Le réseau Ramau a initié en 2011 une réflexion sur le développement durable, alors que la question de la « durabilité », traduction française du terme « sustainability », marquait fortement les discours publics et prenait le caractère d’une injonction en matière de fabrique de la ville. Cette évolution semblait symptomatique d’une transformation en cours des pratiques de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage, et plus globalement de la manière de conduire les projets architecturaux et urbains en France et en Europe1. Le réseau Ramau organisait alors un programme de rencontres qui, pendant quatre ans, allait explorer la façon dont se concrétise la fabrique de la ville durable, en considérant les pratiques des acteurs professionnels de la conception architecturale et urbaine ainsi que des habitants. S’ouvrait un cycle de colloques et de publications construit par le conseil scientifique tout juste renouvelé.
Un premier état des lieux sur le thème des « pratiques de conception » est posé en 2011, afin de construire les entrées problématiques du programme2. L’objectif est de travailler à la réalisation d’« une vision de synthèse sur la manière dont les savoirs et les pratiques du projet architectural et urbain se sont adaptés à une injonction inédite, celle de fabriquer une ville durable3 ». Ce tour d’horizon met notamment en lumière les dynamiques émergentes en rapport avec le développement durable : apparition de forums hybrides (nouveaux espaces de délibération), développement d’un management de la qualité4 aux connotations « environnementales » (déploiement des labels et promotion de bonnes pratiques), émergence d’une reconfiguration des interprofessionnalités et implication des habitants dans la conception et la gestion.
Les Rencontres Ramau de 2012 se focalisent ensuite sur la manière dont « l’implication des habitants et des usagers met à l’épreuve les métiers et les activités de l’architecture et de l’urbanisme ». En effet, l’entrée en scène des habitants dans des processus participatifs questionne les pratiques habituelles des professionnels de la conception. Ces Rencontres font l’objet d’une publication substantielle, organisée en trois grandes parties. La première étudie les conditions de reconnaissance d’une « expertise habitante ». Les textes qui la composent attestent que, lorsqu’il est question de mobiliser les habitants, la tension est assez prégnante entre la recherche d’innovation sociale fondée sur une gouvernance en transformation et la quête de pacification des conflits ou de ralliement des populations aux projets urbains et d’aménagement qui les concernent5. Revenant sur les enjeux de construction d’une action publique ayant pour thème la « durabilité », la deuxième partie de ces Cahiers Ramau n° 6 interroge la démarche professionnelle engagée par les acteurs publics locaux, tandis que la troisième partie s’intéresse plus particulièrement aux architectes et aux urbanistes. Un certain nombre d’adaptations et de repositionnements opérés par les professionnels sont questionnés, ce qui met en lumière les obstacles culturels que ces acteurs assez divers rencontrent parfois quand ils veulent faire évoluer leurs pratiques (cultures professionnelles, savoirs et savoir-faire traditionnels). C’est par l’analyse de dispositifs expérimentaux (écoquartiers, Bimby, approches sensibles, etc.) que la publication clôture son propos, soulignant combien ce nouveau paradigme participatif soulève l’enjeu de socialisation des projets.
Poursuivant ses explorations, le réseau se penche en 2013 sur les « savoirs et modèles de l’architecture et de l’urbanisme durables ». Cette troisième Rencontre se concentre sur la diffusion des savoirs et des pratiques, et montre comment ceux-ci « cheminent par des instances de légitimation et de normalisation6 ». Publiées dans les Cahiers Ramau n° 7, les contributions explorent « les mécanismes d’élaboration et de diffusion de la durabilité à travers les labels » et la conception de « règles et termes prescriptifs7 ». Décrivant les « états préalables » favorisant l’avènement de projets durables, certains de ces textes sont consacrés à « ceux (experts, formateurs, etc.) qui transmettent » l’injonction à la durabilité, tandis que d’autres proposent une analyse des « démarches et projets démonstrateurs8 ». Les Cahiers se concluent sur les enjeux d’interdisciplinarité des savoirs, désormais au cœur de la compréhension du processus de fabrique de la ville.
Un premier bilan de ces moments d’échanges initiés par le réseau Ramau fait apparaître que les significations associées au développement durable en matière d’architecture et d’urbanisme renvoient à des domaines de spécialisation en cours de constitution : « énergie-climat » pour certains, « paysage-environnement » pour d’autres, ou encore « participation » (Biau, Fenker, Macaire, 2014). Plus globalement, la montée en compétences des professionnels procède de plusieurs logiques. Certains font figure de pionniers, d’autres sont plus réticents mais se laissent progressivement convaincre, d’autres encore poussent les anciennes générations en faisant de leurs premières expériences un substrat d’innovations. Mais c’est à travers le management de la qualité que les effets mainstream sont le plus flagrants. Les labels et l’indexation des bonnes pratiques caractérisent différentes époques par des objectifs de qualité à chaque fois revisités et un processus d’amélioration des performances visées.
