Participation et démarches innovantes : méthodes, postures et compétences

Élise Macaire et Nadine Roudil

p. 267-311

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Élise Macaire et Nadine Roudil, « Participation et démarches innovantes : méthodes, postures et compétences », Cahiers RAMAU, 6 | 2013, 267-311.

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Élise Macaire et Nadine Roudil, « Participation et démarches innovantes : méthodes, postures et compétences », Cahiers RAMAU [En ligne], 6 | 2013, mis en ligne le 02 novembre 2013, consulté le 03 décembre 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/401

Rencontrant un développement significatif au cours de ces dernières années, les expérimentations de la participation des habitants font l’objet d’une créativité toute particulière. Les méthodes offrent un panorama de l’étendue des explorations investiguées : dispositifs innovants de « mise en partage », démarches partenariales, association des habitants aux phases préliminaires des projets, création d’outils d’analyse et de représentation dédiés à la participation, etc. Ce sont aussi les postures professionnelles et les compétences propres à ces pratiques qui questionnent les métiers et les « modes de faire » traditionnels des acteurs du projet architectural et urbain à travers les fonctions d’animation, de médiation et d’accompagnement des projets.

avec les contributions de : Fabien Bressan, Robins des Villes, Marion Aubin, Point de rassemblement, Jean-Pierre Bouanha, Laboratoire international de l’habitat populaire, Murray Nelson, Bernard Kohn, Aude Lavigne, La manufacture des paysages, Sylvain Petitet, Egis-France et Atelier Villes et Paysages, Théa Manola, UMR Ladyss & Atelier de recherche Politopie, Thierry Foucault, Consultant, Elena Lasida, Faculté de Sciences sociales et économiques, Institut catholique de Paris, Rebecca Pinheiro-Croisel, Centre de gestion scientifique, Mines ParisTech

La question de la mise en œuvre des démarches et dispositifs d’implication des habitants, telle qu’elle apparaît à travers la réflexion menée par les professionnels, mérite un statut à part dans cette publication. Rencontrant un développement significatif au cours de ces dernières années, les expérimentations de la participation des habitants font l’objet d’une créativité toute particulière. C’est ce dont nous tentons de rendre compte ici à travers différents témoignages de professionnels, chercheurs et collectifs associatifs. Les méthodes offrent tout d’abord un panorama de l’étendue des explorations investiguées : dispositifs innovants de « mise en partage », démarches partenariales, association des habitants aux phases préliminaires des projets, création d’outils d’analyse et de représentation dédiés à la participation, etc. Ce sont ensuite les postures professionnelles et les compétences propres à ces pratiques qui questionnent les métiers et les « modes de faire » traditionnels des acteurs du projet architectural et urbain. Les fonctions d’animation, de médiation et d’accompagnement des projets montent en puissance, mettant au cœur des opérations les enjeux relationnels entre les parties prenantes. L’effort de capacitation relatif à l’entrée des habitants dans les processus de projet correspond ainsi à la mise en exergue de savoir-être habituellement plutôt valorisés dans les professions du travail social ou de la santé (écoute, empathie, attitude compréhensive, etc.). La technique ne semble pas disparaître pour autant mais est mise en sourdine ou est clairement destinée à servir l’expression des habitants et à opérer les transferts d’information vers les techniciens. Dans ce contexte, les codes culturels sont mis à l’épreuve et sont retravaillés à l’aune d’une meilleure intercompréhension et de langages plus facilement partagés : terminologies, iconographies, cartographies et approches communicationnelles comprenant l’utilisation des multimédias. Cette dernière partie de l’ouvrage fait donc une place importante à des retours sur expérience qui sont exposés par leurs protagonistes, responsables associatifs et chercheurs impliqués dans des expérimentations.

La participation des habitants dans les projets urbains. Une complexification du processus de projet au service de la démocratie participative ? (Fabien Bressan, Robins des Villes)

Les principes du développement durable placent la participation citoyenne comme un élément transversal dans l’ensemble des politiques publiques. Construire la ville durable s’accompagnerait donc obligatoirement de dispositifs impliquant les gens qui la vivent et la pratiquent. Par ailleurs, il existe une demande citoyenne d’ouverture des cercles de décision, qui peut se traduire par une phase conflictuelle d’opposition à un projet d’aménagement urbain. Aujourd’hui, il semble nécessaire de mettre en place un accompagnement pour faire entendre cette parole, à la fois du côté habitants mais aussi de la maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’œuvre. C’est ainsi que, depuis plus de quinze ans, Robins des Villes se pose en relais citoyen au service d’une ville conviviale et s’engage pour l’implication de tous dans l’aménagement du cadre de vie, plus d’échanges entre les différents acteurs de la ville, et un meilleur partage des décisions.

L’objectif est d’améliorer le cadre de vie urbain, qu’il touche à l’urbanisme ou à l’environnement, à l’architecture ou au patrimoine. Il s’agit de proposer un autre regard sur la ville, de sensibiliser les habitants à leur espace de vie et de les inciter à avoir une démarche participative. En donnant des outils nécessaires pour s’informer et être créatifs, l’association se pose en « facilitateur » au service de la ville et de ses habitants.

Méthodologie : principes et phasage

Robins des Villes se positionne comme un facilitateur de cette participation habitante et choisit de se placer au plus haut niveau de la participation, à savoir la coproduction (Arnstein, 1969). Celle-ci implique une mobilisation forte de tous les partenaires, la mise en place d’outils d’accompagnement et de relais, la création d’un échéancier de travail et des étapes de validation. Cette forme de participation intervient alors dans toutes les phases du projet.

L’idée est bien de placer les habitants et usagers au même niveau que les aménageurs et décideurs, afin que l’ensemble des acteurs participe à l’aménagement urbain suivant ses compétences. Et même si les élus conservent dans la plupart des projets les pouvoirs de décision, d’arbitrage et de gestion, de plus en plus de collectivités territoriales prennent le parti d’associer le public au processus décisionnel, et par là même de modifier les rapports entre démocratie participative et démocratie représentative, où habitants et usagers passent du rôle de spectateur à celui d’acteur.

De nombreuses expériences de participation se posent une question identique : comment toucher les « sans-voix », c’est-à-dire les nombreux citoyens qui ne participent pas (par manque d’information, par désintérêt pour les instances traditionnelles de participation, par sentiment d’illégitimité, etc.) ? Robins des Villes a choisi de se tourner vers ces « exclus » (jeunes en situation difficile, populations immigrées marginalisées, etc.) et tente de les impliquer au même titre que les autres publics participants.

La participation est donc un principe complexe, qui demande des compétences particulières. L’association se positionne comme quatrième acteur, jouant le rôle de « facilitateur », à l’intersection du triptyque d’acteurs habitants, élus, professionnels. Cette position impose une forme de neutralité tant dans le jeu d’acteurs que dans la réflexion sur le projet.

Robins des Villes a créé et expérimenté une méthodologie de concertation qui répond à l’ensemble des postulats décrits plus haut. Néanmoins, bien que fixe dans les textes, elle se veut adaptable à chaque contexte géographique et aux réalités des territoires. De même, un souci d’évaluation continue en permet l’évolution constante. Cette méthodologie se décompose en trois grandes étapes : le diagnostic partagé, la sensibilisation, les propositions opérationnelles.

Elle se veut pédagogique en reflétant le fonctionnement du projet urbain.

La première étape de travail consiste à construire un diagnostic partagé des espaces extérieurs (publics et/ou collectifs). L’objectif est double : enrichir l’analyse du territoire des professionnels et identifier les secteurs à enjeux du quotidien. Pour ceci, deux phases s’enchaînent : une phase de lecture et de compréhension du territoire (appelée « rencontres et déambulations »), grâce aux lectures, observations, entretiens formels et informels, interventions sur l’espace public, qui débouche sur une analyse sensible sous forme de cartographies sommaires des lieux de concertation, des usages, des perceptions… Ce « prédiagnostic » est ensuite mis en dialogue auprès de groupes mobilisés pendant la rencontre-déambulation. Des ateliers sont donc organisés afin de faciliter l’échange et le débat avec les participants, sous différentes formes permettant l’expression de tous types de publics (balades, ateliers photos, de slam, de graff, utopiques, de contes…).

Les thématiques sorties de ce diagnostic sont ensuite travaillées dans des ateliers de sensibilisation, dans le but de donner des clés de lecture aux participants et ainsi favoriser leur passage d’un rôle d’observateur à celui de réelle force de proposition. Là encore, plusieurs formes sont possibles : visite de site, exposition, conférence, ciné-débat, etc.

Enfin, la troisième étape est celle de la coproduction sur des thématiques ou des espaces issus du diagnostic. Les participants sont appelés à exprimer des propositions d’action ou d’aménagement dans le cadre d’un projet. Les formes de rendu sont multiples : plans, maquettes, photos références, cahiers des charges.

Les freins identifiés :

  • Des hommes et des femmes politiques deviennent des élus locaux grâce au suffrage universel : de fait, le droit leur accorde un pouvoir de décisions collectives essentiellement régalien, appelé intérêt général. Certains estiment que le processus de participation peut facilement « donner raison » à des intérêts particuliers exclusifs, les obligeant à un arbitrage qui les met en situation délicate dans des contextes cristallisant souvent les passions d’administrés qui n’intégreraient pas la complexité des enjeux.

  • Pour les investisseurs, qui ont investi sur une opportunité foncière, la logique est essentiellement financière, et ce à terme le plus court possible : ils n’aiment donc pas le temps perdu en discussions, par exemple sur des sujets concernant la mémoire des lieux, le charme des délaissés urbains ou les pratiques sociales alternatives.

  • Les concepteurs, qu’ils soient architectes, paysagistes ou urban designers, sont destinés à mettre en œuvre les formes du dessein de leurs commanditaires. En tant qu’« hommes de l’art », ils ont les compétences techniques, assument les conséquences juridiques, et sont donc légitimes pour faire entendre leur vision du projet. Beaucoup considèrent les approches participatives comme un phénomène démagogique et se sentent submergés par des propositions incompatibles avec les leurs, en fait une remise en cause de leur métier et de leur savoir-faire.

  • Enfin, les habitants sont méfiants. D’abord parce que le système français de production de la ville ne laisse presque aucune place à l’initiative citoyenne. Ensuite parce que l’essentiel des démarches de concertation sont menées du haut vers le bas (le « débat public d’élevage1 ») et sont souvent source de frustrations : projets ficelés, marges de manœuvre réduites, récupération politique, non-reconnaissance ou non-légitimation des démarches du bas vers le haut (le « débat public sauvage2 »), autant de raisons qui freinent l’implication citoyenne.

