Ramau et l’internationalisation des pratiques de la conception architecturale et urbaine

Bernard Haumont, Laura Brown and Véronique Biau

p. 20-41

References

Bibliographical reference

Bernard Haumont, Laura Brown and Véronique Biau, « Ramau et l’internationalisation des pratiques de la conception architecturale et urbaine », Cahiers RAMAU, 10 | 2019, 20-41.

Electronic reference

Bernard Haumont, Laura Brown and Véronique Biau, « Ramau et l’internationalisation des pratiques de la conception architecturale et urbaine », Cahiers RAMAU [Online], 10 | 2019, Online since 29 November 2020, connection on 20 April 2024. URL : https://cahiers-ramau.edinum.org/98

Au moment où Ramau apparaît, la construction européenne est déjà engagée : des directives harmonisant les diplômes et la passation des marchés publics de services concourent à une européanisation des pratiques des professionnels de l’environnement et du cadre bâti. Si la dimension européenne est au fondement des recherches du réseau Ramau, l’amplification du processus de mondialisation engage la communauté de membres (scientifiques et professionnels) à élargir, dès la fin des années 1990, ses problématiques au niveau mondial. Issus de trois générations différentes, les auteurs mettent en évidence les concepts et les analyses qui ont permis de saisir les pratiques professionnelles dans la fabrication architecturale et urbaine à l’échelle internationale à partir d’un retour sur vingt ans de publication des Cahiers Ramau.

When the Ramau network was founded, European integration was already under way: directives harmonising diplomas and contract tendering for public services contributed to a Europeanisation of environmental and built environment professional practices. While the European dimension is at the heart of Ramau’s research, the amplification of the globalization process has led the community of members (scientists and professionals) to expand their issues internationally since the late 1990s. Coming from three different generations, the authors highlight the concepts and analyses that have made it possible to grasp professional practices in architectural and urban production on an international scale, based on a twenty-year review of the Ramau Papers.

Si au début des années 1970, en France, quelques sociologues se sont intéressés au groupe professionnel des architectes (Raymonde Moulin et al., 1973), ce n’est qu’à partir de la fin de cette décennie1 et du début des années 1980 qu’un ensemble important d’études et de recherches a porté sur les métiers et les professions de l’architecture, à la suite notamment de la loi sur l’architecture de 1977, d’une part, des débats sur l’ingénierie et la commande publique, d’autre part (au cours des années 1980), et de l’institutionnalisation de la recherche dans les écoles d’architecture, enfin.

C’est ainsi qu’à la fin des années 1980 un premier réseau thématique de recherche sur les métiers de l’architecture, « Métiers et professions », a vu le jour, qui s’intéressait principalement aux trajectoires professionnelles, aux formes et aux pratiques de l’exercice architectural (dont le salariat public et privé), à l’émergence de nouvelles activités telles que la programmation et l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, et aux conditions d’organisation des agences après la disparition des grandes structures qui avaient accompagné la reconstruction après-guerre, la production des grands ensembles et le système des listes ministérielles d’agrément pour l’attribution des commandes publiques2.

Ce réseau a été relayé — avec des ambitions plus grandes et surtout plus explicitement tournées vers l’espace européen  par le programme Euro-Conception, initié par le Plan Construction et Architecture (PCA) en 1992. Ce programme s’est développé3 sous des formes diverses (séminaires, colloques, programmes contractuels de recherche, publications4, etc.) jusqu’en 1996-1997, facilitant de la sorte la création puis la consolidation d’un milieu de recherche s’intéressant aux évolutions et aux transformations des métiers de l’architecture et de la profession d’architecte, notamment dans ses composantes européennes. Il faut resituer ce programme dans le contexte des années 1990 et l’effort d’harmonisation européenne que représentent la directive sur l’architecture, portant sur la reconnaissance mutuelle des diplômes et des titres (1985), et la directive sur les services, réglementant la passation des marchés publics de maîtrise d’œuvre (1992).

C’est pour pérenniser les échanges engagés dans ce programme, et donc avec des préoccupations internationales, à l’échelle européenne tout au moins, que Ramau a été créé en 1998. Depuis lors, le réseau a prolongé et renouvelé les interrogations et les problématiques liées à l’internationalisation des pratiques architecturales et urbanistiques. Ainsi, comme on va le voir, trois fils directeurs se dessinent dans l’évolution de ces problématiques au long des vingt dernières années.

Au niveau européen essentiellement, en lien avec le travail politico-institutionnel de fabrication d’une Europe unifiée des formations, des activités professionnelles et des marchés, se sont développées des approches comparatives qui ont permis de mieux appréhender chaque situation nationale et ses évolutions, les convergences et les particularismes. Les Cahiers Ramau 1 (2000), Organisations et compétences de la conception et de la maîtrise d’ouvrage en Europe, et 3 (2004), Activités d’architectes en Europe, abordaient ces dimensions méthodologiques en même temps qu’ils soulignaient, déjà, les impacts alors nouveaux des mouvements en cours dans la commande, les ingénieries et les équipes de projet, et plus largement encore dans les activités de services au sein desquelles les activités architecturales prennent place.

L’amplification du processus de mondialisation engagé à partir des années 1970, mais devenu incontournable à partir des années 1990, a mis en évidence les transformations, nombreuses et fondamentales, à l’œuvre dans les contextes d’intervention sur les villes. C’est le vocabulaire de la « transition », du « tournant », qui prime alors pour qualifier des mutations qui s’exercent à l’échelle planétaire : on évoque un tournant néolibéral qui va de pair avec le retrait des pouvoirs publics, la financiarisation des projets, le mouvement des entreprises de construction vers des activités de service et l’internationalisation des marchés de l’architecture, dans leurs extensions géographiques et culturelles comme dans leurs façons d’opérer (partenariats public-privé, marchés conception-construction, macro-lots…). Ces mêmes années sont celles d’une transition environnementale et d’un tournant participatif que traitent d’autres textes de ce Cahier, d’une transition numérique aussi, avec notamment la diffusion d’outils qui, en jouant sur la nature des échanges informatisés (CAO, BIM), dessinent de nouvelles divisions du travail.

Ce faisceau d’évolutions a eu pour effets l’apparition de modalités nouvelles d’exercice, une convergence croissante entre pratiques nationales et internationales, un élargissement des compétences, une diversification des activités et une singularisation des trajectoires professionnelles des diplômés5. Avec l’arrivée de générations plus mobiles, les modèles architecturaux et d’organisation des pratiques circulent plus rapidement. La culture de l’export qui a dominé dans les années 1990, portée par une reconnaissance de l’architecture « à la française », laisse place à une véritable internationalisation des pratiques, prise dans un double mouvement in et out qui remet en cause les positions professionnelles des uns et des autres dans la conception et la réalisation des projets.

Revenir sur vingt ans de dialogue entre évolution des contextes et évolution des pratiques professionnelles dans la fabrication architecturale et urbaine à l’échelle internationale donne l’occasion de mettre en évidence les concepts et analyses qui ont permis de les saisir ensemble et de les éclairer, ne serait-ce que partiellement.

L’Europe en pratiques

Dans la lente construction de l’Union européenne, les aspects qui touchent aux métiers et aux acteurs se trouvant sous la focale du réseau Ramau ne sont intervenus qu’assez tard, dans le courant des années 1980. Auparavant, la dimension comparatiste était présente dans les organisations professionnelles6 mais restée embryonnaire dans la recherche. Et, rappelons-le, la recherche architecturale dans son ensemble était elle-même embryonnaire. Profession libérale réglementée et ancienne, l’activité architecturale, avec ses mutations, était observée au prisme de changements économiques, technologiques et culturels, souvent à l’échelle nationale (François Aballéa, Véronique Biau, Robert Prost, Guy Tapie, Olivier Chadoin et beaucoup d’autres, dont on nous excusera de ne pas les citer tous). Le prisme international est intervenu au fur et à mesure que les transformations du groupe professionnel induisaient des conduites tournées vers l’étranger, mais aussi des modifications liées à des dynamiques externes dans les contextes et la conduite des projets français.