À l’issue de ces trois années de travail, le conseil scientifique a constaté qu’un point aveugle subsistait dans les divers travaux et temps d’échanges organisés. La question de la gestion des espaces bâtis et aménagés nous a semblé peu abordée et faiblement questionnée, même si elle avait notamment été introduite par le thème de l’implication des habitants et du rôle de ceux-ci dans l’utilisation des dispositifs techniques liés à l’énergie.
Choisir l’angle de la gestion offrait, par ailleurs, l’opportunité de revisiter des travaux du réseau restés méconnus, car non publiés : un séminaire sur les rapports entre conception, gestion et utilisation9, et un atelier international sur le facilities management (FM)10. Le séminaire, qui posait clairement les enjeux des effets des « rapports sociaux de service » (Gadrey, 2003) sur l’architecture et l’urbanisme, a montré que l’implication des « clients11 » dans les opérations d’aménagement, la montée des activités servicielles (mettant en rapport les biens avec les services qu’ils rendent) ou encore l’évaluation de la qualité du service participaient de la réorganisation du secteur de la fabrique de l’urbain. L’atelier international, quant à lui, précisait la dimension gestionnaire de « ces projets [qui] doivent tenir compte d’une focalisation croissante sur l’efficacité de l’ouvrage, sur les services qui en sont attendus et sur les conditions d’utilisation12 ». La particularité de ces travaux était ainsi d’investir les utilisateurs d’un rôle nouveau. Le facilities management y était présenté comme la « gestion stratégique des moyens et des services nécessaires aux entreprises et aux administrations pour exercer leur activité13 ».
Une relecture de ces deux événements a permis de faire apparaître trois sujets incontournables permettant d’interroger l’évolution des pratiques introduites par le FM : les relations entre conception et gestion future des espaces bâtis et aménagés ; les évaluations rendues nécessaires par la généralisation des attentes en matière de performances ; l’attention aux usages et aux usagers. Ce sont notamment ces éléments qui inspireront la programmation des Rencontres Ramau de 2014.
Au moment où nous nous lancions dans l’organisation de ces journées Ramau, le contexte de la conception architecturale et urbaine faisait état d’évolutions de plus en plus marquées. Les thématiques de la « performance », de la « rentabilité » ou encore de la « pertinence » ancraient les projets de conception dans un langage gestionnaire de plus en plus affirmé. De même, la manière de penser les figures des « habitants », des « usagers » ou des « utilisateurs », de les convier à donner un avis ou à co-construire des projets, devenait un enjeu majeur pour les élus ou les professionnels de la fabrique de la ville. La prise en compte du développement durable dans les opérations architecturales, urbaines et paysagères – afin de répondre à des questions environnementales, énergétiques ou de gouvernance – semblait avoir renforcé une préoccupation pour les logiques de « gestion » dans les processus de projet. D’un côté, les domaines traditionnels de la gestion, qu’elle soit budgétaire (investissements, consommations) ou locative, se complexifiaient en raison d’un intérêt accru accordé aux questions environnementales ; de l’autre, de nouveaux enjeux apparaissaient, notamment celui de la pertinence des projets dans une perspective d’ajustement entre les attentes des populations à qui ils sont destinés et les services rendus par le cadre bâti ou aménagé.
Dans ce contexte où la gestion tendait à s’imposer comme une nouvelle rhétorique pénétrant le vocabulaire, les pratiques et les produits de la conception, le réseau Ramau a cherché à mieux saisir les transformations professionnelles en cours. Les journées d’études des 13 et 14 octobre 2014, dont ces Cahiers n° 8 sont issus, visaient à comprendre comment évoluent les compétences, les métiers, les pratiques ou l’organisation des systèmes d’acteurs alors qu’ils sont marqués par l’empreinte gestionnaire.
La notion de « gestion » – appréhendée dans le contexte mouvant des projets architecturaux et urbains touchés par une injonction à la durabilité – a été envisagée de manière large. Dans l’appel à communications, il nous a paru opportun de convoquer des recherches produites à des périodes différentes ou inscrites dans des perspectives variées. Il s’agissait de faire dialoguer les trois branches de la recherche identifiées en matière de pratiques gestionnaires dans l’univers de l’aménagement. La première, reposant sur les travaux consacrés à la politique de la ville, concerne la « gestion urbaine de proximité » et ses acteurs (Allen et al., 1990 ; Lelévrier, 2002 ; Bacqué, Rey, Sintomer, 2005). Il s’agit de questionner l’impact de cette forme de gestion des espaces publics et intermédiaires qui n’a eu de cesse de se professionnaliser, et d’identifier ses effets sur l’appropriation par les citadins de leurs lieux de vie.
La deuxième série de travaux recensés était portée par les sciences de la gestion. On y trouve des analyses sur le management des projets ou le montage d’opérations urbaines complexes (Arab, 2007), focalisées sur l’organisation et la gestion des processus de fabrication des aménagements. Plusieurs auteurs ont souligné l’insuffisance des travaux abordant la gestion des bâtiments en relation avec les objectifs des destinataires des projets architecturaux (Chanlat, 1990 ; Fenker, 2003).