Le positionnement de Robins des Villes en tant que facilitateur reste souvent complexe à tenir et suppose une capacité d’adaptation et d’écoute tout au long des missions. Si l’association propose une méthodologie structurée en différentes étapes clés, la formalisation des compétences et des approches des membres de l’association reste assez succincte. La méthodologie proposée offre une grande marge d’appropriation et d’interprétation possibles des intervenants. Cette indétermination, source de créativité et potentiellement génératrice d’une réelle valeur ajoutée, n’est cependant pas sans risques (personnalisation des missions, perte de distance critique par rapport au projet, difficulté de transmission et de capitalisation au sein de l’équipe…). Le fonctionnement de l’association repose ainsi sur le partage d’un certain nombre d’aptitudes et de valeurs non formalisées :

  • une appétence pour les sciences sociales et un certain bagage méthodologique en termes de techniques d’enquête sur le terrain (malgré des formations et parcours professionnels variés : architecture, urbanisme, métiers des arts et de la culture, sciences politiques, sociologie…) ;

  • des expériences préalables en termes de participation, qu’elles touchent à l’urbanisme ou à d’autres domaines (art sur l’espace public, jardins partagés…) ;

  • la recherche et l’exigence de décisions prises de façon « horizontale » et concertées au quotidien ;

  • un engagement associatif préalable ou complémentaire au travail au sein de Robins des Villes dans le domaine social, culturel ou sportif (AFEVAssociation de la fondation étudiante pour la ville, GENEPI-Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées, association sportive, collectif d’habitants…) ;

  • une capacité à éprouver de la sympathie pour les interlocuteurs (notamment habitants) et à être sympathique ;

  • une capacité à faire face aux retournements de situation et à adapter son positionnement en arbitrant entre éthique et pragmatisme. Ce dernier élément est particulièrement décisif. Ce que certains pourraient appeler « bricolage » ou « improvisation » reste une garantie de la pertinence des missions. Ce sont en somme des qualités professionnelles et personnelles qui relèvent autant du « savoir-être » que du « savoir-faire ».

Fig. 1 : Atelier de concertation avec des habitants

Fig. 1 : Atelier de concertation avec des habitants

© David Desaleux, photographe

Bibliographie

ARNSTEIN S., 1969, « A ladder of citizen participation », American Institute of Planers Journal. ASCHER F., 1995, Métapolis, L’avenir des villes, Ed. Odile Jacob.

BOURDIN A., 2000, La question locale, PUF. BRATOSIN S., 2001, La concertation : forme symbolique de l’action collective, L’Harmattan.

BRESSAN F., 2004, La participation dans les projets d’aménagement urbain, Mémoire DESS, IAUG.

CAUWENBERGHE VAN. J.-C., 1980, Rendre la ville aux citoyens, Ed. Labor.

Grand Lyon, 2006, La concertation dans la conduite de projet, Guide méthodologique.

HATZFELD H., 2005, Faire de la politique autrement. Les expériences inachevées des années 1970, Adels, Presses universitaires de Rennes.

MONGIN O., 2006, « Forces et faiblesses de la participation. La petite démocratie et la grande démocratie. De la concertation au pouvoir effectif des citoyens », Esprit n° 326, juillet.

Processus participatif d’invention, programmation et production d’espace partagé. Retour d’expérience et témoignage réflexif sur Le Germoir (Marion Aubin, Point de rassemblement)

En plein cœur du projet urbain des Berges de Seine à Bezons, un groupe d’habitants a inauguré le 1er juillet 2012 un espace partagé, sur une parcelle de 600 m², en entrée de ville : Le Germoir. Le groupe souhaite ouvrir ce lieu à l’ensemble des usagers des bords de Seine. Une négociation est engagée avec les acteurs locaux pour intégrer de façon pérenne cette initiative dans la définition de l’aménagement des Berges de Seine porté par l’agglomération Argenteuil-Bezons. Il nous semble important d’interroger le positionnement des collectifs

Point de rassemblement et Les Saprophytes à l’origine du projet qui a donné naissance au Germoir. Situé entre animation sociale et urbanisme, il est intéressant de connaître l’économie de ce type d’action et l’articulation concrète entre ce projet urbain participatif et le projet d’aménagement dans lequel il s’inscrit.

Les outils et méthodes mis en œuvre pour l’accompagnement du processus participatif ont conduit à la naissance et à la reconnaissance d’un collectif d’habitants, à l’émergence d’une analyse commune de leur environnement, à l’expression de celle-ci à travers notamment l’écriture d’un « Petit Guide subjectif du quartier du Colombier par et pour les habitants de Bezons3 », à l’élaboration collective d’un programme permettant de répondre à différents besoins identifiés localement, et abouti enfin à la négociation et à la réalisation du projet issu de ce programme.

Positionnement

Les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes ont répondu en 2009 à un concours lancé par le CAUE 95 (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) sur des secteurs connaissant un déficit provisoire de programmation urbaine. Ils ont vu dans ce concours l’occasion de proposer un processus participatif de programmation urbaine et d’autoproduction d’un espace partagé articulé avec le projet urbain local.

Le collectif Point de rassemblement est composé de professionnels de l’aménagement, de l’architecture et du développement culturel. Il a choisi de placer son action à l’interface entre des dynamiques et expérimentations sociales informelles, les institutions et les opérateurs urbains. Ce positionnement lui permet de se situer à la marge d’un contexte opérationnel classique, non pas de s’en abstraire ni d’en constituer un ornement mais bien au contraire d’en négocier la porosité, l’interface avec le milieu social et citoyen dans lequel il intervient. Sa démarche s’approche du community organizing, endossant un rôle de stimulateur d’interactions et d’accompagnement à l’expression de besoins. Le moyen d’y répondre se trouve, selon lui, dans l’activation de la capacité d’agir collective et individuelle ordinaire, en négociation avec les acteurs opérationnels, institutionnels et financiers.

Ce positionnement de médiateur, à mi-chemin entre animation sociale, conseil et maîtrise d’œuvre urbaine, interroge la place du collectif dans le jeu d’acteurs urbains. Ni usager, ni institution, ni opérateur économique ou technique, Point de rassemblement a un positionnement fragile et non légitime a priori. Sa pérennité (et la « réussite » de son intervention) repose sur une relation de confiance établie patiemment avec l’ensemble des acteurs. Celle-ci est instable et sans cesse renouvelée.

Economie de projet

Le projet du Germoir a séduit la Ville (à travers l’élue de quartier et la chargée de développement du centre social), qui initie alors une réflexion sur sa mise en œuvre. Le CAUE 95 accompagne les premières réunions mais communique rapidement son incapacité à financer les projets lauréats.

Le Germoir

Le Germoir est une proposition, pensée en coordination avec les chargés de projet de rénovation urbaine et le Centre Social de la ville de Bezons, adaptée au contexte et aux besoins du quartier. Elle est lauréate du concours Petite Architecture citoyenne organisé en 2009 par le CAUE 95.
Le Germoir mobilise les habitants (450 logements, 2 000 habitants) et favorise le lien entre habitants historiques et futurs usagers du quartier. Ce faisant, il initie un processus à long terme de valorisation des dynamiques sociales à l’œuvre sur le quartier à travers la programmation, l’autoconstruction et l’autogestion d’un espace partagé. Le Germoir constitue également à court terme un support d’information sur les transformations en cours et à venir du quartier ainsi qu’un dispositif adaptable, permettant de pallier les déficits temporaires d’espaces verts et de loisirs générés par les décalages de planning dans l’aménagement du quartier. Il constitue enfin un accompagnement au dispositif existant de Gestion urbaine de proximité (GUP). Le Germoir est devenu, par la mobilisation d’un nombre croissant de personnes et l’appui bienveillant du centre social du Colombier, un lieu de vie, de rencontre, de projet, un jardin potager et d’agrément, un espace d’activités, de jeux ou de repos pour tous.

Une négociation avec les partenaires du projet urbain Bords de Seine (dont ceux du projet de renouvellement urbain) est engagée par la Ville. Seul le bailleur ABH, principal bailleur démolisseur, s’engage finalement au côté de la Ville dans la démarche et son financement. La définition du dispositif est affinée ensuite pendant un an en liaison avec ABH et différents services de la Ville (équipe-projet ANRU, équipe de développement social, architecte-urbaniste conseil, services techniques « espaces verts », services « sécurité » et « communication », etc.). Le processus ainsi défini sur deux ans prévoit un grand nombre d’heures de pilotage (temps indispensable à l’établissement de la confiance, à l’adaptation et à la négociation permanente du projet) et d’animation.

Le coût du projet sur deux ans est estimé à 83 000 €. La majeure partie du coût du projet est supportée par les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes, à travers la recherche de subventions (Fondation de France, Archipel des utopies) et sur fonds propres. La Ville et le bailleur participent chacun, dans le cadre d’une convention tripartite, à hauteur de 17 000 € (8 500 € par an). Ces crédits correspondent à des financements ACSE et Politique de la ville. D’autres apports de la Ville et du bailleur sont également à valoriser (présence aux ateliers, prêt de salles, participation aux repas partagés, etc.).

Ce portage financier via des enveloppes « développement social » favorisera l’articulation du Germoir avec le projet urbain.

Outils et méthode

La démarche repose sur l’instauration d’une relation de confiance réciproque nécessitant de créer l’espace de la rencontre avec les habitants. Incarné par l’arrivée dans le quartier d’un « jardinier voyageur », ce temps s’est peu à peu enrichi d’expériences partagées, au fil des rencontres avec ce jardinier et au cours des ateliers pendant les deux ans qui ont suivi cette arrivée, favorisant particulièrement les liens entre habitants. Un groupe s’est ainsi constitué.

La première année du projet a consisté, à travers des temps d’atelier réguliers d’un à deux jours, à explorer l’environnement et à identifier collectivement des ressources et besoins, ainsi qu’à mettre en perspective ceux-ci dans le contexte de rénovation du quartier prévoyant la transformation profonde des lieux et l’arrivée de nouveaux habitants et usagers (bureaux) : chasse au trésor permettant de (re)découvrir des espaces remarquables, des modes d’habiter particuliers (notamment les péniches) et d’identifier les essences de plantes comestibles ou exotiques présentes dans le quartier ; impressions végétales sur tissu et constitution d’un herbier ; cartes mentales ; repas partagés ; discussion avec la Ville sur le projet urbain ; construction de mobilier et jeux mobiles pour l’espace public, etc. Il était aussi essentiel que le fruit de ces expériences soit partagé et transmis, d’où la rédaction collective d’un « Petit Guide subjectif » à destination des autres habitants et futurs usagers de la ville. Une soirée de vernissage du guide a marqué la fin de cette première année, celle-ci s’est déroulée dans un logement d’un immeuble dont la démolition était programmée.

La deuxième année a été consacrée à la définition d’une programmation répondant aux enjeux identifiés précédemment, puis au dessin, à la construction de l’espace, et enfin à l’organisation de la gestion collective du lieu.

La présence des collectifs et les temps d’ateliers se poursuivent sur les troisième et quatrième années du projet mais se font plus rares, le groupe s’appropriant de plus en plus la démarche et son projet, avec le parrainage du centre social Le Colombier.

Fig. 1 : Le Germoir (Bezons, 95870). Un projet mené par les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes

Fig. 1 : Le Germoir (Bezons, 95870). Un projet mené par les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes

Maîtrise d’ouvrage : Mairie de Bezons, bailleur ABH, 2009-2012.

Stains : expérimenter l’invention collective, en responsabilité, d’un savoir populaire de l’habiter (Jean‑Pierre Bouanha, LIHP – Laboratoire international pour l’habitat populaire)

Le Laboratoire international pour l’habitat populaire (LIHP) a engagé un travail à la demande de la municipalité de Stains (Seine Saint-Denis), qui, au terme d’un important cycle de rénovation urbaine, et consciente de l’importance et des limites des concertations pratiquées avec les habitants, a souhaité renouveler et élargir ses démarches. La ville de Stains a alors voulu associer le LIHP à une conception partagée et maîtrisée des aménagements à venir, inscrite dans la durée.