L’harmonisation entre États-membres de l’Union européenne

L’activité des architectes est réglementée en France ; elle l’est également dans de nombreux autres pays, selon des modalités propres. Au rythme de la construction européenne, d’une accélération des échanges, d’une augmentation de la circulation des individus et des services, des rapprochements et des convergences se font jour. Le déplacement des travailleurs entre les frontières, qui est rendu possible depuis le traité de Rome (1957), a été renforcé par la création de l’espace Schengen (1985) et surtout par la directive dite « Services » ou Bolkestein (dite encore « du plombier polonais » ou « de l’architecte estonien »)7 de 2006, facilitant les libertés d’établissement et de libre prestation de services au sein de l’Union.

La directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles de 20058, révisée partiellement en 20139, remplace celle sur la reconnaissance mutuelle des diplômes de 1985 et contribue « à la flexibilité des marchés du travail, à amener à une libéralisation accrue de la prestation des services, à encourager une plus grande automaticité dans la reconnaissance des qualifications, ainsi qu’à simplifier les procédures administratives ». En France, dans le domaine de l’architecture, si elle a soutenu l’appel à des architectes étrangers, elle a surtout conduit à modifier l’organisation des études, les faisant passer de six ans de formation initiale à cinq ans plus une année d’habilitation à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en nom propre (HMONP)10, les rapprochant ainsi des autres formations à l’architecture existantes en Europe et les inscrivant dans les processus de Bologne et de Lisbonne. En outre, la semestrialisation des études a favorisé l’ouverture vers des mondes extérieurs, facilitant tout à la fois l’accueil d’étudiants étrangers et les séjours des étudiants français dans les écoles ou facultés d’autres pays.

Ces directives européennes qui vont dans le sens d’une reconnaissance réciproque des compétences professionnelles et de la libre circulation des services ont été plus ou moins bien reçues par les architectes français et leurs organisations professionnelles (ordre et syndicats). Si, pour les jeunes architectes, elles ont ouvert des opportunités pour accéder à des marchés européens, en particulier grâce aux programmes Erasmus (Ballatore, 2012), qui ont favorisé les échanges et les acculturations à des pratiques autres, et à la profusion de concours plus ou moins spécifiquement dédiés (par exemple Europan, qui démarre en 1998, issu du Programme Architecture nouvelle [PAN] lancé par le ministère de l’Équipement en 1971 pour renouveler l’architecture du logement social), beaucoup d’autres y ont perçu des risques quant à des pénétrations étrangères sur les marchés français. Plus protectionnistes qu’antieuropéens, nombreux sont les architectes français qui s’accommodent mal du droit européen à la concurrence : la France est l’un des principaux marchés de la construction sur le continent, où de surcroît il y a le plus de consultations publiques, rémunérées qui plus est. Il est vrai cependant, à l’opposé, que les pratiques de concours ouverts se sont déployées dans de nombreux pays d’Europe et d’ailleurs (Biau et Sineus, 2017). Dans ce sens, l’Unesco a adopté le règlement du concours et a demandé à l’Union internationale des architectes (UIA) de veiller à son application et d’apporter son assistance aux promoteurs de ce type de consultation11.

L’Union européenne, pour autant, ne se substitue pas aux États, mais elle garantit l’institutionnalisation des conditions de partenariat, de cofinancement et d’évaluation, et elle développe une culture d’ouverture internationale et de connaissances linguistiques12. Elle alloue des fonds de financement à l’aménagement et au développement économique des territoires et des zones frontalières, ainsi qu’aux politiques d’action internationale initiées depuis les collectivités territoriales. Les élus de ces collectivités se sont forgé une connaissance des mécanismes européens et ont appris à mieux travailler en coordination avec l’État, ses ministères, les entreprises et la société civile de part et d’autre des frontières. Les décideurs s’habituent aux échanges transfrontaliers, avec les processus français de décentralisation et la construction progressive de l’Europe, et obtiennent des financements dans ce sens. Le pouvoir des métropoles et des régions grandit au détriment de l’État-nation comme unique interlocuteur dans les échanges mondiaux13. Il est clair que les relations internationales ne sont plus un domaine réservé à l’échelon central des États.

De grands projets locaux ou régionaux disposent ainsi de financements européens qui viennent compléter ceux en provenance des États ou des collectivités territoriales. Ces projets se plient alors à des règles et à des conditions qui surpassent parfois les cadres nationaux de conception et de réalisation. Certaines collectivités territoriales ont su saisir les opportunités ainsi offertes en faisant appel à des concepteurs ou à des équipes de conception étrangères, y compris pour des programmes ne disposant pas de valeur emblématique forte : les partenariats, alors fréquents, ont pu diffuser des modes de travail a priori peu familiers aux petites et moyennes agences à vocation locale ou régionale, parce que référés à une autre culture nationale ou s’appuyant sur des pratiques internationalisées14.

Des cultures professionnelles spécifiques aux grandes régions de l’Europe

À la fin des années 1990, Bernard Haumont et son équipe ont analysé la diversité de l’organisation du travail de conception architecturale à l’échelle européenne. Ils ont identifié quatre « grands modèles régionaux15 » d’organisation des fonctions d’architecture et de maîtrise d’œuvre :

  1. « Un modèle latin, qui correspondrait à des systèmes d’action caractérisés par des relations de coopération concurrentielle entre les acteurs de la maîtrise d’œuvre. » Ce système s’observe en France et en Italie. Il se compose de petites structures spécialisées entretenant des coopérations instables.

  2. « Un modèle anglo-saxon, qui correspondrait à des systèmes d’action caractérisés par des relations d’intégration fonctionnelle entre les acteurs de la maîtrise d’œuvre. » Typique du Royaume-Uni et des Pays-Bas, il dispose d’une variété de compétences intégrées à de petites ou grandes structures, flexibles dans leurs réponses à tout type de commandes.

  3. « Un modèle rhénan, qui correspondrait à des systèmes d’action caractérisés par des relations technico-réglementaires fortement adossées à des autorités publiques. » Principalement en action dans les Länder allemands, ce système intègre des fonctions de conception telles que la programmation ou l’ingénierie afin de répondre à des commandes locales dans les domaines techniques et de la planification territoriale.

  4. « Un modèle hispanique, qui correspondrait à des systèmes d’action corporatifs », offre des garanties professionnelles réciproques aux architectes, ingénieurs et autres professions.

La mise en évidence des modèles régionaux permet aux auteurs d’émettre l’hypothèse d’un « renforcement et [d’un] accroissement des segmentations existantes au sein même des systèmes d’action régionaux et donc des marchés nationaux16 ». L’Europe des architectes ne peut être vue comme une totalité, mais comme une composition de particularités locales, adossées à une histoire hétérogène et à des systèmes politiques singuliers. Les chercheurs anticipent également « le développement de réseaux de compétences et de coopérations dont une partie serait relativement stable et l’autre très mobile et flexible17 ». Ces réseaux pourraient ou devraient intégrer des formes souples de coopération, sources d’activités pour les architectes. L’avenir européen pourrait être ouvert pour les praticiens dès lors qu’ils accepteraient de s’associer avec les autres professionnels et praticiens de l’architecture et de la construction : « L’harmonisation européenne en matière de maîtrise d’œuvre passerait par un élargissement de l’offre de compétences et de services de la part des divers professionnels et spécialistes concernés pour mieux affronter l’accroissement des exigences d’intégration, d’une part, des multiples fonctions de conception et de gestion des projets […] et, d’autre part, des dimensions les constituant18. » L’internationalisation des pratiques, qu’elles se concrétisent ici ou là-bas, constituerait une voie d’adaptation des modèles professionnels et soutiendrait jusqu’à un certain point leurs convergences.