Le troisième axe d’étude regroupait des travaux conduits autour de 2010 et centrés sur les transformations induites par l’arrivée du paradigme de durabilité sous ses différents aspects. Il s’agit là de recherches sur la participation dans le domaine de l’aménagement architectural et urbain (Bacqué et Sintomer, 2011 ; Gardesse, 2011 ; Zetlaoui-Léger, 2013 ; Ramau, 2012) et sur la question de l’énergie (Renauld, 2012). Elles sont produites par des sociologues ou des anthropologues (Brisepierre, 2011 ; Subrémon, 2009), ou consacrées aux acteurs (Roudil, 2007 ; Souami, 2008) et aux processus (Grudet, 2016). Les chercheurs dont nous publions ici des articles à la suite des journées d’études de 2014 s’inscrivent dans l’une ou l’autre de ces traditions de recherche ou à la croisée de plusieurs d’entre elles.
Les contributions de ces Cahiers Ramau n° 8 placent la gestion spatiale au cœur d’un questionnement sur l’évolution des pratiques, des compétences ou des systèmes d’acteurs ainsi que des différents moments du processus de projet. Elles analysent d’abord la participation des utilisateurs et des gestionnaires à la conception. Ensuite, plusieurs textes abordent la question de la gestion après la livraison des bâtiments et au moment de la mise en service des espaces aménagés, montrant que « gestion » rime avec « organisation ». L’interrogation majeure porte alors sur la réalité de l’évolution et de l’importance accrue accordée aux pratiques gestionnaires dans le processus de projet architectural et urbain. Quelle est-elle véritablement ?
Disons d’emblée qu’il n’y a pas de réponse unique à cette question, car les parties prenantes de la gestion sont de différents types et n’ont pas le même poids dans le système d’acteurs de l’aménagement. Par exemple, à propos de l’élaboration des projets de renouvellement urbain, Alice Collet décrit les gestionnaires des espaces publics et résidentiels des quartiers d’habitat social comme des parents pauvres, peu écoutés face aux chargés d’opérations ou aux concepteurs. Inversement, en étudiant le développement des services urbains, Taoufik Souami montre la dynamique de ces entreprises qui tendent à devenir des acteurs majeurs dans la fabrication de la ville, au risque de se substituer aux décideurs politiques. Mais, malgré des différences d’échelle et d’objet à gérer, les articles réunis ici montrent tous des dynamiques à l’œuvre autour de la place de la gestion. Ils font apparaître des opportunités, notamment du côté de la volonté d’accorder une plus grande place à l’usager ou à l’habitant dans le processus. Une montée en compétences des professionnels est identifiable, de même qu’émergent des tensions et que des inerties se maintiennent. Globalement, la gestion s’avère être un bon analyseur des pratiques de conception actuelles, qu’il s’agisse de proposer des dispositifs expérimentaux ou de transformer plus durablement des savoirs, des positionnements sur le marché professionnel, voire des identités professionnelles.
Les contributions ont été regroupées en trois parties. La première présente les nouveaux enjeux de la gestion de l’espace bâti et aménagé. On y voit que l’injonction au durable a pour effets de renouveler les pratiques de certains professionnels et d’engager la participation de nouveaux acteurs de l’aménagement issus du monde de la gestion : les entreprises de services urbains. La deuxième porte sur les pratiques gestionnaires des espaces publics et résidentiels. Celles-ci se renouvellent grâce à une volonté de préservation des ressources naturelles, qui concerne les services publics aussi bien que les concepteurs. La troisième est centrée sur l’évolution des pratiques de concertation, avec en ligne de mire une réduction des risques de conflit entre les parties prenantes et une meilleure appropriation des espaces.
Penser la gestion à l’aune des nouveaux enjeux de la fabrique de la ville durable
Les deux textes et le témoignage de cette première partie des Cahiers viennent souligner un mouvement qui concourt à poser un regard nouveau sur la mise en œuvre de la ville durable. Ils révèlent une transformation fondamentale en revenant sur le rôle original que confère la « durabilité » aux deux grands ensembles de protagonistes que sont les professionnels et les habitants. Michael Fenker signale combien, en replaçant les usages au centre du principe permettant d’élaborer, de réaliser et d’exploiter les espaces qui font la ville, la gestion des espaces bâtis devient le moyen de redonner une place aux citadins dans les processus de conception. Marie Puybaraud évoque l’effet de la réflexion sur l’énergie au sein des entreprises, celle-ci ayant conduit à se tourner vers la recherche du « bien-être » des utilisateurs. Taoufik Souami analyse l’évolution, dans le processus de production de la ville, de l’implication de professionnels d’ordinaire cantonnés à la périphérie de l’aménagement : les entreprises de services urbains, énergéticiens et compagnies des eaux principalement. Leur participation désormais régulière au processus d’aménagement ranime le débat sur les limites du découpage « séquentiel et sectoriel » qui prévaut dans les métiers de la ville, soulignant le caractère dépassé de la « division du travail dans la fabrication urbaine ». Cette réalité encore à l’œuvre est de plus en plus inappropriée aux relations entre acteurs professionnels qu’implique la conception de la ville durable. Et ses conséquences se répercutent également sur les besoins des usagers, qui sont tributaires d’une mise en cohérence des pratiques professionnelles pour être pris en compte.