Pour le LIHP, ce projet est un « chantier » parmi d’autres à inscrire dans le débat international sur les questions d’habitat : des relations étroites et régulières sont, par exemple, établies avec la municipalité de Bogota pour l’aménagement et l’intégration d’un « quartier » périphérique de la ville. Les projets auxquels s’est associé le LIHP sont, pour lui, des occasions et des moyens d’approfondir, de faire évoluer et de formaliser, dans un travail de recherche et d’expérimentation, et de soumettre à l’expérience des faits, les éléments stratégiques et théoriques qui fondent sa démarche. Ces éléments s’organisent en particulier autour :

  • Du refus de positions expertes dominantes et de tout monopole ainsi que des positions qui seraient fondées sur la priorité des savoirs, des représentations et des attentes des usagers présents ou futurs : les uns et les autres étant considérés comme porteurs de vérités qui s’imposeraient en l’état. A cet égard, si la domination des experts commence à être critiquée, la position de beaucoup à propos des qualités des quartiers dits informels (bidonvilles) devrait appeler une réflexion approfondie.

  • De la volonté de ne pas juxtaposer des études ou des consultations sur des problématiques émiettées (par exemple : emploi, santé, éducation, loisirs, famille, culture…) mais de les penser à l’intérieur d’un processus de production commun : des personnes différentes mettant alors en commun leurs savoirs du moment (qu’elles font ainsi évoluer) en se confrontant à une situation commune et également nouvelle pour chacun.

  • De la nécessité de se donner les moyens et le temps de poser les problèmes avant de débattre de « solutions » : rechercher par exemple des causes derrière des effets symptomatiques, mesurer l’importance des conditionnements qui modèlent toutes les perceptions spontanées et caractérisent des solutions imposées par l’urgence, etc.

  • Du rôle structurant du politique : seule une conception plus large et plus démocratique de l’action politique et de ses responsabilités est en mesure de permettre et de soutenir des démarches de transformations progressistes ; cela, en faisant valoir l’intérêt général, la permanence d’une volonté de se projeter collectivement dans la transformation d’une ville.

Au plan méthodologique, le « choix » d’une démarche générale de recherche et d’expérimentation à conduire sous forme de recherche-action stratégique s’est imposé. Démarche qui est plus qu’un outil au service d’un projet car elle en est au cœur et à la source de dynamisme, de création et de démocratie. Elle est donc à construire, comme sont à rendre créatrices les tensions de tous ordres qu’elle génère. A Stains, ce choix éminemment politique exprimé dans un contexte de difficultés importantes et en vue d’objectifs ambitieux a conduit depuis à la création de différentes formes d’ateliers d’échanges et d’analyses.

En particulier et chronologiquement :

  • Des ateliers au cours desquels les trois acteurs initiaux – élus, citoyens et LIHP – ont eu l’occasion de présenter leurs propositions et les raisons qui les sous-tendent : la politique municipale, les attentes de la population, les hypothèses stratégiques et méthodologiques du LIHP. L’objectif principal était de contribuer à élever et homogénéiser le niveau de conscience de la nature et des enjeux des problèmes, d’esquisser une stratégie et les moyens de mettre à la disposition de tous les informations et les données maîtrisées par certains (cartographies, projets de construction à venir, évolution des modes de transport, etc.), de les définir et d’imaginer selon quelles modalités elles pourraient être rendues accessibles.

  • Des ateliers d’études dans le milieu urbain. Ateliers animés par des représentants du LIHP (architectes, urbanistes, chercheurs, étudiants…) ayant pour objectif de construire, sur site, des comportements distanciés et ouverts face à des réalités familières mais mal connues et des points de vue peu conscients des conditionnements qui pèsent sur eux. Il s’est agi d’engager en commun la construction de réflexions individuelles et collectives sur la ville. Par exemple, lors d’un de ces ateliers en milieu urbain, a été abordée et débattue la question de la résidentialisation, qui a permis une prise de conscience sur le bien-fondé (ou non) de cette pratique par le constat collectif in situ.

  • Une synthèse publique a eu lieu. Elle a permis de proposer de nouveaux ateliers de recherche et de production ouverts à de nouveaux partenaires institutionnels en ayant le double objectif de continuer à enrichir les échanges d’information et de préparer des recherches-actions qui structureront le travail à venir. Par exemple, une recherche menée avec les établissements scolaires et les bibliothèques de la ville sur l’image de la ville dans la littérature de jeunesse et l’histoire des images de Stains dans la presse locale ou régionale. Les observations et les réactions produites ont été présentées en public (expositions dans la ville) pour être débattues et approfondies collectivement.

Quel bilan faire aujourd’hui ? S’il est prématuré de tirer des conclu sions d’un projet qui s’organise et qui est caractérisé par son ambition et sa démarche, il est possible de souligner quelques domaines sensibles où des efforts d’évaluation sont engagés et à approfondir.

  • La participation des acteurs. La présence régulière de citoyens et de représentants des secteurs associatifs est un premier élément de validation de la démarche : elle est à pérenniser. Mais l’implication des habitants, si elle complète heureusement l’habituelle structure binaire (décideurs politiques et professionnels du bâti), doit être améliorée en prenant en compte ou en associant des composantes qui pèsent sur la production (les modèles valorisés, les moyens privilégiés, les intérêts économiques…).

  • L’émergence de premiers éléments d’analyse des échecs des solutions imposées « d’en haut » et de compréhension des limites des expériences de démocratie participative, matérialisées par l’insatisfaction des intervenants et la faible implication des usagers, montre que ceux-ci sont souvent confinés dans le rôle de caution d’un processus dont ils n’ont aucune maîtrise.

  • La définition du rôle des usagers (citoyens) et la redéfinition du rôle des autres acteurs (aujourd’hui, ici, des élus et des professionnels du bâti). On soulignera qu’il ne peut y avoir de solution a priori et que la difficulté résulte du fait que ce sont les initiateurs du projet (élus et professionnels du bâti) qui doivent modifier leurs comportements pour que le « tiers entrant » (les citoyens) soit en mesure de construire sa place.

Le LIHP

En 2008, Jean-François Parent, architecte, fonde à Medellín (Colombie), avec des élus locaux, des universitaires, des architectes, des urbanistes et des représentants populaires, français et étrangers, le Laboratoire international pour l’habitat populaire (LIHP). En 2009, le LIHP est créé en association loi 1901 en France. Maurice Charrier, ancien maire de Vaulx-En-Velin, en devient président jusqu’en 2011, date à laquelle Jean-François Parent lui succède à ce poste jusqu’à ce jour. Jean-Pierre Bouanha, architecte, rejoint le Laboratoire en 2010 en tant qu’administrateur trésorier et membre du comité scientifique. Actuellement, ils animent ensemble le LIHP. La mission principale du Laboratoire est d’être l’outil d’une démarche de transformation, et de faciliter la dynamisation radicale du système de production de l’habitat populaire à partir d’une analyse renouvelée et permanente des situations.

Pour les architectes et les urbanistes, des champs importants d’évolution à maîtriser ont émergé. En particulier à propos de la nécessité d’entrer dans des démarches de recherche et de prendre en compte les implications de ce choix ; de s’inscrire dans des champs de préoccupation élargis (penser « habitat et ville » et non « logement » seulement, mais aussi écologie globale, infrastructures, économie d’énergie et environnement…) ; d’apprendre à travailler collectivement, affirmer une identité nécessaire, même si elle doit évoluer.

Fig. 1 : Travail en atelier

Fig. 1 : Travail en atelier

Fig. 2 : Balade urbaine à Stains

Fig. 2 : Balade urbaine à Stains

En résumé, pour les architectes et les urbanistes, les évolutions qui s’esquissent et s’imposent concernent davantage l’ensemble des facteurs qui conditionnent la perception sociale et la perception de la production architecturale que des aspects techniques de leur métier. Ce qui est expérimenté à Stains est à certains égards une démarche de « désaliénation » et de responsabilisation, en vue de la conception et de la production d’un habitat générateur d’innovation sociale.

La manufacture des paysages… Penser le patrimoine et les territoires de demain (Murray Nelson, Bernard Kohn, Aude Lavigne, La manufacture des paysages)

Des pratiques de l’urbanisme émergentes accordent une place plus importante aux habitants et usagers des équipements dans le processus de conception de l’aménagement urbain. Une sensibilisation générale à l’environnement qui a débuté il y a une trentaine d’années a induit, au-delà d’une compréhension des phénomènes en jeu, une volonté d’implication des citoyens dans les choix de la cité. En parallèle, un apprentissage grandissant du « regard critique » et une plus large appropriation du « beau » favorisent l’expression citoyenne sur les formes urbaines et architecturales qui apparaissent comme le décor de la vie quotidienne de ces habitants.

L’association La manufacture des paysages répond depuis plusieurs années à ces mutations de la société en proposant des services au croisement de deux compétences : celle de l’urbanisme et de l’aménagement, et celle de la concertation. Une approche transversale, interdisciplinaire et intergénérationnelle vise, dans un même temps et dans une même démarche, les quatre catégories d’acteurs d’ordinaire impliqués dans un questionnement rural/urbain : les habitants, les élus, les professionnels et les administrations. Basée sur l’élaboration, l’acceptation et la pratique de langages communs, elle fait le pari de l’émergence de solutions communément acceptables pour toute problématique d’aménagement.

La manufacture des paysages

Face au modèle d’urbanisation « banalisante » actuelle, La manufacture des paysages souhaite être un lieu citoyen de questionnement critique et constructif et de propositions alternatives. Ainsi, l’association agit à la croisée :
 - de l’architecture, de l’urbanisme, du paysage, et de la pédagogie et du dialogue ;
 - des publics : élus, techniciens, professionnels, habitants, jeunes.
Avec une démarche participative et éducative, elle invite à passer du rôle de spectateur à celui d’acteur du territoire. Pour cela, l’association s’attache à diversifier les langages pour permettre à tous de s’approprier les questions d’aménagement des territoires. Dans un but de partage et de démocratisation, ses outils font appel à la manipulation, l’écoute, l’expression, l’observation, la mise en situation.
www.lamanufacturedespaysages.org

Quels sont les facteurs de réussite ou d’échec des interventions de La manufacture des paysages ? Y a-t-il des constantes permettant d’ériger une « théorie » en matière d’implication des habitants et usagers ? Comment généraliser ces pratiques et inciter davantage de collectivités à engager un tel travail préalablement à chaque décision majeure d’aménagement ? Le « militantisme » est-il un prérequis pour proposer de telles actions, dans la mesure où il permet une implication importante en temps et en énergie du prestataire ? Telles sont les questions que se pose en permanence l’association et auxquelles des réponses commencent à se dessiner. La manufacture des paysages se propose de partager son expérience et son analyse de plusieurs années de pratique en vue, d’une part, de permettre la multiplication des initiatives et, d’autre part, de les améliorer.

Des techniques de médiation ont été développées pour faciliter, dès le départ, une écoute réciproque des différents acteurs, ouvrant la possibilité d’analyses croisées des enjeux, puis de l’élaboration de « concepts » discutés et approuvés par tous les participants. Partant du précepte de la légitimité du point de vue de chacun, ces techniques visent une sorte d’autoformation démocratique des membres du groupe. Elles s’accompagnent d’outils divers – maquettes à construire, photos aériennes et obliques, plans, mais aussi ficelles, cartons, papiers à découper et punaises, etc. – élaborés dans le but de favoriser une implication pratique de chacun. C’est dans le maniement des outils que s’effectue en grande partie la médiation entre membres du groupe, permettant d’atteindre un consensus.

Fig. 1 : La maquette, un outil qui accompagne les habitants et les maîtres d’œuvre

Fig. 1 : La maquette, un outil qui accompagne les habitants et les maîtres d’œuvre

Fig. 2 : La parole se libère, aidée par la maquette et les photographies aériennes

Fig. 2 : La parole se libère, aidée par la maquette et les photographies aériennes

Ces techniques sont de deux ordres :

  • des dispositifs d’animation de réunions, d’ateliers…

  • des outils visuels de dialogue : maquette, photo, sortie sur le terrain, croquis.