De l’Europe à l’international

Les situations européennes, diverses, inscrivent de fait les histoires nationales des conditions de protection du titre et de l’activité d’architecture dans deux modèles majeurs récemment évoqués — la coopération concurrentielle et l’intégration fonctionnelle —, qui sont eux-mêmes fortement orientés par les modalités de la commande, d’une part, et celles de la réalisation des constructions, de l’autre. Les métiers associés à ces deux modalités vont en effet participer directement au travail de conception demandé à l’architecte — ou à l’inverse rester extérieurs à ce dernier, lui fixant alors des injonctions ou des contraintes dont il devra tenir compte.

Pour Bernard Haumont, « pratiquer l’architecture ici ou là n’est donc que rarement semblable », en raison même « des différences importantes dans les façons de considérer les clients et les praticiens “à l’œuvre”, donc leurs relations19 ». Alors que la différenciation des fonctions de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage est spécifique à l’organisation de l’architecture en France (Tapie et al., 2003), il est évident que cette organisation est variable selon les histoires, les réglementations, les acteurs et les pratiques des pays considérés. La comparaison internationale des relations entre les professionnels et leurs clients apporte un nouvel éclairage sur des pratiques inscrites dans plusieurs échelles territoriales. Par exemple, si la plupart des diplômés restent exercer dans le pays qui les a formés, ils sont de plus en plus nombreux à s’expatrier temporairement, à collaborer ponctuellement dans d’autres pays, à multiplier les missions20 et à assimiler des façons autres de mener les projets. À partir de compétences acquises en France, les architectes hexagonaux en développent de nouvelles à l’étranger et, inversement, en exerçant hors de chez eux, ils gagnent des compétences qui leur sont utiles en France.

Dans ce sens, deux problèmes majeurs demeurent pour le développement des activités architecturales dans des contextes de plus en plus internationalisés. Le premier concerne non pas tant la protection du titre, qui est quasi généralisée à l’échelle européenne (sauf au Danemark, en Finlande et en Suède), que celle de la fonction, qui n’existe que dans un nombre restreint de pays21. Le second tient à la responsabilité de l’architecte, qui varie considérablement d’un pays à l’autre, dans sa définition comme dans sa durée : celle-ci peut être très faible (deux ans) comme décennale, voire plus. Il en est de même pour les garanties assurantielles : obligatoires, partielles et optionnelles, ou même libres. La maîtrise de ces seules dimensions nécessite déjà des efforts constants d’appréhension et de compréhension, ou bien des alliances avec d’autres praticiens et professionnels au fait de ces arcanes. Le Cahier Ramau 3 (2004), déjà cité, abordait quelques-unes de ces questions, mais peut-être, alors, n’est-il pas allé jusqu’au bout de ce qu’elles impliquaient dans les façons d’œuvrer ici ou là.

À ces dimensions doivent être ajoutées celles qui concernent les normes techniques ou sociales, qui ne sont que partiellement harmonisées à l’échelle européenne et qui constituent des armes de défense professionnelle ou économique au niveau mondial22.

Ces multiples différences nourrissent les diverses façons dont les équipes de conception architecturale et urbanistique sont composées, imposant ici la présence d’ingénieurs et là la présence de managers ou d’autres formes d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. De la sorte, les « forums hybrides23 » convoqués pour l’élaboration et la conduite d’un projet varient fortement d’un pays à un autre, même s’il faut percevoir des convergences accrues, tout au moins à l’échelle européenne.

Vingt ans d’évolution des contextes et des pratiques de la fabrication de la ville

L’organisation du travail telle qu’elle existait jusque dans les années 1970 a été largement renouvelée par l’ouverture de nouveaux marchés et secteurs d’activité, par l’évolution des acteurs de la construction et du cadre bâti, par la modernisation des systèmes de production et des technologies, ainsi que par une compétition accrue des entreprises au niveau international.

Tout d’abord, il faut reconnaître la présence accrue des agences et des professionnels français à l’étranger, que ce soit ponctuellement, sur la base d’une reconnaissance internationale avérée (Nouvel, Portzamparc…), ou pour des missions de longue durée (Arte Charpentier, Architecture Studio…). Au-delà de ces exemples phares, nombreuses sont aujourd’hui les agences qui ont su s’insérer dans des marchés extérieurs à la suite d’alliances, de concours ou après un premier travail. Elles intériorisent des modes de faire venant d’autres pays, comme elles exportent d’ailleurs une architecture « à la française ». Cette dernière leur est parfois demandée, même si elle doit être adaptée aux conditions locales des marchés et de la construction : il y a ainsi apprentissages et consolidations de savoir-faire pour des marchés externes.

Le second point à souligner tient au fait que les projets proposés aux concepteurs se sont très largement différenciés. Si la conception pour l’édification ou la réhabilitation d’une construction singulière reste majoritaire dans l’exercice professionnel national, d’autres programmes tendent à se substituer à cette commande traditionnelle. Les appels croissants à des marchés « clés en main » où promoteurs, concepteurs et constructeurs doivent faire cause commune en sont des illustrations, tant avec les partenariats public-privé (PPP) qu’avec la forme émergente des appels à projets urbains innovants, du type « Réinventer Paris ». De même dans l’urbanisme de macro-lots, nombreux sont les facteurs qui favorisent une internationalisation de fait : par la pratique du retail et du merchandising, des investisseurs internationaux et des chaînes commerciales ou des enseignes prestigieuses répondent à des demandes nationales tout en privilégiant une image internationale.

Émergence de préoccupations environnementales et urbanisme de processus

Au nombre des transformations advenues depuis vingt ans, il faut bien sûr mentionner les préoccupations environnementales croissantes, qui obligent à élargir les champs de compétences des architectes. De nouvelles attentes écologiques et sociales auxquelles les commanditaires publics et privés ne peuvent être que sensibles orientent de plus en plus fréquemment les conditions du travail architectural : respect des équilibres environnementaux, cycles de vie du bâtiment, pérennité et recyclabilité, matériaux bio-sourcés, consommation énergétique, biodiversité et présence du végétal en ville, risques naturels, frugalité économique, contraintes commerciales liées aux marchés, participation des usagers et/ou attention portée aux usages, question du genre et des espaces habités, évolution des mobilités, des modes de vie24, etc.

C’est qu’en effet les habitants, et de plus en plus les citoyens, comme presque partout en Europe, entendent intervenir à leur tour sur les modalités et les formes de leur habitat et de leur environnement25. Les ambiguïtés des mouvements participatifs ont été souvent soulignées, puisqu’ils peuvent tout aussi bien militer pour des innovations et des transformations dans leur cadre de vie que pour des conservatismes divers. Ce qui, évidemment, peut influer sur les postures professionnelles et la nature des projets développés.