L’intérêt du propos de Michael Fenker réside dans la production d’une définition fine de ce que recouvre la gestion de l’espace. Il la situe comme dépassant largement le cadre de « la prise en compte des usages ou des conditions de performance », que ce soit « dans la conception » ou « en termes de coûts de maintenance et d’exploitation ». Pour l’auteur, la gestion devient le moyen de considérer les besoins des habitants, situés à l’articulation des trois processus qui concourent à la fabrique de la ville : « la conception du projet architectural et urbain, la gestion du cadre bâti et aménagé, et les pratiques sociales qui habitent l’espace ».
Poser la question de la gestion consiste bien à interroger les pratiques des professionnels qui produisent la ville en pilotant des opérations et en impliquant les utilisateurs. Le nouvel enjeu de la gestion repose alors sur la capacité des acteurs de la conception à poser un regard sur leur manière de concevoir des espaces bâtis et à mesurer les effets de leurs décisions sur les utilisateurs quotidiens, habitants ou simples usagers de l’espace. Cette disposition devient une ressource pour le développement durable des territoires.
Michael Fenker propose ainsi de réfléchir au fait que l’espace est devenu un objet de gestion au même titre que les domaines ordinaires de l’action managériale représentés par les personnels et les outils dans le monde de l’entreprise. L’espace a longtemps été perçu comme un coût à maîtriser. L’apparition du thème de la gestion de l’espace se fait dans un contexte où s’amorce la nécessité de rendre les bâtiments performants en vue de lutter contre le changement climatique, faisant de l’optimisation du lien entre usages et conception un point essentiel. Un glissement s’opère alors, et l’on passe d’un intérêt pour la valeur d’usage de l’espace à une attention à sa valeur de service, ce qui induit la nécessité de faire évoluer la production des espaces bâtis en fonction des besoins de leurs utilisateurs. Cette réalité a débouché sur la production d’un modèle de conception de l’espace que l’auteur qualifie de « serviciel ».
Dans ce contexte, le texte de Taoufik Souami montre que la notion d’« intégration » (permettant la mise en cohérence des diverses pratiques professionnelles concourant à la production de l’espace urbain) devient essentielle pour comprendre l’origine d’un mouvement annonciateur d’une évolution plus profonde de l’aménagement des villes. Son article analyse, du point de vue des entreprises de services urbains, les mutations organisationnelles qui semblent toucher ces filières ordinairement dévolues à la gestion des réseaux. L’injonction à la durabilité les conduit à se positionner différemment au sein de la production urbaine et à s’émanciper de leurs tâches restrictives de « metteurs en œuvre » et « d’exploitants ». Cette évolution n’est pas sans conséquences.
Du fait de cette injonction à la durabilité, ces entreprises ont progressivement occupé un rôle plus central, considérées comme « les seules ou les mieux outillées pour prendre en charge les nouvelles exigences liées au développement durable ». De même, la ville durable comme mot d’ordre pousse les collectivités locales à s’engager dans un domaine inconnu. Les entreprises de services urbains s’avèrent ainsi être les seules à allier des connaissances dans le montage de projets répondant à des exigences environnementales complexes et des compétences bien rodées en ingénierie financière.
Taoufik Souami illustre son propos par une enquête conduite au moment où ces grandes entreprises de services urbains investissent le domaine de l’aménagement. Si le processus de conversion de trois d’entre elles (Vinci, EDF et Eiffage) à la question de l’aménagement de l’espace est plus particulièrement considéré, les grandes caractéristiques d’un mouvement qui consiste, pour ces entreprises, à développer de nouvelles compétences sont esquissées. Ces sociétés se dotent ainsi de nouvelles expertises, adoptant une posture plus prospective et mettant en place des bureaux d’études opérationnels, en vue de produire une offre de service libérée de l’emprise des filières.
Gardons-nous toutefois des conclusions hâtives : l’évolution décrite par l’auteur ne mobilise, pour l’essentiel, que les indices d’une transformation de ces entreprises, laquelle reste largement à venir. La fin du texte renvoie au principe de réalité : avant toute chose, ces sociétés doivent apprendre à travailler ensemble et à valoriser leurs propres logiques, inscrites dans une culture financière ou boursière, et prenant en compte le rôle des actionnaires dans leurs modes de gouvernance. Ainsi, la « création de valeur » demeure leur objectif, ce qui les conduit à engager leur véritable transformation : produire une offre globale de service répondant au processus de « conception-réalisation-gestion » des espaces, qui soit véritablement monétisable et source de profits.
Taoufik Souami conclut son propos en ouvrant un débat important sur les effets de ces changements. Si la question est loin d’être tranchée, l’enjeu principal porte sur l’ascendant pris par les entreprises de services urbains. Dans un avenir proche, celles-ci pourraient acquérir une position dominante, parce qu’elles auront su répondre à la dimension « servicielle » qu’implique la ville durable, démarche dans laquelle ne sont pas encore engagés « les structures d’aménagement et les promoteurs classiques ».