Dans les deux cas, deux objectifs sont visés

  • permettre à des personnes initiées (et parfois « formatées ») de dialoguer avec des personnes non-initiées, et

  • modifier les relations classiques existantes entre élus/professionnels/ citoyens afin que le nouvel équilibre permette la créativité et l’accueil d’idées nouvelles.

Quelle place pour la Bouquerie ? Des ateliers d’urbanisme pour imaginer Lodève demain.

La ville de Lodève, a souhaité associer les habitants à sa réflexion sur son évolution urbaine et, concrètement, sur la première étape : la réhabilitation de la place de la Bouquerie. La concertation, animée par La manufacture des paysages, s’est déroulée en amont de la conception, selon cinq étapes :
 - un stand sur le marché, pour éveiller des questionnements sur les espaces publics et susciter l’envie de participer.
 - trois ateliers d’urbanisme sur la place, pour recueillir les points forts et les problèmes de la Bouquerie au regard des vécus des habitants du quartier et aboutir à des élémentsde programme partagés.
 - une restitution auprès des habitants, pour validation, avant restitution aux élus et techniciens. Plusieurs dispositifs ont été utilisés : sortie in situ, spatialisation sur photographie aérienne, simulations en maquette, « photo-langage », travaux individuels en petit groupe et débat. Les vécus et recommandations ont nourri le cahier des charges transmis aux concepteurs.

Fig. 3 : Restitution sur la place de la Bouquerie à l’issue de la concertation

Fig. 3 : Restitution sur la place de la Bouquerie à l’issue de la concertation

Il est important de noter que La manufacture des paysages ne s’est jamais retrouvée en situation de conflit dans un rôle de médiation. Elle intervient aujourd’hui plutôt en tant qu’accompagnateur et animateur de dialogues sur les questions liées aux espaces et à leur aménagement à différentes échelles.

Ainsi, une double compétence pédagogie/animation et architecture/ urbanisme/paysage est nécessaire, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette double compétence va permettre de concevoir des dispositifs et outils adaptés aux questionnements soulevés. Ensuite, elle va accompagner la préparation des élus, techniciens et professionnels au dialogue : ils doivent apprendre à sortir d’un vocabulaire trop « conceptuel » et adopter un langage plus « concret ». Par exemple, quand un urbaniste parle « d’agrafes urbaines », qu’est-ce que cela signifie réellement ? Au moment des discussions ou autres temps de travail, la double compétence pédagogique et technique de La manufacture des paysages va aider à jouer un rôle de « traducteur » et faciliter la reformulation, là encore pour que les langages s’accordent afin de favoriser la compréhension mutuelle. Son action se situe alors à l’interface entre les concepteurs (architectes, urbanistes…) et les animateurs issus du mouvement de l’éducation populaire, ce qui a permis de professionnaliser son activité. Cette double compétence va permettre, à l’issue d’un processus de dialogue, de formuler des recommandations, des propositions dont les élus et techniciens pourront se saisir lors des décisions ou du passage à l’opérationnel.

Faire la ville autrement, un urbanisme participatif pour densifier les quartiers d’habitat pavillonnaire (Sylvain Petitet, Egis‑France et Atelier Villes & Paysages)

Si les projets d’écoquartiers développés par les collectivités permettent d’avancer vers des villes plus « durables », ils ne constituent qu’une part infime de la production urbaine et s’inscrivent le plus souvent dans des modes de production de la ville traditionnels caractérisés par une maîtrise foncière publique. Par ailleurs, on sait que les quartiers urbains connaissent des cycles d’attractivité-dévalorisation et nécessitent un investissement public périodique pour retrouver leur attractivité. Ainsi, les quartiers d’habitat collectif (souvent sociaux) construits après-guerre et jusque dans les années 1970 sont depuis de longues années l’objet de politiques d’amélioration aussi bien d’un point de vue technique qu’urbain dans le cadre de la politique de la ville et des financements de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine). Les quartiers historiques ont eu aussi leurs politiques de réhabilitation et leurs OPAH (Opérations programmées d’amélioration de l’habitat). De même, les friches industrielles centrales ont vu se développer des opérations de renouvellement urbain (immobilier de logement ou tertiaire) associant financements publics et privés. Egis et Atelier Villes & Paysages font aujourd’hui le double constat de la nécessité et de la difficulté à intervenir sur certaines zones des proches périphéries urbaines, quartiers d’habitat pavillonnaire (souvent sous forme de lotissements), zones d’activités économiques ou zones commerciales d’entrée de ville, très peu denses, mal desservies par les transports collectifs, aux logements ou bâtiments mal isolés thermiquement. Ces quartiers ou zones sont aujourd’hui en voie d’obsolescence, en décalage croissant avec la production actuelle. Il est donc nécessaire d’intervenir afin d’améliorer les performances thermiques et d’usage des bâtiments, retravailler sur des formes urbaines fermées sur elles-mêmes, favoriser le développement de modes de déplacements alternatifs à l’automobile. L’un des écueils majeurs rencontrés réside dans l’impossibilité d’une maîtrise foncière publique pour développer des projets et la dispersion de la propriété privée. Les outils classiques de l’aménagement public sont donc ici inopérants, et, pour les quartiers d’habitat pavillonnaire, le seul levier dont semblent disposer les collectivités réside dans l’augmentation des droits à construire lorsque cela s’avère compatible avec un éventuel règlement de lotissement.

Mais peut-on attendre d’initiatives privées souvent purement opportunistes (divisions parcellaires, construction de petits collectifs) une évolution qualitative de ces quartiers ? Si ces initiatives peuvent conduire à une certaine densification, elles suscitent souvent l’hostilité d’une partie importante des voisins, qui y voient une dégradation de leur cadre de vie, et elles n’apportent aucune réponse aux faiblesses avérées des formes urbaines (voiries en impasse ou en raquette, quartiers mal reliés à la ville), bien au contraire.

Afin d’initier un processus de mutation dans ces quartiers, il nous semble indispensable de changer radicalement les processus d’aménagement urbain, presque de l’inverser. Plutôt que de soumettre à la population un projet urbain conçu par un concepteur en fonction des objectifs de la collectivité, il s’agit en effet de coconstruire avec les habitants, sur la base d’un diagnostic partagé, un projet d’aménagement qu’ils mettront eux-mêmes en œuvre en cohérence avec les objectifs urbanistiques de la collectivité. Ce projet s’appuie sur la valorisation économique individuelle d’un foncier disponible à recomposer au service d’une amélioration de la qualité urbaine du quartier, au profit de l’ensemble de ses habitants et en cohérence avec les objectifs de la collectivité. La démarche proposée par Egis et Atelier Villes & Paysages, baptisée « Eco-réhabilitation », se déroule en trois temps ponctués de deux moments de décision collective sur l’opportunité ou non d’aller plus loin.

La première phase consiste en l’établissement d’un diagnostic partagé sur la base, d’une part, d’une enquête qualitative menée auprès des habitants et concernant les besoins, les attentes, les projets des habitants vis-à-vis du quartier et de leur logement et, d’autre part, d’une analyse urbanistique, technique, juridique et économique du quartier permettant de repérer ses potentialités, ses enjeux mais aussi ses dysfonctionnements et ses faiblesses.

Cette double approche, menée conjointement, permet de partager un diagnostic du quartier et d’évaluer l’opportunité de poursuivre ou non la démarche (codécision élus-habitants).

La deuxième phase consiste en la co-construction avec les habitants, dans le cadre d’un atelier d’urbanisme participatif, d’un projet pour le quartier à partir de séances thématiques : habitat, voirie et déplacements, espaces et équipements publics, paysage, eau, énergie, déchets… A l’issue de cette phase, les élus, habitants et propriétaires disposent d’un projet d’aménagement pour le quartier et des outils pour sa mise en œuvre, ils peuvent alors décider de s’y engager ou non.

La troisième phase est celle de la mise en œuvre du projet collectif par les habitants pour les éléments qui leur incombent (restructuration du foncier, développement de projets individuels) dans un cadre mis en place par la collectivité (adaptation du cadre réglementaire pour permettre et orienter la mutation du quartier à travers la modification du PLU, la mise en place d’orientations d’aménagement).

Cette démarche constitue aujourd’hui pour Egis et Atelier Villes & Paysages une démarche en cours de développement qui suscite un vif intérêt de la part d’élus souvent conscients des problèmes posés par un mode de développement urbain extensif et intéressés par une intervention possible sur des quartiers aujourd’hui exclus des politiques urbaines. Pour les cabinets d’architecture et d’urbanisme il s’agit non pas à proprement parler d’un marché émergent mais plutôt d’un marché qu’il faut faire émerger. Au-delà de contacts prometteurs, seule une expérience démarre aujourd’hui.

Une telle démarche semble aussi transformer assez fondamentalement les modes de production urbains et le rôle de l’urbaniste dans ces processus. Il s’agit en effet moins de concevoir un morceau de ville et d’en assurer la maîtrise d’œuvre pour une collectivité publique que de co-construire avec les habitants un scénario d’évolution de leur quartier et d’assister les habitants et la collectivité dans sa mise en œuvre en faisant preuve d’inventivité en matière juridique, procédurale et financière pour élaborer des solutions adaptées au contexte rencontré. La rencontre des habitants ne s’effectue plus dans le cadre d’une procédure d’enquête publique sur la base d’un projet déjà élaboré mais constitue bien l’élément essentiel pour le démarrage du processus et l’élaboration d’un projet partagé. La sélection du professionnel retenu pour cette mission ne se réalise pas sur la base de sa force de conviction et de la qualité de son projet, mais sur celle de sa capacité à initier une démarche, animer une réflexion, proposer des solutions pour sa mise en œuvre et assurer assistance et suivi auprès de ses acteurs.

Eco-réhabilitation du quartier de la Piverdière à Bouchemaine

La densification des zones d’habitat pavillonnaire s’inscrit dans l’un des chantiers d’agence portés par l’Agence d’urbanisme de la région angevine (AURA). La Mairie de Bouchemaine et l’AURA ont souhaité expérimenter la méthodologie proposée par l’Atelier Villes et Paysages sur un quartier de la commune soumis à une certaine pression foncière. Le quartier de la Piverdière se situe en limite sud de la ZAC Val-de-Maine et regroupe à la fois des lotissements des années 1970 et des constructions en diffus sur de grandes parcelles en bordure du chemin de la Piverdière.
La première phase, lancée en janvier 2013, a consisté en une démarche de diagnostic et de concertation entre la commune de Bouchemaine et les habitants de ce quartier pour déterminer les attentes et les intérêts des habitants vis-à-vis d’une approche de restructuration organisée à l’échelle de l’ensemble du quartier. La phase de concertation a été lancée par une réunion publique et a comporté une enquête par entretiens auprès de près de 50 % des foyers du quartier. Cette phase d’enquête a permis de constater des attentes très variées par rapport au quartier et à son évolution. Par ailleurs, alors que l’on note un certain nombre de subdivisions foncières sur le quartier, peu de propriétaires ont déclaré envisager une telle opération pour leur propriété. Les principales préoccupations concernent l’aménagement de l’espace public (sécurité), la création de logements adaptés ou une diversification de l’offre, ainsi que l’amélioration de la performance énergétique des constructions.
Réalisé en parallèle à la démarche de concertation, un diagnostic technique et urbanistique a permis d’identifier les opportunités de réhabilitation et de restructuration du quartier. Après une analyse des résultats de cette première phase avec la collectivité, une réunion publique de restitution à tenir en octobre doit permettre de valider certains axes d’intervention pour accompagner la mutation du quartier.