Dans ce sens, de nouveaux processus et surtout de nouvelles temporalités émergent : les démarches participatives, les écoquartiers, l’urbanisme dit « tactique », la gouvernance des parcelles urbaines en conversion témoignent de l’inflexion de l’attention vers le processus et la durée plutôt que vers l’objet construit. Les temporalités de l’éphémère, voire de « l’improvisation », permettent des souplesses programmatiques pour la prise en compte des temps de la ville, des aléas des marchés et des dynamiques financières : une urbanité renouvelée avant le projet et parfois de façon prioritaire par rapport au projet.

Les exemples français sont susceptibles de devenir des modèles, comme le pavillon de la Biennale de Venise 2018 en a été l’illustration. Le temporaire et l’éphémère tels qu’ils sont développés en France (grâce notamment au statut d’entreprise sociale et solidaire) deviennent un modèle pour de nombreux autres pays — après, d’ailleurs, que les réalisations françaises se sont nourries des premières expériences étrangères.

C’est qu’en effet les agences françaises, hormis quelques exceptions notables, ont pris passablement de retard dans la prise en compte de la mutabilité potentielle des lieux et de ce qu’elle implique en termes de participation ou de développement durable. À cet égard, la prise en compte de nouvelles urbanités — comme celles des contraintes climatiques et des exigences écologiques  n’apparaît pas première dans le travail de nombre d’entre elles. En atteste l’inexistence, ou presque, des agences françaises dans le prix international « Global Award for Sustainable Architecture » que la Cité de l’architecture a créé en 2006.

Quelques-unes françaises ont toutefois su faire reconnaître leurs compétences dans les domaines d’un environnement durable, fréquemment sous l’impulsion d’actions publiques (Eco-quartiers en particulier), ou en fonction de choix plus singuliers (frugalité, verdissement…). Certaines dimensions de l’internationalisation des pratiques nationales paraissent trouver ici leurs limites, temporairement tout au moins.

L’outil numérique et la recomposition de la division du travail

Au sein de ces multiples évolutions, la numérisation du travail de conception permet de nouvelles formes de collaboration, voire de sous-traitance à distance. Une agence localisée en France peut développer des projets à l’étranger sans devoir déplacer la totalité de ses cellules de conception et de design.

Si les modèles canoniques de la commande et de sa réalisation peuvent être bousculés, dans la commande publique comme dans la commande privée, il faut convenir toutefois, tout au moins en France, que les modes majeurs de la fabrication de la ville (Biau et Tapie, 2009) restent encore assez traditionnels, avec un promoteur public ou privé, un architecte ou une équipe élargie de conception, et des constructeurs. Selon les pays et la nature des opérations, des recouvrements entre ces différentes fonctions peuvent exister, ainsi que des transferts entre les rôles (par exemple d’un promoteur à un collectif d’habitants), mais cette trilogie continue à déterminer très fortement les fonctionnements de la chaîne qui va d’un projet à une réalisation.

Ces transformations visant entre autres objectifs à réduire l’asymétrie structurelle d’information et de compétence entre la commande, la conception et la réalisation des projets par rapport à la traditionnelle « asymétrie d’information » dans les services (May, 2000) sont favorisées par la sophistication et la diversification des métiers de l’assistance à maîtrise d’ouvrage (énergie, participation, prise en compte du genre…) et par les développements de l’informatique. Au cours de ces vingt dernières années, les évolutions considérables induites par les nouveaux outils, notamment dans le numérique — Building Information Model (BIM, maquette numérique pour la conception et l’exploitation des bâtiments), réalité augmentée, synthèse d’un grand nombre d’informations, nuage de points (scanner 3D de l’existant, outil pour la réhabilitation-restauration), imprimante 3D (fabrication de composants, de petits édifices) —, modifient fondamentalement le travail de conception architecturale et urbanistique, ainsi que les cadres et conditions des coopérations interprofessionnelles.

Comme l’a été l’informatisation des systèmes de travail dans les années 1990, le BIM engage une nouvelle révolution technique du monde de la conception et de la construction. L’outil collaboratif permet un partage d’informations à distance et réunit autour d’un même objet numérique les membres d’une équipe de maîtrise d’œuvre, ceux de la maîtrise d’ouvrage et de plus en plus souvent ceux de la construction, des matériaux aux conditions de leur mise en œuvre. Certains pays membres de l’Union européenne l’ont déjà imposé (Pays-Bas, Danemark, Finlande et Norvège), et la France engage depuis 2017 ses professionnels à l’employer sur les bâtiments publics de plus de 2 000 m². Des prix des meilleurs projets BIM au monde et des BIM d’or promeuvent la tendance et produisent une nouvelle logique de consécration propre au procédé numérique. Des fonctions de BIM manager apparaissent, pas toujours dévolues aux architectes, qui supposent une formation spécifique ou la spécialisation de certains salariés sur cette activité.

Les possibilités ouvertes par la généralisation de l’outil numérique facilitent aussi les transferts du travail de conception vers le commanditaire comme vers les entreprises de réalisation, et les rétroactions vers ce travail premier, quitte à adapter celui-ci aux demandes ou aux contraintes que portent les partenaires. Il y a là une forme d’intégration dynamique des divers agents concourant à l’aboutissement d’un projet, qui respecte cependant l’autonomie de chacun : un projet intégré versus une intégration des fonctions.

Les formes d’internationalisation de la fabrication de la ville

L’internationalisation est « un long processus de renouvellement des relations et des échanges, parfois ou souvent tendus, entre des mouvements internationaux et des dynamiques nationales ou locales26 ». L’enjeu premier est alors de distinguer de quelle manière les professionnels et les institutions agissant au niveau international adaptent leurs actions, et ce qui les incite à adopter une conduite tournée vers d’autres pays ou empruntée à d’autres nations, « international » étant entendu au sens de : « ce qui a lieu, qui se fait entre deux ou plusieurs nations ; qui concerne plusieurs nations27 ». La nature des relations sociales s’est intensément transformée à la fin du XXe siècle, lorsque la révolution des communications a permis au plus grand nombre d’être en relation instantanée, et lorsque les dimensions financières du capitalisme ont pris le pas sur ses dimensions industrielles ou sociales. Bertrand Badie (1995) invoque une déterritorialisation du monde, dans le sens où les territoires auraient perdu de leur force, où les frontières se franchiraient plus facilement, bien que les États maintiennent un monopole de la gestion des distances par les régulations de visas. L’apparition d’Internet et des outils informatiques et numériques, la multiplication des voyages et le développement de la mobilité ainsi que l’emprise des grandes firmes mondiales ont transformé les rapports aux espaces nationaux. Il ne semble pas, toutefois, que cette internationalisation ait substantiellement modifié les appartenances régionales ou locales, comme des mouvements sociaux récents ont pu le rappeler (ZAD de Notre-Dame-des-Landes, barrage de Sivens, projet Europa City au triangle de Gonesse et autres mobilisations citoyennes). On touche là une question centrale quant aux effets et conséquences de l’internationalisation croissante de certaines opérations face à des résistances dont les facettes sont multiples.

Des citoyens du monde

La découverte du monde est de plus en plus aisée : les médias et Internet nous livrent la planète dans notre salon, les étudiants circulent davantage, renouvelant la tradition du « Grand Tour » des générations précédentes ou du séjour à la villa Médicis, avec les prix de Rome jusqu’en 1968. Les étudiants des Ensa sont moins nombreux mais plus mobiles que leurs homologues universitaires, probablement parce qu’ils sont majoritairement issus de classes sociales supérieures28, peut-être aussi du fait d’une vision universaliste de la discipline souvent initiée dès la première année du parcours d’études (Erlich, 2012).