C’est bien sur cette dimension « servicielle » que les deux textes de cette première partie des Cahiers se rejoignent. Michael Fenker la définit comme « le fait de ne plus chercher à procurer un équipement mais un usage », Taoufik Souami comme « un modèle de conception partant des usages pour élaborer, réaliser et exploiter les espaces qui font la ville ». Le fait que les acteurs de la gestion fassent de cette notion une référence témoigne des mutations en cours. Celles-ci permettent aux acteurs de la gestion – a fortiori s’ils prennent part à la conception de la ville – de dessiner les contours des modes de vie urbains et des besoins des citadins. Les deux auteurs s’accordent alors sur l’urgence de laisser une place à l’habitant dans la fabrique urbaine, en faisant de lui un acteur susceptible d’être intégré au processus de conception et de gestion des espaces bâtis, au même titre que les professionnels.
De la conception à l’appropriation et à l’entretien des espaces publics
L’injonction au développement durable et sa dimension environnementale touchent les milieux d’experts. Un ensemble « paysage-environnement » réunit des maîtres d’ouvrage, des architectes, urbanistes, paysagistes et des services techniques autour d’aménagements destinés, en particulier, à améliorer la qualité de l’eau, la biodiversité et la préservation des ressources naturelles. L’émergence de ce groupe permet d’interroger l’évolution des pratiques, des identités professionnelles ou des relations interprofessionnelles de ces acteurs. Les articles réunis dans cette deuxième partie des Cahiers Ramau n° 8 abordent la question de la gestion du paysage du point de vue des concepteurs (Yasmina Dris, à partir d’entretiens avec la paysagiste Armelle Varcin et ceux du collectif Alpage, et Silvère Tribout, questionnant l’expérience d’une agence d’architecture) et des acteurs des réseaux d’assainissement (Juliette Chauveau et Taoufik Souami, étudiant l’évolution des services techniques).
Ces contributions interrogent l’articulation entre intentions de projet et modalités de gestion au sein des collectivités. Selon les situations évoquées, ces deux dimensions du processus de conception semblent se préparer dans des espaces séparés ou se construire de manière conjointe.
Ainsi, Alice Collet, dans son article analysant le cas de la rénovation urbaine, pointe l’existence de certains défauts de conception qui rendent difficile l’appropriation des espaces par les usagers, comme leur entretien par les bailleurs ou les collectivités. La principale raison de ce dysfonctionnement est l’absence d’interactions entre les professionnels impliqués dans les phases de conception et de gestion. L’auteure dénonce un phénomène structurel, caractérisé par un clivage entre des cultures professionnelles différentes. Une partition semble organisée par les maîtres d’ouvrage, qui valorise les activités de construction de la ville au détriment de l’entretien ou de la maintenance. Les concepteurs, mais aussi les élus et les maîtres d’ouvrage, partagent ainsi la croyance en la capacité du projet à générer par lui-même des modalités adéquates de gestion des espaces une fois ceux-ci bâtis. La question qui demeure en suspens à l’issue de la lecture de l’article d’Alice Collet consiste à savoir si ce diagnostic du manque d’interactions entre acteurs impliqués dans l’élaboration des espaces publics des quartiers d’habitat social peut être généralisé à d’autres situations urbaines, notamment celles porteuses d’enjeux environnementaux.
Silvère Tribout et Juliette Chauveau s’intéressent tous deux au développement d’éléments d’aménagement paysager structurant l’espace public et participant à la gestion des eaux pluviales. Ce qu’ils appellent des « techniques alternatives », à savoir les noues, bassins de retenue ou divers espaces inondables, apparaissent aussi bien comme des objets à concevoir, notamment par des paysagistes, que comme des outils à gérer par les services de propreté, d’assainissement ou d’espaces verts des collectivités. Tout en se confrontant à des univers de travail différents, ces deux auteurs cherchent à comprendre comment les professionnels confrontés à ces nouvelles techniques les ont accueillies et intégrées dans leurs pratiques existantes. Silvère Tribout observe des concepteurs paysagistes à l’épreuve d’éléments de composition ayant une fonction technique. Juliette Chauveau décrypte les stratégies des communes ou des agglomérations pour gérer un équipement technique désormais visible et praticable par tout un chacun.
La structure même des deux articles, centrés, pour l’un, sur les services des collectivités et, pour l’autre, sur le travail d’une agence d’architecture, d’urbanisme et de paysage, suggère l’existence de mondes professionnels assez isolés les uns des autres, même s’ils sont conjointement amenés à réfléchir à la gestion d’un équipement.
Juliette Chauveau observe des évolutions dans l’organisation des services et les compétences des agents. Elle centre son propos sur le point de vue des responsables de la gestion des espaces publics, qui semblent avoir leur logique propre. Il ressort de son analyse que les quelques transformations d’organigramme constatées dans les services chargés des espaces publics sont aussi bien motivées par la protection de l’environnement que par la mutualisation des tâches de gestion. Ces évolutions sont le fruit de deux mouvements. Le premier vise à l’amélioration de l’état des nappes phréatiques et des milieux naturels ; le second est tourné vers une gestion globale des espaces publics, via la mutualisation des moyens entre services et la coordination des actions.