Références

CERTU, 2010, L’essentiel, la densité urbaine, mai.

CHARMES E., 2006, « La densification des lotissements pavillonnaires de grande banlieue », Etudes foncières, n° 119, janvier, pp. 14-17.

DEVISME L. et alii, 2008, Formes périurbaines, gouvernement territorial et logiques d’acteurs dans la région nantaise, Rapport de recherche, DRE Pays-de-Loire, décembre.

Egis, 2010, Communiqué de presse, « Egis met en place une démarche innovante d’“Eco-réhabilitation” des zones d’habitat pavillonnaire », présentation des résultats de l’étude d’opinion, CSA-Egis - les ateliers de la Terre, 10 novembre.

FNAU, 2006, Habitat formes urbaines. Densités comparées et tendances d’évolution en France, octobre.

IAU, 2009, Comment encourager l’intensification urbaine, Les cahiers pratiques, août.

IAU, 2009, Densité ; opérations de logements et quartiers urbains, août.

IAU, 2005, 2007, « Appréhender la densité », Note rapide sur l’occupation du sol, n° 382/juin 2005, n° 383/juin 2005, n° 384/juin 2005, n° 440/décembre 2007.

IPRAUS, 2008, Lotir les lotissements ; conditions architecturales, urbanistiques et sociologiques de la densification douce de l’habitat individuel, Rapport de recherche PUCA, Programme « Habitat pluriel : densité, urbanité, intimité », juillet.

« Les Français rêvent d’un “écologis” », Le Moniteur, 3 décembre 2010, pp. 16-20.

PETITET S., 2013, « Densifier l’habitat pavillonnaire : des démarches individuelles aux projets collectifs », Métropolitiques, 20 mars. URL : http://www.metropolitiques.eu/Densifier-lhabitat-pavillonnaire.html.

PETITET S., 2013, « Densifier l’habitat pavillonnaire, entre solutions individualistes et projets collectifs », Etudes foncières, n° 161, janvier-février, pp. 27-31.

PETITET S., 2011, « Les élus et la mutation des quartiers d’habitat pavillonnaire », Intercommunalités, n° 152, janvier, p. 6 (revue de l’ADCF).

PETITET S., 2011, « Mutation des quartiers d’habitat pavillonnaire : des élus convaincus mais circonspects », Etudes foncières, n° 150, mars-avril, p. 2.

SABATIER B., FORTIN I., 2012, « Densifier le pavillonnaire », Etudes foncières, n° 155, janvier-février, pp. 12-16.

TOUATI A., 2012, « L’habitant maître d’ouvrage », Etudes foncières, n° 157, mai-juin, pp. 34-39.

VILMIN T., 2012, « Les trois marchés de l’étalement urbain », Etudes foncières, n° 157, mai-juin, pp. 27‑33.

Le paysage multisensoriel : une approche théorique et méthodologique pour impliquer les habitants dans la conception urbaine (Théa Manola, LADYSS‑CNRS, associée à l’Atelier de recherche Politopie)

Une (r)évolution sensible : l’être au cœur de l’action

L’action urbaine est en pleine évolution. Les rapports sensoriels à la ville commencent à intéresser de plus en plus la recherche en sciences humaines et sociales, mais aussi, plus timidement et difficilement, les métiers de la conception architecturale et urbaine, proposant d’aborder l’espace selon une nouvelle manière, plus sensible et humaine, plaçant l’être humain au centre des préoccupations. En parallèle, l’installation du développement durable comme mot d’ordre des interventions sur l’urbain mais aussi la refondation progressive de l’action publique incitent à une considération accrue des perceptions, représentations, avis, envies et attentes des habitants.

Au croisement de ces évolutions, et malgré les difficultés non négligeables d’une implication habitante, certains concepts semblent pouvoir offrir un cadre propice pour celle-ci. Le paysage multisensoriel est selon nous un de ces concepts. Dans le cadre d’une refondation de la théorie du paysage, les découpages entre le paysage perçu comme un objet matériel extériorisé et, d’autre part, considéré comme une création imaginaire intériorisée sont en voie d’être dépassés. A ce jour, le paysage peut être vu comme un système relationnel entre l’homme (être sensible, situé et actant) et son environnement physique, tout en étant démarche et matière à action et à projet. Il peut alors servir d’approche pour l’action urbaine, intégrant des aspects matériels, situés, sensibles4 ou encore politiques. C’est pour toutes ces raisons, mais aussi parce que les rapports sensoriels tissés entre un être humain et son cadre de vie, et les sens qu’ils construisent, sont initiateurs d’attachement, d’ancrage, de reconnaissance et potentiellement de revendication, que les dimensions sensorielle et sensible sont des aspects que nous pouvons considérer comme moteurs dans l’implication habitante et a fortiori la participation habitante dans la fabrique urbaine.

Une recherche sur le paysage multisensoriel pour une prise en compte du sensible

Notre travail doctoral5 visait à questionner les conditions théoriques, méthodologiques et opérationnelles d’une prise en compte du sensible, et en particulier celui des habitants6, dans l’action urbaine par le biais du paysage multisensoriel. Dans ce cadre, notre démarche méthodologique s’est inspirée tout aussi bien de méthodes dites qualitatives que de méthodes habituellement utilisées dans les champs plus opérationnels de l’architecture, du paysagisme et de l’urbanisme opérationnel – condition essentielle pour que méthodes et résultats soient facilement opérationnalisables. Les outils mobilisés ont été :

  • Un diagnostic urbain et paysager (analyse bibliographique, analyse et formalisation graphique d’observations de terrain notamment par une approche sensible du site).

  • Des investigations de terrain auprès d’acteurs impliqués dans la conception, réalisation et/ou gestion des projets, mais aussi et surtout auprès d’habitants (entretiens ouverts courts, parcours multisensoriels et baluchons multisensoriels).

Cette démarche a été réalisée sur des terrains spécifiques, des quartiers dits durables7 : Wilhelmina Gasthuis Terrein à Amsterdam (Pays-Bas) ; Augustenborg et Bo01 à Malmö (Suède).

Le paysage multisensoriel : un terrain de dialogue entre parties prenantes riche en thématiques

L’analyse du corpus recueilli (composé de discours, textes écrits, photos, dessins, enregistrements sonores, objets récoltés) a dévoilé que le paysage multisensoriel est une notion à utiliser pour parler du sensible situé. Par son contenu (en même temps vécu, représentation, matérialité et projection) mais aussi par sa consistance spatiale, sociale et sensorielle, le paysage multisensoriel ressort alors comme un possible terrain d’échanges et de débats entre les différentes parties prenantes de l’espace urbain.

Ce potentiel médiateur est d’autant plus renforcé que la multisensorialité traite non seulement des rapports sensoriels eux-mêmes mais renseigne bien d’autres thématiques : la composition et la qualification des espaces matériels ; la composition humaine des quartiers (mixité sociale, culturelle, intergénérationnelle) et les rapports sociaux ; la qualification de la nature urbaine (animale et végétale) ; les activités humaines (individuelles et/ou collectives) et les fonctions existantes dans les quartiers ; la perception du développement durable ; l’évolution des modes de vie… Spécifiquement, le paysage multisensoriel permet aussi aux sentiments et aux affects de se libérer, donnant alors la possibilité de les appréhender et de les prendre en compte.

Les baluchons multisensoriels

L’objectif de cette méthode est de connaître et comprendre les rapports sensibles (sensoriels, signifiants et affectifs) et les raisons de (non)satisfaction et (in)confort des paysages et ambiances urbains des habitants, usagers, riverains, élus, etc. Cette méthode permet d’appréhender les espaces avec l’approche multisensorielle. Il s’agit de proposer aux habitants de raconter, sur une période d’environ une semaine, tous les sensations et sentiments ressentis au gré de leurs pratiques et de leur expérience sensorielle quotidienne de leur territoire de vie. La méthode propose de multiplier les moyens d’expression des participants, afin de faciliter l’expression de l’expérience sensible, en fonction des supports qui lui conviennent le mieux :
 - par l’écrit à l’aide d’un carnet,
 - par le dessin à l’aide du même carnet, -par l’enregistrement sonore, en s’enregistrant soi ou ce qui nous entoure à l’aide d’un dictaphone,
 - par la représentation photographique à l’aide d’un appareil photo,
 - par la collecte d’objets dans le quartier.
Les résultats obtenus sont riches et nombreux, de l’ordre du qualitatif. Ce sont l’expression des sentir et représentations d’un ou de plusieurs lieux et/ou parcours par les participants. L’analyse et le croisement des différents sentir et représentations permettent de caractériser sous différents aspects les paysages urbains multisensoriels et les ambiances urbaines, par la caractérisation sensorielle et affective des lieux et territoires, les degrés et raisons de (in)confort et de (non)appréciation, le caractère habitable ou inhabitable de ceux-ci, par des éléments signifiants sur : les rapports tactiles (environnement climatique, sensations de chaud, de froid, d’humidité, etc.) ; les rapports visuels (formes construites, couleurs, lumière…) ; les rapports sonores (ambiances sonores spécifiques, sons agréables ou pas…) ; les rapports olfactifs et gustatifs (qualité de l’air, odeurs caractéristiques…). Les approches sensibles telles que le baluchon multisensoriel peuvent constituer une base de diagnostic pour mieux connaître le territoire. Elles sont particulièrement intéressantes puisqu’elles décrivent un senti et un ressenti qui peut diverger et donc compléter des mesures quantitatives. Par exemple, certains espaces peuvent avoir un niveau acoustique élevé, pour autant les sonorités sont appréciées : cour de jeux d’enfants, place de marché, sons liés à l’eau, etc. Les baluchons peuvent alors participer à l’analyse urbaine et à la phase de préprojet dans le cadre d’une opération urbaine.

La méthodologie du paysage multisensoriel : une démarche pour impliquer

La multiplicité des méthodes, leur emboîtement et complémentarité, le processus long, l’adaptabilité, l’innovation méthodologique et la mise au cœur du dispositif des acteurs ordinaires ont permis l’expression de l’expertise habitante. Cette démarche, à mi-chemin entre les sciences humaines et les arts de la conception, facilement appropriable, permettrait alors, sous cette forme ou une adaptation (entretiens ou parcours collectifs par exemple), de libérer l’expression des sentir et ressentir des habitants afin d’intégrer ces derniers au projet (comme la formalisation cartographique des résultats de notre travail le propose – cf. http://preview.pa-th.com/thea_manola/).

Fig. 1 : Rapports sonores habitants - extrait du système cartographique

Fig. 1 : Rapports sonores habitants - extrait du système cartographique

(http://preview.pa-th.com/thea_manola/)

Quelques questions en suspens

Si aujourd’hui, d’un point de vue théorique et méthodologique, le paysage multisensoriel pourrait participer à une considération du sensible et ainsi impliquer directement les habitants à la fabrication de l’espace, plusieurs difficultés semblent persister. Au premier chef, la culture professionnelle et les habitudes des métiers de la conception. Concrètement, sortir de la primauté visuelle (signe d’un désengagement du corps et donc de l’être) impliquerait la reconsidération d’une approche esthétisante de l’espace, conduisant alors potentiellement à une « vision » plus sociale, plus ordinaire, plus interdisciplinaire et peut-être plus humaine de l’espace, considérant les sentir et ressentir, les représentations et imaginaires liés à la multiplicité sensorielle. En parallèle, le concepteur est invité à abandonner son rôle d’expert sensible et technique unique pour devenir accompagnateur d’une conception spatiale partagée, ce qui implique dès lors une ouverture des métiers de la conception vers d’autres savoirs et savoir-faire.