Plus fondamentalement, les écoles d’architecture se sont très largement ouvertes vers l’Europe et le monde. Il n’y a plus, pour ainsi dire, d’école française qui ne dispose de programmes d’échanges avec des écoles étrangères. Si, avant les années 1990, nombre de ces échanges étaient encore singuliers ou balbutiants, Erasmus leur a insufflé une énergie nouvelle, obligeant chaque école à penser ses équivalences avec les écoles partenaires, parfois d’ailleurs sous la pression des étudiants eux-mêmes. Et après cette première confrontation avec des vents du large, tout d’abord européens, quelques-unes d’entre elles ont vogué vers des terres plus lointaines : des pays asiatiques, nord et sud-américains, africains… avec des conventions de coopération allant du plus restreint (accueil d’étudiants étrangers) au plus large (échanges d’étudiants et ateliers communs).

Né en 1987 dans les universités et en 1990 dans les Ensa, le programme Erasmus s’inscrit dans la volonté de voir émerger un espace commun de réflexions et d’échanges à l’échelle européenne, dans lequel les étudiants évoluent dans un cadre structuré sur des bases communes. Jusqu’en 2014, le programme désignait seulement les mobilités européennes. Erasmus Plus apparaît alors et inclut les échanges à l’échelle mondiale. On peut estimer qu’à partir de 2010 environ un étudiant en architecture sur deux est parti en mobilité pendant son cursus de formation, les femmes davantage que les hommes (57 % et 43 %). Les premières destinations choisies sont l’Italie, l’Espagne, et l’Allemagne29, où les jeunes séjournent généralement un an, parfois plus. Le départ s’entreprend le plus souvent dans une logique de retour en France, ne serait-ce que pour « valoriser » les acquis pédagogiques.

Aussi, plutôt que d’une « fuite des cerveaux », nous pouvons parler d’une « mobilité des cerveaux » des architectes. Si la formation ne se conçoit plus sans ouverture internationale, bien souvent, dans la foulée de ces échanges, nombreux sont les jeunes architectes qui développent dans leurs premières années de pratique soit une expérience associative avec des collègues étrangers, soit une insertion de court ou moyen terme dans une agence étrangère.

On ne saurait oublier, dans les dynamiques créées par Erasmus, l’accueil d’étudiants étrangers dans les Ensa. Par leur positionnement spécifique, puisque formés ailleurs à la discipline architecturale, ils viennent interroger les modes de faire pédagogiques ou les apprentissages de pratiques professionnelles qui ne leur sont pas familières mais à propos desquelles ils ont souvent des choses à dire. De la sorte, ils introduisent des manières de voir ou de faire de l’architecture qui ne s’inscrivent pas dans les modes canoniques de l’enseignement français. Des décalages souvent heureux et qui viennent illustrer le fait que l’architecture ne se pratique pas partout de la même façon.

L’internationalisation des modèles architecturaux

Observer les professionnels sous l’angle international ne revient pas à faire disparaître l’échelle nationale des analyses. Au contraire. D’autant que si, historiquement, en France, l’État a joué un rôle déterminant dans la structuration du groupe professionnel des architectes, avec notamment la perpétuation de l’ordre créé sous Vichy, il faut reconnaître qu’il a eu aussi pendant longtemps un rôle dans la centralisation et la nationalisation des pratiques, à l’opposé de la période de l’entre-deux-guerres (1920-1936), marquée par l’intervention d’architectes français dans les différents hémisphères et par les grands concours internationaux, qui ont mobilisé nombre d’architectes et d’urbanistes français, tandis que les expositions internationales faisaient circuler des exemples et des modèles en provenance de divers pays30. Des mouvements comme les Ciam (Congrès internationaux d’architecture moderne) ou Team X, qui ne cachaient pas leurs intentions de conquérir de nouveaux marchés, illustrent également une mobilité volontariste. Ainsi, l’échelle « internationale » — plus que « globale » ou « mondiale » — paraît toujours adaptée pour observer certaines modifications de la profession et de ses pratiques, comme celles qui affectent les maîtres d’ouvrage et les entreprises de construction. Cette dimension semble également pertinente pour caractériser les singularités nationales incorporées par les diplômés au cours de leur apprentissage, ainsi que les échanges qu’ils engagent entre plusieurs pays.

Ce qui était montré comme un modèle de l’architecture internationale a fait son temps. Comme d’ailleurs beaucoup d’autres doctrines qui se voulaient alors génériques : modernisme, postmodernisme, post-urbanisme, etc. L’internationalisation généralisée des pratiques empêche paradoxalement l’émergence d’une doctrine architecturale qui pourrait être adoptée ici ou là et ainsi nourrir un modèle. Des couples de notions comme « local et global », « particularisme et standardisation », « tradition et modernité » peuvent être observés dans l’activité professionnelle comme faisant souvent l’objet de compromis et d’innovations. Mais ils ne s’érigent pas pour autant en doctrines. Parce que tous, ou presque, se montrent plus sensibles à l’environnement géographique, social et culturel des projets, il ne peut plus y avoir de posture vraiment commune entre les architectes pour un projet donné, sauf à renier le sens même d’un projet. Ce qui donne évidemment une valeur au travail de l’architecte, de l’urbaniste ou du paysagiste.

C’est dans cette béance, ouverte par l’absence de doctrines partagées, que prennent place des réalisations très sophistiquées dues aux capacités techniques des constructeurs – tels le musée Guggenheim de Bilbao, de Frank Gehry, ou la Havenhuis de Zaha Hadid, à Anvers – là où la commande entend disposer de bâtiments emblématiques et, de la sorte, d’une reconnaissance internationale. À l’opposé, sont en train d’être construits des modèles de gestion de projet où la singularité de la proposition architecturale et urbanistique est reconnue mais ne devient qu’un élément parmi beaucoup d’autres pour le bâtiment projeté. Le retrait de l’État au profit de commanditaires privés, en France et ailleurs, dans les commandes architecturales tend en effet à transformer le travail de conception, traditionnellement orienté vers l’œuvre ou plus généralement vers l’intérêt public, en un produit devant satisfaire les intérêts différentiels du client31.

De l’export à l’internationalisation

La notion d’export est très présente dans les rapports et l’activité des associations de promotion de la profession, accompagnée par les volumes d’affaires des entreprises, le nombre de filiales internationales et les palmarès des meilleures productions françaises réalisées à l’étranger. S’il est nécessaire d’étudier l’exportation de services d’architecture, cette condition n’est pas suffisante pour rendre compte des processus d’internationalisation saisis sur le long terme32. Il y a vingt ans, le rapport du groupe de travail « Architecture et exportation » (Contenay, 1995) insistait déjà pour dépasser la notion d’export en montrant un panorama plus complet des activités architecturales : « Le volume total de l’exportation d’architecture ne se résume pas aux seules données statistiques, qui ne font apparaître que les travaux réalisés à l’étranger par les agences françaises et ne prennent en compte ni les travaux exécutés par les filiales et dont les revenus ne sont pas rapatriés, ni les actes effectués par des architectes français sous-traitants d’entreprises. Des enquêtes complémentaires sont nécessaires pour donner une image plus complète de la situation française33. » Cet enjeu est toujours d’actualité. Une gamme élargie de services participe au rayonnement de la France à l’étranger, au développement de partenariats et de conventions bilatérales, à la formation d’équipes de professionnels et à des domaines d’expertise français.

Cependant, les mouvements d’internationalisation ne peuvent se réduire à ceux de « l’export », puisque, pour exporter, il faut que la structure de travail ait assez largement intégré les contraintes explicites ou tacites des marchés étrangers, notamment ceux au sein desquels les praticiens exercent ou veulent exercer (Winch, Grèzes et Carr, 1998). Évidemment, la création d’une agence secondaire dans le pays cible, intégrant des architectes locaux, est une possibilité.