Dans le cas de la ville de Rennes, que Juliette Chauveau a particulièrement étudié, la collectivité cherche à assurer une continuité entre la conception et l’entretien des espaces aménagés. Les techniques alternatives validées localement sont décrites dans un « cahier des prescriptions » consacré à l’espace public. Celui-ci joue un rôle de « passeur » entre les concepteurs et les services chargés de l’entretien, de la propreté et des jardins. La liste des dispositifs expérimentés par la Ville est transmise aux urbanistes et aux paysagistes – ce qui ne leur interdit pas de proposer des équipements non mentionnés dans ce catalogue. L’organisation des services devient ainsi une focale permettant d’aborder collectivement la question de la conception. Des consignes sont diffusées pour éviter les dysfonctionnements après la livraison. Si l’idée d’un dialogue avec les concepteurs est bien là, la perspective d’évolution des pratiques professionnelles d’acteurs très divers semble surtout envisagée comme une amélioration des consignes à transmettre aux concepteurs pour faciliter l’entretien après la réception des espaces.
Silvère Tribout décrit des concepteurs confrontés aux difficultés de fonctionnement de dispositifs spatiaux qu’ils ont eux-mêmes conçus. Ces architectes sont à la fois soucieux d’améliorer leurs compétences et inquiets face à la manière dont ces dispositifs qu’ils élaborent évoluent au fil du temps. Il semble que la conception à partir de techniques alternatives ait eu pour effet de déclencher « une prise de conscience plus large des discontinuités entre la conception, la réalisation et l’appropriation des espaces livrés ». En ce sens, on pourrait dire que l’hypothèse – qui est à la base de ce numéro des Cahiers Ramau – selon laquelle l’injonction au développement durable met en avant des questions inédites de gestion chez les concepteurs est vérifiée. Les acteurs étudiés par Silvère Tribout prennent en effet conscience de la nécessité de davantage considérer, au stade du projet, les données disponibles concernant la gestion des espaces. Ces professionnels s’inscrivent ainsi dans une démarche de retour d’expérience, d’amélioration des pratiques et d’apprentissage actif. Ils souhaitent faire progresser l’articulation entre gestion et conception, et cela passe, selon eux, par le développement d’une pédagogie à destination des usagers et des habitants, ou des personnes chargées de la maintenance et de l’entretien des espaces verts.
Les paysagistes de l’agence Alpage interviewés par Yasmina Dris ont un propos allant dans le même sens. Ces professionnels témoignent de l’intérêt accordé, dans leurs projets, aux « manières de faire » des usagers et des utilisateurs. Cherchant à formuler collectivement les « futures modalités de gestion », ils envisagent l’évolution de leur pratique vers la conduite d’une action collective centrée sur la gestion, à laquelle contribueraient des habitants. Le paysagiste verrait alors ses missions se compléter d’un volet postérieur à la livraison des espaces. Telle est l’attente d’une partie de cette profession, à l’instar de figures qui ont compté dans le monde du paysage, comme Gilles Clément, porteur d’une démarche de « citoyen planétaire ». Cette logique se heurte cependant, comme le souligne la paysagiste Armelle Varcin, au découpage des phases opérationnelles en missions courtes et discontinues qui ne permettent pas toujours ce type d’interventions ambitieuses.
La lecture de l’ensemble de ces articles montre que l’injonction au développement urbain durable a fait évoluer les pratiques aussi bien gestionnaires (à travers une réflexion sur l’organisation des services) que conceptuelles (via l’évolution des dispositifs spatiaux à concevoir). Ces spécialistes du pôle « paysage-environnement-espaces publics », dans leur diversité, semblent conscients de la nécessité de dialogues entre gestionnaires et concepteurs, dans la perspective d’une amélioration de l’entretien et de la maintenance des espaces. Ils semblent enclins à engager ces échanges sous une forme pédagogique. Les responsables de services de gestion fixeraient alors des cadres ou des contraintes aux concepteurs, et les concepteurs proposeraient des modalités de gestion propres aux projets qu’ils ont portés. Cependant, malgré une recension d’initiatives intéressantes, de nombreux acteurs de la conception comme de la gestion défendent encore la nécessité de garder la maîtrise du processus qui les concerne.
La concertation : pour une meilleure prise en compte de la gestion en amont des projets
Les risques de recours et de contentieux ainsi que les pressions sur les délais et les coûts sont autant de facteurs qui obligent les parties prenantes des opérations architecturales et urbaines à adapter leurs pratiques. La troisième et dernière partie de ces Cahiers est l’occasion d’une réflexion sur les innovations institutionnelles proposées par des acteurs faisant une large part à la construction d’accords dans des dispositifs à la fois organisationnels, partenariaux (le partnering) et contractuels (la Convention qualité), mais aussi sur des blocages observés dans le cadre de la « concertation énergétique » menée dans des projets d’écoquartiers. Le prisme de la concertation éclaire les apprentissages en cours, du fait d’une meilleure prise en compte, dès le démarrage des projets, de la gestion future des espaces. Ce chapitre explore aussi en retour comment les enjeux de gestion viennent impacter les modalités de concertation.