Démarches participatives en urbanisme, que faire des contradictions ? Présentation du programme de recherche-action Elaborons Ensemble l’Avenir (Thierry Foucault, Consultant‑formateur en ingénierie socio‑environnementale, Elena Lasida, Faculté de sciences sociales et économiques, Institut catholique de Paris, Rebecca Pinheiro‑Croisel, Centre de gestion scientifique, Mines ParisTech)

L’apparition ou la résurgence de l’habitant, de l’usager, du citoyen comme acteur de la production du territoire, accentuée par la montée en puissance de la demande de développement durable, place la dimension participative au centre de nombreux discours sur l’aménagement urbain. L’un des objectifs de la concertation lors de la conception des projets urbains est alors de mettre en débat l’application du développement durable à cette échelle ainsi que la qualité de vie des habitants et des usagers. Or, le concept de développement durable est en soi déjà porteur d’incertitudes et de contradictions. Sans discuter ici de la différence entre concertation et conception collective, des axes d’exploration sont suggérés pour gérer ces contradictions et faciliter les interactions sociales au sein de ces processus participatifs.

Engager des habitants ou des usagers dans un processus participatif, c’est mettre en avant et essayer de concilier des exigences de dévelop pement durable, des stratégies politiques, des contraintes réglementaires et techniques, et de multiples aspirations des habitants et usagers de la ville. Aussi, des contradictions entre ces différents impératifs sont souvent inévitables. La concertation devrait alors s’inscrire dans une recherche de vision partagée, plutôt que dans une recherche de consensus. En actant les tensions, la participation ouvre ainsi un espace de débat. Elle propose une représentation (réduite) de la complexité de la situation, dans laquelle les contradictions interagissent les unes avec les autres. Elle invite également à chercher les moyens de les gérer. Le constat et l’acceptation d’une situation complexe, en mouvement, semblent pouvoir impulser la recherche de solutions nouvelles, destinées à faciliter la gestion du processus participatif au quotidien, et l’adaptation des actions sectorielles dans le temps8.

Crozier et Friedberg (1977) ont montré que les jeux d’acteurs étaient mus par des jeux de pouvoirs qui reposaient sur l’existence de zones d’incertitude, c’est-à-dire une asymétrie des connaissances (l’acteur qui sait détient un certain pouvoir sur les autres). Dans un processus concerté de conception urbaine, ces incertitudes concernent tous les sujets liés à l’action collective : les acteurs et les métiers à mobiliser, les solutions à adopter, les outils à utiliser et les objectifs à atteindre. Ces « incertitudes partagées » (Aggeri et al., 1993) risquent alors de générer des controverses, nées des divergences d’intérêts, mais aussi de la diversité des représentations de la ville et des thèmes sous-jacents (densité, mobilité, mixité sociale, etc.). Ces différences de représentation s’expriment par des différences de langage, qui posent le problème de l’interprétation de la parole dans un processus participatif. En pratique, c’est bien ce qui met le plus en difficulté les acteurs de la concertation, lorsqu’ils essaient de répondre « à la lettre » aux attentes exprimées, en confondant les demandes verbalisées et les aspirations plus profondes. Néanmoins, ces différences de représentation permettent d’entrevoir quelques pistes de réflexion et d’actions pour guider les professionnels de l’aménagement urbain et les maîtres d’ouvrage vers de nouvelles formes d’exploration de solutions, et dépasser les difficultés posées par les contradictions qui apparaissent à l’occasion de processus de concertation.

Ces contradictions se sont révélées particulièrement prégnantes à l’occasion du programme ELENA (Elaborons Ensemble l’Avenir)9, un programme de recherche-action sur la qualité de vie en ville. Son but était d’élaborer une méthode de diagnostic de qualité de vie à partir d’ateliers de concertation avec des habitants. Ces ateliers se sont appuyés sur des projets urbains locaux. Deux terrains d’expérimentation ont été utilisés : Loos-en-Gohelle (62), dans le cadre de la révision du PLU, et Cesson-Sévigné (35), dans le cadre d’un projet de ZAC. Le propos qui suit s’appuie sur les résultats de cette recherche.

ELENA

Le projet ELENA (Elaborons Ensemble l’Avenir) a été construit et mené dans le cadre d’un partenariat de Recherche-Action entre Veolia Environnement et l’Institut catholique de Paris. Il a été supervisé par un groupe de pilotage multipartenarial entre 2009 et 2012. Ce projet avait pour objet l’élaboration d’une méthodologie de diagnostic participatif de qualité de vie à un niveau territorial.
La méthode devait permettre d’identifier les problématiques liées à la qualité de vie et propres à un territoire, d’étudier la hiérarchisation et l’interdépendance des paramètres territorialisés de la qualité de vie, et de conduire à la recherche collective de solutions. Le thème de la qualité de vie a été choisi parce qu’il permet d’identifier des problématiques liées aux biens collectifs et aux aménagements urbains durables. La démarche participative ouvre également un espace de réflexion sur les moyens de médiation au sein d’un territoire entre différents acteurs : pouvoirs publics, citoyens, acteurs socio-économiques et institutionnels…
La méthode a été construite et mise au point sur deux sites pilotes : Loos-en-Gohelle (Nord-Pas-de-Calais) en 2010, puis à Cesson-Sévigné (en périphérie de Rennes) en décembre 2011. Sur chaque territoire, le projet a été greffé à une initiative locale en matière d’urbanisme. À Loos-en-Gohelle, il s’agissait de la révision du PLU. À Cesson-Sévigné, il s’agissait de la construction d’une ZAC (dans le cadre du projet d’écocité ViaSilva). Ces deux terrains d’expérimentation ont permis de finaliser une méthode de concertation spécifique.

En premier lieu, nous pensons qu’il ne faut pas céder à la démagogie participative : la concertation n’est qu’un outil, qui ne peut pas tout dire ni tout faire. Il est préférable d’accepter les limites de l’exercice et ne pas croire que tous les problèmes peuvent être résolus à partir de la concertation. Aussi, un processus participatif consomme généralement beaucoup de ressources et de temps. Lorsqu’il ne s’inscrit pas dans une réflexion globale destinée à résoudre un problème, à éclaircir une question ou à améliorer un projet, il peut devenir contre- productif, empêcher la créativité, finir par discréditer la démarche et démotiver les bonnes volontés. La difficulté de gérer les contradictions tient alors en partie au fait de ne pas inscrire la concertation dans une démarche complète favorisant non seulement la pédagogie de projet mais aussi la conception collective. Il convient donc de penser et construire la concertation comme une étape intégrée d’un processus plus large qui comprend également :

  • en amont et pendant : une pédagogie de projet pour gérer les représentations et construire un langage commun,

  • en aval : de l’intelligence collaborative pour objectiver les propositions (« élever le débat » ou plutôt « le ramener sur terre »). Cela permet aussi de donner à la concertation un rôle pédagogique.

Dans ce sens, la démarche collaborative consiste à faire travailler ensemble les parties prenantes sur des « scénarios » centrés sur la recherche de cohérence, sans s’arrêter aux « attentes », en privilégiant les éléments :

  • appropriables,

  • porteurs d’avenir (non conservateurs),

  • économiquement réalistes, arbitrables par le pouvoir politique,

  • pérennes (attention aux coûts de fonctionnement).

Sur ce point, la gestion des contradictions relève de la méthode et de la technique. Il est préférable que la méthode d’animation ne soit pa s centrée sur des revendications (« ce que devraient faire les autres ») mais sur de l’implication (« ce que je peux faire et ce que je veux faire »). L’approche par les attentes a d’ailleurs peu de chances d’être constructive, car rappelons-le, il existe des attentes qui varient d’un individu à l’autre, voire chez un même individu en fonction de son âge, sa situation familiale et professionnelle, son niveau de revenu, etc., paramètres qui évoluent tout au long de la vie.

Enfin, les études de cas montrent bien la nécessité de l’interprétation de la parole. Les enseignements tirés d’un processus de concertation ne sont pas les « lieux communs » (« ce que tout le monde dit… parce que tout le monde le dit ») ou bien une norme sociale, mais plutôt les signes d’attitudes, d’opinions plus profondes qui témoignent de tendances pour l’avenir. A l’inverse des discours de « consensus » qui s’avèrent souvent peu constructifs en termes d’innovations, il nous semble que l’intérêt d’une démarche participative réside dans la mise en évidence de ce que les prospectivistes appellent les « signaux faibles ». Car, comme le rappellent Godet et Durance (2008), « le rêve consensuel des générations présentes est souvent un accord momentané pour que rien ne change et pour transmettre aux générations futures le fardeau de nos irresponsabilités collectives ». L’approche prospectiviste de la participation est donc utile, voire indispensable, pour prendre en compte la dimension temporelle. Elle permet de considérer certaines contradictions, non comme des problèmes, mais comme le reflet d’oppositions entre lieux communs et signaux faibles, et finalement comme autant de signes des mutations que les territoires vont peut-être connaître. Cette approche nécessite d’ailleurs une démarche axée sur la « significativité » plus que sur la représentativité, qui tend à ne produire que des lieux communs. C’est ce qui a été recherché dans le programme ELENA, aussi bien à Loos-en-Gohelle qu’à Cesson-Sévigné.

Enfin, il nous semble qu’il convient de distinguer les aspects qualitatifs des données quantitatives. Étant deux registres cognitifs différents, ils risquent de se superposer et de ne pas dialoguer. Ce faisant, la concertation est un moyen d’appréhender le registre qualitatif. Concrètement, la gestion des contradictions peut être facilitée par une démarche méthodologique reposant sur les deux grands principes suivants :

  • Le management de projet basé sur la pédagogie, la conduite du changement, progressive et itérative, l’implication et la responsabilisation des participants (ne pas s’en tenir à la « liste de courses ») ;

  • L’interprétation de la parole, au travers d’une approche prospective, de la recherche de significativité, et l’utilisation de registres cognitifs adaptés.

En conclusion, nous pensons que les démarches participatives sont particulièrement utiles pour comprendre les mécanismes en jeu et impliquer tous les acteurs du territoire concernés par un projet urbain. Pour construire la « ville durable », il convient de réfléchir et de mettre en place de nouvelles formes de travail, au travers de processus participatifs et collaboratifs, en recherchant la cohésion entre ces acteurs, au-delà de la simple « concertation » réglementaire. Cette démarche nécessite une profonde mutation des pratiques utilisées par les professionnels de l’aménagement, notamment les urbanistes, ingénieurs des systèmes urbains, les architectes et les paysagistes, qui doivent reconsidérer et articuler leur expertise technique avec l’expertise d’usage de celui qui habite ou fréquente un territoire.

Références

AGGERI F., FIXARI D., & HATCHUEL A., 1998, L’innovation à l’INRA, Cahier du CGS, Paris.

CROZIER M., FRIEDBERG E., 1977, L’acteur et le système, Editions du Seuil, Paris.

GODET M., DURANCE P., 2008, La prospective stratégique pour les entreprises et les territoires, Ed. Dunod, Paris, 141 p.

PINHEIRO-CROISEL R., 2013, Innovation et éco-conception à l’échelle urbaine : émergence et modèles de pilotage pour un aménagement durable, Ph.D. MINES ParisTech, Paris.