Et puis, surtout, il faut prendre en compte les façons dont l’internationalisation des marchés et des commandes pénètre et transforme à son tour les modèles français pour les tirer vers des formes plus compatibles avec les fonctionnements du capitalisme contemporain, dans lequel les États tendent à se retirer pour laisser place aux entreprises privées et à leurs exigences de performance et de profitabilité.

L’internationalisation des pratiques professionnelles

Au cœur de la profession réglementée, des différences idéologiques et des variétés de dispositifs d’action s’observent. De même que les médecins et les avocats, des architectes n’exercent pas nécessairement le cœur de métier traditionnel. Encouragés par l’exemple international, ils explorent d’autres facettes que la maîtrise d’œuvre de conception et de construction et s’ouvrent à des domaines connexes.

L’élaboration d’une segmentation professionnelle spécifique à la sphère internationale (Rosenbaum, 2017) a trouvé ses fondements dans les modèles régionaux européens des pratiques architecturales mis en évidence par Bernard Haumont et son équipe dans le Cahier Ramau 3. Ces modèles s’intéressaient principalement aux pratiques professionnelles des agences. En croisant ces considérations avec l’analyse des trajectoires individuelles d’un ensemble de diplômés français, on a pu mettre au jour des segments (groupes partageant intérêts, idéologies et dispositifs d’action). Si les « icônes » sont bien documentées autant sur leurs productions que sur les figures qu’elles représentent, d’autres groupes aux pratiques plus ordinaires ont moins fait l’objet de recherche. Aussi, les « alter-architectes », « humanitaires », « institutionnels », « entrepreneurs » et « icônes » apparaissent comme un ensemble d’acteurs reliés par un même diplôme français, et qui agissent de manière différenciée hors des frontières nationales. La description des segments et leur illustration par des études de cas rendent compte de processus qui structurent des cultures et des pratiques professionnelles propres entre la France et les autres pays.

Les « alter-architectes » s’éloignent de la corporation et prônent une dématérialisation de l’architecture : être architecte ne signifie pas nécessairement construire. Médiation, enseignement, et communication culturelle constituent leurs principales activités. Connus des institutions professionnelles, ils accèdent à des scènes internationales et s’organisent en collectifs, en particulier en Europe, mais sont attentifs aux dynamiques mondiales.

L’émergence de catastrophes naturelles et de conflits a vu se structurer une catégorie originale d’architectes « humanitaires » agissant souvent en situation d’urgence, dans des pays en voie de développement ou lorsque des conditions de vie l’exigent, dans la « jungle » de Calais, par exemple (Dauvin et Siméant, 2002). Leurs actions répondent à des besoins primaires de santé, d’éducation et d’habitat. Les « humanitaires » travaillent pour le compte d’associations et d’organisations nationales et internationales.

Le maintien du rôle de la France sur l’échiquier politique international est renforcé par un corps d’architectes d’État spécialistes du patrimoine. Exerçant des fonctions de conseil, d’enseignement, d’évaluation et d’orientation, proche des instances ministérielles, une catégorie d’architectes « institutionnels » étend ses actions à l’étranger au travers d’expertises en diffusant des savoirs et en expérimentant via la formation et l’enseignement de savoir-faire à la française.

La volonté conjointe de l’État, des entreprises du secteur et de la profession d’étendre et de faire rayonner l’architecture française incite à exporter des activités de toutes sortes en lien avec un individu ou une organisation. Le segment des « entrepreneurs » se compose de dirigeants, d’associés ou de salariés d’agences dont les capitaux, suffisamment solides, favorisent l’accès à des marchés extérieurs, localisés principalement dans des zones de croissance en Asie et au Moyen‑Orient.

Bien connus des étudiants, des praticiens et du grand public, les grands architectes sont des « icônes » de la discipline, transcendant les siècles ou les décennies. Certains les appellent « archistars » et les associent à un star-system. Ce sont les grandes figures de l’architecture reconnues sur la scène internationale. Les gagnants du prix Pritzker en donnent de bons exemples : en France, Jean Nouvel et Christian de Portzamparc.

Une activité internationale fait gagner les architectes en visibilité (alter-architectes), en compétences et reconnaissance (humanitaires), représente une source de sollicitation d’expertise (institutionnels), diversifie les secteurs de marchés (entrepreneurs) et incarne une puissante scène symbolique (icônes). Grâce aux icônes, les architectes bénéficient d’un fort rayonnement, qui alimente des représentations d’une profession « internationalisable » (si les stars le font, pourquoi pas les autres ?). Mais les autres segments, moins délimités en France, évoluent également dans un espace de travail international.

Au-delà de cette typologie, une architecture « à la française » est de plus en plus reconnue, qui, outre les soutiens étatiques ou diplomatiques qui souvent l’accompagnent, s’inscrit pleinement dans les renouveaux que les écoles d’architecture ont su développer dans les années 1980.

L’hypothèse avancée par l’approche segmentée est que l’international non seulement renouvelle l’identité professionnelle des architectes, mais structure également des sous-identités. Ce tour d’horizon montre que certains diplômés multiplient les activités professionnelles et que d’autres s’écartent de leurs compétences initiales pour pratiquer l’architecture différemment. Certains sont « progressistes » et laissent davantage libre cours à l’invention de modes de production de l’architecture (alter-architectes), tandis que d’autres rattachent fortement leurs pratiques au modèle traditionnel (entrepreneurs). Certains segments fondent leurs actions sur l’expertise, l’enseignement et la coopération internationale (institutionnels) ; d’autres sur la construction, le conseil et la médiation dans des réseaux associatifs (humanitaires).

Les segments révèlent donc la profession sous un autre jour. Les activités engagées à l’étranger permettent aux architectes de se distinguer. Réaliser des affaires loin de la concurrence nationale peut être une stratégie de développement d’entreprise ; apporter une expertise à des confrères étrangers participe de la construction d’une réputation. Travailler dans un autre pays demande une prise de distance par rapport au mode d’exercice libéral. Une prise de distance physique, relative aux zones géographiques d’exercice, et culturelle, pour s’adapter aux conditions d’actions étrangères, participe au renouvellement des cultures professionnelles et des formes de pratiques de l’architecture. Les transformations ne sont certes pas toujours spectaculaires par rapport aux pratiques françaises, mais prennent une autre dimension du fait d’opérer à l’étranger.

Conclusion

Au terme de cette revue évidemment incomplète des implications d’une internationalisation accrue du travail architectural (in et out), il est évident que les modèles d’organisation et de gestion circulent plus rapidement d’un continent à l’autre dans un monde globalisé d’une part, et avec une emprise accrue de clients et de commanditaires privés d’autre part.

Le réseau Ramau, dans les publications et rencontres qu’il a initiées, a largement pris part aux questionnements qui ressortent de ce trop rapide panorama. Peut-être cependant, et c’est un exercice à venir, n’a‑t‑il pas suffisamment insisté sur les dialectiques entraînées, ici ou là, par les spirales de l’internationalisation et l’affirmation de positions locales ou régionales. C’est qu’en effet les situations professionnelles françaises sont multiples et ne s’inscrivent que de plus en plus rarement dans des modèles uniformes.

