s’articuler avec les problématiques de la recherche architecturale, sont ténus. La recherche en paysage est quasi inexistante. La tutelle de l’architecture vient de retourner au ministère de la Culture (1995). Les initiateurs du réseau Ramau décident alors d’inviter des professionnels et institutionnels à siéger – aux côtés de chercheurs comme Michel Callon, Alain Bourdin, Claude Dubar ou Robert Prost – au conseil scientifique du réseau, conçu, dans les faits, comme un conseil d’orientation. Des personnalités issues du BTP, de l’Observatoire de la fonction publique territoriale, de la Caisse des dépôts et consignations, de l’association Architectes et Maîtres d’ouvrage ou du ministère de l’Industrie sont alors mises en présence d’institutions publiques commanditaires de recherche dans nos domaines (ministère de la Culture et de la Communication, Plan Urbanisme Construction et Architecture, Centre scientifique et technique du bâtiment, ministère de la Recherche) pour contribuer à définir les thèmes prioritaires du travail du réseau. La prise de conscience des mutations que l’on vient de décrire au sein des systèmes d’acteurs (décentralisation, montée des opérateurs privés, internationalisation) a fait porter l’intérêt sur l’évolution des relations interprofessionnelles dans le champ de l’urbanisme, de l’architecture et de l’ingénierie, sur la structuration de la maîtrise d’ouvrage et la remise en cause des formes de la commande publique, sur la question du projet urbain sous l’angle des nouvelles compétences et des nouveaux systèmes d’acteurs, etc. Dans la même démarche, les cinq premiers numéros des Cahiers Ramau, juxtaposaient, sur ces thèmes, les contributions de chercheurs présentant les résultats de leurs travaux et les témoignages de professionnels alimentant, à partir de leur expérience propre, la thématique mise en débat. Un dispositif de confrontation avait d’ailleurs été inventé, pour le Cahier 3, sur les nouvelles pratiques architecturales en Europe : un praticien et un chercheur étaient invités à évoquer ensemble une spécificité des pratiques dans leur pays en associant un témoignage réflexif à l’analyse plus théorique du processus évoqué.
Très dépendant des commanditaires de recherche, comme le rappelle Thérèse Evette dans son témoignage dans cette présente livraison, le réseau tirait sa légitimité de la passerelle qu’il construisait dans cette large transversalité. Et il était secondaire que les productions qui en émanent n’aient pas été d’égale qualité scientifique.
À partir des années 2010 : l’évolution de la recherche vers un nouveau modèle de production de connaissances
L’appel à articles des Annales de la recherche urbaine pour le n° 104, paru en 2008 et intitulé « L’expertise au miroir de la recherche », a permis au réseau de se situer par rapport aux questionnements qui commençaient à se faire jour sur la posture du chercheur vis-à-vis de la demande sociale d’expertise.
En nous appuyant notamment sur les travaux de Robert Castel sur l’expert instituant (Castel, 1985), ceux de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe sur la recherche « de plein-air » et ceux de l’équipe de Michael Gibbons sur un « mode 2 de la production de connaissances » (Gibbons et al., 1994), nous avons alors tenté de nous situer par rapport à un mouvement plus global de recomposition des interfaces recherche/expertise/décision. Ces travaux, en effet, s’écartent d’un modèle binaire qui séparerait production académique de connaissances fondamentales, d’une part, et applications de ces connaissances, d’autre part, pour décrire un mode de production des connaissances qui non seulement s’effectue sur une base multidisciplinaire mais, surtout, relève souvent de dispositifs éphémères, contextualisés, orientés par la résolution de problèmes, multidisciplinaires et réunissant chercheurs et non-chercheurs. La contribution, dans ce Cahier, de Laura Brown et des doctorants et jeunes chercheurs affiliés au réseau dessine bien le portrait-robot d’un « Jeune Ramau » pluridisciplinaire et travaillant au plus près des milieux professionnels, notamment avec l’essor des financements Cifre dans notre domaine.
Depuis 2015, c’est bien cette question de la production et de la diffusion de connaissances sur la fabrication de la ville en régime d’incertitude qui a mobilisé les membres du réseau. Après l’avoir abordée sous l’angle pédagogique, à travers les interfaces enseignement-recherche-pratique professionnelle (Cahier Ramau 9 et journées de janvier 2018 à Liège), le programme scientifique de Ramau pour la période 2018-2020 a pour thème : « De l’incertitude des savoirs aux nouvelles fabriques de l’expertise ». Il s’agit de réinterroger le fonctionnement d’une « recherche impliquée » dont les savoirs de l’architecture et de l’aménagement sont, à divers titres, illustratifs. Le prisme d’observation est multiple : celui de la constitution d’expertises territoriales à l’interface des milieux politico-administratifs et des sphères académiques, celui des effets de cadrage et de mots d’ordre qu’opère parfois la recherche incitative publique, ou encore celui des hybridations qui se produisent à l’occasion de recherches participatives ou d’expériences doctorales « embarquées » de type Cifre.
La prochaine livraison des Cahiers se donne pour objet de faire un point sur ces questions.