Méthodes de travail, postures et compétences. Vers de nouveaux modèles professionnels ? (Elise Macaire, LET‑UMR LAVUE et Nadine Roudil, CSTB)

Au travers de ces diverses contributions, ressort une pluralité d’approches en termes de méthodes mais aussi de postures et de conception des moyens à apporter pour favoriser l’implication des habitants dans les projets. Des savoirs et savoir-faire singuliers semblent se renouveler au fil des expériences et expérimentations, modifiant aussi les conceptions de l’action des professionnels.

Retour sur la diversité des approches méthodologiques exposées et les processus de projet

Trois points saillants ressortent de la lecture des témoignages. L’un des premiers porte sur les démarches adoptées et montre comment elles s’articulent avec des processus de projet singuliers. Reprenant les étapes de la conception provenant de la culture des architectes ainsi que des méthodes forgées dans les milieux des urbanistes et paysagistes, les professionnels se les réapproprient et les adaptent pour en faire des supports de la participation.

Le « diagnostic partagé » revient ainsi souvent comme le commencement du processus de projet. Partant du constat que l’implication des habitants prend son sens quand celle-ci intervient le plus en amont possible dans les opérations, les professionnels insistent sur l’idée que le « diagnostic » est une étape à part entière du processus de participation.

Il s’agit s’associer les populations à la définition de ce qui fait problème ou de ce qui doit ensuite entrer dans un processus de transformation. La notion de « partage » vient ici signaler que ce n’est plus seulement aux professionnels d’établir le diagnostic mais que cette phase doit aussi se nourrir des apports des habitants en termes de connaissances de leur propre territoire. Ils font ainsi la démonstration de leur capacité à énoncer leurs besoins et attentes et à en être considérés comme capables par le milieu professionnel « de la participation ». Le rôle des professionnels dans ce contexte est d’aider à la formulation et de soutenir le travail de hiérarchisation qui serait éventuellement à faire entre les propositions (ELENA).

Pour certains, cette phase fait aussi l’objet d’une attention particulière sur le plan de la transmission (Point de rassemblement, LIHP). Les professionnels ont aussi des connaissances à transmettre lors du moment spécifique de définition des objectifs du projet, faisant alors valoir un autre point de vue. Sans « s’imposer », ils cherchent à introduire une vision de la ville à caractère savant (formation et « conscientisation » au LIHP). Ils mobilisent des savoirs sociodémographiques et urbanistiques généraux, et des données issues d’enquêtes de terrain. L’enjeu est alors de donner les « clés de lecture » et de transférer une posture de réflexivité à des objets proprement professionnels. D’autres introduisent des éléments de loisir tels les balades, les jeux urbains et les repas de quartier (Le Germoir) comme outils pour parvenir à un « diagnostic ». D’autres encore explorent de nouveaux champs de savoirs tels les paysages multisensoriels (analyse de la « satisfaction » et du « confort perçu de l’environnement » à partir de « sensations et sentiments ressentis » en s’appuyant notamment sur des enregistrements ou le collectage d’objets) pour démontrer l’étendue des champs de compétence « habitants ». Professionnels et habitants sont alors en prise avec des apprentissages réciproques et les moyens mobilisés pour y parvenir croisent dimensions savantes et profanes.

Faisant suite au diagnostic « partagé », une deuxième phase régulièrement évoquée est celle de la formalisation, qui se réalise souvent dans la conception d’espaces et d’aménagements10. Diversement envisagée par les professionnels, la conception nécessite également des adaptations spécifiques pour que les habitants y prennent part : les « outils » font l’objet d’une attention particulière, par exemple ceux destinés à la représentation graphique et à la manipulation des objets architecturaux en cours d’élaboration. Support des échanges, ces procédés doivent être accessibles, c’est-à-dire facilement lisibles et compréhensibles. Des outils traditionnels des professionnels sont ainsi privilégiés, comme la maquette d’étude ou le photomontage. Des « mises en situation » sont parfois nécessaires (La manufacture des paysages). Au final, ce sont ici les « langages » qui sont interrogés (ELENA) et les professionnels mettent ces auxiliaires de l’expression au cœur de la médiation et des dispositifs d’animation, afin de favoriser le « dialogue », « l’accueil d’idées nouvelles » et la « créativité » (La manufacture des paysages).

Une autre phase décrite à plusieurs reprises est celle de restitution à des publics plus larges que le collectif mobilisé sur le projet. Intervenant diversement dans les processus rapportés, ces moments visent à réinscrire les travaux effectués (souvent en « ateliers ») dans un système d’acteurs comprenant généralement des parties prenantes multiples : élus, bailleurs, techniciens, conseils de quartiers, etc. L’articulation avec les enjeux « démocratiques » est ici manifeste. Les habitants « impliqués » ne constituent pas un nouveau cercle fermé d’experts mais doivent eux aussi accueillir la critique et d’autres contributions. Dans cette perspective, la question de la « décision » est stratégique. Plusieurs témoignages insistent sur les étapes de « validation » et sur la concertation à ce stade avec les pouvoirs publics. Un projet qui ne serait pas soutenu pourrait mettre en danger l’engagement des personnes impliquées. Cette dimension « démocratique » des projets évoqués renvoie aussi au rôle du « collectif ». Pour mener à bien un projet avec des habitants, il semble importer que les groupes constitués maintiennent une forme relative de cohésion (le Germoir). La valorisation des apprentissages successifs ou encore la construction des rapports de confiance et de la mémoire du projet peuvent jouer un rôle essentiel dans la bonne marche des ateliers : la pérennité de l’implication et la maîtrise des habitants sur le déroulement du processus en dépendent. De ce point de vue, des « outils d’accompagnement et de relais » (Robins des Villes) sont développés : éditions de publications et de guides, documentation sur le processus de travail en atelier, mise en forme de « traces » et « récits » divers. A côté de cela, certains revendiquent une « disponibilité » et une « présence » organisée sur place. Battre le pavé et être là où les choses se passent apparaissent comme l’un des piliers de la méthode, faisant écho aux discours sur l’écoute, la rencontre et les rapports d’hospitalité.

Dans certaines situations, les habitants prennent en charge eux-mêmes la réalisation de projets. Dans les zones pavillonnaires, par exemple, les habitants vont revendre une partie de leurs terrains. D’autres vont participer à l’aménagement d’un espace public par la fabrication de mobilier urbain… De façon générale, le statut donné aux habitants semble déterminant dans les démarches développées. Ils peuvent être partie prenante des arbitrages progressivement effectués dans les projets et reconnus comme compétents pour y intervenir. Les rapports de symétrie ou d’équivalence sont également souvent rappelés dans les énoncés de principe. Aussi, le préfixe « auto », comme dans autonomie, autoproduction, autoformation, cohabite avec le « co » de conception collective ou de coproduction. Comme s’il fallait maintenir un certain niveau d’indépendance des habitants vis-à-vis des professionnels. Enfin, l’implication repose aussi beaucoup sur ce qui relie les habitants aux projets, c’est-à-dire le territoire qu’ils habitent. Dans le cas du paysage multisensoriel, « les rapports sensoriels tissés entre un être humain et son cadre de vie (…) sont initiateurs d’attachement, d’ancrage, de reconnaissance et potentiellement de revendication ». La participation introduit ainsi dans les projets la légitimité de nouvelles données qui reposent sur des éléments intimes et affectifs tranchant avec les visions savantes souvent macrologiques (les « signaux faibles » dans ELENA)11. C’est aussi ce point de vue qui rend acceptable l’idée de cibler des publics spécifiques, voire communautaires, et permet de dépasser le principe de la représentativité souvent invoqué pour légitimer une démarche de participation des habitants.

Postures et professionnalités

Dans le paragraphe qui précède, des méthodes s’élaborent de façon conjointe avec une forme d’idéologie professionnelle. Une nouvelle professionnalité semble émerger comme peut-être de nouveaux métiers. Les termes d’animateur, médiateur, facilitateur, accompagnateur ou encore traducteur ont été utilisés dans les témoignages pour traduire un nouveau registre professionnel. Deux groupes pourraient émerger de ce champ lexical. Le premier renvoie aux activités de conseil, d’accompagnement et d’animation et consiste à « faciliter » mais aussi à « stimuler » et à « activer » la participation (Point de rassemblement). Le second englobe les fonctions de la médiation à travers les rôles de traducteur et d’interface, dans le but de favoriser l’intercompréhension et la négociation entre les acteurs (Robins des Villes). Derrière l’animation et la médiation, se révèlent des postures aux enjeux croisés mais qui, en fin de compte, poursuivraient deux objectifs connexes : faire en sorte que les projets d’habitants existent (animation) et qu’ils soient pris en compte (médiation).

Du côté de l’animation, l’accompagnement est une des actions les plus significatives. Il s’adresse tout aussi bien aux habitants et à leurs collectifs organisés qu’aux élus et techniciens. Les témoignages rendent compte d’attitudes qui rejoignent l’éthique du care (Brugère, 2011). La démarche consiste à venir « en soutien » afin d’aider les acteurs à « exprimer leurs besoins » (Point de rassemblement) et constitue « un appui » aux collectivités et maîtres d’ouvrage recherchant des compétences de conduite de projets associant les habitants dans le domaine de l’innovation sociale (LIHP). Par ailleurs, l’implication des habitants n’allant pas de soi et reposant essentiellement sur les bonnes volontés, la réussite des ateliers repose pour beaucoup sur les capacités des professionnels à entretenir l’engagement des personnes. Pour cela, il faut proposer des activités en rapport avec la motivation individuelle et avec les attendus collectifs, en préservant la mobilisation et en valorisant les apports de chacun. Le travail sur la dynamique de groupe est ainsi moteur d’une forme maïeutique au service de la production des contenus des projets.

L’accompagnement est aussi régulièrement cité comme outil dans le domaine de la médiation, définissant alors de façon singulière une posture professionnelle dans le jeu d’acteurs. Dans ce contexte, le désir récurrent de favoriser le dialogue et la négociation entre parties prenantes montre qu’il semblerait que soient mis face à face des univers hétérogènes (savants et profanes) dévoilant la nécessité d’une interface de traduction (La manufacture des paysages). Les langages techniques sont ici déconstruits et reformatés pour permettre les échanges d’intentions. La médiation spécifie ainsi un rôle nouveau à la fois dans le système d’acteurs classiques composé des maîtrises d’ouvrage et d’œuvre, et dans les processus de projet croisant logiques ascendantes et descendantes (« l’interface entre des dynamiques et expérimentations sociales informelles, les institutions et les opérateurs urbains » chez Point de rassemblement, par exemple). Certains professionnels adoptent une forme de « neutralité » de positionnement sur le contenu du projet (Robins des Villes) alors que d’autres revendiquent une forme de marginalité (Point de rassemblement). D’autres enfin soulignent l’importance du rôle d’inventivité et de création du médiateur (juridique, procédurale et financière dans le cas de l’écoréhabilitation) qui se fonde sur ses capacités d’adaptation aux contextes.