Ainsi, si la conception assistée conjuguée à la maîtrise de la mise en œuvre de matériaux innovants s’accroît un peu partout et permet des prouesses architecturales et constructives, parallèlement, une meilleure prise en compte des matériaux locaux permet des architectures plus adaptées aux contextes où se situent les projets : situation des populations, participation de celles-ci, climat et températures, économies d’énergie… De fait, les modes d’organisation de la maîtrise d’œuvre restent encore largement ancrés dans des situations nationales, ou en tout état de cause dans des aires culturelles qui partagent des cadres d’exercice et des valeurs liées à ce qu’elles apportent aux cadres de vie.

Dans ce sens, les nécessités d’innovation auxquelles sont soumis en permanence les concepteurs (reconnaissance professionnelle, attentes des commanditaires, accès aux marchés, esthétisation généralisée, etc.) jouent simultanément sur les façons dont ils se saisissent des dernières innovations architecturales, y compris internationales, et sur les manières dont ils les adaptent à des situations locales. Ces capacités d’innovation et d’adaptation constituent sans doute le socle à partir duquel la profession d’architecte et ses modes d’exercice, et plus généralement les équipes de conception, peuvent affirmer leurs compétences et ainsi garantir une vision partagée des identités professionnelles. Mais est-ce encore le cas lorsque les différences des marchés, y compris en termes de complexité ou d’ampleur, conduisent à distinguer ceux qui peuvent y répondre et ceux qui ne le peuvent pas ?

Deux questionnements restent alors ouverts pour Ramau vis-à-vis de l’internationalisation des pratiques :

  • Le premier tient à l’analyse des effets concrets qu’a pu avoir l’internationalisation des processus de fabrication de la ville sur les pratiques au sein des agences d’architecture, y compris celles qui n’ont pas explicitement d’activité internationale.

  • Le second tient à la connaissance des alliances et des réseaux de coopération et d’échange qui se tissent à l’occasion d’activités internationales, entre concepteurs, d’une part, et au-delà, d’autre part, entre architectes et autres acteurs et opérateurs de la maîtrise d’ouvrage, de l’ingénierie ou de la construction, voire de la gestion.

Des chantiers à venir pour Ramau ?

1 Voir le n° 2-3 des Cahiers de la recherche architecturale, « Métiers » (1978), où se retrouvent déjà beaucoup des auteurs qui illustreront par leurs

2 Voir dans le témoignage de Bernard Haumont des précisions sur ce premier réseau, préfigurateur de Ramau.

3 Sous la houlette conjuguée de Michel Bonnet (PCA) et de Bernard Haumont (EA Paris-La Défense), avec l’assistance de Brigitte Berthomieu.

4 On se référera notamment dans la bibliographie aux ouvrages suivants : Haumont, 1992 ; Haumont et Bonnet, 1993 ; Bonnet et Haumont, 1994 ; Bonnet

5 Voir notamment les Cahiers Ramau 7 (2015), Architecture et urbanisme durables ; 8 (2017), Concevoir la ville durable ; et 9 (2017), Les Activités et

6 On pense notamment au travail d’Isabelle Moreau, au Conseil national de l’ordre des architectes.

7 Expression de Philippe de Villiers qui a fait florès.

8 Actes modificatifs : directive 2006/100/CE et règlement (CE) n° 1137/2008.

9 Directive 2013/55/UE.

10 À cet égard, on regrettera que la plupart des formations à la HMONP mises en œuvre dans les écoles d’architecture ne permettent pas de stages longs

11 Voir le site de l’UIA (www.uia.architectes.org) à la rubrique « concours ».

12 Kis M., « Comment l’Union européenne influence-t-elle la décentralisation française ? », entretien avec Brigitte Fouilland, coordinatrice à

13 Badie B., 1995, La Fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard.

14 Sous l’impulsion de quelques Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), des agences étrangères ont ainsi pu intervenir dans

15 Haumont B., Biau V. et Godier P., 1997, « Les segmentations de la maîtrise d’œuvre : esquisse européenne », in L’Élaboration des projets

16 Ibid. p. 42.

17 Ibid. p. 43.

18 Ibid. p. 44.

19 Haumont B., op. cit. p. 77

20 La Mission Interministérielle pour la qualité des constructions publiques a favorisé dans les années 1990 des missions de jeunes diplômés pour

21 Belgique, France, Italie, Espagne, Portugal, Luxembourg et dans une certaine mesure l’Irlande.

22 Voir en particulier les normes états-uniennes, qui s’appliquent évidemment aux États-Unis mais aussi aux autres pays dès lors que les constructions

23 Pour Michel Callon, cette expression désigne les scènes des controverses sociétales, « forums » parce qu’il s’agit d’espaces ouverts et « hybrides 

24 Les Cahiers Ramau 7, Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, et 8, Concevoir la ville durable : un enjeu de gestion ?, s’attachent

25 Le Cahier Ramau 6, L’Implication des habitants dans la fabrication de la ville, développe ces dimensions.

26 Bonnet M., 2013, L’Élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, vol. 3, Paris, Puca, p. 34.

27 Définition du terme « international » : Centre national des ressources textuelles et lexicales. Cf. aussi les deux premiers chapitres de la partie

28 « Enquête sur l’insertion des jeunes diplômés en architecture », 2015, ministère de la Culture et de la Communication : « Entre 1985 et 2010, selon

29 Les données de thèse de Rosenbaum-Brown L., 2017, s’accordent avec les statistiques de l’Observatoire de la scolarité et de l’insertion

30 Voir notamment la grande exposition « La ville » au Centre Pompidou (1994) et le colloque international tenu à Nancy en 2006, « Quand l’

31 Voir l’entretien avec Dominique Perrault au sujet du Village olympique dans Le Monde du 12 mars 2019.

32 La notion d’export est très utilisée au sein de la profession et des institutions. Elle désigne un type de pratique spécifique mais ne convient pas

33 Le « Rapport Contenay 1995 », comme on l’appelle communément, a été commandé par le ministère de l’Équipement. Il fait suite au « Guide de l’

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1 Voir le n° 2-3 des Cahiers de la recherche architecturale, « Métiers » (1978), où se retrouvent déjà beaucoup des auteurs qui illustreront par leurs travaux ultérieurs les recherches sur les métiers de l’architecture.

2 Voir dans le témoignage de Bernard Haumont des précisions sur ce premier réseau, préfigurateur de Ramau.

3 Sous la houlette conjuguée de Michel Bonnet (PCA) et de Bernard Haumont (EA Paris-La Défense), avec l’assistance de Brigitte Berthomieu.

4 On se référera notamment dans la bibliographie aux ouvrages suivants : Haumont, 1992 ; Haumont et Bonnet, 1993 ; Bonnet et Haumont, 1994 ; Bonnet, Godier et Tapie, 1997 ; Bonnet, Claude et Rubinstein, 1997 ; Bonnet, 1998 ; Bonnet et Prost, 1998 ; Bonnet et Lautier, 2000 ; Bonnet et Callon, 2001.

5 Voir notamment les Cahiers Ramau 7 (2015), Architecture et urbanisme durables ; 8 (2017), Concevoir la ville durable ; et 9 (2017), Les Activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme au miroir des formations.

6 On pense notamment au travail d’Isabelle Moreau, au Conseil national de l’ordre des architectes.

7 Expression de Philippe de Villiers qui a fait florès.

8 Actes modificatifs : directive 2006/100/CE et règlement (CE) n° 1137/2008.

9 Directive 2013/55/UE.

10 À cet égard, on regrettera que la plupart des formations à la HMONP mises en œuvre dans les écoles d’architecture ne permettent pas de stages longs dans des agences étrangères.

11 Voir le site de l’UIA (www.uia.architectes.org) à la rubrique « concours ».

12 Kis M., « Comment l’Union européenne influence-t-elle la décentralisation française ? », entretien avec Brigitte Fouilland, coordinatrice à Sciences Po du cours de master « Stratégies territoriales et conduite de politiques publiques », Le Courrier des maires, 12 octobre 2012.