Une première contribution sur l’utilisation du partnering dans le cadre du projet du Quartier des spectacles à Montréal (David Ross) montre comment la prévention des risques de contentieux et la gestion des conflits participent du management global de la qualité. En tant que technique de prévention, le partnering favorise les échanges et peut conférer des effets positifs aux conflits par la mise en place de négociations. Il s’agit d’identifier et de traiter très en amont les tensions potentielles issues des divergences d’intérêts. Quand la ville de Montréal se lance dans la programmation du Quartier des spectacles, elle doit faire face à des désaccords sur les usages des espaces en cours de valorisation par le renouvellement urbain. Se jouent, dans la mobilisation du partnering, la qualité de la décision14 et la mise en œuvre d’un processus d’adhésion. Il s’agit de construire un environnement coopératif ouvrant un potentiel d’opportunités pour les parties prenantes. Le dispositif prévoit de mettre en avant la richesse et la diversité des points de vue, de remettre en question les routines de travail et de clarifier les modalités de la prise de décision. Le management de la décision repose donc essentiellement sur la construction collaborative d’accords (désamorcer les conflits, anticiper les oppositions possibles au projet). Pour cela, l’échange d’informations est considéré comme stratégique pour la recherche de solutions et la résolution des problèmes. C’est ainsi que le partnering ambitionne d’enrichir les différentes phases du projet et de placer les participants dans une situation d’apprentissage collectif.
On observe cette même dimension de l’apprentissage dans le développement de la « Convention qualité » mise en place par la communauté d’agglomération Plaine Commune, en Seine-Saint-Denis (entretien de Yasmina Dris avec Véronique Guillaumin). Dans un contexte de tensions urbaines (pressions sur le foncier, copropriétés dégradées, etc.), la construction d’accords se fait ici entre les secteurs publics (collectivités) et le secteur privé (promoteurs) autour d’objectifs de qualité d’usage et de construction. La Convention qualité se traduit par la rédaction de recommandations (typologie des lots et des logements, propriétaires visés, etc.) et une amélioration du volet juridique de la copropriété en accord avec les promoteurs et les syndics. Trois domaines à enjeu de qualité sont formalisés : le produit, les usages et la gestion future du bâti. La Convention précise ainsi la définition de la « qualité », en vue d’influer sur la production du projet architectural, de la conception à l’occupation des lieux (enjeux programmatiques, de commercialisation, etc.). Ce dispositif construit in fine un environnement favorable à la discussion sur les projets et un cadre de référence pour l’octroi des permis de construire.
Ces deux premiers exemples illustrent le développement de politiques publiques du management de la qualité dans le secteur de la construction et de l’aménagement. Dans son analyse, Élisabeth Campagnac met en exergue l’enjeu de la construction d’un cadre normatif15 collectif et partagé par des acteurs aux cultures professionnelles différentes et aux intérêts parfois contradictoires. Alors que chacune des parties prenantes construit ses propres critères de qualité (Biau, Lautier, 2004 et 2009), la remontée des échanges vers l’amont (notamment entre les sphères politique et économique) favorise une meilleure prise en compte de l’usage et de l’exploitation future des espaces. La « gestion » devient elle-même « un travail de réflexion » de la conception architecturale et urbaine. Partnering et Convention qualité peuvent ainsi être perçus comme des « outils » d’accompagnement de la commande publique, tout autant que des formes institutionnelles contribuant à légitimer l’autorité publique. En ce sens, les dispositifs préventifs agissent sur la réorganisation des collaborations entre les acteurs et sur le système décisionnaire.
Quand la concertation entraîne une confrontation entre savants et profanes, la construction d’accords paraît plus difficile. Postulant qu’un échange approfondi avec les usagers au moment de la conception faciliterait l’appropriation des dispositifs techniques, Isabelle Grudet analyse les blocages observés dans le cadre de la « concertation énergétique16 ». Son article, en effet, met en relief la nécessité de faire évoluer les pratiques de gouvernance en même temps que celles de production et de consommation d’énergie. Le terrain des écoquartiers est ici ciblé en tant qu’il constitue un observatoire privilégié de l’évolution des pratiques professionnelles et de l’habiter. L’auteure montre que le débat énergétique est principalement mené dans les cercles politico-techniques (un « pré carré technique » fondé sur une « vision souvent préconçue des pratiques quotidiennes et domestiques »). Par conséquent, les cas étudiés mettent en évidence la difficulté à prendre en compte le point de vue des habitants/usagers. Ceux-ci expriment alors le fait qu’ils subissent les normes de confort qui leur sont imposées (température ou prix prescrits) et notent des inégalités entre les logements. À cet égard, l’habitat participatif présente un intérêt particulier : les propriétaires occupants forment un groupe fortement impliqué dans la « concertation énergétique ». Même si la performance n’est pas toujours au rendez-vous, ils manifestent une satisfaction et une bonne connaissance des équipements. Un phénomène d’émulation est d’ailleurs observé quand la performance est atteinte (analyse collective des performances à Molenbeek, citée en exemple par Isabelle Grudet). L’enquête révèle que, malgré les effets plutôt positifs de la maîtrise par les habitants de leur consommation et des dispositifs techniques, la concertation énergétique en est encore à ses balbutiements. Les premières expériences relatées font office d’expérimentations, dans le cadre desquelles les apprentissages sont encore peu formalisés.