Compétences et registres de savoirs mobilisés

Quelles que soient les nouvelles professionnalités émergentes, les compétences et les registres de savoirs mobilisés sont de différents ordres. Relevant des univers traditionnels de l’architecture et de l’urbanisme, ils ont un caractère multidisciplinaire et pratique. Des domaines nouveaux sont convoqués. Ils renvoient à un ensemble de connaissances et de savoir-faire empruntés et ajustés aux cadres des actions développées, provenant par exemple des sciences humaines et sociales et de pratiques militantes. On retrouve ainsi les outils méthodologiques de l’enquête de terrain en sciences sociales, les démarches apparentées à l’action politique et associative (interpellation dans l’espace public et expérience du bénévolat), ou encore des techniques de l’intervention artistique (installations et performances)12. Certains font état de « champs de compétences élargis » (LIHP), d’autres développent des modèles interprofessionnels (Robins des Villes) et d’autres enfin renforcent leur capacité de pilotage des projets (Point de rassemblement).

Dans les témoignages, tous font état du recours aux formations d’origines auxquelles sont associés des savoir-faire liés à la pratique de l’animation et de la médiation, comme la pédagogie, l’éducation populaire et l’animation socioculturelle (ELENA, La manufacture des paysages, Point de rassemblement, etc.). Ils s’inspirent aussi des métiers de l’AMO et du conseil : réalisation d’études et de documents pré-programmatiques (LIHP). Les « savoir-être » sont mis sur le devant de la scène, tranchant de façon explicite avec l’égocentrisme souvent reproché à l’artiste-concepteur (la « sympathie » étant par exemple une qualité demandée aux membres de Robins des Villes au même titre que des expériences antérieures associatives et militantes impliquant des publics). Savoir travailler collectivement est alors un corollaire à l’aptitude au « bricolage » et à l’adaptation. Le besoin en compétence de management de projet semble aussi renforcé, notamment dans la gestion des relations partenariales : mobiliser des partenaires financiers (Point de rassemblement) aussi bien publics (services sociaux et techniques des collectivités, bailleurs, élus) que privés (promoteurs, opérateurs divers liés au foncier, à l’aménagement, fondations, etc.). C’est sur cette aptitude que reposent en particulier l’établissement des relations de confiance ou encore la conduite du changement associée à certains projets (ELENA, éco-réhabilitation).

L’acquisition des compétences se réalise de diverses manières, certaines structures accueillant en leur sein des professionnels de l’animation sociale et du développement culturel, des artistes et des sociologues, et certains concepteurs se formant eux-mêmes dans ces domaines de savoirs en se les réappropriant parfois pour en produire d’autres (paysages multisensoriels). Au-delà des compétences, ce sont les conceptions de l’architecture, de l’urbanisme ou du paysage qui sont interrogées : « reconsidération d’une approche esthétisante de l’espace conduisant alors potentiellement à une “vision” plus sociale, plus ordinaire, plus interdisciplinaire » (T. Manola). Il s’agit néanmoins de souligner le caractère « engagé » et « passionné » de ces pratiques qui débordent parfois la vie professionnelle – à travers des heures supplémentaires qui font se chevaucher salariat et bénévolat –, s’inscrivant dans la tradition des métiers-passions (Lochard et Simonet-Cusset, 2003).

Au terme de notre lecture, les démarches exploratrices et expérimentales exposées rendent compte de recherches méthodologiques visant à la mise en place d’alternatives aux modes de faire habituels des concepteurs. Ces initiatives sont avant tout des invitations à des changements de posture dans les métiers de la conception. Les professionnels tentent ici de mettre en place des processus de projet intégrateurs incorporant les habitants à leur dynamique, certains allant jusqu’à favoriser des pratiques sociales habitantes émergeant sous la forme de besoins et d’attentes : jardins partagés, ressourceries, etc.13

Les actions engagées soutiennent alors le développement d’activités nouvelles et des innovations sociales dépassant le cadre strict du projet architectural et urbain. Au côté des professionnels de la conception, d’autres acteurs, tels les maîtres d’ouvrage ou les élus, sont aussi invités à faire évoluer leurs pratiques. Au final, la rhétorique du partage – qui évoque d’une certaine façon l’idée que le management des projets demeure confisqué – se présente comme le vecteur d’un axiome exhortant à la participation tout en soutenant un éthos professionnel en cours de mutation14.

Références

Atelier d’architecture autogérée, 2007, Urban Act, AAA éditeur, Paris.

AUGOYARD J.-F., LEROUX M. (dir.), 1998, Médiation artistique urbaine, une matière sensible pour la culture ; une épiphanie de l’ordinaire, rapport de recherche, programme « culture, villes, dynamiques sociales », Ecole d’architecture de Grenoble - Laboratoire Cresson.

BRUGÈRE F., 2011, L’éthique du « care », « Que sais-je ? », PUF.

JORRO A., 2009, « La construction de l’éthos professionnel en formation alternée », Travail et apprentissage, n° 3, pp. 13-25.

LOCHARD Y., SIMONET-CUSSET M., 2003, L’expert associatif, le savant et le politique, Paris, Syllepse.

MACAIRE E., 2012, L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques. Recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, thèse de doctorat en architecture, Université de Paris-Est et Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris- La Villette.

NICOLAS-LSTRAT P., 2007, rééd. 2009, Expérimentations politiques, éd. Fulenn.

NICOLAS-LSTRAT P., 2009, Moments de l’expérimentation, éd. Fulenn.

« Pragmatiques architecturales », 2005, Multitudes n° 20.

« Une micropolitique de la ville : l’agir urbain », 2007, Multitudes n° 31.

1 J. Salamon, 2008.

2 Ibid.

3 Bezons se situe sur la rive droite de la Seine, au nord-ouest de Paris, dans le Val-d’Oise. La commune est limitrophe des départements des

4 qui ont trait non seulement aux aspects sensoriels mais aussi à leurs significations et sens.

5 MANOLA T., 2012, Conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible de l’urbain. Mise à l’épreuve théorique, méthodologique

6 Ceux qui habitent (au sens heideggérien) le territoire.

7 Ces terrains d’étude ainsi qu’une partie des résultats font aussi écho à une autre recherche à laquelle nous avons participé – Cf. FABUREL G. (resp.

8 Selon Pascale Simard, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, Atelier innovation en urbanisme, février 2012.

9 Ce programme de trois ans (2010-2012) a fait l’objet d’un partenariat entre Veolia Environnement et l’Institut catholique de Paris, avec la

10 Dans certains projets, il est fait mention d’autres formes de réalisation de projet qui ne se concrétisent pas par la conception d’espaces mais par

11 A ce sujet, on peut aussi se référer au travail de Jean-François Augoyard et Martine Leroux sur les médiations artistiques qui introduisent un

12 Voir les travaux d’Elise Macaire sur les architectes qui développent des actions artistiques et pédagogiques (Macaire E., 2012).

13 Sur ce type de projet, voir aussi les travaux de l’Atelier d’architecture autogéré et de Pascal Nicolas-Le Strat (AAA, 2007 ; Nicolas-Le Strat P.

14 Sur la notion d’éthos, voir par exemple Anne Jorro dans Travail et apprentissage (Jorro A., 2009).

1 J. Salamon, 2008.

2 Ibid.

3 Bezons se situe sur la rive droite de la Seine, au nord-ouest de Paris, dans le Val-d’Oise. La commune est limitrophe des départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines. Le quartier du Colombier est constitué d’habitat social et pavillonnaire.

4 qui ont trait non seulement aux aspects sensoriels mais aussi à leurs significations et sens.

5 MANOLA T., 2012, Conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible de l’urbain. Mise à l’épreuve théorique, méthodologique et opérationnelle dans trois quartiers dits durables européens : WGT, Bo01, Augustenborg, Thèse de doctorat en Urbanisme, aménagement et politiques urbaines, sous la direction de C. YOUNÈS et G. FABUREL, Université Paris-Est Créteil, 646 p.

6 Ceux qui habitent (au sens heideggérien) le territoire.

7 Ces terrains d’étude ainsi qu’une partie des résultats font aussi écho à une autre recherche à laquelle nous avons participé – Cf. FABUREL G. (resp. scient.), MANOLA T., GEISLER E., Avec DAVODEAU H. et TRIBOUT S., 2011, Les quartiers durables : moyens de saisir la portée opérationnelle et la faisabilité méthodologique du paysage multisensoriel ?, Rapport Final - PIRVE, pour le CNRS et le PUCA, 185 p.

8 Selon Pascale Simard, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, Atelier innovation en urbanisme, février 2012.

9 Ce programme de trois ans (2010-2012) a fait l’objet d’un partenariat entre Veolia Environnement et l’Institut catholique de Paris, avec la contribution de différents universitaires et professionnels.

10 Dans certains projets, il est fait mention d’autres formes de réalisation de projet qui ne se concrétisent pas par la conception d’espaces mais par des dispositifs autres, telles la prise en charge de problèmes de logement et, plus largement, l’accessibilité aux services publics.

11 A ce sujet, on peut aussi se référer au travail de Jean-François Augoyard et Martine Leroux sur les médiations artistiques qui introduisent un rapport sensible à l’espace urbain (Augoyard J.-F. et Leroux M., dirs., 1998).

12 Voir les travaux d’Elise Macaire sur les architectes qui développent des actions artistiques et pédagogiques (Macaire E., 2012).

13 Sur ce type de projet, voir aussi les travaux de l’Atelier d’architecture autogéré et de Pascal Nicolas-Le Strat (AAA, 2007 ; Nicolas-Le Strat P., 2007 et 2009 ; revue Multitudes n° 20 et 31).

14 Sur la notion d’éthos, voir par exemple Anne Jorro dans Travail et apprentissage (Jorro A., 2009).

Fig. 1 : Atelier de concertation avec des habitants

Fig. 1 : Atelier de concertation avec des habitants

© David Desaleux, photographe

Fig. 1 : Le Germoir (Bezons, 95870). Un projet mené par les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes

Fig. 1 : Le Germoir (Bezons, 95870). Un projet mené par les collectifs Point de rassemblement et Les Saprophytes

Maîtrise d’ouvrage : Mairie de Bezons, bailleur ABH, 2009-2012.

Fig. 1 : Travail en atelier

Fig. 1 : Travail en atelier

Fig. 2 : Balade urbaine à Stains

Fig. 2 : Balade urbaine à Stains

Fig. 1 : La maquette, un outil qui accompagne les habitants et les maîtres d’œuvre

Fig. 1 : La maquette, un outil qui accompagne les habitants et les maîtres d’œuvre

Fig. 2 : La parole se libère, aidée par la maquette et les photographies aériennes

Fig. 2 : La parole se libère, aidée par la maquette et les photographies aériennes

Fig. 3 : Restitution sur la place de la Bouquerie à l’issue de la concertation

Fig. 3 : Restitution sur la place de la Bouquerie à l’issue de la concertation

Fig. 1 : Rapports sonores habitants - extrait du système cartographique

Fig. 1 : Rapports sonores habitants - extrait du système cartographique

Élise Macaire

LET-UMR LAVUE, Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette.
Elise Macaire est chargée de recherche au Laboratoire Espaces Travail (Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette), UMR LAVUE. Elle travaille sur le renouvellement des pratiques dans le domaine de l’architecture et en particulier sur les modes d’inscription de l’activité architecturale dans le champ culturel, autour des actions artistiques, pédagogiques et participatives. Elle est responsable du Réseau Activités et Métiers de l’architecture et de l’urbanisme -Ramau.

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Nadine Roudil

Département Economie et sciences humaines du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) à Paris.
Nadine Roudil est sociologue au département économie et sciences humaines du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) à Paris. Elle est également chercheuse associée au LAVUE (Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme et Environnement UMR 7218). Ses travaux portent sur les politiques publiques et la fabrique de la ville durable. Elle a notamment publié Habiter la Castellane sous le regard de l’institution. Usages sociaux de la déviance (Paris, l’Harmattan, 2011).

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