13 Badie B., 1995, La Fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard.

14 Sous l’impulsion de quelques Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), des agences étrangères ont ainsi pu intervenir dans les opérations dites de « cœur de bourgs » ou d’aménagements publics. Ces interventions n’ont pas manqué d’interpeller les milieux professionnels locaux.

15 Haumont B., Biau V. et Godier P., 1997, « Les segmentations de la maîtrise d’œuvre : esquisse européenne », in L’Élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, vol. 2, Paris, Puca.

16 Ibid. p. 42.

17 Ibid. p. 43.

18 Ibid. p. 44.

19 Haumont B., op. cit. p. 77

20 La Mission Interministérielle pour la qualité des constructions publiques a favorisé dans les années 1990 des missions de jeunes diplômés pour aller explorer les conditions des pratiques professionnelles dans les différents pays d’Europe ainsi qu’aux États-Unis et au Canada.

21 Belgique, France, Italie, Espagne, Portugal, Luxembourg et dans une certaine mesure l’Irlande.

22 Voir en particulier les normes états-uniennes, qui s’appliquent évidemment aux États-Unis mais aussi aux autres pays dès lors que les constructions disposent d’un financement américain. On pourrait également évoquer certaines normes techniques allemandes, ou des rôles spécifiques nécessaires comme les quantity surveyors au Royaume-Uni.

23 Pour Michel Callon, cette expression désigne les scènes des controverses sociétales, « forums » parce qu’il s’agit d’espaces ouverts et « hybrides » parce que les groupes qui y sont engagés et leurs porte-parole sont hétérogènes (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). Elle a été proposée par Bernard Haumont dès les travaux d’Euro-Conception des années 1990 pour qualifier les nouveaux régimes de décision urbaine. Elle est depuis largement reprise par les chercheurs de ce champ.

24 Les Cahiers Ramau 7, Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, et 8, Concevoir la ville durable : un enjeu de gestion ?, s’attachent à ces questions.

25 Le Cahier Ramau 6, L’Implication des habitants dans la fabrication de la ville, développe ces dimensions.

26 Bonnet M., 2013, L’Élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, vol. 3, Paris, Puca, p. 34.

27 Définition du terme « international » : Centre national des ressources textuelles et lexicales. Cf. aussi les deux premiers chapitres de la partie « Les relations internationales comme science sociale », in Battistella D., 2012, Théories des relations internationales, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, p. 13 -79.

28 « Enquête sur l’insertion des jeunes diplômés en architecture », 2015, ministère de la Culture et de la Communication : « Entre 1985 et 2010, selon les origines familiales des étudiants primo-entrants dans les écoles, les trois plus importants contingents que constituent les professions libérales, les cadres supérieurs ou les professions intermédiaires représentent entre la moitié et les deux tiers du recrutement (49 % à 66 %). »

29 Les données de thèse de Rosenbaum-Brown L., 2017, s’accordent avec les statistiques de l’Observatoire de la scolarité et de l’insertion professionnelle (MCC, 2013-2014), qui indiquent également l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne comme les trois premières destinations géographiques des étudiants français dans les écoles étrangères au titre de la mobilité 2012-2013.

30 Voir notamment la grande exposition « La ville » au Centre Pompidou (1994) et le colloque international tenu à Nancy en 2006, « Quand l’architecture internationale s’exposait » (actes publiés chez Fage, Lyon, 2010).

31 Voir l’entretien avec Dominique Perrault au sujet du Village olympique dans Le Monde du 12 mars 2019.

32 La notion d’export est très utilisée au sein de la profession et des institutions. Elle désigne un type de pratique spécifique mais ne convient pas pour décrire les actions de l’ensemble de la profession vis-à-vis de sa socialisation au niveau international.

33 Le « Rapport Contenay 1995 », comme on l’appelle communément, a été commandé par le ministère de l’Équipement. Il fait suite au « Guide de l’architecte exportateur » de la Direction de l’architecture et de l’urbanisme en 1986, et se réfère maintes fois au rapport Thomas-Lefas, « Les professions libérales, leur développement international et le Gatt : enjeux et propositions », ministère de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur, réputé pour ses phrases choc : « Il n’y a aucune raison de venir chercher un architecte français. » « Si le talent ne manque pas en France, il ne pourra s’imposer au monde qu’avec le soutien actif des pouvoirs publics. »

Bernard Haumont

Bernard Haumont, sociologue, est professeur honoraire de l’École d’architecture de Paris-Val de Seine et chercheur associé au Lavue, UMR CNRS 7218. Il a enseigné dans diverses écoles françaises (Paris-Villemin, Paris-La Défense…) et étrangères (Hust, Wuhan, Chine ; Epau, Alger…), ainsi qu’aux universités Paris-7, Paris-10 et Paris-12. Il a dirigé l’UMR Louest de 2001 à 2010.
Il a mené personnellement de nombreux travaux sur les métiers et les professions de l’architecture et de la conception et a coordonné divers programmes s’attachant à ces thèmes : PIR-ville (CNRS), Euro-Conception 1 (Puca), FSP franco-algérien… Ses recherches actuelles en France et à l’étranger (principalement en Algérie, en Chine et en Italie) portent sur les processus de patrimonialisation et les dimensions matérielles des identités collectives (patrimoines, paysages…), et sur les expressions sociales de celles-ci (fêtes, manifestations…). Il s’intéresse ainsi également aux doctrines architecturales et urbanistiques contemporaines, dont celles qui traitent de l’esthétisation des espaces publics dans leurs relations à l’art contemporain.
Contact Bernard.Haumont@paris-valdeseine.archi.fr

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Laura Brown

Architecte et docteure en sociologie, Laura Brown est membre du laboratoire Profession, Architecture, Ville et Environnement (Pave) et du Centre Émile-Durkheim (CNRS, université de Bordeaux). Après avoir soutenu une thèse sur la condition internationale des architectes, elle collabore au projet régional Adeqwat dans le cadre d’un contrat postdoctoral. Conduit en partenariat avec des ingénieurs hydrogéologues et des sociologues, ce projet vise à analyser l’avenir de la ressource en eau en Nouvelle Aquitaine à l’horizon 2050, par l’emploi de méthodes qualitatives et quantitatives. Des missions de terrain aux États-Unis et en Inde lui permettent de mettre en perspective les récits des visions d’avenir locales. L’angle international est le fil rouge de ses travaux.
Contact laura.brown.contact@gmail.com

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Véronique Biau

Véronique Biau est architecte-urbaniste en chef de l’État, HDR en aménagement-urbanisme, chercheuse au Laboratoire Espaces Travail (CNRS-Lavue et École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette). Depuis 2000, elle codirige le réseau Ramau.
Ses travaux portent sur les processus et les acteurs intervenant dans la conception et la production des espaces architecturaux et urbains, notamment la transformation des situations de projet et les nouvelles professionnalités des architectes. Elle s’est attachée à la relation maîtrise d’œuvre/maîtrise d’ouvrage dans divers contextes : la grande commande publique et les concours d’architecture en France et en Europe, les partenariats public-privé et l’habitat participatif. Ses études de cas analysent le rapport entre le politique et l’architecture dans les programmes municipaux des villes moyennes, les enjeux de qualité dans la production du logement ou encore la négociation du projet et l’hybridation des savoirs entre habitants et professionnels dans les dispositifs d’habitat participatif.
Contact veronique.biau@paris-lavillette.archi.fr

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