De leur côté, des architectes élargissent leur panel de compétences en intégrant une expertise sur l’usage (entretien de Yasmina Dris avec Marine Morain). En 2004, Michel Bonetti racontait qu’un conseil régional de l’ordre des architectes avait menacé un office HLM d’un procès parce que celui-ci imposait aux architectes de collaborer avec des sociologues17. L’architecte-ingénieure Marine Morain, quant à elle, dote sa propre agence de compétences en sociologie de l’énergie18. Pour elle, il s’agit de sortir des modèles de calcul pour appréhender les usages dans leur dimension socio-anthropologique. Cet exemple conforte l’hypothèse construite notamment par Olivier Chadoin, soulignant que les architectes et les concepteurs développent une capacité d’adaptation qui leur permet de conserver une position clé dans la production architecturale et urbaine (Chadoin, 2007).
Il semble que la professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage lui permette aujourd’hui d’imposer des exigences en matière de coûts, de délais et de techniques. Elle assurerait aussi la rationalisation du processus de conception, rendant incontournables de nouvelles expertises. L’avenir semble ouvert à la prise en compte des usages et des pratiques de gestion des espaces bâtis. L’exemple de la « concertation énergétique » révèle en creux la possible apparition d’un « appel à compétences » (Claude, 2006) fondé sur une expertise de médiation aujourd’hui encore peu définie. La tenue d’instances d’échanges, de communication et de concertation, favorisant la recherche d’accords entre les parties prenantes sur les objectifs et la qualité des projets, paraît aujourd’hui au cœur des innovations attendues par de nombreux acteurs, dont les articles de cette troisième partie des Cahiers se font l’écho19.
Au fil des différentes parties de cette livraison, les contributions permettent de mesurer l’évolution des pratiques professionnelles et des représentations relatives à la gestion. Les injonctions conjointes à préserver l’environnement et à améliorer la performance énergétique et la gouvernance – en incluant en particulier les usagers – ont fait bouger les lignes, suscité des expérimentations et fait réfléchir des chercheurs.
Le clivage entre activités de conception et de gestion semble avoir perdu de son tranchant. D’un côté, nous avons vu que les entreprises de services urbains se tournaient vers la production de la ville, celle-ci étant conçue comme un objet matériel à exploiter. Elles articulent ainsi la conception à la réalisation et à la gestion. De l’autre côté, plusieurs concepteurs ont témoigné de leur intérêt pour des démarches permettant d’anticiper de manière réaliste la gestion paysagère ou énergétique des espaces livrés. Leur objectif est d’assurer la pérennité de leurs réalisations comme le confort des usagers. En se formant, en enquêtant sur le devenir de leurs projets achevés, en participant à des concertations avec de futurs usagers, ils font évoluer leurs compétences et ajustent leurs intentions. L’idée de partir des usages semble faire son chemin chez un ensemble significatif d’acteurs de la conception, parfois poussés en ce sens par une organisation utilisatrice. Quant à la maîtrise d’ouvrage ou aux services gestionnaires, ils élaborent des outils de médiation de manière concertée pour encadrer le travail des concepteurs, afin d’améliorer la maintenance, l’entretien ou les usages, et, finalement, la durabilité des espaces. Même si les pratiques ici décrites sont souvent de nature expérimentale, le fait qu’elles poursuivent des objectifs qui leur sont propres (au-delà de celui – louable – consistant à préserver la nature et/ou à assurer le bien-être des usagers) peut être considéré comme un élément moteur de ce changement. On aura en effet repéré plusieurs autres motifs de développement : améliorer un bilan financier ou l’efficacité d’une entreprise ou d’un service gestionnaire, et conquérir de nouveaux marchés dans l’espace concurrentiel de la conception architecturale et urbaine.
La « gestion spatiale » a été abordée ici de manière large, afin de réunir des représentations variées de la notion de gestion. Celle-ci est en effet appréhendée différemment par les entreprises (qui structurent leur activité en prenant en compte la variable spatiale), les services publics (qui entretiennent leur patrimoine résidentiel, d’espaces publics et de réseaux d’assainissement), les concepteurs (qui envisagent le devenir des objets matériels qu’ils dessinent et réalisent) et les habitants (qui réfléchissent à l’entretien des équipements techniques de leur logement). Cette diversité d’approches permise par ce large périmètre s’est avérée utile pour rendre compte des interactions entre différents secteurs qui concourent à la production de la ville dans une perspective de durabilité. Les travaux réunis ici montrent que cette notion a une dimension heuristique : elle permet en effet d’analyser l’évolution des pratiques et des représentations au sein d’une structure qui envisage son travail en lien avec d’autres organismes ou à l’articulation entre plusieurs domaines d’activité. Se saisir de la « gestion » comme d’une activité pour laquelle plusieurs partenaires ont un rôle à jouer – concepteurs, maîtres d’ouvrage, services publics et habitants – permet de tisser un fil entre ces derniers et de saisir un processus global dans son évolution.